3.- Les privatisations

Pour avoir lancé le programme de privatisations le plus vaste et le plus efficace de toute l'Europe Centrale, la République tchèque s'est acquis à juste titre une réputation de détermination et de courage qui lui a valu l'estime des grandes organisations internationales et l'afflux massif de capitaux étrangers.

On distingue habituellement la « petite privatisation » et la « grande privatisation », outre les restitutions à leurs anciens propriétaires ou à leurs héritiers, des biens mobiliers et immobiliers pour un montant de 125 milliards de couronnes.

La « petite privatisation » votée dès novembre 1990 couvrait la privatisation des magasins, des restaurants, des petits hôtels, des ateliers et autres services courants. La méthode la plus souvent utilisée fut celle de la vente aux enchères. Fin 1993, la petite privatisation était quasiment terminée. Au total, ce sont plus de 24.000 magasins qui ont été vendus et cette opération a rapporté 32 milliards de couronnes tchèques au Trésor.

La « grande privatisation » visait 4.227 grandes entreprises d'État et devait se dérouler en deux étapes. La première vague s'est clôturée à la fin de 1992, la deuxième, bien entamée, devrait s'achever avec la vente des compagnies de distribution d'eau, de gaz et d'électricité et celle des grandes banques. Diverses méthodes ont été utilisées : vente aux enchères, vente directe à un investisseur choisi préalablement, transfert gratuit à une commune, transformation en sociétés par actions. Dans le cas de cette dernière méthode, des actions étaient réservées à la privatisation dite par coupons dont l'objectif majeur était de créer un vaste actionnariat populaire. Les citoyens tchèques détenteurs de coupons qui souhaitaient se porter acquéreurs d'actions pouvaient le faire directement en échangeant ces coupons contre des actions ou confier leurs coupons à des fonds d'investissement. Ces coupons, assortis d'un prix nominal, avaient été auparavant vendus au public (80 % des électeurs en ont achetés).

Les 4.227 grandes entreprises représentaient une valeur totale de 896 milliards de couronnes. A la fin de l'année, les grandes privatisations se répartissaient ainsi :

Méthode de privatisation

Valeur de la propriété privatisée en CZK millions

Vente aux enchères

4.340

Adjudication publique

14.235

Vente directe

44.292

Restitution

5.540

Restitution 4- achat supplémentaire-

8.770

Transfert gratuit aux communes et provinces

32.645

Transformation en une entreprise par action

(dont les actions réservées à la privatisation par

coupons)

740.016

(358.000)

TOTAL

855.838

Source : Banque nationale tchèque (CNB).

D'après les statistiques gouvernementales, plus de 85 % de l'économie se trouve maintenant entre les mains du secteur privé. Mais pour avoir une idée précise du processus de privatisation, il faut garder en mémoire qu'en République tchèque une entreprise pour être privée n'a besoin que d'une participation privée limitée. En fait, il est assez peu fréquent que la majorité de contrôle soit détenue par des intérêts privés. Ainsi le Fonds de la propriété nationale, créé par le Gouvernement pour écouler les actions des entreprises d'État, continue de contrôler 40 % en moyenne de l'ensemble des titres des entreprises privatisées, permettant ainsi à l'État de rester le premier actionnaire.

D'autre part, les nouvelles sociétés d'investissement, ou fonds de placement, se trouvent à la tête du processus de privatisation. Par ailleurs, les plus grandes d'entre elles sont des filiales de banques tchèques privatisées en partie seulement et donc dépendantes de l'État.

Il apparaît donc clairement que ces sociétés d'investissement sont devenues les destinataires d'un transfert de propriété au départ de l'État. Comme les détenteurs de coupons qui y sont entrés s'en remettent en toute confiance aux décisions de leurs fonds de placement, ce sont ces nouvelles institutions qui doivent guider les restructurations et gérer la réforme économique. Or les plus puissantes des 600 sociétés tchèques d'investissement sont des filiales de banques soumises à l'influence de l'État. Ces sociétés détiennent 70 % de l'ensemble des actions émises lors des deux vagues de privatisation massive et 80 % des actions en question sont aux mains de quatre sociétés d'investissement. Trois de ces quatre sociétés sont la propriété d'anciennes banques d'État.

Alors que la participation des investisseurs est limitée à 20 % par entreprise, il n'existe pas de loi limitant la collaboration entre sociétés d'investissement au moment d'acquérir des participations majoritaires. Il est facile alors pour des sociétés d'investissement de s'unir dans le but de modifier la stratégie d'une société ou de lui dicter une décision en matière de personnel par exemple, les sociétés étant représentées aux conseils d'administration. Cette situation est particulièrement fâcheuse quand l'entreprise est endettée auprès de la banque dont dépend le fonds d'investissement « majoritaire ».

En effet, la société d'investissement répugne alors à laisser l'entreprise se restructurer d'une manière trop dramatique ou encore à déclencher une faillite qui empêcherait le remboursement des prêts contractés auprès de la banque. La grande majorité des directeurs de ces fonds, peu expérimentés, accordent plus d'importance aux avoirs qu'à leur rémunération. Ils ne cherchent pas à accroître le revenu des actionnaires mais la valeur des avoirs en portefeuille. Dès lors, les sociétés d'investissement sont souvent plus préoccupées par l'acquisition d'un maximum d'avoirs. Quant aux banques propriétaires des sociétés d'investissement, elles possèdent de fait des intérêts dans ces entreprises susceptibles de ne plus pouvoir assumer le remboursement des prêts qu'elles leur ont consentis. Ainsi, en devenant indirectement propriétaires de ces entreprises, les banques pensent se protéger contre d'éventuels défauts de paiement, alors qu'elles accroissent au contraire leurs risques...

En conséquence, il est permis de craindre que les sociétés d'investissement appartenant aux banques s'abstiennent de restructurer ou de déclarer des faillites lorsque ces mêmes banques sont leurs créanciers. Ceci explique sans doute le faible nombre de faillites enregistré jusqu'à présent et peut-être aussi la faiblesse du taux de chômage.

Cependant en contrepartie, on peut voir dans ce grave inconvénient la certitude que la restructuration, pour ralentie qu'elle soit, restera parfaitement contrôlée et que l'État, malgré l'idéologie libérale qui prédomine dans le discours gouvernemental, peut encore de manière pragmatique jouer sur le rythme du processus et l'améliorer. S'il le souhaite, il s'est mis dans la position de pouvoir collaborer étroitement avec les grandes banques pour influer sur la restructuration, mais il n'est pas à l'abri d'une crise financière dont les conséquences s'étendraient, par un effet de dominos, à une bonne part de l'économie.

Quoi qu'il en soit, nous sommes maintenant entrés dans la phase ultime de la privatisation, celle de la post-transformation selon le Gouvernement, ou encore moins correctement appelée la « troisième phase ». Elle concerne des biens d'État d'une valeur de 348 milliards de couronnes. La liste de ces entreprises stratégiques était connue depuis longtemps, mais le Premier ministre avait choisi de reporter leur privatisation après les législatives de 1996. On sait qu'elle ne sera pas toutes vendues et qu'il est même envisagé que certaines puissent tout de même rester aux mains de l'État.

Il semble qu'il n'y ait plus de calendrier pour cette dernière phase et il est certain, en tout cas, que pour les 53 entreprises stratégiques, la vente n'interviendra qu'une fois ces sociétés consolidées et le climat concurrentiel du secteur stabilisé. L'investisseur devra faire son offre en sachant que l'intérêt national sera pris en compte.

Part du Fonds de la propriété nationale

(en %)

Aero (aéronautique)

34

CEZ (production et distribution d'électricité)

67

CEPRO (approvisionnement en pétrole et gaz)

100

Ceske Aerolinie (compagnie aérienne nationale)

57

Ceska Pojistovna (assurances)

26

Ceska Sporitelna (caisse d'épargne)

45

Ceske radiokomunikace (gestion des fréquences hertziennes)

73

Chemopetrol (chimie et raffinage)

64

CHZ Sokolov (chimie)

91

Elektrizace zeleznic (électrification des voies ferrées)

69

lnvesticni a Postovni Banka (banque)

33

Jan Becher (agro-alimentaire)

97

Kaucuk Kralupy (chimie et pétrochimie)

51

K0MERCN1 Banka (banque)

49

MERO (société exploitante de l'oléoduc Inglostadt-Krapuly)

100

Mostecka Uhelna (charbonnages)

49

Nova Hut (métallurgie)

69

OKD (charbonnages)

59

Paramo (pétrochimie)

72

Poldi Holding (métallurgie)

97

Plzensky Pivovary (brasserie)

19

PVT

11

Prazske Pivovary (brasserie)

14

Prvni Novinova (distribution de la presse)

38

SEVAC

83

SPT Telecom (télécommunications)

51

Severoceske Doly (charbonnages)

58

Skoda Praha (équipements pour le secteur de l'énergie et matériel de transport)

55

Vitkovice (métallurgie)

71

Sokolovska Uhelna (charbonnages)

52

Valcovny piechu Frydek (laminoirs)

56

UVMV Consulting (ingénierie et conseil)

46

UJV Rez (recherche nucléaire)

56

REAS (8 distributeurs régionaux d'électricité et chaleur)

58

REAS (8 distributeurs régionaux de gaz)

58

Sources : CTK et Trend 28 février 1996.

Le Gouvernement a donc reporté la privatisation de ces entreprises et n'a programmé pour le début de 1997 que la vente de parts dans les sociétés régionales de distribution de gaz et d'électricité. Un préalable existe toutefois dans ce domaine : l'adoption d'une loi sur l'organisation et la tutelle des marchés de l'énergie, permettant aux investisseurs de disposer de la visibilité nécessaire, en particulier en matière tarifaire. D'autre part il est intéressant de remarquer que des investisseurs stratégiques ont été trouvés pour SPT Telecom (consortium Tel Source) et pour les raffineries (consortium IOC) et que dans les deux cas, les parts de l'État tchèque ont été fixées par des contrats tenus secrets. Dans le cas de Ceska Pojistovna (compagnie d'assurances tchèque), la part de 26 % destinée à être commercialisée par petits paquets doit éviter l'émergence d'un actionnaire majoritaire. La part de l'État dans les aciéries de Vitkovice et de Nova Hut devrait être inférieure à 50 %. Quant à la compagnie aérienne nationale CSA, sa privatisation n'est plus à l'ordre du jour : la déception provoquée par l'échec de l'association avec Air-France a laissé des traces encore sensibles.

On attend maintenant la suite de la privatisation des banques, mais pour cela, il faudra d'abord que ce secteur pléthorique se concentre. L'État se propose de ne plus conserver que 10 % des actions vers l'an 2000.

Les participations minoritaires du Fonds de la propriété nationale dans 1.400 sociétés représentent plus de 180 milliards de couronnes. Leur cession est programmée également, mais elle sera malaisée puisqu'il s'agit de participations minoritaires face aux actionnaires majoritaires que sont les fonds d'investissement. D'ailleurs, les conditions dans lesquelles des tiers peuvent constituer des blocs de contrôle manquent souvent de transparence.

Une fois le ministère de la Privatisation démantelé, il restera une petite agence chargée du suivi des dossiers et surtout de la gestion des actions privilégiées de l'État dans un certain nombre d'entreprises importantes pour la sécurité du pays (entreprises d'armement, entreprises mécaniques, ports fluviaux, instituts de recherche, compagnie de production d'énergie, entreprises pharmaceutiques).

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