OUVERTURE

M. Hervé MAUREY, Président de la commission de l'Aménagement du Territoire et du Développement durable, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Ukraine

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de remercier Son Excellence M. Oleg Shamshur, ambassadeur d'Ukraine en France, d'avoir pris l'initiative d'organiser ce colloque qui réunit des intervenants de haut niveau, et d'avoir sollicité le Sénat pour accueillir cet événement.

C'est un plaisir et un honneur pour moi, en ma double qualité de Président de la commission de l'Aménagement du Territoire et du Développement durable du Sénat et de Président du groupe d'amitié France-Ukraine, de co-présider ces échanges dont je sais par avance qu'ils seront à la fois passionnants et trop courts.

Il n'est pas possible de prendre la parole en ce jour de trentième anniversaire de l'accident nucléaire de Tchernobyl sans évoquer d'abord la mémoire des victimes de cette catastrophe.

D'abord celle des pompiers, des pilotes d'hélicoptères et des techniciens qui ont été dépêchés sur place la nuit du drame, souvent sans protection, et dont beaucoup n'ont pas survécu plus de quelques jours ou de quelques semaines aux effets des radiations.

Celle ensuite de ces centaines de milliers de « liquidateurs » (je note que personne n'est à ce jour capable d'en évaluer le nombre avec précision ; Mme Galia Ackerman, qui nous fait l'honneur de sa présence aujourd'hui, estime qu'ils ont été près d'un million) : ces militaires, ces scientifiques, ces ingénieurs, ces ouvriers, chargés du nettoyage du site dans les mois qui ont suivi, qui se sont exposés en pleine connaissance de cause aux radiations et qui se sont « sacrifiés » pour protéger leurs concitoyens.

Je pense enfin aux centaines de milliers de personnes déplacées, et qui pour beaucoup portent encore au fond d'elles l'empreinte profonde de la catastrophe. Toutes ces personnes à qui la Prix Nobel de littérature Mme Svetlana Aleksievitch a redonné une voix dans son bel ouvrage La Supplication .

On connaît aujourd'hui assez bien les causes directes de cet accident, accumulation de défauts de conception du réacteur et d'erreurs humaines, ainsi que les erreurs commises par l'administration soviétique dans les jours qui ont suivi l'accident et qui auraient sans doute permis de limiter le nombre de personnes exposées, notamment parmi les enfants.

Les choses sont ensuite allées lentement, trop lentement, puisque ce n'est qu'en 1997 qu'un programme d'actions impliquant la communauté internationale a pu voir le jour. Vous me permettrez incidemment de souligner le rôle joué par la France dans ce processus, qui, avec une contribution totale de l'ordre de 180 millions d'euros, en a été le deuxième contributeur souverain.

Aujourd'hui, les structures du sarcophage sont semble-t-il stabilisées, et, d'ici un an et demi, une gigantesque arche de confinement devrait être installée au-dessus du sarcophage ; je compte sur nos invités pour nous dire si, d'après eux, cet énorme chantier, long de dix ans, garantira le démantèlement de la centrale dans des conditions de sécurité satisfaisantes. En revanche, la troisième étape du programme d'actions, visant à transformer le site en « zone écologiquement sûre », paraît largement relever de l'utopie, tant les motifs d'insatisfaction sont grands.

On ne peut en effet que s'étonner, 30 ans après l'événement, 5 ans après la catastrophe de Fukushima, des nombreuses et graves incertitudes qui demeurent sur les conséquences d'un accident nucléaire de ce type : conséquences sur la santé des personnes exposées, d'abord, conséquences sur l'environnement, ensuite, sur la faune, sur l'état des sols, sur la forêt, sur les eaux fluviales et les nappes phréatiques.

Reste également la question du devenir des déchets. Comment expliquer que, 30 ans après les faits, nous ne soyons toujours pas en mesure d'évaluer et de comprendre ces effets ?

Je devrais enfin ajouter le risque d'attaque terroriste, qu'il nous faut aujourd'hui prendre en compte avec le plus grand sérieux : de ce point de vue, nous n'avons aucune garantie qu'une centrale nucléaire, quelle qu'elle soit, serait en mesure de résister à une attaque terroriste ou à un risque de piratage informatique comme l'Ukraine en a fait l'expérience dans une de ses centrales électriques l'hiver dernier.

Or la catastrophe de Fukushima en 2011, même si elle a été provoquée par d'autres causes et même si elle s'est déroulée dans un environnement différent, confirme que nous ne sommes toujours pas en mesure de gérer un accident nucléaire : à Fukushima aussi, de nombreuses erreurs ont été commises (minimisation des conséquences de l'accident dans les premiers jours, gestion technique critiquée, etc.), alors même qu'on aurait pu croire que les leçons de Tchernobyl avaient été tirées.

Toutes ces questions montrent l'ambition du colloque organisé ce matin, et pour lequel je remercie encore l'ambassade d'Ukraine en France.

Trente ans après Tchernobyl, les leçons doivent être tirées en termes de gestion des accidents nucléaires et de sécurisation des installations, en termes d'effets, sur les hommes comme sur l'environnement de cette activité. À n'en pas douter, dans tous les pays européens, les citoyens sont de plus en plus exigeants sur ces questions : le monde scientifique et les responsables publics doivent pouvoir leur rendre compte de leurs réflexions et des mesures prises pour empêcher de nouvelles catastrophes. Prise de conscience et responsabilité vont de pair.

C'est un enjeu majeur pour nos pays et une condition fondamentale du maintien à moyen terme d'une composante nucléaire dans notre mix énergétique.

Je souhaite que nos échanges de ce matin contribuent à cet effort de transparence.

Je vous remercie.

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