Communication de M. Richard CAZENAVE relative au rôle de la majorité et de l'opposition dans le travail parlementaire

Le Parlement, dont les élus représentent la nation, vote les lois et contrôle le gouvernement. Dans l'accomplissement de cette double mission, il ne fonctionne pas selon la règle de l'unanimité : il y a une majorité, et une minorité qui s'expriment.

La démocratie suppose l'alternance : une équipe accède au pouvoir, l'exerce sous le contrôle de sa majorité et de l'opposition et est jugée par les électeurs au terme de son mandat. Elle est reconduite en cas de succès, et remplacée par l'opposition en cas d'échec.

Le rappel de ces principes simples permet d'effectuer une première approche des rôles respectifs de la majorité et de l'opposition dans le travail parlementaire : la principale mission de la majorité est de soutenir le Gouvernement ; le rôle de l'opposition est de constituer une alternative crédible (I).

Mais le Parlement est aussi le lieu où la politique gouvernementale est exposée, débattue, parfois infléchie : c'est-à-dire qu'il est le lieu privilégié du dialogue entre majorité et opposition. C'est pourquoi , l'organisation des relations entre majorité et opposition conditionne l'efficacité du travail parlementaire, et contribue à renforcer les pouvoirs du Parlement ( II).

I - LE ROLE DE LA MAJORITE EST DE SOUTENIR LE GOUVERNEMENT ; LA VOCATION DE L'OPPOSITION EST DE CONSTITUER UNE ALTERNATIVE CREDIBLE

A) Les groupes parlementaires, prolongement des partis dans les assemblées, constituent, à cet égard, des rouages essentiels.

a) Ils assurent l'encadrement des parlementaires


Les groupes contrôlent dans des proportions et selon un formalisme variable, les initiatives de leurs membres (interventions, dépôts de propositions, d'amendements et de questions), et supervisent les affectations dans les différentes commissions.

Les réunions plénières hebdomadaires des groupes politiques, qui se tiennent après la publication de l'ordre du jour, permettent à leurs membres de répartir entre eux le travail, d'arrêter les grandes orientations, de s'informer sur les textes en discussion et de définir la position à prendre sur chacun d'eux. Comme en réunion de commission, c'est en réunion de groupe que s'effectue l'essentiel du travail législatif, et que s'opère la conciliation entre le rôle actif reconnu aux députés, et la discipline de parti, indispensable au fonctionnement correct du parlementarisme majoritaire.

b) Ils leur fournissent une assistance technique

Les groupes politiques assurent l'information de leurs membres en mettant en place des groupes de travail spécialisés, souvent en liaison avec les groupes de travail et les experts des formations politiques, en organisant des rencontres, des auditions de représentants du monde syndical et associatif, par exemple.

Grâce aux cotisations des membres et aux subventions versées par les assemblées, les groupes recrutent des personnels qu'ils mettent à la disposition des parlementaires ; ces « assistants de groupe » jouent le rôle de conseillers techniques et aident à préparer le travail en commission ou en séance publique.

B) La majorité parlementaire, une force de soutien

Le soutien apporté au Gouvernement doit-il être inconditionnel ou au contraire critique ? La question se pose dans la mesure où les élus non seulement votent les lois, mais contrôlent l'Exécutif.

En France, depuis que s'est constitué un système de partis structurés au début des années soixante, l'appui inconditionnel apporté au Gouvernement -et par-delà- au Président de la République, élu depuis 1962 au suffrage universel- est devenu le premier devoir et la première fonction de la majorité parlementaire.

Cette exigence, qui ne faisait pas partie de la tradition française, est plus ou moins facilement entrée dans les moeurs des partis majoritaires successifs.

Lorsque le parti socialiste, parti du Président Mitterrand, jusqu'alors dans l'opposition, a obtenu la majorité absolue des sièges à l'Assemblée nationale en 1981, le Président de l'assemblée 5( * ) , socialiste, a exposé sa conception du rôle du parti majoritaire :

« Le parti, c'est ce qui est essentiel. Le Président, le Gouvernement, la majorité de gauche, cela forme un bloc, le pouvoir. Pour que ce bloc ne s'endorme pas, ne se fossilise pas, il faut que le parti ait un rôle fondamental à jouer. D'abord un rôle de réflexion idéologique, ensuite le parti a pour rôle de veiller à ce que le programme soit appliqué, à être le gardien de ce programme ; par ailleurs, il doit empêcher que le pouvoir ne s'isole, et il doit exercer à travers son groupe parlementaire le contrôle de l'action gouvernementale. »

Le risque est que l'Exécutif se fasse déborder par sa majorité parlementaire, surtout si elle est animée par un parti dominant. C'est pourquoi la majorité doit être organisée et disciplinée.

Le soutien inconditionnel à l'action du Gouvernement et à la personne de ses membres est évidemment plus difficile à obtenir lorsque la majorité est composée d'une coalition de partis politiques ; on le constate à l'heure actuelle, avec la composition « plurielle » de la majorité (Parti Socialiste, Parti communiste, Parti Ecologiste « les Verts »). Les « voix discordantes » se font particulièrement entendre à l'approche des échéances électorales : chacun des partis composant la coalition est moins enclin au compromis et tend à réaffirmer des positions tranchées pour se rapprocher de son électorat ; dans le cadre du travail parlementaire, la discipline de vote est moins aisée à faire respecter.

B) La vocation de l'opposition : constituer une alternative crédible

Le rôle de l'opposition revêt en conséquence trois aspects : critique raisonnée du Gouvernement, proposition d'un programme alternatif, et présentation d'équipes nouvelles.

a) L'opposition joue le rôle de garde-fou, prévenant le gouvernement contre tout excès ; elle remplit en fait une mission d'intérêt général en encadrant les actions du Gouvernement. C'est pourquoi elle doit disposer des garanties nécessaires à la mise en oeuvre de sa fonction régulatrice - protection de la personne de l'opposant ; financement des partis d'opposition selon les mêmes critères que ceux appliqués aux partis composant la majorité.

b) L'opposition a vocation à contenir et aiguillonner la majorité au pouvoir, mais aussi à la remplacer. Pour exercer pleinement son rôle, elle doit promouvoir un programme alternatif crédible, proposer le correctif approprié aux travers qu'elle dénonce. En effet, en l'absence de solution de substitution, les titulaires du pouvoir ne sont pas réellement responsables.

c) L'opposition gagne donc à se fédérer et s'organiser pour permettre l'émergence de nouveaux talents , constituer un vivier de personnalités capables de participer activement et de manière critique au travail parlementaire, et à terme, de remplacer l'équipe en place.

II - L'ORGANISATION DES RELATIONS ENTRE MAJORITÉ ET OPPOSITION CONDITIONNE L'EFFICACITÉ DU TRAVAIL PARLEMENTAIRE  ET CONTRIBUE A RENFORCER LES POUVOIRS DU PARLEMENT

A) Sans expression de l'opposition, le Parlement est réduit au rôle de chambre d'enregistrement.


C'est pourquoi le fonctionnement des assemblées doit assurer la participation effective de l'opposition.

a) En France, bien qu'il n'existe pas de statut de l'opposition, le dialogue entre majorité et minorité est garanti.

Le bicamérisme facilite la représentation de l'opposition : lorsque le Gouvernement et la majorité sont orientés à gauche, le Sénat, assemblée traditionnellement de centre droit, joue le rôle de chambre de l'opposition auprès de laquelle la minorité à l'Assemblée nationale trouve éventuellement un soutien.

Par ailleurs, dans chaque assemblée du Parlement français, des représentants de la minorité siègent dans les organes directeurs (Bureau, Conférence des Présidents), et participent aux bureaux des commissions permanentes et spécialisées...

Les députés d'opposition disposent de l'initiative des lois, comme du droit d'amendement. Le déroulement de la séance est organisée de manière à ce que l'opposition puisse s'exprimer ; le temps de parole entre les groupes est réparti en fonction de leur importance numérique.

b) Plusieurs réformes dans la lettre et la pratique institutionnelles françaises ont fourni à l'opposition des moyens d'expression supplémentaires.

La modification la plus importante résulte de la réforme constitutionnelle d'octobre 1974, qui donne à soixante députés ou soixante sénateurs la possibilité de déférer les lois, avant leur promulgation, au Conseil Constitutionnel ; une autre réforme est l'institution, en 1974 à l'Assemblée nationale, et en 1982 au Sénat, des questions au Gouvernement, qui s'est faite en marge de la Constitution, par un accord direct entre l'Exécutif et le Parlement.

A l'heure actuelle, au sein de la commission des finances, presque un tiers des rapporteurs spéciaux du projet de Budget pour 2001 (13 sur 44) sont membres de l'opposition. Ils ont en charge des rapports aussi importants que ceux concernant le budget de la Justice, ou celui de la Formation professionnelle.

Rappelons à cette occasion les pouvoirs des rapporteurs budgétaires : ils peuvent contrôler sur pièces et sur place l'emploi des crédits inscrits au budget qu'ils suivent, et disposent du concours de la Cour des Comptes. Ils peuvent par ailleurs demander des enquêtes.

Il avait même été envisagé il y a quelques années, de désigner un contre-rapporteur général du Budget ; cette procédure n'a pas fonctionné, faute en particulier de moyens matériels et humains (nécessité de mettre en place des équipes pour collecter et analyser les informations chiffrées).

B) L'effort pour renforcer l'institution parlementaire a enrichi les rôles de la majorité et de l'opposition.

a) Le souci de donner plus de place à la représentation nationale dans ses différentes composantes a conduit à favoriser l'initiative et le débat parlementaire.


La réforme constitutionnelle d'août 1995, qui a instauré un régime de session unique, a permis au Parlement de déterminer chaque mois l'ordre du jour d'une de ses séances, et d'y inscrire les propositions de lois, de débats... de ses membres. Cette faculté a profité à tous les groupes politiques, de la majorité et de l'opposition.

L'organisation, à partir de 1990, d'un débat d'orientation budgétaire, a eu pour but d'associer le Parlement à la préparation du budget en lui permettant de s'exprimer sur les grandes orientations. Ce débat a lieu au mois de mai, c'est-à-dire au moment où le Gouvernement commence à élaborer le projet de loi de finances qu'il présentera à l'automne suivant au Parlement. La discussion permet à l'ensemble des élus d'être informés des principales orientations envisagées par le Gouvernement, de faire connaître leurs préoccupations et, à ceux de la majorité en particulier, d'indiquer leurs choix et de faire des suggestions.

b) Le renforcement du contrôle, notamment en matière budgétaire, encourage les relations entre majorité et opposition :

A titre d'illustration, nous évoquerons deux exemples récents :

La réforme des procédures comptables et législatives, qui est actuellement à l'étude, a pour origine une proposition de loi organique déposée en juillet dernier par le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale ; c'est sur ce texte que travaille une commission spéciale d'une soixantaine de députés issus de tous les groupes politiques ; la commission est présidée par le Président de l'Assemblée nationale ; l'une des deux vice-présidences est confiée à un membre de l'opposition.

La Mission d'évaluation et de contrôle, créée en février 1999 au sein de la commission des finances de l'Assemblée nationale, n'est pas constituée à la proportionnelle des groupes, mais place chacun d'eux sur un pied d'égalité. Elle est par ailleurs un organe temporaire dont la reconstitution est prévue au premier semestre de chaque année. La présidence est exercée conjointement par le Président de la commission des finances et par un membre de l'opposition ; les travaux sont animés et coordonnés par le Rapporteur général de la commission des finances.

* * *

On insistera en conclusion sur les devoirs attachés aux rôles respectifs de la majorité et de l'opposition, et brièvement évoqués au cours de cet exposé :

- en ce qui concerne la majorité, respecter l'opposition dont la tâche est de proposer des solutions alternatives et de défendre des opinions différentes ; favoriser sa participation à l'activité et aux décisions législatives, en lui donnant les moyens de s'opposer efficacement.

- du côté de l'opposition, reconnaître la légitimité de la majorité régulièrement élue, assumer sa fonction de manière responsable en prenant une part effective au processus institutionnel ; se préparer à son rôle de future majorité, en ayant conscience qu'elle représente un recours.

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