B. LE CHOC DE L'ADHÉSION

Car si l'on a pu parler du choc de la transition, comment ne pas parler aussi du choc de l'adhésion ?

Comme le souligne très justement M. Jean-Joseph BOILLOT dans l'étude parue en décembre dernier à la "Documentation française" intitulée : " L'Union européenne élargie : un défi économique pour tous " :

"Au-delà de l'impérative nécessité de poursuivre les réformes économiques liées à la mise en place d'une économie de marché moderne, l'adhésion constitue un choc de structure pour les économies d'Europe centrale, dans au moins cinq domaines : inégalités régionales, écart des productivités agricoles, mise à niveau environnemental, développement impératif des infrastructures de communication, et enfin adhésion programmée à l'Union monétaire, c'est-à-dire l'adoption de l'euro".

Le défi économique et régional ainsi que le défi agricole sont les sujets qui ont particulièrement retenu l'attention de notre délégation.

1. Le défi économique et régional

a) L'enjeu de la compétitivité et de l'attractivité
§ Parachever la restructuration industrielle
Bien souvent, dans les Peco, les entreprises détenues par des investisseurs étrangers se montrent plus performantes que celles détenues par des actionnaires nationaux, et le choc de la restructuration reste à venir.

Tel n'est cependant pas le cas de la Hongrie, qui a réalisé l'essentiel des restructurations. Elle avait en effet relativement peu d'industries lourdes et la réorientation de son industrie vers des secteurs dynamiques s'est faite sous l'impulsion de privatisations précoces et de l'investissement étranger. Il lui faut cependant parachever cette mutation.

Se pose également et inévitablement la question du maintien de sa capacité d'une part, à attirer les investissements étrangers tout en respectant ses obligations européennes et, d'autre part, à favoriser le développement des PME.
§ Maintenir l'attractivité pour les investisseurs étrangers
En dépit de la hausse rapide de la productivité, la Hongrie semble avoir subi une perte de compétitivité depuis deux ans. Plusieurs facteurs contribuent à l'expliquer :
§ les fortes augmentations de salaires (hausse des salaires réels de 13 % en 2002) accroissent le coût du travail, cet effet de rattrapage étant à la fois inévitable et souhaitable puisqu'il conditionne l'amélioration du niveau de vie des Hongrois.
Un coût du travail moins élevé en Slovaquie a toutefois participé à la récente décision de la société française PSA d'implanter une usine dans ce pays, de préférence à la Hongrie. À l'avenir, cependant, la compétitivité de la Hongrie dépendra davantage de sa capacité d'assimilation technologique que du niveau de salaires de sa main-d'oeuvre ;
§ l'appréciation du forint depuis 18 mois est allée dans le même sens. Les deux récentes baisses du taux directeur ont permis d'affaiblir le forint, mais pour combien de temps ? Au delà, la défense des zones de fluctuation de la monnaie semble prioritaire avec, en ligne de mire, l'intégration à la zone euro. Celle-ci ne pourra sans doute pas être envisagée avant 2007-2008, la Hongrie devant s'y préparer afin de respecter l'ensemble des critères de Maastricht, ce qui n'est que partiellement le cas aujourd'hui.

§ Mettre en place un dispositif fiscal "euro-compatible"
Ainsi qu'il a été dit précédemment, les investisseurs étrangers ont bénéficié en Hongrie d'un cadre juridique, mais aussi fiscal, particulièrement attractif. Ce dernier pouvant entraîner des distorsions de concurrence au détriment des entreprises communautaires non implantées sur le territoire hongrois, la Commission européenne a pressé le gouvernement hongrois de mettre en place un dispositif "euro-compatible" permettant de clore le chapitre "concurrence".

À cet effet, le gouvernement de M. MEDGYESY a proposé de modifier le système d'incitations fiscales et de renforcer le poids des aides directes.

De nouvelles mesures pour attirer
les investisseurs étrangers

§ Exemptions fiscales pour les projets mis en oeuvre dans les régions les moins développées.

§ Recours systématique aux procédures d'appel d'offres : cette mesure sera essentielle dans le cadre de la lutte contre la corruption , laquelle peut prendre le biais insidieux du favoritisme.

§ Subventions :

ü augmentation des aides existantes, en particulier pour renforcer la création d'emplois dans les régions défavorisées ;

ü subventions à la création de zones industrielles viabilisées mises à la disposition des investisseurs contre un loyer modique ;

ü pour les investissements les plus importants en termes de créations d'emplois ou de valeur ajoutée, contribution au financement des infrastructures (accès, eau, électricité, télécommunications, ...), soit au cas par cas par appel d'offres, soit dans le cadre de programmes d'investissements généraux (autoroutes, aéroports, télécommunications haut débit, ...) ;

ü nouvelle stratégie de formation de la main d'oeuvre qualifiée, notamment dans les nouvelles technologies (communication, électronique, biotechnologies, environnement ...) ;

ü amélioration de l'environnement des affaires pour les investisseurs étrangers, via l'allègement des procédures administratives et la création d'une commission interministérielle statuant sur les plaintes d'investisseurs en butte à des blocages bureaucratiques.

§ Favoriser le développement des PME
Tant la maturité des économies des Peco que leur capacité à faire face au choc de l'adhésion dépend beaucoup du développement de leurs PME. De ce point de vue, la Hongrie apparaît particulièrement dynamique, puisqu'elle compte 800.000 PME, qui emploient 2,5 millions de personnes et réalisent le tiers de ses exportations.

L'esprit d'entreprise y est bien vivant et les récentes initiatives européennes pour favoriser le développement des PME (Programme pluriannuel pour les entreprises et l'esprit d'entreprise ; charte européenne des PME ...) contribuera à le vivifier. Les PME constituent bien évidemment une source irremplaçable pour la création d'emplois et la diffusion des savoir-faire.
b) Le risque de déséquilibres régionaux

L'élargissement de 2004 va aggraver considérablement les disparités de développement au sein de l'Union. Malgré l'augmentation d'un tiers du territoire et de 29 % de la population de l'Union européenne, le PIB du nouvel ensemble ne progressera en effet que de 8 à 10 % au mieux. L'Espagne ou le Portugal avaient, avant leur adhésion, un PIB bien supérieur au niveau actuel du PIB moyen par habitant des dix Peco candidats. Plus encore, s'agissant des régions des Peco, seules trois ont un revenu par habitant supérieur aux 75 % de la moyenne communautaire, dont la région de Budapest.

Le deuxième rapport d'étape de la Commission européenne sur la cohésion économique et sociale - qui est paru récemment - insiste sur le risque d'une aggravation des disparités régionales . La réunification impose donc une nouvelle réflexion sur la politique de cohésion économique et sociale de l'Union à 25, sur les conditions d'attribution et le financement des fonds structurels.

La nouvelle géographie économique de l'Europe pourrait entraîner une évolution des disparités entre les régions d'un même pays, les régions transfrontalières et situées à l'Ouest étant clairement privilégiées en raison d'une réorientation des économies d'Europe centrale vers l'Union. C'est d'ailleurs ce que l'on observe en Hongrie qui, en outre, témoigne d'un syndrome de type "Paris et le désert français", avec une région capitale, Budapest, qui concentre près de 45 % des revenus du pays pour 28 % de la population, tandis que le reste du revenu se répartit de façon assez uniforme autour de marchés assez étroits.

2. Le défi agricole

Deux raisons expliquent que le volet agricole soit l'un des plus complexes du processus d'adhésion :

§ il touche directement l'architecture de l'Union européenne et son évolution, en particulier dans le cadre des négociations commerciales internationales du cycle de Doha. Le paysage agricole et rural de l'Union évoluera sous l'effet de l'augmentation de 46 % de sa surface agricole utile, de 134 % des populations agricoles et de 54 % du PIB agricole ;

§ son impact sera loin d'être négligeable pour les pays candidats, dans lesquels l'agriculture occupe une part importante de l'économie. Dans ces pays, ce secteur souffre généralement d'un manque de productivité et d'investissement et il est chargé d'un important chômage caché.
Ceci permet de comprendre le souhait de l'Union d'organiser un accès graduel des Peco aux aides directes de la politique agricole commune (PAC), sans risque excédentaire notable pour l'Union européenne élargie.

Mais, comme l'illustre le tableau ci-dessous, la Hongrie, comme la République tchèque, occupe une place à part au sein des Peco : le secteur agricole ne représentait, en 1998, que 5,5 % de son PIB et 7,1 % de l'emploi (après la réduction d'un tiers de la population active dans ce secteur dans les années 1992-1996), ces propositions étant encore plus faibles aujourd'hui : respectivement 4,3 % et 6,2 %. Les industries agroalimentaires occupent, quant à elles, près de 4 % de la population active.

Structure agricole des 12 pays candidats

ÉLARGISSEMENTS

% DU PIB

% DE L'EMPLOI

% DE LA SURFACE AGRICOLE UTILE

Pologne

3,8

18,1

58,3

Hongrie

5,5

7,1

66,5

République tchèque

3,7

5,2

54,3

Roumanie

15,5

41,7

62,0

Bulgarie

17,3

26,6

51,3

Peco 10*

6,8

21,5

55,9

UE15*

1,6

5,0

41,8

* Données 1998.

Source : Commission européenne.

On peut dire que dans le secteur agricole aussi, la Hongrie a parcouru l'essentiel du chemin . S'il existe encore parmi les nombreuses petites structures - qui exploitent 40 % de la surface agricole utile - des petites exploitations de subsistance, d'autres sont très dynamiques et contribuent à l'émergence de coopératives de collecte et de vente à l'occidentale.

La délégation de notre groupe interparlementaire a visité une exploitation familiale (3 associés et 4 employés) d'élevage de dindes (de 1 jour à 6 semaines). Dynamique et moderne, elle réalise 60 % de son chiffre d'affaires par intégration ; elle organise ainsi la commercialisation de la production de 6 à 8 petits exploitants et finance leurs investissements. Les projets de développement n'ont pas empêché le propriétaire de nous faire part de son inquiétude face à la concurrence croissante dans ce secteur peu aidé.

La Hongrie compte par ailleurs de grandes exploitations, avec différents types de structures : fermes d'État (dont les structures d'exploitation sont en cours de privatisation), sociétés privées performantes, coopératives ayant succédé aux "kolkhozes" ou coopératives d'un nouveau type (1) .

Notre délégation a visité l'un de ces anciens "kolkhozes", grande exploitation industrielle de fruits et légumes (1.200 actionnaires, pour la plupart anciens membres de la coopérative). Équipée d'installations modernes et compétitives (le chauffage des serres par géothermie constituant à cet égard un atout certain), elle réalise 40 à 50 % de son chiffre d'affaires à l'export. Elle assure également la commercialisation de la production d'un certain nombre de petits exploitants, cette activité représentant environ 35 % de son chiffre d'affaires. Les actionnaires de cette ferme industrielle se sont déclarés eux aussi préoccupés par l'évolution des aides au secteur agricole et les conditions d'application de la PAC aux nouveaux États membres.

En fait, le "choc agricole" concerne autant les États membres actuels que les nouveaux. Le rapport de M. Jean-Joseph BOILLOT précité (2) pose très clairement les termes du débat :

_________

(1) Voir l'annexe 2 consacrée à l'agriculture et au secteur agro-alimentaire en Hongrie.

(2) "l'Union européenne élargie : un défi économique pour tous" - Documentation française.

"D'une politique axée sur l'autosuffisance du marché communautaire, la PAC s'est ainsi peu à peu adaptée pour faire face aux excédents tout en maintenant son objectif de soutien des revenus des agriculteurs. Elle a surtout intégré de plus en plus les critiques à l'encontre d'un certain modèle productiviste en accordant une place croissante aux aspects environnementaux et au cadre de vie rural. L'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale intervient d'une façon un peu brutale dans le processus. D'un côté, le renforcement des contraintes budgétaires liées à la prise en charge d'agricultures bien moins développées accroît la pression pour accélérer les réformes. D'un autre côté, les moyens financiers sont désormais à partager avec des agricultures qui relèvent plutôt du défi des années soixante-soixante-dix. (1)

Ceci explique pourquoi le débat sur l'élargissement s'est focalisé à la fois sur les orientations de la PAC dans le cadre de la révision à mi-parcours décidée à Berlin en 1999, et sur les aides directes : faut-il notamment accorder ces aides directes à des pays qui n'ont pas subi de baisse de prix liée aux réformes entreprises depuis 1992 ? Ou alors ces aides directes constituent-elles désormais des aides au revenu qui doivent être ouvertes à tous sur un principe d'égalité de traitement ? Si tel est le cas, comment combiner les aides directes avec la nécessaire restructuration d'un secteur agricole très en retard par rapport à la moyenne communautaire en termes de productivité et d'actifs employés ?

Dans ses propositions de compromis en janvier 2002, la Commission a esquissé un schéma fondé sur le principe de l'octroi d'aides directes aux nouveaux membres, mais avec un rattrapage très progressif sur l'UE15 au cours de la période 2004-2013. Deux objectifs sont visés. Premièrement, à l'instar des aides régionales, il s'agit de jouer sur le temps afin d'atténuer la pression budgétaire sur l'Union, et ceci notamment dans le contexte des négociations internationales à l'OMC qui se traduiront sans doute par de nouvelles ouvertures commerciales

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(1) Le défi agricole auquel sont confrontés les Peco est en grande partie de nature identique à celui de nos agricultures dans les années soixante-soixante-dix, où il consistait à réduire la population active agricole et à gagner en productivité. Ceci n'a pas empêché le Conseil européen de Bruxelles de valider le compromis franco-allemand d'une stabilité des dépenses agricoles de l'Union à 25 pour la période 2004-2013 au niveau de 2006 majoré de 1 % par an, soit une baisse progressive en termes réels à partager à 25 au lieu de 15.

et, par conséquent, par de nouvelles baisses de prix. Sans compter que le temps joue aussi en faveur de la restructuration de l'agriculture dans les Peco. Deuxièmement, la proposition de compromis vise aussi éviter deux problèmes de base des pays candidats : un déséquilibre anormal en faveur des agriculteurs dont les revenus arriveraient plus vite à parité avec ceux de l'Ouest que pour le reste de la population alors même que l'écart de productivité est sans doute plus fort ; aussi important sans doute, les délais nécessaires à la mise en place institutionnelle de tous les mécanismes européens d'aides à l'agriculture vont s'avérer assez longs. En dépit de la vive pression des pays candidats, et notamment des syndicats de paysans polonais, l'accord de Copenhague de décembre 2002 a entériné l'essentiel des propositions de la Commission. Les aides directes seront introduites par paliers : de 25 % du niveau de l'UE15 la première année (2004), puis par tranches de 5 %, elles atteindront la parité ouest-européenne en 2013."


Parallèlement, le secteur agricole hongrois devra poursuivre sa restructuration , et en particulier :

- fédérer davantage les producteurs et améliorer l'organisation de la défense des intérêts des professionnels du secteur (dispersés aujourd'hui entre 11 fédérations) ;

- développer l'intégration, alors que production, transformation et commercialisation sont à l'heure actuelle très largement séparées ;

- adopter des mécanismes de régulation des marchés, de nature à assurer aux producteurs un revenu régulier et à mettre en conformité le régime d'intervention hongrois ;

- achever la mise en place des structures administratives chargées de gérer la PAC (agence de paiement des aides, mise à niveau des abattoirs ...).

Par maints aspects, agriculteurs hongrois et agriculteurs français pourraient utilement renforcer leurs relations. Ils auront sans aucun doute des intérêts communs à défendre au sein de l'Union élargie.

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