PARTIE VII - SALMÉ, VILLAGE-LABORATOIRE DE LA RECHERCHE FRANÇAISE, DÉVASTÉ


M. Denis BLAMONT, directeur de recherche au CNRS, attaché au PACTE (Politiques publiques, ACtion politique, TErritoires), Grenoble

Mme Blandine RIPERT, chargée de recherche au CNRS, attachée au CEIAS (Centre d'Etude de l'Inde et de l'Asie du Sud), Paris

Salmé est un village des moyennes montagnes du Népal central, situé dans le district de Nuwakot. Il est habité par environ 550 familles Tamang, l'un des nombreux groupes ethniques ou tribaux selon les appellations, de langue d'origine tibéto-birmane, ainsi que par quelques familles de Kami, une caste indo-népalaise de forgerons.

Fig. 1. Localisation du village de Salmé

Ce village avait été choisi à la fin des années 1970 pour être le site d'un vaste programme de recherche français, réunissant des chercheurs du CNRS et de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), ainsi que de nombreux étudiants et stagiaires, de divers horizons disciplinaires : anthropologues, géographes, géomorphologues, agronomes, zoologues, écologues, nutritionnistes, etc. Ils y avaient mené des enquêtes, certains juste pour quelques semaines, d'autres pour plusieurs mois ou années, afin de constituer une base de connaissances la plus complète possible du fonctionnement d'un village considéré comme relativement représentatif des moyennes montagnes népalaises, ce qui devait aider ensuite à agir pour le développement.

L'entreprise a en fait été peu suivie d'effets de ce point de vue, à Salmé, car le programme ne s'y est pas poursuivi. Mais il a été prolongé d'un programme dans deux districts situés à l'Ouest du Népal (Gulmi et Argha Khanchi), plus orienté vers le développement. Au total, une trentaine de chercheurs ou apprentis chercheurs ont séjourné à Salmé entre 1979 et 1984, afin d'analyser le fonctionnement d'un système appelé agro-sylvo-pastoral, c'est-à-dire associant à la fois agriculture, élevage et produits de la forêt, cela à l'échelle d'un versant de montagne. Vingt ans après le début de ce programme, l'un de nous deux (Blandine Ripert) y a réalisé une thèse, à la fin des années 1990, visant à étudier les diverses transformations qui y avaient eu lieu depuis les années 1970, grâce aux données très complètes issues de ce programme pluridisciplinaire, tout en comparant ces changements avec ceux des villages de la vallée voisine de l'Ankhu Khola, alors que Denis Blamont étudiait les villages environnants, leurs différences et leurs relations avec Salmé.

Fig. 2. Vue du versant de Salmé et de la route menant à Salme (c) Blandine Ripert

Cette accumulation de données sur un village est exceptionnelle et nous permet aujourd'hui, après le séisme, de comprendre avec une certaine précision ce à quoi doivent faire face les villageois, dont toutes les habitations ont été soit détruites, soit tellement abîmées qu'elles ne sont plus habitables. Les informations sur la situation après le séisme ont été récoltées par Denis Blamont, qui s'est rendu à Salmé quelques jours en mai 2015 et proviennent aussi d'entretiens téléphoniques avec des villageois ayant migré vers la ville avant le séisme.

Pour atteindre ce village, il faut emprunter en bus une petite route de 75 km jusqu'à Betrawati, puis suivre une piste, pendant quatre à cinq heures à pied, ou, depuis deux ou trois ans, en jeep l'hiver, quand la piste est praticable, environ 6 mois de l'année.

I. LE TRAUMATISME DE LA POPULATION

Le traumatisme causé par le séisme a été si violent que les villageois de Salmé n'ont osé revenir sur les lieux de leurs maisons détruites que dix jours plus tard. Aujourd'hui, pour courageux, tenaces et dignes qu'ils sont, ils se disent encore marqués, constamment sur leurs gardes, irritables et querelleurs, plus qu'à l'accoutumée, dormant mal et peu. Un des besoins qu'ils ont exprimé spontanément est celui d'un soutien psychologique. Ils ne veulent pas résider au village, au moins pendant la période de mousson, car ils redoutent d'inévitables glissements de terrain. Certains ont été malades, parce que les fontaines ont été pour partie détruites et pour partie dérangées et polluées et que l'eau potable manque. Néanmoins, la terre a tremblé un samedi matin, c'est-à-dire pendant que les adultes étaient aux champs et les enfants partout sauf à l'école. Ainsi on ne déplore « que » 27 morts.

Fig. 3. Salmé avant et après le séisme du 25 avril (c) B. Ripert, (c) D.Blamont

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