Le « vol de l’Aigle » et les Cent-Jours

• Le débarquement de Napoléon et le départ pour Besançon

Moins d’un an après le retour de Louis XVIII, le 1er mars 1815, Napoléon débarque à Golfe Juan. Le maréchal Ney n’en est pas informé. Un officier lui apporte juste une lettre du maréchal Soult, ministre de la guerre, lui enjoignant sans aucune explication de regagner urgemment son gouvernement de Besançon. Ce n’est que par son notaire et à Paris le lendemain qu’il apprend la nouvelle du débarquement. Le même jour, Ney est reçu par le roi Louis XVIII qui compte sur lui pour « arrêter les progrès de Bonaparte et le mettre à la raison ». Le maréchal réaffirme son serment de fidélité au roi et promet de ramener  lui-même Napoléon à Paris « dans une cage de fer ». A ce moment, Ney semble sincère et réellement scandalisé par le débarquement de Napoléon.

Alexandre MACDONALD (1765-1840). Portrait extrait de L'iconographie de contemporains et fac-similé d'écritures, par F. S. Delpech (1832). (JPG - 827 Ko)Le maréchal Ney se rend à Besançon pour prendre le commandement de ses troupes où il arrive le 10 mars. Il n’a pas le commandement suprême, car le roi l’a confié à son frère le comte d’Artois et à ses neveux (le duc de Berry notamment). Sur place, il  trouve le général de Bourmont, royaliste convaincu, et fait appel aux services du général Lecourbe, antibonapartiste et républicain convaincu. On ne lui communique aucune des instructions promises à Paris. Il est de surcroît sans nouvelles des activités de Napoléon : il n’apprend que tardivement (le 11 mars) la défection de La Bédoyère, la capitulation de Grenoble, puis celle de Lyon.  Dans la deuxième ville de France, au moment de la grande revue des troupes par le maréchal Macdonald et le comte d’Artois, ces dernières ne semblent pas du tout disposées à défendre la cause royale et le comte d’Artois et Macdonald fuient Lyon le même jour.

• Lons-le-Saunier et la nuit du 13 au 14 mars 1815

Jusqu’au 12 mars, Ney envisage toujours sérieusement l’attaque contre Napoléon. Il donne l’ordre à ses troupes de se concentrer à Lons-le-Saunier et y arrive lui-même dans la nuit du 11 au 12 mars. Manquant d’hommes, de cartouches et de matériel d’artillerie, le maréchal Ney affirme néanmoins : « Je suis en mesure de marcher sur Lyon aussitôt que je saurai d'une manière positive la direction que prendra Bonaparte ».

Mais on le laisse toujours sans directives précises et le renfort de troupes annoncé par le ministre de la guerre n'arrive toujours pas. Le 13 mars, les mauvaises nouvelles pleuvent : les habitants de Chalon-sur-Saône ont jeté à l’eau les renforts d’artillerie tant attendus, Autun et Dijon se sont ralliées à Napoléon, le préfet Capelle de Bourg a été chassé par la population…

La nuit du 13 au 14 mars est décisive. Des émissaires de Napoléon lui présentent une lettre du général Bertrand, mélangeant vérités et contre-vérités, lui disant probablement que partout la population et l'armée se déclarent contre les Bourbons, que s'il ne se décide pas, ce sera lui et lui seul qui sera responsable du sang répandu et de la guerre civile. On lui fait croire que Napoléon arrive porté par l'enthousiasme des Français et que le Roi a quitté la capitale. Une référence aurait également été faite à la Moskowa, faisant penser à Ney que Napoléon oublierait son rôle dans son abdication forcée d’avril 1814…

Le maréchal Ney est indécis mais semble comprendre que les troupes ne tireront pas sur les forces de Napoléon. Peut-il alors « arrêter l'eau de la mer avec les mains », comme il le déclarera lors de son procès ? Il  semble être le dernier  rempart contre Napoléon. « J'ai perdu la tête » dira-t-il au préfet Decazes lors de son interrogatoire. Trois possibilités s’offrent à lui : combattre Napoléon, regagner Paris comme l’ont fait le comte d’Artois et Macdonald ou rallier Napoléon comme l’a fait La Bédoyère.

Le 14 mars 1815, il convoque ses deux subordonnés, Bourmont et Lecourbe pour les informer de sa volonté de rassembler les troupes et de leur lire la proclamation (PDF - 55 Ko) annonçant la fin du règne des Bourbons et les invitant à se ranger du côté de Napoléon. On ne sait pas s’il en est l’auteur ou s’il l’a reçue toute faite. Sa défection est consommée.

Il est difficile d’interpréter le choix de Ney : seule certitude, son revirement est considérable entre le moment où il dit au roi qu’il ramènera Napoléon dans une cage de fer et celui où il demande aux Bourbons de s’expatrier. A-t-il regretté l’épopée napoléonienne ? A-t-il souffert  des mesures prises sous la première Restauration, tel que le renvoi d’une partie de l’armée ?

Le soir même du 14 mars, un banquet se tient en présence de Bourmont et Lecourbe qui quittent la ville ensuite. Le général de Bourmont arrive le 16 mars à Paris pour dénoncer le maréchal Ney. Le 18 mars, Ney rencontre Napoléon à Auxerre, mais ne participe pas à la phase finale du « vol de l’Aigle » jusqu’à Paris. Le 19 mars, le roi quitte la capitale.

• Les Cent-Jours (20 mars-22 juin 1815)

Pendant les Cent-Jours, Ney est nommé inspecteur des frontières du Nord et figure sur la liste des nouveaux membres de la Chambre des pairs impériale. Pourtant, il suscite la méfiance : dans l’entourage de l’Empereur, on trouve son ralliement suspect.

La France est à nouveau menacée par la coalition. Après avoir hésité, Napoléon le fait appeler et lui offre la possibilité de se rendre à son quartier général d’Avesnes le 14 juin. Il y reçoit le commandement des premier et deuxième corps d’armée qui combattent à Waterloo. Malgré sa vaillance au combat, Ney est entraîné dans la déroute. Des témoignages concordent pour dire qu’il ne souhaite pas survivre à  cette bataille : « Ah ! ces boulets anglais ! Je voudrais qu’ils m’entrassent tous dans le ventre… » et « Comment ! Il n’y aura pas une balle ou un boulet pour moi ? »

Le 16 juin, au carrefour des Quatre-Bras, les informations passent mal entre Napoléon et Ney qui dispose de peu de forces. Il réussit pourtant à attaquer et prendre la ferme des Quatre-Bras. Au final, ce n’est pas une victoire française, mais Ney est parvenu à arrêter l’armée anglaise de Wellington. Parallèlement, les Prussiens ont été défaits, ce qui prive les Britanniques de leur renfort.

Le maréchal Ney et ses aides de camp conduisant la charge de cavalerie à Waterloo, par Louis-Jules Dumoulin (1860-1924), domaine public, via Wikimedia Commons (JPG - 307 Ko)


Le 18 juin, c’est la fameuse bataille de Waterloo, qui se termine par une débandade de l’armée tout entière prise d’une peur panique et par une victoire décisive remportée par les Britanniques de Wellington et les Prussiens de Blücher sur Napoléon, provoquant ainsi la chute définitive de l’Empereur. Pourtant, malgré le manque de soutien de Napoléon, Ney s’est surpassé lors de cette bataille : il a multiplié les attaques, chargé, mené l’assaut, jeté ses soldats contre l’ennemi, en criant : « Venez voir mourir un maréchal de France ! » Mais le destin en décide autrement…

Joseph FOUCHÉ (1759-1820). Portrait extrait de L'iconographie de contemporains et fac-similé d'écritures, par F. S. Delpech (1832). (JPG - 702 Ko)
De retour à Paris, Fouché, ministre de la police, favorable au retour du roi, lui demande un service. En effet, la Chambre des pairs, à laquelle Ney appartient est convoquée le 22 juin. Carnot doit y soutenir un plan : Napoléon étant écarté (il abdique le jour même), plusieurs maréchaux souhaitent remettre sur pied une armée capable de négocier en position de force avec les alliés. Fouché souhaite quant à lui mettre les alliés face au roi. Il demande donc au maréchal Ney de contredire Carnot devant les pairs.
Lazare CARNOT (1753-1823). Portrait extrait de L'iconographie de contemporains et fac-similé d'écritures, par F. S. Delpech (1832). (JPG - 633 Ko)
Chateaubriandfait le récit de cette séance dans les Mémoires d'outre-tombe. Ney explique aux pairs que l’armée n’est plus en état de combattre, que l’ennemi peut être très rapidement aux portes de Paris et que, par conséquent, l’heure est aux négociations. En tant qu’acteur et témoin de la bataille de Waterloo, son intervention impressionne les pairs et donne gain de cause au plan de Fouché.