II. GUINÉE ÉQUATORIALE : LE « NOUVEL ÉMIRAT » D'AFRIQUE CENTRALE

La Guinée équatoriale -un des plus petits États de la sous-région (avec seulement 28 000 km² et 506 000 habitants)- forme un territoire composite, avec une partie insulaire relativement excentrée au nord (l'île de Bioko 15 ( * ) ), où est située la capitale, Malabo (où le groupe était allé en 2003) et une partie continentale située sur la façade maritime du Golfe de Guinée, entre le Cameroun au nord et le Gabon à l'est et au sud ; la capitale régionale de cette partie du pays est Bata, où la délégation s'est rendue cette année.

Ancienne colonie espagnole dont les frontières avaient été délimitées en 1900 par un Traité de Paris conclu entre l'Espagne et la France 16 ( * ) , le pays a accédé à l'indépendance en octobre 1968 et n'a, depuis lors, connu que deux présidents : Francisco Macias Nguema, qui lui a imposé jusqu'en août 1979 une dictature de plus en plus sanguinaire 17 ( * ) , puis l'actuel Président Teodoro Obiang Nguema, qui a évincé son oncle le 3 août 1979 et a entrepris, depuis une quinzaine d'années, d'ouvrir et de moderniser le régime, notamment avec la reconnaissance de plusieurs partis d'opposition à partir de 1992.

La délégation sénatoriale a été frappée par le chemin notable accompli par ce pays en quatre ans.

Certes, il a sans doute encore de gros progrès à réaliser sur le chemin de la démocratie et du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mais le paysage institutionnel, l'environnement économique et le climat social y évoluent très vite .

Cette embellie trouve essentiellement son origine dans les ressources pétrolières considérables découvertes en Guinée équatoriale depuis quelques années : elles ont induit en peu de temps un fort courant de développement économique et social qui, comme souvent, favorise l'ouverture et du même coup pousse à une certaine libéralisation politique.

Pour peu qu'elle maintienne ce cap pendant encore quelques années, tout porte à croire que la Guinée équatoriale pourrait bientôt se hisser parmi les puissances importantes de l'Afrique centrale .

A. DES AVANCÉES TOUS AZIMUTS

La Guinée équatoriale est passée en moins de dix ans du sous-développement à une enviable aisance ; tout en se développant à rapide allure, elle a quasiment résorbé sa dette publique, se libérant du même coup d'un fardeau souvent dénoncé par les responsables politiques africains comme étant à l'origine d'une bonne part de leurs problèmes politiques internes .

1. Un essor économique au superlatif

En l'espace de dix ans, la Guinée équatoriale est devenue « le nouvel émirat pétrolier » de la région (342 000 barils/jour en 2006, soit environ 17 millions de tonnes par an) : dans le peloton de tête des pays producteurs d'Afrique sub-saharienne (après le Nigeria et l'Angola, mais désormais devant le Gabon), elle est aujourd'hui le premier producteur de pétrole de la Zone franc .

Les exportations de pétrole, qui représentent 89% des recettes budgétaires, soutiennent puissamment la croissance équatoguinéenne, tous les grands indicateurs économiques du pays affichant un dynamisme exceptionnel : PIB en augmentation de 270 % entre 2003 et 2006, taux d'investissement oscillant chaque année autour de 40 % du PIB depuis quatre ans, recettes budgétaires multipliées par 10 depuis 2000, endettement public passé en dessous de 2,5 % du PIB en 2006, etc.

A cela s'ajoutent d'autres richesses potentielles encore pratiquement inexploitées (les revenus du pétrole suffisant pour le moment à irriguer l'économie) mais qui, grâce aux investissements rendus possibles par l'abondance des liquidités, pourraient accroître encore les capacités productives globales du pays : d'immenses ressources halieutiques et sylvicoles, notamment 18 ( * ) .

2. Des signes de décollage social

Ces données brutes doivent être nuancées , car la gouvernance économique du pays, encore défectueuse sur bien des points, n'assure pas une répartition fluide et équitable des résultats exceptionnels de l'économie : la corruption reste importante, la mise en place de règles de rigueur et de transparence est lente et une grande part de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté.

Selon les statistiques du PNUD, l'Indice de développement humain (IDH 2004) situe la Guinée équatoriale à la 111 ème place (sur 173 pays), avec une espérance de vie moyenne très médiocre (43 ans pour les hommes, 46 ans pour les femmes) et moindre, par exemple, qu'au Gabon.

Sous la conduite du nouveau Premier ministre , M. Ricardo Mangue Obama Nfubea, désigné par le Président Obiang le 14 août 2006, le Gouvernement équatoguinéen entend remédier à ces carences : il a inscrit la lutte contre la corruption comme une de ses priorités, et a décidé différentes mesures pour améliorer le niveau de vie de la population (hausse du salaire minimum, baisse des prix des produits de première nécessité, etc.) ; il a en outre lancé un important programme d'équipements éducatifs et scolaires, d'infrastructures sanitaires, etc.

3. Un système politique un peu assoupli

Sur le plan politique, la Guinée équatoriale est encore assez loin d'une démocratie pluraliste au sens européen du terme . Cela étant, si d'avis général l'emprise du Président Obiang Mguema reste extrêmement forte sur tous les secteurs de la vie publique, le pays ne vit plus sous un régime de dictature, un Parlement élu fonctionne de manière régulière et le Chef de l'État semble aujourd'hui désireux d'engager son pays sur la voie d'une certaine libéralisation.

Amorcée en 1991 par l'adoption d'une nouvelle Constitution, cette orientation a été confirmée par la reconnaissance -au moins théorique- du multipartisme à partir de 1992. Depuis lors, il est vrai, l'ex parti unique, le Parti démocratique de Guinée équatoriale -PDGE- a très largement remporté toutes les élections nationales et locales, mais il n'a cependant plus le monopole des sièges. Une opposition démocratique intérieure émerge lentement : elle est représentée principalement par le parti Convergence Pour la Démocratie Sociale (CPDS). Bien que très faiblement représenté au Parlement (2 députés sur 100, dont un était d'ailleurs présent lors de la réunion de travail à laquelle la délégation sénatoriale a participé à Bata le 28 février), ce parti dispose d'une assez bonne implantation géographique (dans certaines zones de la partie continentale et dans certaines villes) et sociale, notamment auprès des jeunes.

En avril 2006, le Président Obiang a envoyé un signal encourageant dans son discours à l'issue de la session parlementaire, soulignant la nécessité d'un changement politique vers plus de démocratie . En quelques mois, plusieurs mesures ont été prises dans ce sens : limogeage de plusieurs hauts responsables ministériels accusés de corruption, obligation pour les membres du Gouvernement de déclarer leur patrimoine personnel, libération d'opposants politiques, etc.

Pareillement, depuis 2006, le Chef de l'État a fait des gestes allant vers un respect plus exigeant des droits fondamentaux, notamment l'adoption d'une loi contre la torture en novembre 2006.

4. La francophonie en Guinée équatoriale : un choix d'ouverture

Pays à population encore majoritairement hispanophone, la Guinée équatoriale a fait le choix du français comme seconde langue officielle et s'engage résolument dans la voie de la francophonie

Pour les autorités équatoguinéennes -à commencer par le Président Obiang- cette option ne traduit aucunement une volonté de rompre avec l'héritage colonial espagnol mais, de manière beaucoup plus positive, se fonde sur une réalité géopolitique évidente : la langue française est un instrument d'ouverture internationale et d'intégration dans un environnement régional où la plupart des voisins sont francophones (le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo et le Gabon, pour s'en tenir aux États limitrophes).

Ce souci d'ouverture régionale -constante de la diplomatie équatoguinéenne depuis des années- a aussi conduit le pays à adhérer à la CEEAC en 1983, à la zone Franc en 1989 et, plus récemment, à l'OHADA en 1999.

La Guinée équatoriale a dans le même temps adhéré à la Communauté économique et monétaire des États d'Afrique centrale (CEMAC), au sein de laquelle ses ressources financières lui permettent désormais d'exercer d'importantes responsabilités ; elle est devenue, en particulier, le premier contributeur à la Banque des États d'Afrique centrale (BEAC), avec des avoirs représentants plus de 60 % des dépôts de cette institution, soit près d'un milliard de dollars. En outre, à l'issue d'un sommet extraordinaire à Bata en mars 2006, la Guinée équatoriale a obtenu la présidence du comité de réforme de la CEMAC.

5. Des relations bilatérales à densifier

Dans son précédent rapport en 2003, le groupe d'amitié estimait que la France n'était sans doute pas assez présente en Guinée équatoriale : ce constat conserve toute son actualité en 2007 .

Comme l'a souligné M. François Trucy, Président délégué du groupe pour la Guinée équatoriale, lors de la réunion de travail avec les députés équatoguinéens, ce pays envoie aujourd'hui un ensemble de signes positifs plaidant pour le renforcement de nos liens bilatéraux : un cadre politique moins fermé qu'il y a encore peu d'années, quelques avancées dans le domaine des droits de l'homme, des progrès économiques remarquables induisant une demande forte d'équipements de toute sorte et le choix de la Francophonie en tant que vecteur d'intégration.

Face à ces évolutions, la France est-elle assez réactive ?

Certes, notre pays reste un des grands partenaires commerciaux de la Guinée Équatoriale mais le montant des exportations françaises, bien qu'en augmentation, ne s'est élevé qu'à 51,1 millions d'€ en 2005, très loin, en comparaison, du montant de nos exportation vers le Gabon (440 millions d'€). D'autre part, notre balance commerciale vis-à-vis de la Guinée équatoriale est fortement déficitaire (123 millions d'€ en 2005) à cause de gros achats pétroliers (89% de nos importations en provenance ce pays).

Pareillement, si l'aide publique française au développement est la deuxième (après celle de l'Espagne), elle reste modeste en valeur (4,3 millions d'€ en 2006) et accuse une forte diminution depuis vingt ans (elle a décru de 400 % entre 1988 et 2006), alors que la demande équatoguinéenne pour le développement de notre coopération est aujourd'hui beaucoup plus forte qu'avant, notamment dans le domaine culturel, scolaire et de l'apprentissage du français.

Et s'il est vrai qu'après l'échec des compagnies françaises au moment des premières prospections pétrolières, les compagnies américaines, plus chanceuses, se sont assuré la totalité de la production d'hydrocarbures, le Président Obiang regrette que nos entreprises ne se soient pas mieux positionnées dans d'autres secteurs appelés à se développer, comme la pêche, l'agriculture ou l'élevage .

* 15 Anciennement île Fernando Pô, du nom du navigateur portugais Fernão do Pó, qui découvrît ce territoire en 1472.

* 16 Le Traité de Paris, qui délimitait aussi le tracé frontalier du Sahara, suscitera par la suite bien des difficultés ; il serait ambigu, en particulier, sur l'attribution exacte de l'Îlot de Mbanié, aujourd'hui revendiqué par le Gabon et la Guinée équatoriale.

* 17 La dictature du Président Macias a laissé des séquelles profondes dans le sentiment national. Durant cette période, la plupart des Européens (dont environ 7 000 Espagnols) quittèrent le pays, les opposants politiques furent tous massacrés et plus de 100 000 nationaux se réfugièrent à l'étranger. A partir de 1973, il ne subsistait comme administration que la Guardia Nacional et un corps paramilitaire de tueurs encadrés par des officiers proches du Président.

* 18 La Guinée équatoriale dispose d'un domaine maritime dix fois supérieur à sa surface terrestre, qui n'est pour le moment exploité que par quelques entreprises artisanales ; la forêt tropicale couvre quant à elle 2,2 millions d'hectares, dont moins d'un cinquième en exploitation. Les experts misent également sur quelques ressources minières.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page