II. LE BOTSWANA : DE LA CROISSANCE AU DÉVELOPPEMENT

A. UNE CROISSANCE RECORD, MAIS DIFFICILE À GÉRER

1. Une croissance record

Au lendemain de l'indépendance, le Botswana, où les Britanniques n'avaient effectué aucun effort de développement, était classé parmi les 20 pays les plus pauvres du monde. Alors que 93 % de la population active était employée dans l'agriculture, il n'était pas autosuffisant en matière alimentaire et les revenus des travailleurs botswanais employés dans les mines sud-africaines constituaient l'essentiel de ses maigres ressources extérieures.

Par surcroît, le potentiel de développement du Botswana apparaissait très réduit : pays très peu peuplé (500.000 habitants, en majorité analphabètes), dont les 581.773 km 2 étaient recouverts à 80% par le Kalahari 20 ( * ) , immense plateau semi-aride aux épineux rabougris, le Botswana connaissait alors une longue période de sécheresse, et ne possédait ni infrastructure, ni industrie. « Lorsque nous avons demandé l'indépendance », aime à dire l'ancien Président Quett Masire 21 ( * ) , « les gens pensaient que nous étions ou très braves, ou très fiers ».

Pourtant, en trente ans, le PIB par habitant du Botswana a été multiplié par 7,5 et le PIB total par 22 en dollars constants.

1960

1994

Population (en millions)

0,5

1,5

PIB/Habitant (en dollars 1987)

238

1 784

PIB total (en milliards de dollars 1987)

0,1

2,7

Source : PNUD, 1997.

En dépit d'un accroissement démographique particulièrement dynamique (+ 3,2 % par an en moyenne sur la période 1960-1994), le PIB par habitant du Botswana s'est en effet accru de plus de 8 % par an en moyenne sur la période 1965-1993, c'est-à-dire que le PIB a connu une hausse de plus de 11 % par an en moyenne, ce qui fait du Botswana un « record » de croissance sur longue période, devant la Corée ou Singapour.

Évolution annuelle moyenne du PIB par habitant en dollars constants (en %)

1960-1965

1966-1970

1971-1980

1981-1990

1991-1994

- 1,3

6,9

11,5

6,4

1,6

Source : PNUD, 1997.

Selon le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), le PIB par habitant s'établissait ainsi en 1995 à 5.367 dollars en parité de pouvoir d'achat, soit un niveau légèrement supérieur à celui de la Turquie ou de la Tunisie .

2. La manne diamantifère

La forte croissance de l'économie botswanaise trouve largement son origine dans la découverte, en 1967, de gisements diamantifères à Orapa (mis en service en 1971), puis à Letlhakane (mis en service en 1977), et surtout dans la découverte, en 1973, du gisement exceptionnel de Jwaneng. Mise en service en 1982, la mine de Jwaneng est en effet la plus grande mine de diamant mise à jour depuis un siècle, et l'un des premiers sites au monde pour la qualité de ses gemmes.

Ces gisements exploités par la Debswana , société conjointe (50 % Gouvernement - 50 % De Beers), ont produit 20 millions de carats de diamants en 1997 (soit près d'un cinquième de la production mondiale), commercialisés par le Consortium De Beers-Central Selling Organization (CSO), pour une valeur de 6,3 milliards de francs.

Production annuelle de diamants au Botswana (en millions de carats)

1981

1985

1990

1997

5,0

12,6

17,3

20

Le diamant représentait ainsi, en 1997, un tiers du PNB , la moitié des ressources publiques et 70 % des exportations du Botswana.

3. Une politique macroéconomique très prudente

La manne « diamantifère » a été exceptionnellement bien gérée : le Botswana a largement échappé à la « maladie hollandaise » qui affecte la plupart des économies rentières et se manifeste par un endettement gagé sur les ressources futures, l'hypertrophie du secteur public, une inflation élevée et des salaires trop élevés par rapport à la productivité du travail, ce qui empêche le développement du secteur privé.

Le train de vie du Gouvernement botswanais est modeste et les bâtiments officiels (présidence, ministères, Parlement) visités par la Délégation du Sénat ne présentent aucun faste. Le Botswana n'a construit aucun « éléphant blanc » et, malgré des réserves diamantifères abondantes (45 ans d'exploitation), la politique macroéconomique est demeurée extrêmement prudente : en 1998, le budget a été excédentaire pour la quatorzième année consécutive. La balance commerciale est très fortement excédentaire et la dette extérieure (700 millions de dollars) représente seulement 17 % du PNB, et moins d'un huitième des réserves en devises du pays (6 milliards de dollars) : le Botswana est ainsi créditeur net de plus de 5 milliards de dollars, et autofinance entièrement son développement par l'épargne intérieure (25 % du PIB), tant publique que privée. L'inflation est également remarquablement maîtrisée pour un pays qui connaît une croissance aussi rapide 22 ( * ) .

Le « pula » 23 ( * ) fait ainsi figure de monnaie forte en Afrique australe, au point que les billets botswanais sont très largement acceptés dans les pays frontaliers.

Croissance et indicateurs macroéconomiques

1981-1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

Croissance du PIB (en % par an)

11,4

7,5

3,0

2,0

3,6

5,1

5,6

5,3

Inflation

11,8

11,4

11,8

16,2

14,3

10,5

10,1

9,3

Excèdent budgétaire (en % du PIB)

8,3

9,2

7,9

1,6

1,8

7,2

Source : FMI, 1998.

Cette politique macroéconomique très prudente devrait permettre à l'économie botswanaise de surmonter sans déséquilibres majeurs la chute des cours mondiaux du diamant consécutive à la crise asiatique : le Botswana conserve l'une des meilleures cotations au monde en matière de couverture de risques.

4. Des déséquilibres sociaux

La croissance record qu'a connue le Botswana était porteuse de déséquilibres sociaux : les mines n'emploient en effet que 10.000 personnes, et la population urbaine s'est accrue de 12,6 % par an en moyenne entre 1960 et 1994.

Les autorités botswanaises ont su conjurer nombre de ces risques : 93 % de la population a désormais accès à l' eau potable, ce qui pouvait paraître une gageure dans un pays aride au peuplement dispersé ; le réseau sanitaire est relativement dense (30 hôpitaux, 209 cliniques et 316 dispensaires offrent 3.425 lits à une population de 1,5 millions de personnes) ; la transition démographique est bien engagée 24 ( * ) (le taux de fécondité s'est replié de 6,9 enfants par femme en 1965 à 4,2 en 1995), et le taux d' alphabétisation des adultes atteint désormais 68 %.

L'indicateur de participation des femmes (IPF), établi par le PNUD, classe par ailleurs le Botswana au 39 ème rang mondial, juste devant la France, pour la participation des femmes à la vie politique et économique : trois des treize ministres (dont le ministre des Mines, de l'énergie et de l'Eau) sont à l'heure actuelle des femmes, et celles-ci occupaient en 1994, selon le PNUD, 36 % des emplois de direction et d'encadrement supérieurs, contre 9 % en France.

Cependant, même si l'Indicateur de développement urbain établi par le PNUD le place au quatrième rang en Afrique, derrière les Seychelles, Maurice et l'Afrique du Sud, le Botswana occupe à l'échelle mondiale un rang (97 ème ) bien inférieur à celui de son PIB par habitant, en raison d'une distribution très inégalitaire des revenus : 40 à 50 % de la population vivraient en deçà du seuil de pauvreté absolue.

La productivité du secteur agricole (46 % de la population active, mais 4 à 8 % du PIB seulement) demeure en effet très faible, et le niveau de vie médian des populations rurales est d'autant plus modeste que la propriété du bétail (principale richesse traditionnelle) demeure concentrée, ce qui favorise l'exode rural .

LE BOTSWANA : TERRE D'ÉLEVAGE

L'élevage extensif a longtemps représenté le point d'appui de l'économie.

Le cheptel bovin compte près de 3 millions de têtes au Botswana (soit deux têtes pour un habitant), et produit environ 35.000 tonnes de viande d'excellente qualité par an, exportées pour moitié vers l'Union européenne.

Au-delà d'une importance économique (4 % du PIB) en déclin relatif, l'élevage joue toujours un rôle social essentiel : signe extérieur de richesse et de prestige, le cheptel demeure utilisé lors des transactions familiales. La majorité de la population possède ainsi du bétail et nombre d'éleveurs se font pasteurs le week-end, même si 5 % de la population détient plus de la moitié du cheptel national.

La gestion de l'élevage est toutefois très difficile, en raison des sécheresses périodiques de la surexploitation de certains sols, d'épizooties 25 ( * ) récurrentes, mais aussi de son rôle traditionnel (le rythme de reconstitution et d'abattage du cheptel obéit plus à des considérations sociales qu'à des logiques économiques).

Les créations d'emplois dans le secteur tertiaire (public et privé) et dans l'industrie de transformation n'ont pas été suffisantes pour absorber cet afflux, en raison du niveau insuffisant de la formation initiale de la main-d'oeuvre.

Le taux de chômage est ainsi élevé : 21 % selon le Gouvernement, près de 35 % selon l'opposition, alors même que le Botswana emploie plusieurs milliers d'expatriés (universitaires, médecins, ingénieurs).

Le désoeuvrement des populations nouvellement urbanisées n'a pas entraîné une forte criminalité (le taux de criminalité demeure sans commune mesure avec les niveaux atteints en Afrique du Sud et la société botswanaise demeure très policée). Mais il est un des facteurs explicatifs de la très forte prévalence du SIDA , endémie face à laquelle les autorités semblent relativement désarmées, faute d'un discours qui permette de concilier une approche réaliste et efficace, avec des représentations collectives à la fois puritaines et fatalistes. En raison de la diffusion du SIDA 26 ( * ) , l'espérance de vie s'est ainsi repliée de 61 ans en 1991 à 53 ans en 1997.

Par ailleurs, l'insertion des 30 à 40.000 San du Botswana demeure problématique. Leurs intérêts sont en effet mal représentés ; leurs droits à la terre s'érodent au profit des éleveurs, des compagnies minières ou des opérateurs touristiques ; l'économie monétaire détruit progressivement leur culture traditionnelle et le maintien de leur vie de chasseurs nomades est de plus en plus difficile, tandis que leur sédentarisation est, pour l'heure, peu réussie.

Ces déséquilibres sociaux, dénoncés par les dirigeants de l'opposition rencontrés par la Délégation, mais dont les responsables gouvernementaux lui sont également apparus très préoccupés, renforcent l'ambition de tous les Botswanais de diversifier leur économie.

* 20 La population se concentre ainsi à 80 % le long de la frontière sud-africaine.

* 21 Cf. Marie Lory, opus cité infra.

* 22 Une forte croissance entraîne des variations considérables des prix et des salaires relatifs, ce qui, dès lors que certains prix sont rigides à la baisse, se traduit par une augmentation rapide du niveau général des prix.

* 23 Contrairement à nombre d'autres pays africains, le Botswana n'a pas créé sa propre monnaie dès l'indépendance. Le « pula » n'a remplacé le rang sud-africain qu'en 1976, après que la situation financière et économique du Botswana se fut affermie.

* 24 Depuis la Conférence d'Arusha, en 1974, le Botswana a abandonné sa politique nataliste et adopté avec succès un plan de maîtrise démographique.

* 25 Pour endiguer les épizooties et limiter la contamination du bétail par les animaux sauvages, le pays est partagé en zones sanitaires, séparées par plus de 5.000 kilomètres de barrières. Mais le Botswana n'en a pas moins souffert en 1996 d'une épidémie de péri-pneumonie contagieuse bovine : 300.000 bovins ont dû être abattus.

* 26 En particulier d'un taux de contamination mère-enfant très élevé.

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