III. RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : LA REMISE EN MARCHE D'UN ETAT

Au coeur de l'Afrique centrale, enclavée sans accès côtier entre le Cameroun à l'ouest, le Tchad et le Soudan au nord, le Congo (Brazzaville) et la République démocratique du Congo (ancien Zaïre) au sud, l'actuelle République centrafricaine -ex Oubangui-Chari 20 ( * ) - s'étend sur la rive droite des territoires qui, de part et d'autre du fleuve Oubangui, se partageaient à l'époque coloniale entre la France et la Belgique.

Pourvue de ressources naturelles, la Centrafrique pourrait compter parmi les États africains moyennement riches mais paradoxalement, elle est devenue aujourd'hui un des plus pauvres et des plus désorganisés , du fait des conflits internes et extérieurs quasi incessants qui déstabilisent ce pays depuis son accession à l'indépendance.

Lors de son séjour en République centrafricaine -où le groupe d'amitié ne s'était encore jamais rendu- la délégation sénatoriale a clairement perçu les immenses difficultés auxquelles la Centrafrique est aujourd'hui confrontée, mais aussi la volonté de son Président, le Général François Bozizé, de restaurer au plus vite la légalité institutionnelle, la sécurité intérieure et la paix civile, ainsi que de relancer l'économie du pays : sous son autorité, et avec l'aide de la communauté internationale, l'État centrafricain se remet en marche.

A. UN PAYS EN INSTABILITÉ CHRONIQUE DEPUIS PLUS DE TRENTE ANS

La République centrafricaine a été proclamée le 1er décembre 1958, sous l'impulsion, notamment, de Barthélemy Boganda, prêtre missionnaire emblématique, devenu député en 1946 (membre du groupe du MRP) et qui renoncera à l'exercice du sacerdoce pour se consacrer entièrement à l'émancipation africaine. Sa disparition brutale en mars 1959 dans un accident d'avion mal élucidé est la première d'une série de vicissitudes qui, très vite, vont plonger le jeune État dans plus de 30 ans d'instabilité politique.

Le 13 août 1960, la Centrafrique accède à l'indépendance sous la présidence de David Dacko (un des cousins de Barthélemy Bonganda). Comme dans plusieurs autres pays africains issus de la décolonisation, le nouveau Chef d'État fera adopter une Constitution à parti unique (1964) lui permettant de concentrer entre quelques mains pratiquement tous les pouvoirs.

LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : QUELQUES REPÈRES

Capitale

Bangui

Superficie

623 000 km²

Population

4 millions d'ha

Croissance démographique

1,3 %

Pourcentage de moins de 15 ans

43,1 %

Langue officielle

Français, sango

Religions

Animisme, christianisme, Islam

Indicateur du développement humain

172 ème sur 177 pays (PNUD 2006)

Espérance de vie

39,1 ans (PNUD 2004)

Devise

Franc CFA

PIB

1,4 milliard $ (2005)

Répartition du PIB

Agriculture, 54 % ; industrie, 21 % ; services, 25 %

PIB / ha

350 $

Pourcentage de personnes vivant avec moins de 1 $ par jour

66,6 % (PNUD 2004)

Inflation

2,9 % (2005)

Balance commerciale

- 10 million $ (2005)

Principaux clients

Belgique (40 %), France (11 %), Espagne (10 %)

Principaux fournisseurs

France (37 %), Pays-Bas (23 %), Cameroun (22 %)

Exportations Françaises vers la RCA

26 millions €

Importations Françaises de RCA

13,6 millions €

Chef de l'État

Général François Bozizé

Ambassadeur de France

M. Alain Girma

Communauté française

1 174 ressortissants immatriculés (2006)

Source : Ministère des Affaires étrangères. En l'absence d'appareil statistique fiable, certains indicateurs sont anciens.

1. La désagrégation du pouvoir d'État en Centrafrique jusqu'en 2003

Dès l'année suivante, lors du « coup d'État de la Saint-Sylvestre », un des cousins du Président, Jean-Bedel Bokassa, renverse David Dacko et confisque le pouvoir, mettant progressivement en place une politique autoritaire, très répressive et de plus en plus dispendieuse ; le 4 décembre 1977, il se fait sacrer Empereur Bokassa I er , titre qu'il portera jusqu'en septembre 1979, date à laquelle l'opération Barracuda , organisée avec l'appui français, le renverse et remet au pouvoir le Président Dacko.

Ce dernier restaure la forme républicaine du gouvernement et rétablit censément les libertés fondamentales, sans parvenir toutefois à endiguer une agitation sociale grandissante. Deux ans plus tard, en septembre 1981, le général André Kolingba contraint David Dacko à lui céder le pouvoir et instaure un régime militaire.

Il faut attendre 1993 pour que des élections soient organisées, portant à la présidence Ange-Félix Patassé. Pour autant, l'instabilité politique et les troubles sociaux persistent. En janvier 1997, après la mort à Bangui de l'ancien empereur Bokassa, des accords entre les factions rivales paraissent devoir mettre un terme aux tensions, aboutissant en septembre 1999 à la réélection d'Ange-Félix Patassé. Mais rapidement, de nouveaux incidents violents éclatent dans le pays, sans que l'intervention de la communauté internationale parvienne à rétablir la paix civile, tandis qu'à Bangui le pouvoir d'État se délite de plus en plus, laissant libre cours aux pillages.

Le 15 mars 2003 l'ancien chef d'état-major, le général François Bozizé renverse le Président Patassé et parvient enfin à reprendre le contrôle de la situation. Après des élections plusieurs fois reportées pour des problèmes d'organisation, François Bozizé est élu Président de la République au second tour le 8 mai 2005, avec 64,6 % des voix face à son rival, Martin Ziguélé, l'ancien Premier ministre au moment du coup d'État de mars 2003. Selon les observateurs internationaux présents lors des deux tours de scrutin, ceux-ci se sont déroulés dans des « conditions satisfaisantes » et « dans le calme et la sérénité ».

2. L'indispensable redressement d'une économie sinistrée

La République centrafricaine dispose de potentialités économiques qui, il y a encore une quinzaine d'années, faisaient d'elle un pays relativement à l'aise -on parlait encore de « Bangui la coquette » !- même si la gestion des ressources y a toujours pâti d'une forte corruption, de népotisme, de fraudes diverses (la « prédation », pour reprendre le terme d'usage) et, surtout, d'une agitation politique chronique ponctuée de saccages et de détériorations des équipements publics et de l'appareil productif.

A la longue, les grands gisements de revenus -principalement le diamant, le bois, le coton et l'élevage- n'ont pas résisté : les conflits internes, les exactions des groupes armés, les déplacements de population et un endettement extérieur croissant ont ruiné l'économie centrafricaine, aujourd'hui exsangue et presque entièrement à reconstruire.

La relance de l'économie est d'ailleurs une des priorités du Président Bozizé, auquel la communauté internationale apporte son concours depuis les élections de 2005, notamment grâce aux efforts de sensibilisation déployés par la France.

Aujourd'hui, les bailleurs multilatéraux sont mobilisés en faveur de la RCA : outre la mise en oeuvre d'un fonds de 4 millions de $ par la Banque mondiale dans le cadre de l'initiative LICUS ( Low Income Countries Under Stress ), un nouveau programme post-conflit (10 millions de $) a été signé avec le FMI en janvier 2006 21 ( * ) .

3. Un retour très graduel à la stabilité intérieure et extérieure

Comme l'a souligné le Président Bozizé devant la délégation sénatoriale -et selon un avis partagé par l'ensemble de la communauté internationale- le rétablissement de la paix civile et la cessation des opérations armées sont un préalable indispensable au redémarrage de l'État centrafricain ; or, si dans ce domaine, des progrès appréciables ont été accomplis depuis 2003, la situation intérieure est encore loin d'être totalement stabilisée, tandis que dans l'intervalle, la survenance de conflits externes -au Darfour, notamment- contribue à brouiller un paysage géopolitique déjà fort complexe.

Pour s'en tenir aux événements le plus récents, on rappellera que le Président Bozizé a engagé des pourparlers avec toutes les factions en présence (les différentes « rebellions », pour reprendre le terme en usage dans le pays). Le processus, placé sous l'égide d'un « comité des sages » informel destiné à faciliter le dialogue national, a conduit à la désignation d'un coordinateur, le pasteur Zokoé, dont la mission était d'identifier les groupes avec lesquels un dialogue pourrait être utilement ouvert, tâche d'autant plus délicate que les positionnements des uns et des autres sont susceptibles d'évoluer au gré des circonstance du moment 22 ( * ) .

Parallèlement, le Président Kadhafi a proposé la médiation de la Libye, démarche acceptée par plusieurs groupes rebelles et qui a finalement abouti à la conclusion d'un accord conclu à Syrte le 2 février 2007 entre les négociateurs du Gouvernement centrafricain et les représentants de deux des principaux mouvements armés, le FDPC (Forces démocratiques pour le Peuple centrafricain) et l'UDFR (Union des Forces démocratiques pour le Rassemblement, composée notamment d'un certain nombre des « ex-libérateurs » ayant combattu aux côté du Général Bozizé en 2003 et qui, depuis, s'estiment insuffisamment récompensés pour leur soutien).

Cet accord sera-t-il durablement respecté ? Il était en tout cas bien trop récent pour en juger au moment du passage de la délégation sénatoriale à Bangui, même si beaucoup d'observateurs s'interrogeaient déjà sur sa portée 23 ( * ) , à partir du moment où plusieurs factions armées n'ont pas été conviées aux négociations, tandis que d'autres n'ont pas fait connaître clairement leur position (notamment l'Armée Populaire pour la Restauration de la République et la Démocratie -APRD, dans la mouvance patassiste- et l'Union des Forces Républicaines).

A ces incertitudes politiques s'ajoutent deux motifs sérieux de préoccupation : au plan international, l'incidence difficilement quantifiable des autres conflits régionaux (en République démocratique du Congo, au sud du Tchad et au Darfour, notamment), aggravés par les déplacements -spontanés ou forcés- de populations à travers des frontières mal gardées ; au plan interne, le climat d'insécurité entretenu par les « coupeurs de route », autrement dit des bandits de grand chemin qui profitent de l'affaiblissement de l'État pour commettre des violences et des exactions de toute sorte.

Quoi qu'il en soit, la délégation sénatoriale, sans minorer les difficultés objectives auxquelles la République centrafricaines doit faire face, croit opportun de souligner l'impression positive que suscite l'action du Président Bozizé , qui a bien pris en compte l'ampleur des problèmes et paraît déterminé à leur apporter les solutions pertinentes.

Pour restaurer la confiance du peuple centrafricain dans ses institutions, le Président devra toutefois s'assurer de la maîtrise et du sang-froid de ses propres forces armées, impératif qui ne semble pas toujours respecté si l'on considère les dérapages et les diverses atteintes aux libertés individuelles qui leur sont régulièrement imputés.

UN RAPPORT RÉCENT (AVRIL 2007) DEVANT LE CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L'ONU

SUR LA DÉGRADATION DE LA SITUATION HUMANITAIRE EN CENTRAFRIQUE

De retour d'une mission en Afrique effectuée peu de temps celle de la délégation sénatoriale, le secrétaire général adjoint aux Affaires humanitaires de l'ONU, M. John Holmes, a présenté devant le Conseil de sécurité, le 4 avril 2007, un exposé alarmiste sur la situation humanitaire en République centrafricaine.

Il a fait état de la désolation des villages détruits et désertés dans le nord, le nord-ouest et le nord-est du pays, suite aux combats opposant les forces armées régulières et les rebelles, ceux de l'APRD et de l'UFDR notamment.

Il estime que depuis un an, le nombre des personnes déplacées est passé de 50 000 à plus de 212 000, avec environ 70 000 ressortissants centrafricains réfugiés au Tchad et au Cameroun. Leur situation est aggravée par l'absence de structures collectives d'accueil des réfugiés, dont beaucoup s'installent de manière précaire dans des camps de fortune en brousse ou en lisière des forêts, sans aucun équipement sanitaire ni accès aux services humanitaires de base ; en outre, leur dispersion rend leur dénombrement -et a fortiori leur prise en charge- très aléatoires.

Toujours selon M. Holmes, près d'un millions de Centrafricains (soit le quart de la population) auraient besoin d'assistance, situation qui devrait même empirer dans les mois à venir en fonction des aléas climatiques.

Sur un plan plus politique, le rapport du secrétaire général adjoint relève les faiblesses de l'appareil d'État, « plus présent sous aucune forme » ( sic ) ; il relaie par ailleurs un certain nombre d'allégations concordantes sur les dérapages des forces gouvernementales, à tel point que dans le nord-ouest, les personnes déplacées affirmeraient de manière quasi-unanime « avoir fui les représailles des forces armées et de la garde présidentielle » ( sic ).

* 20 En 1889, fut fondée la première ville française, Bangui, qui deviendra plus tard la capitale de la colonie. A partir de 1910, l'Oubangui-Chari sera rattaché à l'Afrique équatoriale française.

* 21 Le remboursement des arriérés vis-à-vis de la Banque Africaine de Développement (BAD), préalable à une normalisation des relations de la RCA avec les bailleurs de fonds internationaux, a été bouclé en novembre 2006. Un mécanisme de remboursement particulier a été mis en place, avec 18 millions d'€ à charge des bailleurs bilatéraux. La France et l'Union européenne ont chacune contribué à hauteur de 5 millions d'€. Dans la foulée, la Banque Mondiale a approuvé à l'unanimité un programme en faveur de la RCA, visant à lui accorder un don de 82 millions de $, dont 60 serviront à apurer ses arriérés. Il s'agit d'un traitement exceptionnel en faveur d'un pays fragile. Enfin, le FMI a octroyé une enveloppe de 54,5 millions de $ le 22 décembre 2006. Ces initiatives sont le préalable pour voir la RCA intégrer l'initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés).

* 22 Comme souvent dans les périodes post-conflit, un des défis auquel est confronté la Centrafrique tient précisément au fait que les alliances, les lignes de partage et les aires d'influence ne sont ni clairement ni durablement tracées.

* 23 Du reste, dès le lendemain de son arrivée en Centrafrique, la délégation a appris que des combats venaient de reprendre à Birao dans le nord-est du pays. Au moment où sont rédigées ces lignes, la presse signale cependant que les responsables de la rébellion de UFDR et le Gouvernement de Bangui viennent de signer le 13 avril 2007 un accord de paix en dix points à Birao, prévoyant notamment la cessation immédiate des hostilités, le cantonnement des combattants de l'UFDR, la réintégration des militaires ou fonctionnaires ayant rejoint la rébellion, la réinsertion des combattants rebelles dans la vie civile et l'engagement de l'UFDR à renoncer à la lutte armée comme forme de pression ; le texte prévoit aussi l'amnistie des combattants de l'UFDR et la libération des détenus. Outre le Président Bozizé, assistaient à la signature le représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU en Centrafrique et des officiers centrafricains, français et de la FOMUC. « Avec la signature de cet accord, il n'y aura plus de trouble ni de combats ; la population de Birao pourra vivre en toute quiétude », aurait déclaré le président Bozizé après la signature de l'accord.

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