Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 137 - 25 mai 2016


Groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient

Groupes interparlementaires d'amitié
France-Irak et France-Syrie (1 ( * ))

« DÉTRUIRE L'ÉTAT ISLAMIQUE, ET APRÈS ? »

LES CONDITIONS D'UN RETOUR À LA PAIX
AU MOYEN-ORIENT

Actes du colloque du 11 mars 2016

Sous le haut patronage de

M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Palais du Luxembourg

Salle Clemenceau

OUVERTURE

M. Gérard LARCHER
Président du Sénat

Messieurs les Ministres,

Cher Hubert Védrine,

Cher Jean-Pierre Chevènement,

Monsieur le Président du Groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les Chrétiens d'Orient, cher Bruno Retailleau,

Monsieur le Président du groupe d'amitié France-Irak du Sénat, cher Bernard Cazeau -je vous prie d'excuser l'absence de Jean-Pierre Vial, Président du Groupe d'amitié France-Syrie, qui a tant oeuvré pour ce colloque- il est en convalescence et tout va bien, il vous transmet la fidélité de son engagement total,

Messieurs les Ambassadeurs,

Mes chers collègues Députés et Sénateurs,

Mesdames et Messieurs les Professeurs, cher Professeur Ricardi,

Monsieur le Directeur de l'OEuvre d'Orient, cher Monseigneur Gollnisch,

C'est un grand honneur qui m'est donné d'ouvrir ce colloque, organisé à l'initiative des groupes d'amitié France-Irak et France-Syrie du Sénat, ainsi que du Groupe de liaison avec les Chrétiens d'Orient : que leurs présidents en soient vivement remerciés.

Ce colloque n'aurait pu voir le jour sans l'appui de la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées : je salue l'action de son Président, M. Jean-Pierre Raffarin.

Le Patriarche de l'Église chaldéenne, Monseigneur Louis-Raphaël Sako, va nous rejoindre : son témoignage est très attendu. Je souhaite également remercier Monseigneur Pascal Gollnisch d'avoir accepté de participer à ce colloque.

L'OEuvre d'Orient agit inlassablement pour soulager la souffrance des chrétiens et de tous ceux qui, quelles que soient leurs convictions, subissent la violence. J'ai moi-même reçu le 18 février, avec la Délégation aux droits des femmes, Nadia Mourad, jeune femme yézidie enlevée par Daech, dont le récit est bouleversant.

Je suis heureux qu'au Sénat de la République française, la parole d'hommes de foi éminents soit mêlée à celle des diplomates, des responsables politiques ou des chercheurs. C'est cela, aussi, la laïcité !

Une lueur d'espoir, certes encore vacillante et frêle, naît aujourd'hui en Syrie et en Irak. En Syrie, avec un cessez-le-feu fragile entre les parties combattant l'État islamique et Al-Nosra ; en Irak, parce que la progression de l'État islamique est interrompue. Cette lueur d'espoir reste toutefois ténue, alors que l'État islamique étend son emprise en Libye et développe ses ramifications en Afrique.

Il nous faut faire face à nos responsabilités : le chaos en Syrie et en Irak est le fruit d'un échec collectif de la communauté internationale et d'un immense gâchis. Dans cet échec, la France, avec d'autres, assume sa part de responsabilités : en matière de diplomatie, les meilleures intentions ne produisent pas les meilleurs résultats.

Je ne souhaite pas m'appesantir sur le passé. Je souhaite seulement souligner qu'il ne s'agit pas d'un débat intellectuel. Nous parlons de vies brisées, de femmes, d'hommes et d'enfants au destin qui parfois s'arrête sur une plage de la côte turque ou des rivages de la côte italienne. Les décisions prises à l'abri des chancelleries ont des conséquences graves.

Les pays occidentaux n'ont pas vu venir Daech : c'est d'ailleurs difficile à comprendre ! Nous avons procédé à une évaluation erronée de la situation sur le terrain en Syrie, en annonçant à maintes reprises l'effondrement d'un régime toujours en place, et le triomphe d'une opposition dont la faiblesse égale les ambitions de renouveau.

Nous avons longtemps choisi d'exclure de la table de négociations certains acteurs majeurs, sans lesquels un règlement du conflit, de toute évidence, était impossible.

Notre diplomatie s'est attachée à des chimères ou des illusions, en répétant que si l'histoire s'était déroulée différemment, si des frappes aériennes avaient été menées à l'été 2013 contre le régime de Damas, tout aurait été réglé, comme par miracle. La réécriture de l'Histoire avec des « si » ne fait pas l'Histoire.

Bref, si naturellement nous n'avons pas été à l'origine de la crise, nous en avons, de fait, accusé les effets.

On devrait d'ailleurs parler non d'une crise, mais d'un empilement de crises : la répression féroce menée par le régime de Bachar al-Assad ; la relégation de populations sunnites en Irak aux marges du pouvoir et de la société ; les violences de la guerre ; les populations qui fuient la terreur de Daech et de ceux qui, au lieu de combattre les terroristes, se combattent entre eux ; le drame des réfugiés, qui nécessite un effort humanitaire gigantesque, éprouve les pays voisins (je pense au Liban, à la Turquie, à la Jordanie) et met à mal l'intégration européenne.

Je me rendrai ces 13 et 14 mars à Lampedusa. J'y rencontrerai des réfugiés, les habitants de l'île, les autorités italiennes et les responsables de Frontex qui répondent avec humanité aux drames vécus, qui luttent contre les réseaux de passeurs et essaient de juguler les flux migratoires.

Dans ces circonstances, les Chrétiens d'Orient ont été les victimes de presque tous et subissent les assauts du nettoyage confessionnel à l'oeuvre.

Très tôt, les Patriarches chrétiens nous ont indiqué que nous avions sans doute pris un mauvais cap et que nous faisions fausse route. Ils sont le témoignage vivant de la diversité religieuse du Moyen-Orient et de la possibilité d'une coexistence pacifique entre tous. Ils portent le signe d'une présence multiséculaire. Ils ont ancré en eux une forme de pragmatisme qui les conduit à s'adapter aux situations les plus périlleuses. Pourtant, les avons-nous entendus ? Ils ont été écoutés, avec parfois de la suspicion, car ils dérangeaient nos certitudes. Ils n'ont pas été compris.

Alors, comment agir aujourd'hui ? Détruire l'État islamique, et après ?, pour reprendre l'intitulé de votre colloque. Il n'y a pas, à vrai dire, de succession chronologique.

Pour vaincre les terroristes, il faut d'ores et déjà tracer des perspectives pour « l'après ».

Vous allez réfléchir, tout au long de cette journée, aux moyens de sortir de la crise. Permettez-moi de partager avec vous quelques convictions.

La première urgence est le respect du cessez-le-feu en Syrie. C'est l'application du plan de M. Staffan de Mistura, auquel je tiens à rendre hommage. Les armes doivent se taire entre tous ceux qui combattent Daech, Al-Nosra et les forces terroristes. Avec Bruno Retailleau, nous avions appelé, dès le début du mois de juillet 2015, dans une tribune publiée dans La Croix, à une convergence des coalitions combattant les forces terroristes. Cette convergence des coalitions reste à bâtir.

Cependant, après des difficultés, mais aussi un « aggiornamento » de notre diplomatie, qualifié pudiquement « d'inflexion », nous avons progressé dans cette voie.

La seconde urgence est la poursuite du dialogue politique, dans le prolongement du processus de Vienne, sans préalable autre que l'accès de l'aide humanitaire aux villes et villages assiégés, et le respect du cessez-le-feu. J'insiste : sans préalable autre que ceux que je viens de mentionner, si nous voulons donner toutes ses chances à la paix.

Sur le terrain, la réalité est souvent complexe. Des ramifications d'Al-Nosra collaborent avec les forces des insurgés en Syrie, que notre pays a soutenues. Cette situation mérite d'être clarifiée.

Une ligne rouge ne doit pas être franchie : la remise en cause des frontières des États, qui ouvrirait la boîte de Pandore. L'intangibilité des frontières est la garantie de la paix. La voie de la fédération, qui porte la promesse de possibles sécessions, est à ce titre périlleuse.

La communautarisation des provinces me semble également une fausse bonne idée : elle ne ferait que fragiliser la place des populations minoritaires en nombre, en particulier des populations chrétiennes.

A la fédéralisation et à la communautarisation, devrait être préférée la voie de la décentralisation qui affirme l'unité nationale, tout en permettant à chacun d'être maître de ses décisions. Le Sénat dispose d'une longue expérience en matière de décentralisation. Elle est mise à profit dans la recherche de solutions à de nombreux conflits, en Afrique ou en Ukraine par exemple.

Sur le fond, la lutte contre Daech, Al-Nosra et les forces terroristes impose de revisiter les grandes orientations de notre diplomatie.

Premièrement, quel doit être son objectif prioritaire ? L'intervention à tout crin justifiée par les violences, voire les crimes, contre les personnes, ou au contraire la stabilité des États en place, sachant que l'instabilité entraîne souvent d'autres crimes et d'autres violences ? Les interventions récentes pour faire chuter des régimes méritent que l'on soulève ces questions. Dans quels cas ont-elles permis de soulager les souffrances des populations civiles et de remédier à la crise ? Faisons notre examen de conscience. Il ne s'agit en rien de prôner une attitude passive, mais bien de redéfinir une doctrine d'intervention, qui réponde à des critères précis.

Notre positionnement au Moyen-Orient, ensuite. Quelle est aujourd'hui la signification de la mission de la France protectrice des Chrétiens d'Orient ? Que faisons-nous concrètement, au-delà des déclarations de principe ?

Le tropisme de notre diplomatie vers les Monarchies du Golfe n'a pas permis de rétablir plus tôt des relations politiques plus denses avec l'Iran. Si les risques de prolifération justifient la fermeté, nous devrons mieux tenir compte de la place retrouvée de l'Iran, après 30 années exceptionnelles d'effacement.

Enfin, la relation avec la Russie. Dans notre approche des questions de sécurité collective, nous sommes sans doute trop dépendants du bon vouloir de nos partenaires américains qui défendent, et c'est leur droit, leurs intérêts. Dans ce contexte, l'Union européenne et la France devraient reconstruire avec la Russie une relation plus autonome et rechercher un équilibre meilleur, entre fermeté et dialogue.

Je pourrais multiplier les exemples. Ces perspectives tracées à grands traits le prouvent : la Syrie et l'Irak, la lutte contre Daech et les forces terroristes, nous conduisent à débattre, sans a priori, de nos certitudes et de nos orientations diplomatiques. Je sais que telle est votre approche.

Je formulerai un voeu pour conclure : il ne faut certes pas abandonner nos idéaux, mais nous devons agir en tant que responsables politiques et diplomates. Appréhendons le monde tel qu'il est, et non tel que nous souhaiterions qu'il fût.

Je vous remercie.

PREMIÈRE PARTIE :
QUELLES DYNAMIQUES DE RECOMPOSITION FACE À
L'ÉCLATEMENT DU MOYEN-ORIENT ?

INTRODUCTION

M. Hubert VÉDRINE
Ancien Ministre des Affaires étrangères

Bonjour à tous.

L'initiative de ce colloque est très intéressante.

Même si l'État islamique est en partie endigué, il n'a pas été neutralisé ni éradiqué. Si l'on part cependant de l'hypothèse qu'une coalition réussirait à éradiquer l'État islamique, ce qui est militairement possible, il me paraît clair que celui-ci devra être remplacé politiquement par autre chose. Cela oblige à se demander quels sont nos objectifs pour l'Irak et la Syrie. S'ouvrent ainsi diverses options.

Ambitionnons-nous de reconstruire un Irak dans lequel l'ensemble des communautés pourraient cohabiter, y compris les Kurdes, presque indépendants aujourd'hui, et les Sunnites, rejetés dans le néant politique après l'intervention américaine de 2003 ? Cela est-il possible ? Faut-il assumer le fait que l'Irak a éclaté durablement, qu'un Kurdistan syrien, plus ou moins relié à un Kurdistan irakien, pourrait naître ? Que deviendrait la zone sunnite ? Serait-elle indépendante ou reliée à une partie sunnite de la Syrie, si la Syrie ne pouvait pas être reconstituée ? Rappelons que l'Irak est une construction issue du démantèlement de l'Empire ottoman. Quel serait le schéma souhaitable ?

Pour la Syrie, la situation est plus compliquée encore. Il demeurerait en effet la question syro-syrienne. Pouvons-nous imaginer rebâtir une Syrie unitaire, en rassemblant des Syriens qui ont atrocement souffert de cette guerre abominable, faire revivre dans le même pays les Alaouites, les Kurdes, les Druzes, les minorités chrétiennes variées, les Sunnites majoritaires ?

Si ce n'est pas le cas, les Alaouites accepteraient-ils de se replier dans une sorte de réduit alaouite sécurisé ? Un retour simple aux situations antérieures est impossible, tant en Syrie qu'en Irak. L'Irak était là aussi gouverné par la force féroce de Saddam Hussein, qui a depuis disparu, et il semble difficile de revenir à l'Irak tel qu'il était auparavant.

Une des caractéristiques préoccupantes de la situation mondiale est qu'il n'y a pas encore de véritable communauté internationale, qui me semble n'être aujourd'hui qu'un mythe sympathique. Il n'existe pas de gouvernement mondial. Le G20 n'est qu'une enceinte. Le Conseil de Sécurité ne fonctionne que si ses cinq membres permanents s'accordent et si aucun ne pose un veto. La France a longtemps dénoncé le condominium , le diktat des deux super puissances. Plusieurs courants de pensée considéraient que le monde post-étatique était meilleur. Nous sommes aujourd'hui partiellement dans un monde post-étatique, qui n'est plus gouverné nulle part.

Dans le passé, il y a eu des moments de gestion autoritaires. Je songe notamment aux grandes conférences de Yalta ou Postdam, qui n'ont pas d'équivalent aujourd'hui. S'il était considéré que le plus raisonnable est de tenter de faire cohabiter les Irakiens dans un nouvel Irak, qui s'en chargerait ? Et, s'agissant de la Syrie, les Occidentaux devront se résigner à négocier avec les Russes. Mais, même dans cette hypothèse, je ne suis pas certain qu'un accord réaliste entre la Russie et les Occidentaux fonctionnerait. De toute façon, les Occidentaux n'ont pas de position commune : la majorité des Européens n'ont pas de position du tout, et celle des Américains n'est pas claire. Le Président Obama reste sur son analyse de recentrage sur l'Asie et souhaite se désengager du Moyen-Orient, sans mesurer ce qu'occasionnerait un retrait trop prononcé. Il a commis plusieurs erreurs, en exigeant du Premier ministre israélien l'arrêt de la colonisation, ou encore en fixant une ligne rouge concernant l'usage de l'arme chimique en Syrie qu'il n'a pas ensuite fait respecter.

Quant à nous, nous avons fait une erreur énorme au départ de penser que la chute d'Assad en Syrie serait rapide.

Il est extrêmement intéressant d'avoir aujourd'hui ce débat. C'est uniquement dans les quelques pays qui peuvent encore avoir une influence que la situation se décantera. Il importe que les politiques étrangères occidentales se défassent du chimérisme qui les affaiblit aujourd'hui. « L'irrealpolitik » d'aujourd'hui est bien pire qu'une realpolitik . La realpolitik , aujourd'hui, est de déterminer ce que serait la situation politique la moins mauvaise en Irak et en Syrie et de négocier avec la Russie, mais surtout pas en ordre dispersé. Si les puissances européennes n'arrivent pas à se remettre dans le jeu, la solution se fera sans elles. Aucune puissance régionale, aujourd'hui, n'a le pouvoir d'imposer sa solution.

Je vous félicite de poser la question de l'après-Daech, pour la Syrie, l'Irak, la Libye, le Sahel, mais aussi pour les Occidentaux après vingt-cinq années d'interventions qui n'ont pas toutes été mauvaises mais qui ne correspondaient pas aux attentes initiales. C'est un moment de remise en cause, qu'il faut assumer.

Mme Christiane KAMMERMANN - Je tiens à vous remercier pour votre propos précis et courageux.

De la salle - Le Président Poutine est l'ennemi de la France dans cette crise syrienne. Quel rôle pourrait jouer la France dans ces solutions trouvées sans l'Europe, notamment le cessez-le-feu obtenu par John Kerry et Sergueï Lavrov ?

Mgr Pascal GOLLNISCH - Comment percevez-vous la place des Chrétiens d'Orient dans cet ensemble ?

M. Luai JAFF - Le Kurdistan irakien est une expérience réussie vers le chemin de la démocratie. Pourquoi ne pas l'étendre dans les autres régions, côté Kurdistan syrien par exemple ?

M. Hubert VÉDRINE - Mon réalisme ne fait pas de moi un partisan du régime de Damas. Nous n'aurions pas dû suspendre les relations diplomatiques avec la Syrie. Quelques pays européens n'ont pas rompu ces relations. L'Occident a nié les bases fondamentales des relations internationales et de la démocratie. Je vous rappelle que Henry Kissinger a publié un livre dans lequel il tentait de contrer un courant de pensée apparu aux États-Unis après la fin de l'Union Soviétique qui doutait de la nécessité d'une politique étrangère américaine. Ce courant de pensée était effrayant de sottise. La France n'a pas totalement échappé à de tels moments d'irréalisme.

Je pensais depuis l'origine que la Russie, qui a des intérêts fondamentaux à Tartous et souhaite stopper une contagion islamiste via le Caucase, aurait dû être intégrée aux discussions. Nous sommes aujourd'hui à la merci de l'arbitrage russe. L'obtention d'un cessez-le-feu par John Kerry et Sergueï Lavrov est un résultat positif l'essentiel étant le résultat obtenu et non que la France y ait joué un rôle à n'importe quel prix. Il faut que la France s'applique à elle-même un cheminement réaliste et revienne dans le jeu en apportant des idées utiles et concrètes.

Je suis affligé de constater la situation des Chrétiens d'Orient, présents dans la région depuis des siècles, bien avant l'Islam. Il devient périlleux pour eux de pratiquer leur religion. Il faut en premier lieu protéger les personnes en danger et leur éviter un exode définitif. Même lorsque l'opinion était interventionniste, elle a toujours été peu concernée par les Chrétiens d'Orient, ce qui était choquant. L'Europe doit assumer ce sujet. Les réfugiés doivent être aidés jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux. Le Président de l'Égypte, Al-Sissi, s'adressant aux Coptes, a rappelé qu'il était le garant de la sécurité de toutes les composantes de la société égyptienne.

S'agissant du Kurdistan, les réalisations en Irak sont positives sur les plans économique, politique, démocratique, etc. Les Kurdes ont été des combattants valeureux face à Daech. Je comprends l'aspiration des Kurdes d'Irak et de Syrie à établir un lien, mais, en termes de rapport de force, cette conjonction est jugée intolérable par la Turquie, qui craint une contagion avec les Kurdes de Turquie, ce qui pourrait déclencher une guerre majeure supplémentaire. Vos aspirations, Monsieur Luai Jaff, me semblent dangereuses, bien que j'aie beaucoup de respect pour vos réalisations au Kurdistan irakien. Vous ne pouvez, pour l'heure, pas obtenir plus. Je vous invite à être patient.

Première table ronde - de gauche à droite :

M. Alain Juillet, Mme Christiane Kammermann,

M. Fabrice Balanche, M. Bernard Cazeau, M. Peter Welby
et Mme Dorothée Schmid

De gauche à droite : M. Bernard Cazeau, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Irak du Sénat, M. Gérard Bapt, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Syrie de l'Assemblée nationale, et M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de la Défense

De gauche à droite : M. Gérard Bapt,
M. Jean-Pierre Chevènement, Mme Jackie Deromedi, sénatrice,
M. Robert del Picchia, sénateur

PREMIÈRE TABLE RONDE : LES ACTEURS GÉOPOLITIQUES RÉGIONAUX ET INTERNATIONAUX

M. Fabrice BALANCHE Washington Institute for Near East Policy
M. Alain JUILLET Président du Club des Directeurs de Sécurité des Entreprises (CDSE)
Mme Dorothée SCHMID Chercheuse à l'Institut français des relations internationales (IFRI)
M. Peter WELBY Directeur des Recherches et des Publications de la Fondation Blair

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M. Fabrice BALANCHE - Je tiens à remercier le Sénat, ainsi que Jean-Pierre Vial, qui a été à l'origine de ce colloque extrêmement important pour la région et la politique de la France. Nous avons des valeurs à défendre. Pour que la France conserve sa place dans la région, nous devons comprendre ce qu'il se passe au Moyen-Orient, avec un conflit communautaire et religieux, récupéré par les acteurs régionaux (Iran, Turquie et Arabie Saoudite) et les acteurs internationaux, avec le retour de la Russie sur cette scène après vingt ans d'hégémonie occidentale. Le Moyen-Orient redevient l'épicentre de la crise comme à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il faut souhaiter que le Liban ne sombre pas de nouveau dans la guerre civile.

Nous avons choisi d'ouvrir ce colloque par une table ronde sur les acteurs régionaux et internationaux, car le conflit syrien nous semble avoir très rapidement échappé aux acteurs locaux, bien que des problèmes économiques et communautaires aient été à l'origine du conflit. Le conflit syrien, aujourd'hui, échappe aux Syriens. C'est par un accord de la communauté internationale au sens large que nous verrons une fin à ce conflit. La trêve actuelle me semble être plus tactique que répondant à une volonté des acteurs locaux de mettre fin aux combats.

M. Alain JUILLET - Lorsqu'on parle de la Syrie, aujourd'hui, il est difficile de se défaire d'un aspect émotionnel. On oublie les raisons pour lesquelles ce conflit a débuté. Trois éléments fondamentaux expliquent la situation : la création de Daech, l'intervention de la Russie et les raisons fondamentales qui ont conduit à la survenance de problèmes populaires dans une dictature jusqu'alors relativement calme. Pour expliquer les révoltes populaires, il convient de s'intéresser aux enjeux pétroliers et gaziers. Il faut ainsi revenir 20 ans en arrière, quand les Iraniens ont découvert le plus grand gisement du monde de gaz, South Pars, en Iran, relié aujourd'hui au Qatar par un gazoduc remontant par l'Arabie et la Syrie et se branchant au South Stream passant par la Turquie et amenant du gaz vers l'Europe, contournant ainsi la Russie et le Nord de l'Europe.

Les Iraniens, faute de débouchés du côté occidental, avaient envisagé un gazoduc qui irait de l'Iran vers l'Irak pour avoir un débouché gazier sur la Syrie permettant de vendre du gaz aux pays autour de la Méditerranée. Ce projet a pris forme en 2010. En 2011, le Président Bachar al-Assad a eu entre les mains les deux dossiers iranien et qatari. Il a signé un accord avec l'Iran, choisissant délibérément le gazoduc iranien. Les troubles ont commencé trois semaines plus tard. Nous pouvons nous demander légitimement s'il s'agit d'une guerre de libération ou d'une guerre gazière.

La Russie dispose d'une base militaire à Tartous, seule base russe en Méditerranée et donc très stratégique. Les Russes ne sont pas intervenus jusqu'à un moment précis, lorsque les groupes rebelles sont arrivés à moins de trente kilomètres de Tartous et ont commencé à tirer sur la zone contrôlée par les Russes. Le Président Poutine a ensuite élargi l'action, les Russes repoussant la limite de trente à cinquante puis cent kilomètres autour de Tartous, leur objectif étant la sécurisation absolue de Tartous, complétée par les fameux missiles que nul ne sait aujourd'hui détruire, créant une zone de sécurisation aérienne totale, que les Israéliens continuent cependant à surveiller grâce à un accord avec les Russes.

Il ne faut pas oublier que Daech n'est que l'émanation de Zarqaoui, Jordanien parti se battre en Afghanistan, après être devenu un fervent croyant lors de son emprisonnement. Il est resté en Afghanistan jusqu'au moment où l'Iran a souhaité l'arrêter, à la demande des États-Unis dans le cadre de l'accord de lutte antiterroriste passé entre les États-Unis et l'Iran après le 11 septembre 2001. Zarqaoui s'est alors installé en Syrie, où il a monté son groupe terroriste. Le premier otage habillé en orange et égorgé l'a été par Zarqaoui lui-même. Daech s'inscrit dans la filiation de Zarqaoui, qui a finalement été éliminé par les États-Unis. La politique de Zarqaoui était de tuer tous ceux qui n'étaient pas musulmans sunnites salafistes, avec des massacres auxquels Oussama Ben Laden a réagi en rappelant que les musulmans étaient leurs frères. Ben Laden fait alors pression pour qu'Abou Hamza al Masri mène une guerre psychologique contre Zarqaoui. Le conflit entre Al-Qaïda, Jahbat al-Nosra et Daech résulte de cette guerre entre les tendances Zarqaoui et al-Masri.

Le conflit est concentré dans cette zone, car d'après les Chiites, c'est de cette zone que sortira le Mahdi, c'est-à-dire le sauveur de l'humanité selon la religion musulmane. La zone a ainsi été désignée comme étant un califat, reposant sur l'histoire du Coran. Lorsque Daech voudra créer un califat autre part, par exemple en Lybie, celui-là sera perçu comme illégitime car ne reposant pas sur le Coran.

Mme Dorothée SCHMID - Il est dommage de ne pas traiter des autres puissances ayant un rôle majeur dans l'évolution du conflit en Syrie, mais il m'a été demandé d'intervenir sur la Turquie.

La Turquie s'est à nouveau intéressée au Moyen-Orient après une éclipse de près d'un siècle, à la suite de la création de la République laïque. La Turquie est entrée il y a une dizaine d'années dans une phase de recomposition identitaire, avec l'arrivée au pouvoir du Parti de la Justice et du Développement qui se qualifie de « parti musulman démocrate », conservateur, qui a la volonté de renouer avec le passé ottoman. C'est à la fois une question de cohérence identitaire et d'ambition de puissance dans la région. La Turquie a donc développé une politique étrangère très ambitieuse au Moyen-Orient, passant par le renouvellement de ses liens bilatéraux politiques avec les pays arabes notamment. Elle a été confrontée au Printemps arabe. La crise syrienne a ensuite fait tomber les ambitions turques au Moyen-Orient, au point que cette crise syrienne pourrait venir à bout du régime d'Erdogan. Ce régime connaît paradoxalement un resserrement autoritaire, qui donne une impression de force mais qui me semble aujourd'hui être un symptôme de fragilité.

La Turquie subit une perte de prestige diplomatique, qu'elle cherche à compenser. Elle n'en a pas fini avec l'aventurisme en Syrie et semble chercher tout prétexte pour intervenir.

La Turquie vit une situation d'envahissement de son espace intérieur par la pression extérieure qu'elle subit. Elle est contaminée par la crise syrienne sur le plan sécuritaire. Il existe toujours un risque de dérive militaire sur les 900 kilomètres de frontières qu'elle partage avec la Syrie. La question kurde préoccupe également énormément la Turquie : le régime a choisi de rouvrir le conflit avec le PKK et il est probable que ce conflit interne qui ronge l'Est de la Turquie soit lié à la situation régionale et à la progression des Kurdes syriens tout le long de la frontière turco-syrienne.

Enfin, il faut signaler la progression de l'« économie grise » en Turquie, dans un pays en perte de vitesse économique. Le pays subit les effets de la crise européenne, puisque l'Europe est son premier débouché. Son débouché alternatif était le Moyen-Orient, notamment l'Irak qui est également plongé dans une très grave crise économique à cause du conflit L'une des façons de compenser cette décélération macro-économique est le développement d'une économie de trafics sur les frontières de la Turquie (trafics humains, de pétrole, d'armes, etc.).

La Turquie souhaite un changement de régime en Syrie, mais a dans le même temps choisi de maintenir une politique de la porte ouverte et d'accueillir des réfugiés jusqu'à l'atteinte d'un seuil limite. Cette politique a permis la circulation de djihadistes qui menacent aujourd'hui la sécurité occidentale.

Quel type de relation pouvons-nous avoir aujourd'hui avec la Turquie, alors qu'il existe une absence de confiance totale entre elle et les Européens, et un rapport de force politique plutôt favorable aux Turcs ? Ceux-ci proposent des solutions assez difficiles à mettre en oeuvre ; le gouvernement turc ne contrôle en réalité pas la situation et est extrêmement fragilisé. Les objectifs sont très différents, la question des réfugiés faisant partie pour la Turquie d'un éventuel accord final avec la Syrie. L'Europe a un sentiment de responsabilité historique vis-à-vis des réfugiés, mais n'a pas de moyens. Il en découle une situation humanitaire catastrophique et un risque d'entraînement des Européens dans la vision turque de la crise syrienne. La France, en réalité, s'est alignée d'emblée sur la Turquie dans le dossier syrien, sur lequel les deux pays ont totalement perdu la main. L'aventurisme turc pourrait poser problème à terme à notre pays.

M. Peter WELBY - Même si l'action internationale se concentre en Syrie et en Irak, nous devons tout d'abord reconnaître que les problématiques liées à l'État islamique ne peuvent être traitées de manière isolée. Des recherches menées par le Centre sur la Religion et la Géopolitique sur les groupes se battant au sein de la rébellion syrienne ont montré qu'au moins 65 000 combattants appartenaient à des groupes partageant l'idéologie de l'État islamique, ce qui représente les deux tiers des combattants. Cela reflète l'importance de reconnaitre le rôle des acteurs non-étatiques dans le conflit. La guerre civile en Syrie n'a pas débuté comme une guerre religieuse, puisque l'objectif était de renverser le gouvernement Assad.

Au fil des années, les groupes djihadistes sont pourtant devenus prédominants au sein de la rébellion. D'autres faits expliquent cette montée en puissance de l'État islamique, comme la libération de prisonniers djihadistes par Bachar al-Assad, prisonniers qui ont rejoint les rangs de la rébellion. Sans idéologie, rien n'unirait les mouvements djihadistes. Sans cela, la guerre civile syrienne serait brutale, mais resterait confinée dans les frontières du pays. Or, l'État islamique veut transformer les problèmes locaux en problèmes universels, aux antipodes de la politique occidentale qui vise à maintenir la paix dans la région.

L'étude de différents groupes nous a permis d'identifier les traits dominants de leur idéologie et de leur propagande. Une étude américaine a montré que la moitié des Musulmans du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord pense qu'ils assisteront à l'Apocalypse dans leur vie. Une étude de l'Université du Maryland indique que les deux tiers des trois grands pays musulmans croient que le califat doit être rétabli. Cela fait partie de la propagande de l'État islamique. La même étude montre que les trois quarts des habitants des quatre plus grands pays musulmans jugent nécessaire de résister contre les États-Unis et de défendre la dignité des musulmans, humiliés par l'Occident. Al-Qaïda considère que les Chiites ne sont pas de vrais musulmans. Du fait de cette propagande, 40 % des Musulmans du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord partagent cette pensée. L'idéologie véhiculée par l'État islamique a donc des conséquences sur les musulmans de la région.

La menace de l'État islamique a une nature internationale. Ainsi, 50 % de la violence de l'État islamique dépasse les frontières actuelles des pays en conflit et 56 pays ont été visés par l'État islamique rien qu'en janvier 2016. Les mouvements salafistes ne sont pas les seuls à avoir un impact. Les mouvements transnationaux chiites ont un rôle qui dépasse les frontières. L'Iran prend position pour défendre les Chiites. Le conflit s'est étendu partout dans le monde. Le Mali, le Nigéria, le Bengladesh, l'Indonésie, etc., sont des pays où l'État islamique est actif. Si une solution au conflit était trouvée en Syrie, en Irak ou en Afghanistan, de nouveaux conflits reprendraient cependant dans d'autres pays, puisque le djihad est global et que les djihadistes se déplacent.

L'État islamique n'est qu'un symptôme. Nous devons donc nous intéresser au problème idéologique, au-delà de notre intervention armée. Pour vaincre le groupe, il faut vaincre les idées. La solution pour combattre cette idéologie passe par une coopération avec les responsables religieux, et non par une seule solution militaire. Les responsables musulmans peuvent contrer les arguments des djihadistes en démontrant les faiblesses de ces derniers quant à l'interprétation du Coran. L'idéologie des djihadistes est très simplifiée et peut encore être combattue par les autres musulmans. Ceux-là seuls ont l'autorité pour remettre en cause l'interprétation donnée par l'État islamique de l'Islam.

M. Fabrice BALANCHE - Nous avons planté le cadre géopolitique et géostratégique dans lequel se trouve aujourd'hui la Syrie.

M. Jean MAHER, Président de l'organisation franco-égyptienne pour les Droits de l'homme et Secrétaire général de la coordination des Chrétiens d'Orient - M. Peter Welby a bien résumé le sujet de l'idéologie. Beaucoup de mouvements de musulmans éclairés mènent aujourd'hui une forme d'autocritique. Quel rôle pourraient-ils jouer ?

M. Frédéric ESPOSITO, Université de Genève - Ma question s'adresse à Mme Dorothée Schmid. Aujourd'hui, Daech pèse environ 6 à 7 milliards de dollars. 40 % de ce budget proviennent de sa manne pétrolière et d'une série de trafics, dont une partie passe par la Turquie. Comment expliquer que la Turquie bénéficie en quelque sorte d'une impunité au niveau de sa frontière, alors que sa capacité à assécher financièrement l'État islamique pourrait être une solution pour lutter contre celui-ci ?

M. Anton YALLA, Président du comité de soutien aux Chrétiens d'Irak - Pouvons-nous dire que les Chrétiens d'Irak et de Syrie ont été sacrifiés sur l'autel des hydrocarbures ?

M. Peter WELBY - Quand on parle de réforme de l'Islam, on se perd dans l'histoire européenne mais une telle comparaison n'est pas utile. Les salafistes aujourd'hui sont l'équivalent des réformateurs en Europe. Or la plupart des musulmans sont opposés à cette idéologie et interprètent les écrits autrement. Les voix des musulmans éclairés sont noyées. Les médias et la société civile peuvent jouer un rôle pour diffuser la pensée musulmane modérée dominante, afin qu'elle soit davantage audible.

Mme Dorothée SCHMID - L'État islamique ne se finance pas qu'avec le pétrole. La Turquie n'est qu'un maillon dans le trafic de pétrole et il est difficile d'estimer les montants de ces trafics. Nous sommes dans une guerre d'attrition contre Daech, qu'il faut épuiser militairement et déstabiliser économiquement. En outre, comment l'épuiser alors que sa capacité de mobilisation idéologique est considérable ? Le problème dépasse la simple solution militaire. S'il n'y a pas de solution politique qui satisfasse ceux qui sont probablement leurs soutiens politiques et sociaux, il sera difficile de trouver une solution.

La question des Chrétiens d'Irak me dépasse assez largement. J'ai le sentiment que nous sommes confrontés à un nettoyage ethnique au sein de la région. La solution serait de parvenir à ce que ces sociétés deviennent ou redeviennent inclusives, ce qui sera très difficile.

M. Alain JUILLET - Le problème de départ était économique et sans lien avec les chrétiens. La Syrie était un pays laïc, dans lequel les chrétiens n'avaient jamais subi de répression. La prise de contrôle progressive de la rébellion par les salafistes, puis Daech, a conduit à une montée en puissance du rejet des autres. L'expérience a démontré qu'on ne peut ramener le calme que progressivement, en tenant la population d'une main de fer. L'ordre règne par exemple aujourd'hui en Égypte et les populations retrouvent un calme perdu ces derniers temps.

Première table ronde - de gauche à droite

Mme Christiane Kammermann, M. Fabrice Balanche, M. Bernard Cazeau,
M. Peter Welby et Mme Dorothée Schmid

Deuxième table ronde - de gauche à droite :

Mme Christiane Kammermann, M. Jean-Pierre Chevènement, M. Bernard Cazeau,
Mme Myriam Benraad, M. Marc Lavergne et M. Fabrice Balanche

DEUXIÈME TABLE RONDE : LES ACTEURS INTERNES DU CONFLIT ET LA FRAGMENTATION TERRITORIALE

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT Ancien Ministre de la Défense
Mme Myriam BENRAAD Chercheuse au Centre de recherches internationales (CERI)
M. Fabrice BALANCHE Washington Institute for Near East Policy
M. Marc LAVERGNE Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

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M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT - Détruire l'État Islamique, et après ? Nous essaierons de répondre à cette question en nous rapprochant du terrain. La Syrie et l'Irak n'ont pas toujours été en « décomposition » : formés au lendemain de la Première Guerre mondiale, autour de deux grandes capitales, ces États multiethniques et multiconfessionnels étaient devenus des dictatures laïques. Dans ce cadre, les minorités religieuses pouvaient survivre dans des conditions acceptables.

Pour évoquer la situation actuelle, nous ne devons pas oublier que ces pays étaient portés par des courants modernisateurs. La montée du fondamentalisme islamique, dont Daech est la pointe avancée aujourd'hui, n'est que l'envers de la réforme et de tout ce qui portait ces pays vers la modernité. Il ne faut pas en déduire que ces courants de réforme ont disparu, bien que le fondamentalisme ait pris le dessus depuis 1979, avec l'arrivée de Khomeini en Iran et le début du jihad afghan.

Nous avons alors contribué à ce qu'après la première guerre entre l'Irak et l'Iran, puis la guerre du Golfe, parfaitement évitable si nous avions obtenu l'évacuation du Koweït, s'installe une partition de fait, contre laquelle le gouvernement irakien n'a guère lutté, offrant les régions occidentales de l'Irak d'abord à Al-Qaïda, avec Al-Zarqaoui dès 2004, puis à Daech. Ce n'est que très récemment que le gouvernement irakien a changé et que nous pouvons espérer une politique moins sectaire, notamment contre les Sunnites de l'Ouest irakien, qui représentent un cinquième de la population. Un Irak dont le gouvernement est à prépondérance chiite est cependant davantage inféodé à l'Iran.

Les révolutions arabes ont éclaté en 2011 en Tunisie, en Égypte et en Libye, alors que les troupes américaines achevaient leur évacuation de l'Irak. L'erreur a été de penser que cette révolution arabe se déroulerait de même en Syrie, où le régime de Bachar al-Assad avait davantage de soutien. Une guerre par procuration, menée par les puissances sunnites contre l'axe chiite Iran-Irak-Syrie-Hezbollah libanais, s'est en outre ajoutée à ce conflit entre le régime et le peuple syrien.

La Turquie a développé une sorte de néo-ottomanisme et s'est ingérée en Syrie, la création de la Coalition nationale syrienne et des Amis de la Syrie intervenant dès 2011. Il existe un conflit de parrainage entre les puissances sunnites, l'Arabie Saoudite appuyant des groupes salafistes voire des groupes liés à Al Qaïda, comme Jahbat al Nosra, et le Qatar soutenant les Frères musulmans qui constituaient traditionnellement la colonne vertébrale de l'opposition syrienne.

Nous ne partons pas de rien. Les interventions extérieures ont plus compliqué le problème qu'elles ne l'ont résolu, conduisant à une décomposition de la Syrie et de l'Irak. Daech était déjà installé en Syrie en 2013, lorsque les Américains ont renoncé à procéder à des frappes après l'utilisation de l'arme chimique.

Le rapport de force sur le terrain est assez équilibré. L'armée de Bachar al-Assad compte 100 000 hommes. Les rebelles dits modérés sont moins de 10 000. Jabhat al-Nosra compte 30 000 hommes. Daech compte 20 à 30 000 djihadistes venus de l'étranger et environ 30 000 locaux, principalement irakiens. Ce qui fait également 100 000 hommes. Il faudrait ajouter au régime syrien les Kurdes du Nord de la Syrie, qui ont un accord avec le régime et sont soutenus par le Kurdistan irakien.

L'ennemi n°1, pour la Turquie, est le PKK, le deuxième étant Bachar al-Assad et le troisième l'État islamique, ce qui complique le jeu. Le cessez-le-feu intervenu grâce à la médiation américano-russe est fragile. Il est envisageable que Raqqa et Mossoul soient reprises à l'État islamique, mais l'affaire n'est pas encore entendue.

Quels sont les axes politiques d'une solution ? Il n'est pas possible de remodeler le Moyen-Orient, mais sa fragmentation est dommageable. Il faut partir de l'idée que la Syrie et l'Irak existent depuis un siècle, restaurer ces États dans leurs frontières, en faisant de l'Irak une véritable fédération et du régime syrien un régime plus représentatif.

L'entente entre les États-Unis et la Russie est positive. Il ne faut pas observer les réalités d'aujourd'hui à travers le spectre de la Guerre froide. La Russie, les États-Unis et tous les pays du monde ont un intérêt commun à éradiquer Daech et le djihadisme tel qu'il s'est développé avec Al-Qaïda, il y a déjà une trentaine d'années.

Il faut avoir une vue d'ensemble de ce qui se passe dans le monde musulman. Il y a un recul des mouvements modérés comme les malékites ou les soufis au profit du salafisme.

Nous devons avoir une discussion sérieuse avec la Turquie, dont l'intérêt majeur est la préservation de son intégrité territoriale, discussion qui n'est pas celle qui est en cours où l'Europe est prise en otage. La Turquie doit régler en interne le problème kurde. Un accord stratégique est intervenu avec l'Iran. Il répond à l'évacuation par les Américains de l'Irak et de l'Afghanistan. Une gouvernance mondiale est souhaitable du point du vue du rétablissement de la paix dans la région, même si nous savons que c'est aux musulmans de séparer le bon grain de l'ivraie.

Les États-Unis disposent d'un levier vis-à-vis de l'Iran avec la levée des sanctions. Émerge le problème de l'installation de Daech en Libye, avec la fragilité que cela induit en Tunisie et au Sahel. L'Algérie et le Maroc contribuent encore à un certain équilibre.

Dans le triptyque citoyenneté, identité, communauté, je privilégie la citoyenneté, qui doit l'emporter. L'identité de chaque pays doit être faite de son histoire, mais les différentes identités peuvent converger. Il faut formaliser le processus de normalisation des États-nations malheureusement interrompu depuis une vingtaine d'années au Moyen-Orient.

Je fais miens les propos de M. Hubert Védrine. Méfions-nous de « l'ir-realpolitik ». Il est plus facile d'éviter qu'un monde se défasse que d'en imaginer un autre.

Mme Myriam BENRAAD - Mon propos est centré sur l'Irak.

Le problème de compréhension de l'objet qu'est l'État islamique tient au peu de sérieux dans l'analyse, alors que les travaux de théorie politique ne manquent pourtant pas.

La question de la spatialisation est très importante. Le monde a changé. L'État Islamique en est aussi le symptôme. Il existe une dialectique entre l'idée de conservation d'un monde et de mutation du monde. Il faut accepter le fait que le monde a changé et que l'unipolarité, qui l'avait emporté après la Guerre Froide et l'effondrement de l'URSS et l'idée de la fin des idéologies, vole aujourd'hui en éclats à travers le phénomène de l'État islamique et le retour de la Russie.

La guerre d'Irak a introduit le monde dans une ultra-modernité et rejoué, en partie, l'Histoire. Il s'agissait, pour moi, au risque de choquer, d'une expédition néocoloniale. Le monde musulman s'est confronté à la modernité à travers le colonialisme. C'est ainsi que le voient aujourd'hui un certain nombre d'acteurs sur le terrain : dans le film « Homeland année zéro », les Irakiens qui s'expriment parlent d'occupation coloniale.

Il faut sortir de ce que Claude Lévi-Strauss appelait les « signifiants flottants », et réintroduire les notions de domination, colonialité et les hybridations auxquelles elles donnent lieu.

Premier tabou à briser : la question du confessionnalisme. C'est un phénomène totalement moderne. La confessionnalisation de l'Irak dans l'après 2003 est une réaction caractéristique à une occupation coloniale. En 2003, les Irakiens se sont trouvés sous le joug d'une invasion unilatérale reposant sur un ordonnancement communautariste de l'Irak par quotas, et sur une lecture de la société irakienne qui ne correspondait pas à la réalité et qui a été inspirée par certains idéologues américains et l'opposition irakienne en exil. Cette lecture aboutissait à l'idée que le régime baasiste était un État sunnite et à une stigmatisation tous azimuts de la composante sunnite irakienne. Les Irakiens ne se reconnaissent pas dans cette lecture qui privilégie l'approche confessionnelle et qu'ils qualifient de néocoloniale.

Sortons aussi de cet orientalisme qui consiste à attribuer des représentations fausses aux acteurs de la société irakienne. La politique américaine est totalement idéologique (Grand Moyen-Orient, démocratie par effet de dominos, etc.). Débaasifier l'Irak a conduit à l'effondrement de ce qui restait de l'État irakien et au démantèlement de l'armée qui a rejoint alors la résistance armée, officiers en tête. Le terrorisme, dans le cas de l'Irak, est finalement une résistance armée qui a mobilisé des acteurs très variés, dont la frange la plus radicale conduite par Zarqaoui. On a en Irak un paysage très varié parmi ces insurgés. La figure de Zarqaoui a été largement construite par les Américains.

L'État islamique apparaît dès 2006 en Irak, avec une réaction sunnite radicale sur le plan identitaire, portant un projet d'État totalement novateur, l'État islamique d'Irak, mène une « guerre de sécession » avec recours à des méthodes terroristes, à défaut d'avoir pu négocier politiquement avec Bagdad.

Après quelque temps d'affaiblissement sur le terrain, ce groupe s'est reconstitué. Dès 2003, la frontière entre la Syrie et l'Irak est déjà poreuse. En 2011, Barack Obama, qui a fait campagne sur le retrait des troupes américaines de l'Irak, déclare l'État irakien représentatif, souverain et légitime et retire les troupes américaines. Or entre 2012 et 2014, la contestation sunnite dans les provinces occupées auparavant par l'armée américaine reprend, d'abord pacifiquement, structurée par les partis politiques et les locaux (dignitaires religieux notamment) pour demander la reprise des négociations. Mais l'État islamique guette.

Le Premier ministre al-Maliki revient, après les élections législatives de 2010, à une pratique très autoritaire du pouvoir. La répression a conduit à une aggravation du mouvement sécessionniste dans les provinces sunnites. En 2013, l'État islamique remilitarise cette contestation sunnite, et lance un assaut sur la ville symbolique de Falloujah, en 2014. En réactivant l'histoire coloniale et notre mémoire coloniale, dans un monde dit globalisé, on observe des phénomènes d'hybridation, de transnationalisation et de revanche des parias. Cette mouvance révolutionnaire radicale qu'est l'État islamique se parachève dans un mouvement totalitaire et réussit à drainer vers lui un certain nombre de profils articulant un message de revanche sur le terrain irakien, avec un message de révolte contre un monde injuste et oppresseur. Daech est de ce fait un objet politique difficile à décrire.

Nous sommes prisonniers d'une logique consistant à vouloir conserver ce qui a précédé. Nous devons accepter que le monde a changé, que la radicalité et les utopies opèrent un retour, pour pouvoir définir des politiques de luttes. Il n'est pas possible de tuer un esprit avec des bombes. Daech a des sympathisants partout dans le monde.

Nous devons regarder en face ce mouvement pour ce qu'il est.

M. Fabrice BALANCHE - Il y a un an, le régime de Bachar al-Assad était en mauvaise posture, subissant l'offensive dirigée par Al-Qaïda. Il n'avait pas véritablement été menacé avant le printemps 2015. Il est à nouveau dans une dynamique favorable depuis l'intervention russe en septembre 2015. Les gains territoriaux, assez minimes, concernent cependant des endroits stratégiques. Le moral de l'armée syrienne est meilleur.

Sans changement majeur en termes géopolitiques, l'armée syrienne pourra reconquérir l'ouest du pays en 2016, voire Raqqa, ce qui justifierait l'intervention russe en Syrie et légitimerait Bachar al-Assad pour un nouveau mandat présidentiel. Cela ne veut pas dire que nous aurons un retour à une Syrie centralisée comme avant 2011. L'autonomie des Kurdes et la constitution d'un territoire kurde sont le prix de la victoire pour al-Assad et sont parties intégrantes de la stratégie russe en Syrie.

Il existe une corrélation entre territoire kurde et zones kurdes, entre territoire de l'État islamique et zones arabes sunnites, entre zones tenues par les rebelles et zones sunnites. La zone gouvernementale concentre l'essentiel des minorités, qui représentent 40 % de la population de cette zone.

C'est grâce à cela que l'armée syrienne peut tenir le territoire. Il est faux de décrire le régime syrien comme un régime uniquement alaouite. Le pouvoir est partagé avec les Sunnites.

Il existe des clivages de classes sociales. La bourgeoisie, qu'elle soit sunnite ou chrétienne, n'a jamais abandonné le régime. Elle s'est très vite méfiée d'une révolte qui venait des périphéries, urbaines ou rurales.

En 2011, la Syrie comptait 64 % d'arabes sunnites, 15 % de kurdes, 10 % d'alaouites et 5 % de minorités chrétiennes. Le rapport est aujourd'hui le même. La part des arabes sunnites a légèrement baissé, car les combats se déroulent dans leur zone. 80 % des réfugiés syriens sont des arabes sunnites. 10 % sont des chrétiens, communauté qui souffre le plus. Plus de 40  % de la communauté chrétienne de Syrie a quitté le pays. Sur 22 millions de Syriens, 16 millions sont restés en Syrie, dont 10 millions dans la zone gouvernementale, 2 millions dans la zone rebelle, 2 millions dans la zone kurde et 2 millions dans la zone contrôlée par Daech. Le régime syrien contrôle ainsi plus de 60 % de la population. C'est vers cette zone que se rendent les réfugiés internes fuyant vers les zones sûres.

Les rebelles modérés, anciens membres de l'Armée syrienne libre, sont très peu nombreux. Les États-Unis ont essayé en vain de les renforcer pour éliminer Jahbat al-Nosra. Ils ne soutiennent plus que les Kurdes et se résignent à laisser la Russie intervenir.

Le cessez-le-feu est tactique. L'armée syrienne a besoin de constituer ses lignes de défense après avoir avancé. Elle espère également que les rebelles poseront les armes. La Russie a besoin des Kurdes pour fermer la frontière syrienne. Les Kurdes, jusqu'alors alliés des Américains, basculent aujourd'hui du côté russe, car les Occidentaux ne peuvent leur donner ce qu'ils réclament, à savoir un territoire uni, les Turcs ayant interdit aux Kurdes de franchir l'Euphrate. Pour la Turquie, Daech est un outil contre les Kurdes.

La bataille, en Syrie, se joue autour d'Alep. Le premier objectif des Russes est de sécuriser la zone de Tartous. Le second est de protéger les villes, car il est très difficile de reprendre une ville perdue. Le troisième est de couper les lignes d'approvisionnement entre la Turquie, la Jordanie et la rébellion, afin d'asphyxier cette dernière. Pour cela, la Russie a besoin des Kurdes et soutient leur offensive entre Afryn et Kobané. Ce n'est pas un territoire kurde mais arabe. Le cessez-le-feu doit permettre de lancer une offensive à l'Est pour couper le territoire de Daech en deux et permettre aux Kurdes d'avancer sur le corridor d'Azaz et de prendre des villages sur les autres groupes rebelles soutenus par la Turquie. Il reste désormais uniquement quelques dizaines de milliers de personnes dans l'Est d'Alep.

Il faut avoir les bons outils d'analyse pour comprendre la situation en Syrie. M. Hubert Védrine a parlé de l' « irrealpolitik » et des oeillères du courant « droits-de-l'hommiste ». Les sciences humaines et sociales sont inefficaces pour comprendre un tel conflit. Il faut connaître les outils des militaires pour comprendre les enjeux sur le terrain et ne pas se limiter à des incantations pro-droits de l'homme. La stratégie de contre-insurrection doit s'efforcer de séparer les civils des djihadistes. Les Russes ne s'embarrassent pas de considérations humanitaires et font davantage peur. Or c'est celui qui fait le plus peur qui est le mieux à même de gagner une guerre civile. Il faut imposer un ordre si nous souhaitons de la stabilité.

Les grands gagnants, en Syrie, pourraient être les Kurdes, qui pourraient créer leur région autonome dans le Nord. Le régime syrien pourrait reconquérir l'Ouest en 2016. Je crains beaucoup que l'Arabie Saoudite cherche à déstabiliser le Liban, notamment au Nord, où des centaines de milliers de réfugiés syriens sont en voie de radicalisation. Si les Saoudiens poursuivaient leur entreprise de déstabilisation du Liban, ils pourraient prendre l'armée syrienne à revers, menacer le port de Tartous, ralentir la progression russo-syrienne. Si, au Nord, les Turcs continuent à appuyer les milices pour prendre Azaz, et couper le territoire kurde, laissant toujours passer des armes pour l'État islamique, le conflit pourrait s'en trouver prolongé et le pays détruit, avec une contagion à la Jordanie et au Liban. Est-ce ce que nous voulons ? Ne devons-nous pas admettre des concessions, reprendre une realpolitik , et traiter avec les autorités en place à Damas ?

2016 sera une année extrêmement violente. Il existe un risque majeur de fragmentation de la Syrie, avec un pays qui ressemble de plus en plus à l'Irak : un pays en voie de partition.

M. Marc LAVERGNE - Revenons sur ce qui peut être commun à ces territoires, dans une problématique plus globale, en évoquant notamment sur le passé de cette région, qui n'a pas été effacé par les bouleversements actuels.

Qui pourrait détruire l'État islamique ? Une coalition ? Des acteurs internes ? L'État islamique est-il au point de départ de la déstabilisation de la région ? Les Printemps arabes sont nés de façon tout à fait indépendante, avant la poussée de l'État islamique. Il est difficile de concevoir que la destruction de l'État islamique suffira à faire revenir la paix dans la région. Il faut déconnecter la victoire militaire par les bombardements aériens et le travail sur les sociétés, leurs évolutions et leurs aspirations pour arriver aux conditions d'un retour à la paix au Moyen-Orient.

Quelle a été l'évolution de cette région depuis un demi-siècle ? Il est important de resituer sa spécificité. D'un point de vue géographique, il s'agit du croissant fertile et de la Mésopotamie, c'est-à-dire des biotopes qui ont donné naissance à des civilisations urbaines historiques éminentes, avec une interface entre l'aire méditerranéenne pour la Syrie et l'aire de l'Asie du Sud pour l'Irak. Le génie de cette région est fondé sur le commerce et des ressources naturelles, avec de nombreuses métropoles commerçantes ayant de fortes relations entre elles, et des marges montagneuses, rurales, souvent désertiques, qui ont conservé des adhésions spirituelles, des religions ou des langues différentes, alors que le tissu urbain est devenu assez homogène.

Après les indépendances des années 1950 et 60, un renversement s'est opéré, avec la prise du pouvoir par des représentants des minorités issues du monde rural (parti Baas notamment). Ce modèle très centralisateur, socialisant, laïcisant a fonctionné et a construit des États, et même des nations, avec une intégration citoyenne, sans libertés du fait de pouvoirs militaires très rigoureux. Ce modèle fondé sur l'armée, le parti et la bourgeoise d'État s'est épuisé progressivement dans les années 1970 et 80, sous l'effet du boom pétrolier qui a fait monter d'autres modèles consuméristes, ultra religieux et libéraux. La révolution technologique a en outre introduit une ouverture, avec une révolte de la jeunesse. On a alors observé une émergence de l'individu, une émergence des femmes comme acteurs sociaux, et un « meurtre des pères » (dictateurs et chefs de guerre). L'enrôlement communautaire auquel nous assistons n'est-il pas la conséquence de tous ces désarrois ?

Nous pourrions envisager de conserver le cadre de ces États tels qu'ils ont été créés, avec des aménagements. Les frontières ne sont en rien une barrière à l'expression des identités. La référence identitaire est aujourd'hui un succédané à d'autres aspirations, sociales et culturelles. Ces États forment des nations composites. Ces peuples ont développé des modes de vivre-ensemble subtils. L'avenir est dans une recomposition à l'intérieur des frontières, avec une place pour chacun.

M. Jean-Pierre Raffarin

Président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense
et des forces armées du Sénat

Salle Clemenceau

SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA MATINÉE

M. Jean-Pierre RAFFARIN Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat

Mesdames, Messieurs,

« Le premier acte de la guerre est de nommer l'ennemi », disait en substance Clausewitz. C'est ce que fait très clairement ce colloque, intitulé « Détruire l'État islamique, et après ? », avec une netteté dans les priorités que n'a pas toujours eue la diplomatie française. Je tiens donc d'abord à féliciter, pour leur initiative, les organisateurs de ce colloque quelque peu « visionnaire », et à remercier l'ensemble des participants de ces deux premières tables rondes.

Parmi les réponses aux crises qui tourmentent aujourd'hui, avec une exceptionnelle vigueur, « l'Orient compliqué », « détruire Daech » est -du moins vu de la France-, le but premier. Le terrorisme djihadiste constitue aujourd'hui notre ennemi principal : le détruire représente donc une nécessité absolue, à la fois pour rétablir la stabilité de la région -le sort effroyable de la population syrienne, des chrétiens et des minorités persécutées, a été largement décrit ce matin- et pour affermir la sécurité du monde.

Détruire Daech, aussi, c'est la condition pour mettre un terme aux effets et aux risques déstabilisateurs de l'afflux de réfugiés dans les pays voisins des zones de guerre -Liban, Jordanie, Turquie- comme en Europe : 13 millions de personnes ont aujourd'hui besoin d'aide humanitaire en Syrie ! Détruire Daech, c'est aussi la condition pour retrouver un agenda politique que cette guerre a placé, de fait, au second rang des priorités ; je pense, en particulier, à la recherche d'une solution dans le conflit israélo-palestinien.

Ce but premier n'est pas aisé à atteindre : Daech, aujourd'hui, tend certes à perdre du terrain, sur le front irakien comme en Syrie, mais il révèle une grande capacité de résilience, grâce à ses combattants étrangers notamment. Le combat qui reste devant nous, à cet égard -au Moyen-Orient, mais aussi sur notre propre sol-, sera certainement long encore, et ardu. D'autant que des mutations ne sont pas à exclure : dès lors que la colonne vertébrale de Daech serait brisée en territoire irako-syrien, deux cibles de l'organisation terroriste me paraissent aujourd'hui menacées : la Libye -avec des répercussions imaginables sur la Tunisie- et le Yémen, où Daech rivalise avec Al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Cependant, pour favoriser les conditions d'un retour durable à la paix au Moyen-Orient, que chacun appelle de ses voeux, c'est bien la préparation de l'« après » -après cette victoire nécessaire sur Daech- qui constitue l'essentiel ; en d'autres termes, la définition d'objectifs crédibles de transition politique, pour la région et pour les pays qui la composent, à partir d'une analyse fine des différents paramètres de la situation.

Nous en convenons tous ici, c'est d'ailleurs la position de la diplomatie française, et les militaires sont les premiers à le souligner : leur intervention ne peut qu'être un moyen, et non une fin ; derrière les opérations armées, un projet politique est indispensable -s'il n'y avait qu'une leçon à retenir de l'intervention américaine en Irak de 2003, ce peut être celle-là ! Une réflexion comme celle que nous menons aujourd'hui ensemble me paraît donc tout à fait essentielle.

À cette prospective, du reste, la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat que j'ai l'honneur de présider, par ses travaux, prend naturellement sa part. Je sais que c'est également le cas des travaux, que je salue, des groupes qui se trouve à l'origine de cette journée d'étude : le groupe de liaison avec les Chrétiens d'Orient et les minorités au Moyen-Orient, que préside Bruno Retailleau, et les groupes d'amitié France-Syrie et France-Irak, respectivement présidés par Jean-Pierre Vial et Bernard Cazeau.

Dans notre guerre contre Daech, je distingue trois enjeux : enjeu de puissances, enjeu de territoires, enjeu de communautés.

Enjeu de puissances. Premier constat, désormais bien établi : l'imbrication des conflits nationaux, voire locaux, et de rivalités régionales, voire internationales -ce qui contribue à rendre les crises du Moyen-Orient si complexes, et de même les processus à imaginer pour sortir de ces crises. Le dossier syrien est ainsi devenu emblématique d'affrontements géopolitiques « par procuration », réalisés par acteurs interposés : entre l'Iran et l'Arabie Saoudite bien sûr, mais aussi entre la Turquie et la Russie, la Russie et les États-Unis, etc.

Cette dimension internationale des crises proche-orientales n'est pas, historiquement, un aspect nouveau : le professeur Henry Laurens, que la Commission des Affaires étrangères auditionnait, dans cette même salle, au début de l'année, rappelait qu'au XIX e siècle, un litige survenu dans quelque village libanais entre un paysan druze et un paysan maronite appelait l'intervention du consul de France, protecteur des Maronites, et celle du consul d'Angleterre, protecteur des Druzes ; de Beyrouth, l'affaire pouvait remonter à Constantinople, puis de là jusqu'à Paris et à Londres... Plus près de nous, l'Irak de Saddam Hussein, perdant la guerre contre l'Iran, a sollicité les Occidentaux, dont l'intervention a permis de conclure cette guerre ; lors de l'invasion du Koweït par le même Saddam Hussein, c'est l'Arabie Saoudite qui a fait appel aux puissances occidentales...

Reste que les ambitions des puissances qui interviennent dans ces crises sont mêlées, et plus ou moins nettement affichées. Aujourd'hui, la rivalité entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, telle qu'elle se joue en Syrie parmi d'autres théâtres, procède tout autant d'enjeux économiques et d'ordre géostratégique que de désaccords religieux fondamentaux et de la lutte pour le leadership dans le monde musulman. Même ambivalence en ce qui concerne les motivations de la Turquie : Ankara, dans ses initiatives touchant le dossier syrien, pense avant tout au dossier kurde, mais entend sans doute défendre ses intérêts économiques et stratégiques et, dans le même temps, la vocation qu'elle se reconnaît à incarner un modèle de civilisation, en marquant son indépendance à l'égard des autres États.

La Russie, de son côté, a instrumentalisé le conflit syrien, comme on sait, pour affirmer son retour en tant que puissance sur la scène internationale autant que pour garantir sa « profondeur stratégique » -son accès aux mers chaudes- tout en y trouvant son compte au plan économique et en profitant de l'effacement américain pour imposer ses conditions, dans un rapport de forces russo-américain inédit où, en somme, la Russie aurait l'avantage avec la complicité américaine.

Tous ces éléments confirment que les solutions à trouver aux crises actuelles devront être « globales », mais qu'elles sont d'autant plus difficiles à mettre en oeuvre que chaque acteur poursuit son propre agenda, ses propres objectifs. Il y a tant de « guerres dans la guerre », à l'image d'une poupée russe, qu'on comprend les difficultés des négociateurs de Genève.

Enjeu de territoires, à présent, et deuxième constat, également important dans une perspective de sortie des crises du Moyen-Orient : la coexistence d'acteurs étatiques d'un côté et, d'un autre côté, de divers acteurs non étatiques, mais qui aspirent à gouverner un territoire - et qui, souvent, gouvernent de facto .

C'est aujourd'hui en premier lieu le cas, bien évidemment, de Daech : jusque dans son nom même « d'État islamique » -quelle que soit la valeur qu'on prête à cette autoappellation-, l'organisation terroriste se caractérise précisément par son ambition à constituer un « califat » ; et, dans les zones qu'elle contrôle, elle a mis en place une véritable administration, et rend des services à la population -qu'elle soumet par ailleurs à son joug- qui relèvent d'une administration d'État. Cet enjeu territorial, on le sait bien, excède le théâtre syro-irakien : le risque de la « jonction » avec les implantations en Libye -où Daech contrôle près de 300 kilomètres de côtes, autour de Syrte-, avec les organisations terroristes dans la bande sahélo-sahérienne, ou avec l'implantation naissante au Yémen, notamment dans des villes côtières comme al-Mukalla, doit être suivie de près, en vue d'éviter l'émergence de « califats de substitution ». Une telle hypothèse de rebond vers le Nord ou vers le Golfe arabo-persique de la crise aiguë que traverse, pour l'heure, le Levant, est menaçante.

Outre Daech, ou d'autres organisations terroristes comme le Front al-Nosra, des milices, certaines en désaccord avec Daech d'ailleurs, ont pris le contrôle de différents territoires. C'est aussi un aspect que, dans l'après-conflit, il faudra traiter. Songeons que Staffan de Mistura, l'Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie, y dénombre 96 groupes combattants distincts, qui tiennent autant de fiefs !

Sous le même angle, la question la plus délicate sera vraisemblablement celle des Kurdes. Dans l'Irak fédéral, à la faveur de la lutte à laquelle ils prennent part contre Daech, les Kurdes se sont d'ores et déjà assurés d'un espace substantiel, à la fois géographique et politique : parlement élu, exploitation autonome du pétrole, dialogue direct d'Erbil avec les puissances occidentales... Est-il inconcevable qu'un jour -un jour- l'indépendance vienne in fine consacrer cette autonomie déjà largement acquise dans les faits ? En Syrie, une possible solution fédérale -à laquelle la Russie a récemment fait savoir qu'elle ne s'opposerait pas- donnerait-elle à l'administration kurde le droit de fonctionner suivant le mode actuel du Kurdistan irakien ? Qu'en serait-il, alors, de la position de la Turquie, dont on sait la préoccupation constante d'éviter, précisément, la formation d'un État kurde à ses frontières ?

Simultanément à la montée en puissance de ces acteurs « paraétatiques », on a assisté au dessaisissement, en partie symétrique, des gouvernements de Syrie et d'Irak. Le régime de Damas, soutenu « à bout de bras » par l'Iran et par la Russie, dépend largement de ces derniers et ne contrôle à présent qu'une partie minoritaire du territoire du pays. De son côté, le régime de Bagdad se trouve en partie « vassalisé », de facto , par celui de Téhéran -même si le gouvernement tente désormais de mener une politique plus « inclusive » vis-à-vis des sunnites, ce qui est indispensable pour vaincre Daech. À des degrés évidemment différents, une relégitimation politique de ces gouvernements s'imposera -tâche dont on mesure la complexité pour le régime syrien, responsable de 250 000 morts et de la destruction du pays-, mais aussi une importante reconstruction institutionnelle. Un modèle fédéral est-il la voie à suivre ? Des partitions pourront-elles être évitées ?

J'en viens enfin à l'enjeu des communautés, et à un troisième constat, dans le prolongement de ce que je viens de dire de la situation de Kurdes : l'importance des clivages communautaires qui divisent le Moyen-Orient -et que, pour sortir des crises, il faudra surmonter, d'une façon ou d'une autre.

Les Sunnites occupent une place centrale dans les scénarios de recomposition politique qu'on peut imaginer pour la région. En Irak, c'est en effet en grande partie sur le ressentiment éprouvé par la minorité sunnite après la chute du régime de Saddam Hussein que Daech a prospéré ; et le gouvernement actuel du Président al-Abadi, malgré ses déclarations de bonne volonté, est encore perçu comme dominé par les chiites et le « parrain » iranien : il semble toujours peiner, à l'instar de l'ancien Président al-Maliki, à donner satisfaction en termes de représentativité. Chacun sait le rôle, y compris militaire, que pourraient jouer les tribus sunnites. En Syrie, l'opposition à Bachar al-Assad relève certes du soulèvement contre une dictature, mais elle traduit aussi une rébellion de la majorité sunnite contre l'emprise de la minorité alaouite, associée au chiisme. Le sort des minorités persécutées -chrétiens, yézidis...- et l'épuration ethnique et religieuse qui s'est généralisée, laisseront des traces profondes.

Cela dit, les clivages confessionnels ne sont pas les seuls à prendre en considération. D'autres divisions de sociétés du Moyen-Orient apparaissent déterminantes quant aux potentialités du « vivre ensemble » de ces sociétés : celles qui distinguent les classes sociales, les populations rurales et les populations urbaines, les systèmes de solidarité de type clanique, d'autres oppositions locales, éventuellement linguistiques...

C'est dire la difficulté, mais aussi la nécessité, de dégager des solutions « inclusives » : celles qui permettront, dans l'après-Daech, de reprendre ou d'amorcer, pour ces peuples, des processus démocratiques de transition associant au pouvoir toutes les composantes, ethniques, religieuses, etc. de la société. Il s'agit d'échapper à l'alternative de la dictature et du chaos. De toute évidence, ce dessein si délicat à mettre en oeuvre requiert de concevoir, de façon toute pragmatique, des modèles ad hoc de reconstruction des États et des nations -sans chercher à plaquer, sur des réalités différentes, le schéma « prêt à l'emploi » du « state building » et du « nation building » à l'occidentale.

Dans cette perspective, il s'agit, pour la communauté internationale, de pouvoir parler à tous et de faire en sorte que tous se parlent. Mais, à cet effet, l'un des grands défis est bien sûr l'identification des bons interlocuteurs, et la nécessaire distinction entre les acteurs fiables -en Syrie, les composantes d'une opposition modérée au régime- et ceux, notamment, qui doivent être identifiés comme des terroristes.

A cet égard, la situation paraît actuellement claire en ce qui concerne Daech ; elle l'est beaucoup moins du côté d'autres organisations, par exemple le Front al-Nosra, quant aux liens qu'entretiennent avec lui certains rebelles syriens. La justice internationale devra, aussi, passer, pour punir les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité ; chacun connaît le travail diplomatique engagé à ce sujet, en lien avec les négociations de Genève.

Il n'est pas douteux que les différentes communautés sur place, elles-mêmes, et en particulier les communautés religieuses, pourront fournir des clés décisives d'ouverture du dialogue entre les interlocuteurs pertinents. Les échanges de cet après-midi doivent nous en apprendre davantage sur ce point. Puissent-ils éclairer d'un peu d'espoir la situation d'une région si durement éprouvée. C'est naturellement le voeu que je forme pour elle, et pour la suite des travaux de cette passionnante journée.

Merci pour votre attention.

M. Pierre Morel, Ambassadeur,

Directeur de l'Observatoire Pharos du pluralisme des cultures et des religions

Troisième table ronde

de gauche à droite : M. Andrea Riccardi, Fondateur de la Communauté Sant'Egidio
M. Bruno Retailleau, Président du Groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient et
M. Bruno Joubert,
ancien Ambassadeur de France près le Saint-Siège

DEUXIÈME PARTIE : COMMENT FAVORISER LES PROCESSUS DE RÉCONCILIATION ?

TROISIÈME TABLE RONDE : LES PROCESSUS DE RÉCONCILIATION : QUELLES LEÇONS TIRER DES RETOURS D'EXPÉRIENCE ?

M. Andrea RICCARDI Fondateur de la Communauté Sant'Egidio
M. Pierre MOREL Ambassadeur, Directeur de l'Observatoire Pharos du pluralisme des cultures et des religions
M. Bruno JOUBERT ancien Ambassadeur de France près le Saint-Siège
M. Jean-Pierre DENIS Directeur des rédactions La Vie, Prier et Histoire & Civilisations

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M. Bruno RETAILLEAU, Président du Groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient - Il ne peut y avoir de recomposition politique sans réconciliation, qu'il s'agisse ou non d'un gouvernement inclusif. Cette notion de réconciliation est une évidence. D'autres pays ont dû pratiquer une réconciliation, notamment en ex-Europe de l'Est ou en Afrique du Sud. Une guerre civile ne peut s'éteindre que dans un processus long et complexe.

M. Andrea RICCARDI - La réconciliation est un rêve encore lointain. Nous sommes toujours dans le cauchemar de la réalité. Je salue l'initiative du Sénat, qui souhaite penser à l'après-Daech, alors que, jusqu'à présent nous sommes intervenus à l'aveugle dans le monde arabe, ces dernières années, en Irak, en Lybie.

À l'ère post-idéologique de la mondialisation, la politique internationale a de plus en plus dévié vers le conjoncturel, négligeant la recherche d'une vision. L'intervention en Irak, comme la crise en Syrie, a provoqué une fragmentation des acteurs de la vie publique, qui constitue aujourd'hui la principale difficulté d'un processus de recomposition d'une communauté et d'une nation. Le Moyen-Orient de la Guerre froide, avec les nationalismes et le socialisme arabe, a progressivement disparu.

La religion agit aujourd'hui comme un grand protagoniste du Moyen-Orient, dans la motivation de groupes radicaux. En réalité, les communautés religieuses ne sont pas aussi compactes qu'on le dit. C'est le grand problème du Liban, aujourd'hui dans l'impasse, qui ne parvient pas à élire son Président, avec la complexité du jeu de groupes religieux. La réconciliation, dans la région, devra tenir compte du Liban. Il faut penser à toutes les communautés et toutes leurs situations.

La plus grande réalité religieuse au Moyen-Orient est l'Islam sunnite, divisé en son sein. L'identité sunnite ne suffit pas à créer la cohésion, bien qu'elle constitue un facteur important dans l'identification de plusieurs acteurs. La complexité n'interdit cependant pas une recomposition, qui nécessitera une véritable intelligence du terrain.

Les Sunnites se sont identifiés à Daech, par opposition aux Chiites irakiens et au régime d'Assad. Tous les Sunnites n'ont pas rallié Daech. Tout ne s'explique pas par l'identité sunnite. Donner au facteur religieux une portée totale revient à le surévaluer.

Un vaste monde sunnite souffre aujourd'hui de la guerre. Ce monde sunnite, moderniste à sa manière, a développé des « anticorps » vis-à-vis du totalitarisme islamiste de Daech et cherche à vivre près des Chiites ou des Alaouites. Il faut se demander quelles sont les autorités religieuses sunnites reconnues, alors que les autorités officielles étaient des émanations gouvernementales

Au Moyen-Orient, le poids de l'histoire est très fort. Le vaste monde sunnite ne s'est pas développé, comprimé par les régimes autoritaires. La révolte arabe non violente a été réprimée dès sa naissance en Syrie. Aucun débat politique n'a pu se développer. Il existe un vide de culture politique au Moyen-Orient. La politique est pourtant nécessaire à la réconciliation : une politique capable de dépasser les émotions, les fragmentations et les cristallisations qu'une guerre longue et destructrice a créées en Syrie et en Irak.

Dans l'histoire de la communauté Sant'Egidio, le processus de la réconciliation se déroule dans le cadre de la découverte de l'intérêt national commun, en cherchant ce qui unit et en mettant de côté ce qui sépare, comme cela s'est passé en Afrique du Sud ou au Mozambique.

Nous sommes confrontés à une équation à plusieurs inconnues, difficile à résoudre. La première inconnue tient aux phénomènes transversaux comme les réseaux claniques et les grandes familles qui conservent pouvoir, influence et richesse. Dans le cadre des stratégies régionales, l'entente entre les États-Unis et la Russie qui reconnaissent celle-ci au Moyen-Orient comme superpuissance, est un facteur-clé. Le cessez-le-feu apporte un nouvel éclairage à ce colloque, qui peut s'appuyer sur quelques espérances.

La guerre laisse un héritage de haine, de douleur et de mort. Sur le terrain, nous sommes confrontés à des acteurs idéologisés, mais aussi à des bandits, à des systèmes criminels et aux mafias. La pratique de la guérilla durant des années transforme tous les hommes sur le terrain.

Je songe au film italien Separati in Casa (cohabiter dans la même maison), (datant de 1986). Reste, pour la Syrie, l'hypothèse de la cantonisation, déjà expérimentée par la France dans les années 1920 et 30. Il est toujours difficile de créer les conditions de la réconciliation. Il faut se demander quel espace accorder à la minorité chrétienne, garantie de pluralisme, de démocratie et d'humanisme. Les chrétiens sont les sismographes de la crise : la crise commence lorsqu'on s'attaque à eux, avant les musulmans hérétiques, les laïcs, etc. La présence chrétienne est très importante pour l'écologie humaine et politique du Moyen-Orient. Les chrétiens vivaient avec les autres communautés dans les villes.

Alep a été un symbole dans cette guerre de Syrie. Sur 2 millions d'habitants, elle comptait 300 000 chrétiens. Elle était un modèle du vivre-ensemble. Nous avons lancé en juin 2014 un appel pour une zone de non-combat autour d'Alep, reprise sans succès par Staffan de Mistura. La destruction d'Alep se poursuit, celle des monuments, mais aussi celle de la culture de la nouvelle génération.

La réconciliation réaliste devra-t-elle procéder selon le schéma de Dayton ? Il ne sera pas possible de ramener à des ensembles cantonaux certains pouvoirs présents sur le terrain. Quelle position aura l'Armée du Sud ? Quel rôle donner aux exilés ? La trêve marque une première étape vers la réconciliation. Nous devons beaucoup travailler et réfléchir sur une vision du futur pour ne pas reproduire les erreurs du passé.

M. Pierre MOREL - Je n'ai jamais servi au Moyen-Orient. Je peux néanmoins apporter un retour d'expérience dans d'autres conflits, tels que la Yougoslavie, la Guerre du Golfe, la Géorgie ou l'Ukraine.

L'Observatoire Pharos est né en août 2008 à la suite des attaques ciblées, féroces et multiformes contre les chrétiens à Bagdad. Nous sommes engagés pour trois ans, avec des financements européens, pour la défense des acteurs du pluralisme au Proche et au Moyen-Orient.

Il n'existe pas de précédent à ce conflit multiforme auquel nous faisons face. Nous avons affaire à une secousse historique, partie d'une révolution théocratique en Iran, parallèle avec l'invasion russe de l'Afghanistan qui marque le début de l'échec d'un socialisme historique porté par plus d'un siècle d'idéologie.

Nous sortons du cadre classique. Il n'est pas question d'un conflit interétatique. On a plusieurs États qui sont, non pas simplement en conflit, mais remis en cause. Il est frappant de constater l'absence de conférence internationale, avec un traitement au coup par coup car les conflits sortent des catégories connues (Guerre froide, décolonisation, combat de libération, etc.). Ce dérèglement du système international doit être pris en compte pour comprendre à quel point la situation est complexe. Les conflits sont en outre prolongés, ce sont des guerres au milieu des peuples, avec des formations et des modes d'intervention assez déconcertants. La puissance mobilisatrice du religieux, qui est un produit de la mondialisation, est entrée en action directe. Nous avons observé une démultiplication des foyers. Il semble utopique de parler de réconciliation dans un tel contexte et face à la barbarie.

Les premières expulsions de chrétiens de la plaine de Ninive ont été le fait de leurs voisins de toujours et non simplement de Daech : il y a eu rupture du pacte élémentaire de confiance multiséculaire. Toutes les guerres civiles procèdent avec la terrible logique du « eux ou nous ». À partir de cela, plus aucun lien social ne retient le déchainement de la violence jusqu'à l'extrême. L'arrivée des troupes américaines en Irak en 2003 a été un accélérateur de ce processus. Ce basculement d'un nationalisme arabe dans l'échec ultime a abouti à une conversion dans un messianisme pourtant à l'opposé. Il y a pire encore, avec la mise en place de réseaux mafieux et de zones de non-droit, tout ceci étant greffé sur le pétrole, premier objet de convoitise, coeur du fonctionnement du monde.

Comment gérer l'après-Daech ? Misons sur l'immatériel. Les sanctuaires repoussent comme des arbres, même dans les pays qui ont été « nettoyés ». L'immatériel est un levier d'une puissance considérable.

Pour avancer dans la réconciliation, il ne faudra jamais lâcher le fil de la médiation. Il faut montrer que la conviction d'une réconciliation possible est plus forte que la guerre, car la guerre n'est pas un état normal.

Deuxièmement, il faut s'appuyer sur la « longue mémoire ». Ce que l'on croit oublié est en fait toujours présent. En Centrafrique, pour comprendre la Seleka, il faut remonter aux razzias d'esclaves des XVII e , XVIII e et XIX e siècles qui sont dans le réflexe profond des populations, avec ce sentiment de terreur qui rompt le lien social.

Troisièmement, la compassion. Chacun doit reconnaître la douleur de l'autre.

Quatrièmement, croiser les récits car il ne peut pas y avoir d'explication unique devant des mutations aussi complexes.

Quel chemin pour cette réconciliation ? C'est la règle de droit. La seule langue commune universelle, acceptable de tous, reste le droit, qui doit s'appliquer partout. Il faut également passer par l'oubli, le pardon et la réconciliation. Paul Ricoeur, qui est pour moi la référence absolue en matière d'oubli et de pardon, déclarait « Tu vaux mieux que tes actes » . Ensuite, la justice transitionnelle est essentielle. Enfin, il faut reconstruire le récit, en sollicitant l'immatériel et la mémoire.

Creusons la notion de vivre-ensemble, l'art de vivre-ensemble, l'art de « faire cité » ensemble. La diversité des situations appelle la diversité des acteurs, quelle que soit leur « étiquette ».

M. Bruno RETAILLEAU - Il ne peut y avoir de réconciliation sans compassion et sans pardon. Il faut se souvenir de l'oubli et des pathologies de la mémoire, comme l'a très bien dit Paul Ricoeur dans Mémoire, Histoire et Oubli .

M. Bruno JOUBERT - Je souhaite vous livrer quelques réflexions sur cette question de la réconciliation et de la présence des Chrétiens d'Orient.

Nous constatons une faillite des grandes puissances diplomatiques. J'ai d'abord pensé que le conflit en Syrie ne durerait pas plus de trois semaines. Le coup d'arrêt a été donné en septembre 2013, lorsqu'après l'utilisation de l'arme chimique sur les populations, il n'a plus été possible de ne pas intervenir. États-Unis, Royaume-Uni et France ont lancé des frappes. Le Saint-Père, quant à lui, a suggéré de jeûner et prier, convaincu que les frappes seraient inutiles et qu'il n'existait pas d'issue à la violence. Il a fallu attendre janvier 2016 pour que les États parviennent ensemble à la conclusion que les frappes n'étaient pas la bonne solution. Il faut cesser cette escalade de la violence pour entrer dans une logique vertueuse. La piste est fondamentalement la bonne pour redonner espoir aux minorités, notamment aux Chrétiens d'Orient.

La réconciliation est difficile. L'Afrique du Sud, avec la chute de l'Apartheid, a été une embellie avec le pardon et la réconciliation en des termes politiques et non seulement humains, sans effusion de sang, dans un XX e siècle qui a été un sommet dans l'horreur de l'Histoire des hommes. Quelle mécanisme a permis de parvenir à cette réconciliation ? Pouvons-nous appliquer ces recettes au Proche et au Moyen-Orient ? Il n'existe malheureusement pas de recette.

Il y a, parmi les présupposés, la question de la vérité. Il faut accepter de considérer que l'on a également contribué à la violence. Il s'agit de comprendre comment on devient bourreau ou victime. Sans projet commun considérant qu'il y a plus à gagner à surmonter les divergences, il n'y a pas de réconciliation possible. Je ne suis pas totalement convaincu que des démarches du type vérité-justice-réconciliation fonctionnent au Moyen-Orient. Néanmoins, nous pouvons en retenir que la cohabitation suppose d'accepter de porter une part de la responsabilité de la situation.

Enfin, comment préserver l'avenir des Chrétiens d'Orient ? Ni au Moyen-Orient ni en Occident, nous n'avons pris conscience de ce que sont les minorités, et notamment les Chrétiens d'Orient. L'opinion française ne sait pas qu'ils sont arabes, les héritiers les plus anciens de notre patrimoine. Nous devons avoir une réflexion sur ce sujet.

Nous avons assisté à la chute des États au Moyen-Orient. Il ne peut exister de position durable pour une minorité si le sujet n'est appréhendé qu'en termes de communauté. La citoyenneté est un prérequis de base : dans un État, chaque citoyen est égal à ses concitoyens. Derrière cette notion vient celle de la liberté religieuse, dont le Saint-Siège fait une sorte de baromètre. Reconstruire la place des minorités au Proche et au Moyen-Orient passera également par l'examen de ce critère de la liberté religieuse.

L'illusion de la démocratie pure et parfaite n'existe pas. Le Liban a connu une tragédie. Dans ce Moyen-Orient complexe, morcelé, il a mis en place un système démocratique, où les communautés cohabitent et où le respect des uns et des autres s'instaure progressivement. Ce modèle pourrait être repris dans divers pays du Moyen-Orient.

Je salue enfin l'action de Sant'Egidio pour la Syrie en particulier, dès 2012. Cet accompagnement est un chemin qui doit être entretenu, car il est celui qui maintient l'espoir.

M. Jean-Pierre DENIS - En tant qu'éditorialiste, j'écris toujours sur ces sujets avec l'impression que la matière est extrêmement mouvante. Des erreurs grossières ont été commises au cours des dernières années. Laurent Fabius et Barack Obama, pensaient par exemple, fin 2012, que la chute du régime d'Assad était imminente.

Daech a revendiqué les attentats du 13 novembre 2015 avec une formulation particulièrement choisie : « Un groupe de croyants des soldats du califat a pris pour cible la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe » . Ce discours doit être pris au sérieux : il vise à réactiver un imaginaire. Nous avons besoin d'outils permettant de s'intéresser à nouveau à cette question de l'imaginaire et de ne pas laisser le monopole à ces mouvements fondamentalistes et totalitaires. S'intéresser à ces représentations mentales nous aiderait à sortir du triangle infernal du moralisme selon lequel puisque le régime d'Assad est mauvais, il ne peut que tomber, du cynisme et de « l'à-quoi-bonisme ».

Le pardon peut-il être une forme supérieure de réalisme pour penser cette crise, qui risque fort de s'aggraver en 2016 ? Je songe à la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud ou aux négociations à Cuba sur le conflit en Colombie, avec la volonté de parvenir à une forme raisonnable de justice intégrant une partie de sanctions pour des comportements inacceptables.

Dans ce conflit, les niveaux d'implication vont du local à l'international. Beaucoup de crimes commis relèvent de la justice internationale (crime contre l'humanité). Il sera très difficile de mettre en oeuvre cette justice internationale, même si ces crimes sont imprescriptibles. Il faudra inventer un cadre différent.

Je m'en tiendrai à un travail modeste de préguérison des mémoires, invitant à préserver les passerelles de dialogue existantes, à se garder aussi de l'excès de vérité et à entreprendre un travail éducatif. Je suis frappé de l'attitude des chrétiens, en particulier en Irak : leur discours n'est pas un discours de vengeance, mais est déjà un discours de pardon. Ils seront peut-être ceux qui pourront réconcilier le Proche-Orient avec lui-même. Ne perdons pas de vue qu'il existe des « justes », y compris sous l'emprise de Daech.

La mission de la France ne pourrait-elle pas être de préparer les futurs cadres ? De reconnaître leurs métiers, leurs diplômes, leur savoir-faire, leur capacité de reconstruire demain leur pays ? Les réfugiés ne sont pas seulement une menace pour la France. J'invite les responsables politiques à fonder un Institut pour la paix et la reconstruction future du Moyen-Orient, avec des jeunes gens qui seraient les acteurs de demain.

Quatrième table ronde : de gauche à droite

M. Youssef Thomas Mirkis, M. Bruno Retailleau,

M. Abbas Halabi et Mgr Pascal Gollnisch

Mgr Louis-Raphaël Sako Patriarche de l'Eglise chaldéenne

QUATRIÈME TABLE RONDE : LE RÔLE DU RELIGIEUX DANS UN PROCESSUS DE RÉCONCILIATION AU MOYEN-ORIENT

Mgr Louis-Raphaël SAKO Patriarche de l'Eglise chaldéenne
Mgr Pascal GOLLNISCH Directeur de l'OEuvre d'Orient
M. Abbas HALABI Président du Groupe arabe du dialogue islamochrétien
Mgr Youssef Thomas MIRKIS Archevêque de Kirkuk

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Mgr Louis-Raphaël SAKO - Je remercie la France pour sa solidarité envers l'Irak et en particulier envers la minorité chrétienne. La spiritualité est la base de la réconciliation. J'ai appelé à plusieurs reprises les musulmans à une année de miséricorde face à la mentalité tribale de vengeance.

Quatre risques nous menacent.

Le premier est l'économie irakienne, affaiblie par la corruption et les vols. L'Irak n'a pas les moyens de payer les salaires de ses soldats : comment combattre Daech sans eux ?

Le deuxième est la religion, en particulier l'extrémisme islamique et le radicalisme qui dénoncent l'absence de valeurs en Occident. Aujourd'hui, il n'y pas qu'un seul Islam. Les Sunnites et les Chiites se présentent comme appartenant à deux religions séparées. Deux pays gouvernent tout cela : l'Iran et la Turquie.

Le troisième est Daech. Le groupe le plus fort en Irak est aujourd'hui Daech, qui dispose d'armes, d'argent et de djihadistes. C'est un véritable État. Le gouvernement irakien est très faible. L'armée est très sectaire. Les Américains ont détruit l'État irakien et apporté une culture sectaire. Daech est dirigé par les grands généraux de l'ancien régime, bien formés et préparés puis mis dehors par le gouvernement. Je n'ai pas le sentiment qu'il existe une volonté sérieuse de combattre Daech et le radicalisme musulman. Les chrétiens et autres minorités ont payé un lourd tribut. Ils sont considérés comme des hérétiques. 120 000 chrétiens de la plaine de Ninive ont été chassés et vivent dans des camps depuis dix-huit mois. La mentalité orientale n'est pas celle de l'Occident. Le système repose sur un cheikh . À mon sens, il faut un « dictateur » juste. Il faut quelqu'un pour guider le pays. Aujourd'hui, l'Irak est divisé, mais également les chiites et les sunnites en son sein. L'anarchie est aujourd'hui totale en Irak. Il n'y a ni démocratie, ni liberté, ni prospérité.

Le quatrième risque est la politique occidentale, qui défend avant tout ses intérêts. Les Irakiens sont les victimes de la politique occidentale. Où sont les droits de l'homme dont les pays occidentaux parlent ?

Malgré tout, nous gardons espoir. Le mal n'a pas d'avenir. Aucune guerre n'a duré éternellement.

Il faut aider ces pays à séparer religion et politique. La religion est un rapport entre l'individu et Dieu. Il faut séparer la religion de l'État et créer un régime civique et civil, avec une laïcité positive, qui respecte les valeurs religieuses.

Nous avons besoin d'un projet sérieux de citoyenneté. Je suis avant tout citoyen irakien, quelle que soit ma religion. Un projet de citoyenneté peut aider à la réconciliation. Il faut changer de Constitution afin que celle-ci ne mentionne pas la religion.

Il est essentiel de mener une action auprès des autorités musulmanes pour faire changer les programmes d'enseignement religieux. La liberté est un don de Dieu, pour tous. Elle doit être respectée. Il faut enfin demander que les autorités chiites condamnent les attaques contre les innocents. La communauté internationale doit faire pression sur les autorités religieuses chiites afin qu'elles condamnent Daech et non seulement les conséquences de Daech. Les Chrétiens d'Orient sont très appréciés en Irak. Nous resterons jusqu'au bout. Nous sommes les frères des musulmans. Tous les musulmans ne sont pas fanatiques et ne sont pas Daech. Nous devons soutenir et appuyer les bons acteurs pour l'avenir de l'Irak. Si les murs sont si hauts entre les composantes chiites et sunnites de l'Irak, une fédération peut sauver l'unité du pays.

L'idéologie extrémiste est un véritable cancer pour le Moyen-Orient.

M. Bruno RETAILLEAU - Je vous remercie pour cette leçon de réalisme, mais surtout d'espérance.

Mgr Pascal GOLLNISCH - Je me permets de souligner que nous sommes très loin de la destruction de Daech, qui progresse beaucoup depuis 18 mois. Aucun mètre carré de la plaine de Ninive n'a pu être libéré. Si un début d'action n'était pas entrepris dans les semaines à venir, les populations chassées en juillet 2014 quitteraient l'Irak, car elles sont aujourd'hui désespérées.

Il faut prévoir dès à présent l'après-Daech, avec un projet politique clair. La solution sera certes politique, mais des résultats militaires semblent indispensables aujourd'hui. Depuis le début de la coalition en Irak, 15 000 djihadistes ont été tués. Dans la même période, 15 000 combattants étrangers ont rejoint Daech par la frontière avec la Turquie. Tant que cette frontière ne sera pas fermée, l'action militaire sera inefficace.

Le projet de traité entre l'Union européenne et la Turquie est étonnant. Il se pose certes un problème de migrants. Il est faux d'imaginer résoudre ce problème en octroyant 6 milliards d'euros à la Turquie, en relançant le processus d'intégration de la Turquie à l'Union européenne, en donnant aux citoyens turcs le droit d'entrée en Europe sans visa et en donnant à la Turquie le statut de pays sûr. Je me permets de souligner que des centaines de milliers de Kurdes sont aujourd'hui sur les routes dans le sud-est de la Turquie pour fuir des massacres. Le conflit entre les Turcs et les Kurdes n'est pas d'ordre religieux, car ils sont tous sunnites. Les religions ne sont pas toujours source de conflits.

Notre table ronde évoque le travail des religions/religieux. La religion n'est pas une catégorie homogène. Nous croyons au respect dû à toutes les croyances. Pour autant, les ensembles yézidis, chrétiens, musulmans, etc. ne sont pas homogènes. La laïcité à laquelle nous sommes attachés fait de toutes les religions une même réalité.

M. Abbas HALABI - J'appartiens à la communauté druze. Cette appartenance m'a permis de mieux comprendre ce qui fait la force, mais aussi la faiblesse des minorités de la région.

Fruits de découpages arbitraires, après la chute de l'Empire ottoman, les pays de cette région sont une mosaïque de religions et d'ethnies qui ont fini par créer une culture moyen-orientale commune dont les deux piliers sont le Christianisme et l'Islam. Après la fin du colonialisme, ces pays ont connu des périodes de perturbations et sont tombés sous le joug de pouvoirs prétendument laïcs et progressistes, mais en réalité autocratiques et tyranniques qui les ont privés de leurs libertés et droits fondamentaux et ont figé la vie politique, ce qui a abouti à l'éradication de toute forme d'opposition civile en faveur du renforcement des oppositions à caractère religieux et intégriste. Cette situation a conduit au réveil des mouvements nationaux qualifiés de Printemps arabes, que les nouveaux moyens de communication ont sans doute facilités. Partout, des revendications sociales, économiques et de liberté d'expression, portées par un mouvement civil, ont été à l'origine de ce phénomène. Ils étaient cependant insuffisamment structurés. Les pays où dominent une majorité confessionnelle, comme l'Égypte ou la Tunisie, sont parvenus à retrouver un certain équilibre grâce à des mécanismes internes de réajustement. En revanche, les pays composés de plusieurs confessions ou communautés ont connu une guerre civile qui a abouti à des exactions, au démantèlement des institutions et à l'exode des populations. Cette situation a alimenté des tensions religieuses. Le conflit politique et social a dégénéré en conflit religieux, le plus sérieux opposant Sunnites et Chiites.

De ce Moyen-Orient « boîte de Pandore » est sorti un monstre nourri pendant des décennies au discours religieux de certaines écoles de théologie. Ces dernières ont propagé la haine non seulement envers ceux qui appartiennent à d'autres religions, mais également envers les gouvernants qui les ont maintenus dans un état de pauvreté et d'ignorance. Les extrémistes qui disposent de moyens importants ont endoctriné les jeunes et les ont entraînés à la « Guerre sainte » en faisant passer les appartenances idéologiques et religieuses avant l'appartenance nationale. La consécration de l'Islam comme religion d'État dans certains pays, avec la charia comme source de toute législation, a contribué à accentuer cette tendance. La politique désastreuse des États de la région a fait le reste.

Dans cet environnement d'instabilité, la communauté internationale s'interroge aujourd'hui sur la façon de réconcilier toutes les composantes de ces pays, dans un Moyen-Orient dévoré par les flammes et où l'extrémisme religieux est devenu une priorité. Le Liban vit une période de déchirement interne, en témoigne l'absence d'un Président de la République après vingt-deux mois de vacance. Le Liban a toutefois trouvé des solutions pour rétablir une coexistence pacifique dans un processus de réconciliation après les déchirements de la Guerre civile. Le Liban a été au cours des siècles un refuge pour toutes les minorités persécutées en raison de leur appartenance religieuse ou ethnique. Ces minorités ont vécu ensemble durant de nombreux siècles. Le maintien de cette diversité en a fait un exemple de coexistence.

Quelles solutions le Liban a-t-il apportées aux conflits intercommunautaires et comment a-t-il préservé le droit de ses citoyens ? Tout d'abord, la Constitution libanaise constate dans divers articles le droit des communautés à l'existence ainsi que la nécessité d'établir entre elles un équilibre. Par ailleurs, le Document d'entente nationale considère comme illégal tout pouvoir qui ne respecterait pas la coexistence et la parité islamo-chrétienne. La Déclaration universelle des droits de l'homme fait partie intégrante de la Constitution. L'article 9 stipule de manière générale que l'État rend hommage à Dieu et admet le principe de la liberté de croyance. La Constitution reconnaît ainsi l'existence, au Liban, de dix-huit communautés religieuses (douze chrétiennes, cinq musulmanes et une israélite). L'appartenance à la communauté est une condition de l'appartenance des Libanais à leur État : la citoyenneté passe par l'appartenance communautaire. L'article 95 stipule que la politique communautaire est provisoire et que l'État doit oeuvrer à l'éliminer progressivement, mais ce provisoire dure. La Constitution stipule également que la représentation politique doit être paritaire entre chrétiens et musulmans, sans tenir compte de la répartition démographique confessionnelle de la population, au sein de laquelle les musulmans sont majoritaires. Cette parité est respectée uniquement pour des postes de première catégorie dans la fonction publique, ainsi que dans les forces armées et la magistrature. Il est laissé aux communautés une liberté d'enseignement et le droit d'avoir leurs propres écoles, universités, et institutions sociales.

Les communautés religieuses, au Liban, ont fait face à de multiples épreuves et ont relevé divers défis, qui les ont divisées en clans politiques qui reflètent le conflit entre Sunnites et Chiites. Dans ce contexte tendu, la situation des chrétiens s'est aggravée. Les lois successives ont marginalisé leur représentation et les ont rendus tributaires des leaderships musulmans. Des divisions sont apparues entre les chrétiens, surtout au sein de la communauté maronite, et ont aggravé la précarité de la situation des chrétiens. Cet affaiblissement de leur communauté a poussé beaucoup de chrétiens à l'exil, ce qui a accentué le déséquilibre démographique. Le conflit entre Sunnites et Chiites s'est exacerbé avec la participation du Hezbollah aux guerres en Syrie, au Yémen, etc., et la multiplication des cellules djihadistes. Le conflit régional entre Sunnites et Chiites s'est ainsi répercuté sur la situation sécuritaire des politiques libanaises, avec l'impossibilité de s'accorder pour procéder à l'élection d'un Président de la République et la paralysie de l'activité réglementaire. Il en résulte une instabilité sécuritaire accrue et l'incapacité des autorités à régler les problèmes urgents, d'où l'aggravation de la situation économique et sociale de la population. Aucune communauté libanaise n'est tranquille dans cette conjoncture.

Il faut restaurer la coexistence et le partenariat. La prise de conscience de la communauté musulmane l'a amenée à condamner les exactions et les massacres dont ont été victimes les communautés non musulmanes au Moyen-Orient. La société civile libanaise a joué un rôle fondamental dans le phénomène de réconciliation. Les Libanais se rassemblent aussi toutes confessions confondues dans les fêtes nationales comme celle de l'indépendance. Les autorités religieuses participent à la consolidation de ce phénomène et encouragent le dialogue conciliateur au niveau national.

La Constitution libanaise a prévu la création d'un Sénat où toutes les communautés seraient représentées et dont les prérogatives seraient limitées aux affaires nationales. L'objectif de cette institution serait de rassurer les communautés quant à leur sécurité et leur liberté. La création de ce Sénat accompagnerait l'élection d'un Parlement laïc sans répartition confessionnelle. Ceci nous semble encore très lointain.

Sur le plan de la vie publique, il n'est nul besoin de réconciliation, car la dynamique de la société libanaise et le caractère unique des Libanais sont une garantie pour la sauvegarde des droits de tous.

En dépit de tous ces efforts et de leur impact positif sur la société, la situation continue d'être dramatique, car le conflit islamo-chrétien s'est transformé en conflit islamo-islamique. Dans les pays où la religion fonde le pouvoir, le conflit vise à éliminer les personnes qui ont une autre religion ou en ont une vision particulière.

Les chrétiens arabes sont une minorité dans un monde islamique. Ce problème devrait être résolu par les deux parties concernées, et ne peut l'être que si des changements radicaux sont opérés, avec la volonté de créer un État national basé sur le bien commun du peuple, sur l'avancement de la science et de la civilisation, ainsi que sur l'égalité juridique et la justice pour tous. Il faudrait aussi cesser de politiser et d'instrumentaliser la religion, et s'attacher uniquement à son essence.

Parler des chrétiens et de leur avenir revient à aborder tous les problèmes de la cause arabe. Les événements ont clairement démontré que le régime libanais de 1926 avait vu juste en intégrant dans sa Constitution la liberté absolue de croyance. C'est le mélange entre le religieux et le civil dans la sphère publique qui a causé la désintégration des sociétés arabes, surtout celles qui ont proclamé une religion spécifique comme religion d'État, conduisant inévitablement à une inégalité dans les droits des citoyens et à une mise en cause de leur allégeance envers l'État. L'exemple libanais a réussi à créer un environnement où toutes les communautés se sentent en sécurité et où nul ne se voit interdire de pratiquer son culte. Les Libanais ont le devoir de préserver cet exemple viable en dépit des difficultés actuelles. Il est grand temps de mettre en oeuvre les mesures prévues par la nouvelle Constitution telles que la décentralisation, la création d'un Sénat et la refonte du système politique pour mettre fin à la mainmise des milices sur le gouvernement.

L'exemple libanais, où toutes les communautés vivent ensemble dans le respect et la liberté, doit être sauvegardé, car la région tout entière en a besoin. La France peut aider à la préservation de la présence chrétienne au Liban à travers la recherche d'une solution politique, en encourageant les chrétiens à rester attachés à leur terre et en soutenant leur présence politique et économique. Les Nations Unies ont également un rôle à jouer dans ce processus de sauvegarde du Liban et des Libanais, car elles constituent une autorité morale qui élabore des lois transcendant les lois nationales. Elles peuvent préserver le Liban des attaques israéliennes et le protéger des infiltrations terroristes venant de la Syrie. Seul un État séparé du religieux est à même de sauvegarder la paix et la stabilité. Il n'y aura de stabilité pour les relations islamo-chrétiennes que dans la citoyenneté et le partenariat.

Mgr Pascal GOLLNISCH - Je vous remercie de votre intervention. Vous démontrez qu'il existe, dans toutes les religions, des hommes de paix et de dialogue.

Je considère qu'il ne faut pas toucher aux frontières de la Syrie et de l'Irak, qui existent depuis plus d'un siècle. Il faudrait parvenir à un projet régional pour chacun de ces pays. Il sera difficile de remettre ces peuples sous une autorité unique en quelques semaines. La solution de realpolitik , transitoire, sera cette autorité régionale, dans l'attente du processus national.

Je suis heureux de constater que la Russie redevient un interlocuteur. Faute de l'avoir considérée comme une puissance avec laquelle négocier, nous sommes aujourd'hui confrontés à une superpuissance.

Fidèles à leur conviction, à l'Évangile, puissance d'éducation, les chrétiens sont des acteurs de pardon. Ils demandent à Dieu de leur donner la force de pardonner à ceux qui leur ont fait du tort, sans cris de vengeance ni cris de haine.

Mme Mouna MONSOUR, Présidente de l'association Au Coeur sans frontières - En attendant la réconciliation, il est indispensable d'agir pour tous les Syriens encerclés par Daech et massacrés. Nous demandons que leur soit accordé un visa temporaire.

Mgr Pascal GOLLNISCH - J'ai appelé à la neutralisation de Daech, ce qui n'est pas évident pour le prêtre que je suis, car cela implique une intervention militaire. En attendant, il faut songer à ces populations et à l'urgence humanitaire, et sans doute aider ces populations à rejoindre des zones pacifiées où elles seront en sécurité pour une période transitoire.

M. Patrice MOUCHON, Président de l'association d'Amitié France-Syrie - L'association d'amitié France-Syrie (AFS) regroupe des Français et des Syriens de toute opinion, ce qui fait sa force. Nous travaillons en étroite collaboration avec le groupe d'amitié France-Syrie du Sénat, présidé par M. le Sénateur Vial, que nous remercions très vivement. De cette étroite collaboration est née l'idée de ce colloque et que s'est imposée la nécessité de faire connaître d'une manière plus objective les réalités de cet épouvantable conflit que déchire ce pays, depuis cinq ans.

Il est maintenant avéré que l'issue de ce conflit ne sera pas militaire mais politique.

Le terme « Politique » signifie dans l'esprit de beaucoup de Syriens, qu'un changement radical intervienne dans la position et l'attitude des puissances régionales et internationales, dans la position des opposants et du Gouvernement Syrien.

La fixité des positions a conduit au désastre.

Bouger les lignes, c'est faire preuve d'intelligence au service du dialogue et de la paix.

Cette conférence autour de cette Syrie que nous aimons et voulons retrouver voire recréer doit, grâce à la collaboration d'éminents intervenants, dégager les lignes de forces qui mèneront à placer autour d'une table de négociation les protagonistes de ce drame, et surtout à préserver ce qui fait la spécificité de ce pays dans son environnement géographique instable, je veux dire la cohabitation harmonieuse de communautés et de confessions qui ont su suivre ensemble, pendant des millénaires.

A l'AFS, nous souhaitons de tout coeur que ces objectifs soient atteints et que ce colloque marque d'une pierre blanche le début d'une prise de conscience pour arrêter ce massacre.

M. le Sénateur Vial, dans la lettre qu'il nous a adressée, a dit « Au coeur des civilisations arabo-musulmanes, la Syrie et l'Irak, ont montré depuis bientôt quatorze siècles la capacité à faire vivre l'entente inter-religieuse dont l'enjeu est devenu un défi pour le Moyen-Orient mais également pour l'Europe ».

Quant à Daech et Jabhat al-Nosra, je me contenterai de citer Ibn Arabi, mort à Damas en 1240. « Mon coeur est devenu capable de prendre toutes les formes. Il est pâturage pour les gazelles et couvent pour les moines. Temple pour les idoles et Kaaba pour le pèlerin. Il est les tables de la Torah et livre du Coran. Il professe la religion de l'Amour quel que soit le lieu vers lequel se dirigent les caravanes. Et l'Amour est ma loi et l'Amour est ma foi ».

C'est toujours en s'élevant que les problèmes trouvent une solution.

Père Blanc, membre des Missionnaires d'Afrique - Le sous-titre de ce colloque, « Les conditions d'un retour à la paix au Moyen-Orient », est important. Tous les croyants doivent apporter leur contribution à la justice. Une des conditions de la paix au Moyen-Orient est le traitement du problème des Palestiniens, qui souffrent et subissent depuis trop longtemps une injustice. Le Pape François a estimé la situation en Terre sainte de plus en plus inacceptable. Nous, croyants, devons, avec nos frères non croyants, chercher comment résoudre la situation en Terre sainte. Les décisions de l'ONU sur Jérusalem ne sont pas appliquées. Nous devons, ensemble, pour des raisons de conscience et de foi, insister auprès des pouvoirs politiques en Europe et au-delà pour mettre fin au drame israélo-palestinien.

M. Youssef Thomas MIRKIS - Ce qui m'ennuie dans ce monde est que les intelligents doutent et les idiots sont sûrs de ce qu'ils savent.

Notre monde est divisé en deux parties : ceux qui sont bien dans leur cocon et heureux, avancent, parlent de l'avenir, et les autres, qui restent dans l'inertie, comme l'iceberg face au Titanic. Les civilisations qui ne pensent pas à l'avenir souhaitent continuer à vivre comme elles ont toujours vécu. Si vous ouvrez la porte aux réfugiés, l'inertie entrera chez vous s'ils n'arrivent pas à s'intégrer, ce qui n'est pas toujours facile.

Nous avons toujours été une passerelle de culture et de dialogue. Il serait dommage que l'Irak, la Syrie et le Proche-Orient soient vidés de leurs chrétiens. Nous avons une autre page à écrire en tant que Chrétiens d'Orient.

CLÔTURE

M. Bruno RETAILLEAU Président du Groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient

Mesdames, Messieurs,

Ce colloque a été absolument passionnant.

Il ne peut pas y avoir de solution uniquement militaire. Comme le disait Clemenceau, la paix ne se gagne pas avec la guerre. Il est important de se projeter et de poser les bases d'une solution. Cette proposition de se projeter dans l'avenir n'était pas une facilité pour oublier le présent. Il ne s'agit pas d'oublier les souffrances des Irakiens, des Syriens, ou des communautés chrétiennes.

Les chrétiens sont des signaux de la liberté et de la tolérance dans les pays du Moyen-Orient.

Ce qui se passe au Moyen-Orient représente une onde de choc sur la France et toute l'Europe, avec, pour commencer, le drame des réfugiés sur lequel l'Europe se disloque aujourd'hui. Je ne suis pas satisfait du préaccord avec la Turquie signé en début de semaine. Le monde occidental s'est réveillé de sa chimère. Le tragique est de retour sous sa forme la plus brutale et la plus archaïque, avec une guerre de religion.

Nous sommes réveillés brutalement par l'avènement du tragique. L'humanité ne va pas spontanément vers l'avènement d'une démocratie universelle. Nous devrons prendre de bonnes décisions et comprendre les mécanismes de fragmentation dus à des erreurs de l'Occident mais pas seulement. On ne peut pas réduire à une seule cause tous les évènements qui sont en train de se dérouler sous nos yeux.

En Occident, nous avons du mal à comprendre la dimension religieuse des conflits. Un certain nombre d'entre vous ont appelé à un régime de séparation du spirituel et du religieux. La communauté par excellence n'est ni ethnique ni religieuse, en ce qu'elle permet de transcender des différences liées au religieux et à l'appartenance ethnique. Le travail de reconstruction, long et laborieux, devra permettre de dépasser les affrontements ethnico-religieux.

Nous avons beaucoup parlé du rôle de la mémoire, qui suppose une forme de vérité et de justice. Il faut parfois savoir passer au-dessus de certains événements.

Le pardon a été évoqué à la fois par des religieux et des laïcs. Dans l'histoire collective des hommes, comme dans leur histoire personnelle, le pardon n'est pas seulement le fait du religieux. Sa dimension anthropologique est importante : elle confère au pardon une forme d'universalité, qui est, selon moi l'humanité du pardon.

Le pardon a la double vertu de relever à la fois la victime et le bourreau. Nelson Mandela avait déclaré que le pardon permettait de redonner une part d'humanité tant à la victime qu'au bourreau. Hannah Arendt a eu une très belle phrase, déclarant « Là où tout semblait avoir pris fin, le pardon permet un nouveau recommencement » . Nous en sommes là. Il n'y aura pas de jour d'après si ces sociétés multifracturées ne trouvent pas le chemin de la réconciliation.

Je remercie tous les intervenants de ce colloque. Le Sénat se mobilise sur cette cause importante qui concerne une région du monde qui nous est chère, mais aussi notre propre patrie, la France.


* (1) Membres du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient présidé par M. Bruno RETAILLEAU :

http://www.senat.fr/commission/groupe_solidarite_chretiens_et_minorites_moyen_orient.html

Membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Irak: présidé par M. Bernard CAZEAU :

http://www.senat.fr/groupe-interparlementaire-amitie/ami_615.html

Membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Syrie présidé par M. Jean-Pierre VIAL :

http://www.senat.fr/groupe-interparlementaire-amitie/ami_644.html

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N° GA 137 - Mai 2016

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