B.- LES CARPES ET LES BROCHETS : DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES EN VOIE D'ASSAINISSEMENT

Un grand banquier que nous interrogions sur les récents événements du monde bancaire tchèque et devant qui nous avions prononcé le mot de « requin », nous a répondu : « Oh ! Requins ? Vous savez, nous n'avons pas de rivages bordés par la mer en République tchèque et nous ne parlons jamais de requins. Nous sommes un pays de cours d'eau et d'étangs et il nous arrive de dire qu'il faut une juste proportion entre les carpes et les brochets ». Cet apologue justifiait la politique ouvertement libérale du Gouvernement qui, dans le domaine bancaire et boursier, a choisi au départ de ne pas intervenir afin que de cette liberté et de la loi du plus fort se dégage un équilibre. La crise bancaire de l'année 1996 et l'opacité de la Bourse de Prague ont infléchi cette politique.

1.- Le système bancaire


• Généralités

Avant le 1er janvier 1990, le système bancaire tchécoslovaque était essentiellement constitué de deux banques : la Banque d'État (Statni Banka Ceskoslovenska), qui était à la fois banque d'émission et banque commerciale, et la Banque du Commerce extérieur (Ceskoslovenska Obchodni Banka : CSOB). Il existait par ailleurs deux caisses d'épargne tchèque (Ceska Statni Sporitelna : CSS) et slovaque (Slovenska Statni Sporitelna : SSS), l'investicni Banka (IB), qui avait la responsabilité des portefeuilles d'actions et du règlement des dettes à l'étranger et une petite banque, la Banque des Entrepreneurs (Zinovstenska Banka : ZB), dont l'activité se limitait à la gestion de quelques comptes privés.

Á partir du 1er janvier 1990, la Banque d'État s'est repliée sur son rôle traditionnel de banque centrale (émission de la monnaie, supervision des banques commerciales, politique monétaire). Ses fonctions commerciales ont été dévolues aux autres établissements existants ou créés pour l'occasion, comme la Banque du Commerce (Komercni Banka : KB). Très vite, les établissements bancaires se sont multipliés pour atteindre le nombre impressionnant de 56, ce qui, de l'avis de tous les experts, correspond à un excès résorbable à terme. Ces établissements se répartissent en 24 à capitaux nationaux, 12 à participation étrangère minoritaire, 10 à participation étrangère majoritaire et 10 succursales de banques étrangères.

La Banque Centrale exerce avec fermeté son rôle de contrôle ; elle a porté, en octobre 1993, de 300 à 500 millions de couronnes le capital minimum exigé et a porté le seuil minimal des réserves des banques à 9 % des dépôts à vue et à 3 % des dépôts à terme.

En 1993, le secteur bancaire emploie 53.231 personnes, soit 1 % de la population active et le nombre de guichets s'élève à 3.513. Le montant global des crédits accordés à l'économie s'est élevé en 1993 à 705,5 milliards de couronnes, soit 15,2 % de plus qu'en 1992 - dont 26 % de crédits à court terme, 24,2 % de crédits à moyen terme et 25,7 % de crédits à long terme, le solde à terme non déterminé.

Les crédits accordés à des établissements privés représentent 44 % du total tandis que le secteur public en absorbe 30 %.

La part des dépôts dans le montant des ressources est passé de 48 % en 1991 à près de 66 % en 1993. En augmentation de 25 % par rapport à 1992, les dépôts s'élevaient à 648,2 milliards de couronnes en 1993, dont la moitié provenait de l'épargne des ménages.

Le système bancaire a dégagé en 1993 un résultat net de 14,9 milliards de couronnes et un ratio résultat net/bilan de 1,57 %.

Toutefois on peut s'interroger sur l'efficacité du système bancaire tchèque quand on sait que le recours aux effets de commerce est rare et que les transferts prennent parfois jusqu'à deux semaines. On sait, d'autre part, que 300.000 personnes seulement détiennent une carte électronique et que parmi elles, seules 13.000 ont une carte utilisable dans tous les guichets. Cela tient à la condition sévère qui contraint le client à déposer 10.000 dollars à l'ouverture du compte avant de pouvoir obtenir une carte VISA classique, par exemple. Depuis 1992, 5.000 dollars suffisent. D'autre part, l'utilisation des chèques est plus que confidentielle. Les paiements par virement postal sont le recours usuel des particuliers pour tout règlement par correspondance.


• Les grandes banques tchèques : concurrence et privatisation

Les quatre grandes banques tchèques sont la Komercni Banka (Banque du Commerce), la Ceska Sporitelna (Caisse d'Épargne tchèque), la Obchodni Banka (Banque du Commerce extérieur) et la Investicni a Postovni Banka (Banque de la Poste et des Investissements). Mais le système bancaire tchèque fonctionne selon un processus à deux étages : les dépôts des ménages sont principalement collectés par la Ceska Sporitelna et la majorité des prêts au secteur non bancaire sont consentis par les autres banques commerciales. Or, ces banques se financent sur le marché monétaire national où la Ceska Sporitelna est le principal fournisseur. D'autre part, les emprunts des grandes banques à l'étranger ont pris une importance croissante quand les taux. d'intérêt intérieurs étaient élevés et que le risque de change était perçu comme négligeable.

Cette segmentation du marché s'explique par des raisons historiques. Ainsi la Ceska Sporitelna avait, sous le régime totalitaire, le monopole de la collecte de l'épargne des ménages et elle jouit encore de l'avantage d'avoir un réseau très étendu. De même, la Komercni Banka et la Investicni a Postovni Banka bénéficient toujours de l'avantage que leur donne le fait d'avoir repris les activités commerciales de l'ancienne Banque d'État.

Á plus long terme, le développement d'un secteur bancaire véritablement concurrentiel pourrait être freiné par les résultats de la privatisation partielle de ces établissements. Premièrement, les grandes banques ont toutes le même actionnaire principal (le Fonds de la propriété nationale). L'État peut exercer son influence par l'intermédiaire de ce fonds et aussi sur l'ensemble du secteur bancaire par l'intermédiaire du Conseil bancaire, composé du ministre des Finances, du ministre de la Privatisation, du Gouverneur de la Banque Centrale et du Président du Fonds de la propriété nationale. Au printemps 1996, par exemple, le Conseil bancaire a recommandé aux banques de payer des dividendes inférieurs au montant proposé par leur direction dans le but de renforcer leurs réserves. Cette décision a été appliquée strictement dans toutes les banques contrôlées par le Fonds de la propriété nationale.

La concurrence entre banques est également menacée par les participations croisées. En utilisant les fonds d'investissement gérés par leurs filiales d'investissement, les banques, après la première vague de privatisations par coupons, sont devenues en fait actionnaires, non seulement d'une grande partie de sociétés non financières, mais aussi des autres banques et quelquefois d'elles-mêmes.

Enfin, la concurrence est aussi affectée par le fait déjà mentionné que les Fonds d'investissement des banques sont de gros actionnaires de sociétés industrielles. Pendant la première vague de privatisations, par exemple, les Fonds créés par les trois principales banques tchèques ont acquis 17 % du total des actions des entreprises à privatiser. Les Fonds créés par la Ceska Sporitelna, par exemple, ont acquis des actions dans 514 sociétés.

Une autre caractéristique du système bancaire tchèque provient des premières étapes de la transformation quand les entreprises se sont mises à créer elles-mêmes des banques. Les dépôts des petits épargnants clients de ces banques sont forcément en danger dès que la direction de la banque s'intéresse davantage aux problèmes financiers de l'entreprise dont elle dépend qu'à sa propre rentabilité. Dans le cas d'une des banques mises en liquidation, il a été clairement démontré que l'octroi de prêts à la société mère était la raison principale de la faillite.

Les banques étrangères, quant à elles, ne représentent une concurrence notable que dans certains secteurs, car elles traitent avec une clientèle choisie, composée essentiellement d'entreprises étrangères. En 1995, elles représentaient 8 % de l'encours des crédits bancaires et 6 % des dépôts. La Banque Nationale Tchèque n'encourage pas le développement des établissements étrangers, car le Gouvernement veut contraindre ainsi les banques étrangères à acquérir des petits établissements nationaux plutôt que d'ouvrir une succursale ou une filiale. Mais on observera que la banque française qui a le mieux réussi en République tchèque (la Société Générale) a procédé par la voie d'une création ex nihilo.

La stratégie des autorités bancaires tchèques consiste à renforcer le capital des banques et à encourager les transferts de créances et surtout la mise en place de provisions pour pertes. Au premier semestre 1995, les banques ont, non seulement augmenté de 14 % leurs provisions pour créances irrécouvrables, mais elles ont aussi réagi en diversifiant et en renforçant leurs avoirs. Cependant, les petits établissements restent vulnérables malgré un accroissement de 19 % de leurs réserves. Depuis 1994, une dizaine de banques ont disparu et d'autres n'ont dû leur salut qu'à l'intervention de l'État tchèque. Ainsi, au début de 1996, l'Eko Agro Banka, sixième banque du pays, devant l'insuffisance de ses provisions et ses pertes dans ses opérations sur titres, a provoqué une ruée des déposants sur les guichets pour retirer leur argent. La banque a été placée sous tutelle de l'établissement d'État de consolidation. En septembre, c'est la Kreditni Banka qui a fait faillite après 450 millions de dollars de pertes. Le secteur connaît donc une période d'assainissement qui prélude, espère-t-on, à une concentration.

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