CONCLUSION

M. Harlem DESIR, Secrétaire d'État aux Affaires européennes, auprès du ministre des Affaires étrangères et du Développement international

Monsieur le Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Grèce du Sénat,

Madame l'Ambassadrice de Grèce en France,

Monsieur Costa-Gavras,

Mesdames et Messieurs les membres de la communauté grecque de France, dont je salue la Présidente,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie pour votre invitation. C'est un plaisir pour moi de me joindre à vous et de participer à cette mobilisation initiée par M. le Sénateur Luc Carvounas, dont je connais l'implication dans les relations entre la France et la Grèce. Je sais également l'implication de la haute assemblée sur cette question, qu'il s'agisse du rapport important porté par M. le Sénateur Albéric de Montgolfier en juillet 2015 ou du déplacement de la commission des lois du Sénat à Athènes et à Lesbos pour visiter les centres d'accueil des réfugiés.

La Grèce est au croisement de deux grandes crises européennes, l'une économique, l'autre migratoire. La première est liée à des causes à la fois internes et externes à la Grèce, et la seconde à des causes qui lui sont extérieures. Elle résulte de la situation géographique de la Grèce, qui représente une porte d'entrée vers l'Europe, ainsi que des guerres, de l'instabilité, de la pauvreté et des dictatures qui incitent des millions d'hommes et de femmes à chercher refuge. Ces crises ont généré toutes sortes de réactions en Europe, dont certaines manquent de noblesse. On ne peut parler de la Grèce uniquement en termes de ratios, de chiffres et de dette rapportée au PIB, même si ces questions sont importantes et doivent être traitées avec sérieux par les gouvernements. La Grèce n'est pas seulement une somme de crises et de problèmes. Nous ne pouvons nous y résoudre et nous devons même résister à ce tropisme du débat européen.

Lorsque la Grèce a pu rejoindre l'Europe après s'être libérée du régime des colonels, dont il a justement été rappelé qu'il a été soutenu par des gouvernements prétendant porter les valeurs de la démocratie, l'Europe s'est réunifiée avec elle-même. En effet, la Grèce est l'Europe.

Celle-ci lui doit beaucoup : la politique, la rhétorique, le théâtre, les mythes, dont celui d'Europe, la philosophie, les sciences, la physique, les mathématiques, l'esthétique... Toutes ces influences sont passées par la Grèce ou nous ont été transmises par elle. Il existe donc une évidence grecque pour l'Europe. En juillet dernier, nous avons pu constater qu'elle n'était pas partagée par tous. Nous avons également pu mesurer les risques d'une pensée européenne asséchée et privée du sens de l'Histoire. Au terme des discussions portant sur le maintien de la Grèce dans la zone euro, l'approche historique et géopolitique l'a emporté, en même temps que l'intérêt bien compris des États membres de la zone euro. Il a cependant fallu toute la détermination, voire l'obstination du Président de la République française, pour arracher cette conclusion. Nous étions proches du début de l'éclatement de la zone euro.

La crise économique et la crise des réfugiés en Grèce sont le révélateur des insuffisances et des faiblesses de la construction européenne et de l'union économique et monétaire. Les problèmes de gestion, voire le maquillage d'une partie des comptes publics en Grèce, sont incontestables. Il n'est pas faux non plus de mentionner la complaisance de l'Union européenne et l'intérêt qu'y ont trouvé des acteurs économiques. Au-delà de la situation propre à un pays, ces crises ont cependant révélé des dysfonctionnements politiques et économiques, ainsi que des divergences profondes sur les règles de gouvernance de l'union économique et monétaire. Elles ont également mis en exergue une crise du projet européen lorsqu'il s'est agi de trouver une solution commune.

C'est pourquoi il faut permettre à la Grèce de sortir de cette situation. Tel est d'ailleurs l'objectif du plan d'aide, même s'il est extrêmement, voire excessivement dur à certains égards. Le Président de la République française a d'ailleurs soutenu la demande du Premier ministre grec d'un réexamen de la soutenabilité de la dette grecque. La Grèce a engagé les réformes avec courage. Pour rétablir une économie saine, il faut aussi des investissements. C'est l'objet même des décisions souhaitées par le président de la commission européenne. Nous avons souhaité que le fonds qui gérera le bénéfice des privatisations soit géré en Grèce et par la Grèce, et non à l'extérieur du pays ou au Luxembourg, comme certains l'envisageaient, afin qu'elle puisse utiliser ses richesses et déterminer sa stratégie économique.

Nous devrons aussi tirer les leçons de ces crises pour le fonctionnement de la zone euro. Depuis sa création, les divergences des niveaux de compétitivité et de vie entre les différents pays de l'union monétaire et économique se sont accrues. Les niveaux de salaire moyens se sont élevés et les écarts des niveaux d'investissement se sont amplifiés entre le sud et le nord de la zone euro. Des facteurs liés aux réformes et aux politiques économiques nationales l'expliquent en partie, mais ces constats n'en révèlent pas moins l'impossibilité pour l'union monétaire de fonctionner sans un véritable gouvernement économique.

Ainsi, quatre questions sont à traiter. La première concerne la convergence économique, sociale et fiscale au sein de la zone euro, qui suppose des capacités d'investissement plus importantes pour les pays en retard dans ce domaine. La seconde est celle de la gouvernance économique et politique : on ne peut gouverner la zone euro en appliquant simplement les règles du pacte de stabilité et de croissance ; il faut aussi savoir apprécier les politiques budgétaires et économiques des États membres au regard de leurs cycles économiques et de la situation de la zone euro au plan international. La troisième question concerne la création d'un instrument budgétaire, c'est-à-dire d'un budget spécifique à la zone euro. Enfin, la quatrième est celle du contrôle parlementaire de la gouvernance de la zone euro, qui ne saurait relever uniquement de l'Eurogroupe. Telles sont les leçons à tirer d'une crise qui aurait pu marquer la faillite du projet politique européen.

La Grèce est actuellement confrontée à la crise des réfugiés et des migrations, qui met en jeu notre capacité à agir solidairement, ainsi que notre crédibilité au regard de nos valeurs et de la maîtrise de nos frontières. Il ne faut jamais oublier que nous parlons d'hommes, de femmes et d'enfants qui fuient la guerre et la misère et sont exploités par des trafiquants d'êtres humains. Si plus d'un million de réfugiés ont traversé les mers Méditerranée et Égée en 2015, plusieurs milliers de personnes sont aussi mortes dans ces traversées. Nous avons le devoir d'accueillir les personnes relevant du droit d'asile et de la protection internationale, mais la voie par laquelle ils arrivent n'est pas acceptable. Nous devons apporter une réponse européenne à cette crise en aidant les pays de premier accueil (Turquie, Liban et Jordanie) et en menant une politique solidaire d'accueil des réfugiés. De la même façon, la communauté internationale et l'Europe doivent se mobiliser comme elles l'ont fait par le passé pour les boat people du Sud-Est asiatique. L'urgence à laquelle la Grèce est confrontée nous concerne tous. Ces crises ne sont pas seulement celles d'un pays : ce sont celles de l'Europe. Notre devoir est d'être présents aux côtés de la Grèce, de renforcer l'Europe et de défendre une certaine idée de la civilisation européenne.

Pour finir, je ne résiste pas à la tentation de vous citer un texte d'Albert Camus prononcé à Athènes à l'Institut français en 1955 sur le thème du rapport à la raison et de la civilisation européenne :

« On pourrait se demander si, justement, la singulière réussite de la civilisation occidentale, dans son aspect scientifique, n'est pas en partie responsable du singulier échec moral de cette civilisation, autrement dit, si la croyance absolue ou aveugle dans le pouvoir de la raison rationaliste n'est pas responsable, dans une certaine mesure, du rétrécissement de la sensibilité humaine.

L'univers technique, en lui-même, n'est pas une mauvaise chose, mais la raison technique mise au centre de l'univers, considérée comme l'agent mécanicien le plus important d'une civilisation, finit par provoquer une sorte de perversion, à la fois dans l'intelligence et dans les moeurs, qui risque d'amener cet échec dont nous avons parlé.

Quant à moi, la civilisation européenne est d'abord une civilisation pluraliste. Je veux dire qu'elle est le lieu de la diversité des pensées, des oppositions, des valeurs contrastées et de la dialectique qui ne se termine pas. »

Nous devons chercher des réponses rationnelles et sommes tous convaincus de la nécessité de défendre celles que nous pensons vraies. Pour autant, nous ne saurions nous limiter à cette vision. Nous devons aussi accepter d'avoir tort et débattre des contradictions. De fait, il est difficile de trouver une réponse aux crises économiques et migratoires en Europe qui soit à la fois conforme à nos valeurs et réaliste. C'est cependant à cette dialectique, qui pourrait être l'un des héritages les plus importants de la pensée grecque, que nous invite l'expérience douloureuse des crises en Grèce. Il doit en naître une pensée dialectique et une solidarité renforcées entre Européens.

M. Mickaël SZAMES - Je vous remercie, Monsieur le Secrétaire d'État aux affaires européennes, comme je remercie l'ensemble des intervenants et des participants pour leur passion, leur écoute et leur respect lors des échanges.

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