DÉBAT AVEC LA SALLE

M. Yann QUEINNEC, Créateur d'Affectio Mutandi ( Agence conseil en stratégies sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance ) - Nous animons la commission RSE (responsabilité sociale des entreprises) du Conseil des investisseurs français en Afrique.

Comment la notion de contenu local est-elle intégrée dans la réglementation, pour toucher des populations parfois très excentrées ?

M. Mohamed SALEM OULD BECHIR - En Mauritanie, notre tentative de fabriquer localement des panneaux solaires a échoué, parce que peu de fabricants parviennent à produire à bas coût, en dehors de la Chine. En outre, la formation et le développement des compétences locales sont nécessaires pour assurer l'entretien des petits équipements. Pour les centrales, nous recourons au système d'opération et maintenance partagée avec les grands groupes pour développer un contenu local en encourageant l'emploi. Nos contrats avec les entreprises et les opérateurs imposent systématiquement d'investir dans des écoles ou des hôpitaux. Avec le potentiel de développement de ce marché, l'Afrique est en position d'exiger un contenu local plus important qu'auparavant.

M. Roland PORTELLA - Comment passer du marketing à la réalité, puis au haut de gamme ? Dans les contenus locaux, les acteurs locaux ne doivent pas être considérés comme de la basse main d'oeuvre. Dans le secteur des mines et de l'énergie, les personnes disposant de compétences souhaitent devenir des sous-traitants haut de gamme, alors que de nombreuses compagnies considèrent que le contenu local consiste à réaliser de petits travaux.

Mme Marion RICHARD, réseau Climat et développement - L'énergie est au coeur des questions de climat et d'environnement, car les énergies renouvelables font partie de la solution pour lutter contre le changement climatique et la pauvreté. Par ailleurs, les énergies fossiles sont les principales responsables du changement climatique. Pourquoi le mot « énergie » n'est-il pas cité une seule fois dans le projet de texte pour l'accord de la Conférence Paris Climat ?

Onze pays européens travaillent sur une taxe sur les transactions financières. Les dirigeants africains pourraient demander aux autres pays européens d'allouer une partie de cette taxe au climat et au développement, à l'instar de la France.

Mme Rima LE COGUIC - Je ne fais pas partie de l'équipe de négociation et je ne sais pas pourquoi le terme « énergie » ne figure pas dans le texte.

M. Mohamed SALEM OULD BECHIR - L'énergie est très présente dans les contributions nationales, notamment dans celles des pays africains. En Mauritanie, 30 % des émissions de gaz à effet de serre sont liés à l'énergie. Cette production risque de quintupler d'ici 2030 si nous poursuivons ainsi. Pour cette raison, nous avons décidé de développer les énergies renouvelables.

L'Afrique s'exprimera également sur le sujet de la taxe.

M. Quentin SAUZAY - Il me semble que la question de la taxe est au coeur des débats menés par M. Jean-Louis Borloo, qui entreprend de lever des fonds pour l'Afrique. La forme n'est pas définie et les montants sont à fixer.

De la salle - Le rôle des parlements et des parlementaires n'a pas été évoqué, notamment en ce qui concerne la législation relative aux défis que vous avez évoqués.

M. Jacques LEGENDRE - Un groupe d'amitié de parlementaires a voulu que ce débat ait lieu au Sénat. Nous sommes donc attentifs et nous attendons les résultats de la Conférence Paris Climat pour poursuivre notre accompagnement des événements et des évolutions. En outre, M. Jean-Louis Borloo est un ancien parlementaire et ministre. Les groupes d'amitié ont aussi pour rôle de faire évoluer les législations dans les pays concernés. J'appartiens également à l'Assemblée parlementaire de la francophonie, où nous continuerons à nous engager sur cette question. Les parlementaires considèrent donc qu'ils sont engagés dans ce domaine.

De la salle - Je m'étonne que ce débat n'ait pas mentionné les accords de Cotonou qui s'achèveront en 2020 au sujet du financement du développement en électricité.

Monsieur Roland Portella, que comptent faire les acteurs de la société civile au sujet de ce manque de financement après 2020 ?

Mme Cécile BARBIERE - L'accord de Cotonou porte surtout sur les relations commerciales.

M. Roland PORTELLA - Pour la société civile, un des grands chantiers porte sur les aspects sociétaux qui découlent de la déforestation. La société civile est connectée et se mobilise. Le cours de bourse d'une société anglaise du secteur de l'énergie a chuté en deux jours après une mauvaise action de cette entreprise, parce que la société civile a réagi rapidement.

Les savoir-faire traditionnels se mêlent à des savoir-faire élaborés pour recenser les essences, la biodiversité, et la botanique qui existent dans les forêts. Ces savoir-faire doivent être répertoriés pour monter en gamme ultérieurement. Les États ne sont souvent pas en mesure de répondre aux questions portant sur leurs ressources naturelles ; les grandes compagnies répondent à leur place, ce qui pose un problème de souveraineté. Le corps intermédiaire peut réaliser ce travail.

M. Félicien de CARVALHO - Vous nous présentez des gadgets, que j'ai déjà vus dans d'autres conférences. Nous ne voulons pas faire des économies, alors que tous les autres peuples ont gaspillé avant nous. Nous avons besoin de vraie lumière, pas de petites lampes, et de vrais réseaux. Nous avons des ambitions comme les Européens, de vrais autobus et de vraies routes, et les Africains sont aussi compétents. Nous sortons le soir, même sans lumière. En revanche, nous avons besoin d'un vrai développement. Nous recevons toujours moins de fonds que l'Inde ou la Chine. L'argent est disponible, mais nous avons besoin de bons projets et de partenaires.

M. Mohamed SALEM OULD BECHIR - Cette problématique est sérieuse et doit être prise en compte. Il n'existe pas une solution d'électrification unique. En Mauritanie, tout s'oppose à l'électrification : le pays est vaste et les populations sont nomades, avec une densité très faible. Seulement 10 % des localités du pays ont plus de 500 habitants. Toutefois, les populations des petits villages veulent l'électricité pour accéder à la télévision, posséder un réfrigérateur. Dans les petites localités, les foyers sont raccordés au satellite. Il est nécessaire d'établir en premier lieu un plan pour proposer des solutions rentables aux localités présentant les populations les plus nombreuses. Il restera ensuite un faible besoin de solutions d'électrification décentralisées. Le kit solaire de maison permet d'avoir la télévision et quelques équipements. Les plateformes multifonctionnelles sont aussi une solution. À terme, il est légitime que ces populations aspirent à disposer d'une électricité qui couvre tous leurs usages. Je ne suis pas pessimiste pour l'Afrique, parce que de nombreux projets existent et les coûts de production des énergies renouvelables deviennent compétitifs par rapport aux énergies fossiles. Je partage votre cri du coeur : il est nécessaire d'assurer l'accès à l'électricité à tout le monde.

M. Francis MONTHÉ, Président du Grdr Migration-Citoyenneté-Développement - Vous avez dit que la diversité des systèmes agraires était la preuve de la capacité d'adaptation des hommes sur place. Des solutions individuelles ont été proposées, exclusivement techniques (les lampes), mais la ministre de l'Agriculture de Guinée a mentionné des mégaprojets, qui m'évoquent des projets soviétiques, qui ont notamment abouti à l'assèchement de la mer d'Aral. Aux mégaprojets contrôlés par des techniciens de l'extérieur, que je trouve effrayants, je préfère des communautés plus restreintes sur des territoires où les gens vivent et connaissent leur milieu. Il faut travailler avec eux dans une perspective de décentralisation. Il est impossible de développer des territoires sans les personnes qui y vivent, qui en connaissent le foncier, la pluviométrie et le milieu naturel. S'ils ne sont pas formés et consultés, la plupart des tentatives avortent, parce qu'elles ne sont pas durables. Les gens doivent s'approprier le développement, quel qu'il soit, ce qui n'est possible que par des processus de consultation locale et de développement de la décentralisation.

M. Quentin SAUZAY - L'électricité pour tous sera une réalité dans quelques années si nous faisons les efforts nécessaires, mais, depuis trente ans, les populations entendent les mêmes messages. En attendant, les habitants sont contents de recevoir nos lampes. Il convient de ne pas décrédibiliser des solutions qui aident les populations.

M. Jean-Luc FRANCOIS - La ministre de l'Agriculture de Guinée aurait pu aussi évoquer un programme de l'AFD d'appui aux communautés villageoises. Nous considérons qu'il s'agit d'une des composantes essentielles d'une stratégie de développement territorial pro-climat à co-bénéfice de développement et d'usage des terres. La révolution agro-écologique se réalise dans l'ensemble du bassin versant, pas dans une parcelle, dans la concertation. Dans de nombreux pays, nous couplons des approches de développement agricole et des projets d'appui aux collectivités locales rurales. Nous utilisons le terme de « territoires ruraux à co-bénéfice » de développement, paix, sécurité, emploi, biodiversité et climat.

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