C. POLITIQUE LINGUISTIQUE EN CORÉE

C'est à l'école qu'a lieu le premier contact avec les langues étrangères. En théorie, les lycéens peuvent choisir deux langues parmi les six suivantes : anglais, allemand, français, chinois, japonais et espagnol, mais, en réalité, la plupart des lycées n'enseignent que deux langues : l'anglais et, en général, l'allemand dans les lycées de garçons, le français dans les lycées de filles et le japonais dans les lycées techniques, le chinois et l'espagnol étant très peu enseignés. La répartition des élèves apprenant les langues 37 est la suivante :

 

1983

1993

Allemand

650 000

(44,6 %)

505 000

(43,2 %)

Japonais

460 000

(31,5 %)

325 000

(27,8 %)

Français

334 000

(22,9 %)

288 000

(24,6 %)

Chinois

11 000

(0,7 %)

42 000

(3,6 %)

Espagnol

4 000

(0,3 %)

9 000

(0,8 %)

TOTAL

1 459 000

(100 %)

1 169 000

(100 %)

Le nombre total d'élèves a décru de près de 20 % en dix ans. Cela explique la diminution de leur nombre dans les trois principales secondes langues étrangères, allemand, japonais et français. Toutefois, les proportions respectives varient : la part de l'allemand et du japonais diminue globalement de plus de 5 % au profit du français (+ 1,7 %) et surtout du chinois (+ 2,9 %) dont le nombre d'élèves a presque quadruplé. C'est avec l'espagnol la seule langue dont le nombre d'élèves progresse, partant, il est vrai, de très bas.

_________________________

37
Statistical Year Book of Education, Ministry of Education, Séoul, Koréa 1983-1993-1994.

Il est intéressant de constater que l'enseignement/apprentissage des secondes langues est partagé de façon très variable entre garçons et filles, comme l'indique le tableau ci-après.

Proportion filles/garçons en 1994

 

Allemand

Français

Espagnol

Chinois

Japonais

Filles

140 115

190 855

5 063

16 169

153 419

Garçons

344 855

93 502

3 394

32 045

153 532

TOTAL

484 970

284 357

8 457

48 214

306 951

On constate que l'allemand est enseigné à une majorité de garçons (71 % de l'ensemble). A l'inverse, plus des deux tiers des élèves de classes de français sont des filles (67 %). Le japonais est enseigné à autant de filles que de garçons.

A l'université, le japonais vient en cinquième position après l'anglais, l'allemand, le français et le chinois. Cette différence de classement du japonais entre les lycéens et les étudiants est due à des motivations différentes : utilitaires pour les premiers, plus intellectuelles pour les seconds.

A l'issue des études secondaires, les élèves coréens n'ont retenu que peu de choses de l'enseignement de leur seconde langue, à l'exception du japonais, plus proche de leur langue maternelle. Même si ces élèves ont poursuivi l'étude de cette langue à l'université, ils demeurent incapables de communiquer avec les natifs du pays concerné. Ce n'est que par des enseignements complémentaires -cours particuliers, cours diffusés par des organismes privés ou semi-privés, du type Alliance Française et Institut GOETHE, ou encore séjours à l'étranger- que les étudiants peuvent réellement s'exprimer dans ces langues.

Le Ministère de l'Education a tenté, à plusieurs reprises, de modifier la politique linguistique concernant les secondes langues, mais avec des résultats divers.

La première réforme, en 1973, a eu pour objectif la valorisation des secondes langues. Le Ministère de l'Education a donné le feu vert pour le rétablissement du japonais au lycée et il a permis aux lycéens de choisir, au concours d'entrée à l'université, une seconde langue à la place de l'anglais.

Grâce à cette politique, le japonais s'est développé rapidement, mais, pour les autres langues, cet essai de valorisation n'a pas donné les résultats escomptés, à cause du niveau beaucoup trop faible exigé par rapport à l'anglais : ce dernier était jugé bien plus sévèrement, car supposé mieux connu, alors que des connaissances rudimentaires de seconde langue permettaient d'obtenir des notes plus élevées. Une autre raison de cet échec tient aussi au manque de formation des enseignants en langues étrangères autres que l'anglais. De plus, la valorisation de ces langues s'est heurtée au sentiment général de leur inutilité face à l'anglais.

La deuxième réforme de 1986 a été nettement défavorable au développement des secondes langues, car elle poussait à leur abandon sous prétexte que les lycéens n'avaient pas le temps de s'y consacrer, trop pris par la préparation du concours d'entrée : elle permettait aux garçons de choisir une langue étrangère ou la technologie ; les filles avaient le choix entre une langue étrangère et la gestion ménagère. Par conséquent, même les élèves voulant se spécialiser en langues ne les prenaient pas, pour ne pas être désavantagés par rapport à ceux qui optaient pour ces matières relativement faciles à retenir.

De toute évidence, cette mesure ne prenait pas en compte l'une des exigences de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire pouvoir étudier sur les textes originaux, français ou allemands. C'est pourquoi l'examen d'entrée en maîtrise et en doctorat demande une bonne connaissance d'une de ces langues. On peut donc facilement imaginer les difficultés que peuvent rencontrer les étudiants pour arriver à mener à bien leurs études universitaires et post-universitaires, après un apprentissage sommaire de la seconde langue au lycée 38 .

Cette politique n'a pas tardé à être abandonnée à la suite d'une forte contestation du milieu universitaire et intellectuel. Il est à noter que le vice-ministre de l'Education de l'époque a encouragé les lycées à choisir le français et l'espagnol de préférence à l'allemand " majoritairement adopté par un attachement anachronique à la tradition japonaise " (K.S. JONG, 1988).

En 1992, une nouvelle réforme a de nouveau pris conscience de l'importance des langues étrangères dans les études. Depuis cette date, la seconde langue est obligatoire au concours d'entrée : ainsi les candidats, désireux de s'inscrire en sciences humaines ou en lettres, doivent passer les quatre matières suivantes avec un coefficient variable selon l'importance de la matière :

- Langue nationale : 130

- Anglais : 120

- Mathématiques : 90

- Seconde langue : 60

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38
Cf. Jung-Chul SUH, La deuxième langue étrangère et l'avenir de l'éducation en Corée, Fondation culturelle franco-coréenne - Alliance Française 1986, pp. 38-41.

La dernière réforme, présentée en mars 1995 39 , prévoit, d'une part, d'intégrer l'anglais à partir de 1997 parmi les matières régulières et obligatoires des quatre dernières années de l'école primaire et, d'autre part, d'ajouter dès maintenant le russe et, à compter de 2001, l'arabe dans l'enseignement des secondes langues au lycée. A cette même date, le nombre d'heures hebdomadaires pour toutes ces langues sera augmenté.

Ce projet d'amélioration de l'enseignement/apprentissage des langues étrangères dans le cadre institutionnel est sans doute décisif pour la Corée qui entre dans l'ère de la mondialisation. Les dirigeants ont enfin pris conscience du besoin urgent de rénover cet enseignement/apprentissage " centré sur la grammaire et la lecture ", qui conduisait à un résultat médiocre pour la pratique de la langue.

Les efforts prévus pour la mise en valeur de l'oral sont les suivants :

- révision de la loi actuelle interdisant aux étrangers de donner des cours dans le primaire ;

- recrutement massif d'étrangers d'origine coréenne, spécialisés dans l'anglais langue étrangère (8 000 embauches annoncées dans un premier temps) ;

- nouveau programme de formation des enseignants du primaire, avec pour objectif principal de rendre les apprenants capables de " parler, écouter et comprendre correctement l'anglais " ;

- autorisation, dès 1996, pour les écoles primaires, d'ouvrir une classe de conversation anglaise une fois par semaine, puis bi-hebdomadaire à partir de 1997 ;

- autorisation, pour les universités anglophones, d'établir leurs annexes en Corée et implantation de lycées internationaux destinés aux élèves revenant au pays, après avoir suivi leurs parents en poste à l'étranger.

Ces nouvelles mesures auront ainsi des conséquences pour les études secondaires et universitaires. L'accent sera mis davantage sur l'expression et la compréhension orales, y compris au concours d'entrée en faculté.

Cette meilleure appréhension de l'anglais aura également des effets sur l'enseignement/apprentissage des secondes langues, plus axé sur la dynamique de la langue. Ceux qui maîtriseront l'anglais auront plus de facilités et de motivation pour aborder une autre langue, comme les enseignants le constatent déjà maintenant : les meilleurs sont souvent ceux qui parlent couramment anglais ou une autre langue. Leurs

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39
Les futurs mini-anglophones, Le Courrier de la Corée, n° 929, 4 mars 1995, p. 21.

habitudes d'apprentissage et leur capacité à s'organiser des données sont tout à fait transposables. L'augmentation des horaires obligera, en outre, à diversifier cet enseignement/apprentissage trop livresque et routinier.

L'ouverture récente de lycées de langues étrangères dans les villes principales, favorise cette nouvelle politique. Actuellement, on dénombre douze lycées de langues étrangères (cinq dans la capitale), comptant 549 enseignants, 13 636 élèves dont 7 284 filles. Celui de Pusan en est un bon exemple.


· Lycée des Langues Etrangères de Pusan 40

Ville portuaire, grand centre d'échanges internationaux, Pusan est confrontée à la nécessité de s'adapter aux changements extérieurs. La connaissance des langues étrangères y prend une dimension particulière.

A la suite d'une expérience positive à Séoul, le Lycée des Langues Etrangères de Pusan a ouvert en 1985, avec l'objectif précis de former des lycéens en langues étrangères (l'anglais, première langue obligatoire, la seconde langue au choix parmi le japonais, le chinois, le français et l'allemand), en mettant l'accent sur l'enseignement/apprentissage intensif des langues-cultures dès le secondaire.

Ce lycée présente certaines particularités : il s'agit d'un établissement mixte, ce qui est rare en Corée, et il dispose d'un matériel didactique assez important : trois laboratoires de langues, trois salles de projection et quatre salles spécialement aménagées pour la pratique de la langue ; elles sont conçues pour 25 élèves, avec des tables disposées en demi-cercle autour du bureau de l'enseignant, et un écran vidéo au mur.

Il dispense un enseignement conjoint, partagé par des enseignants natifs et coréens. Six professeurs étrangers enseignent la langue de leur pays d'origine, où ils ont acquis la formation nécessaire. La particularité de leur travail tient au fait qu'ils animent le cours de conversation dans la langue d'apprentissage. La priorité est donnée à l'oral, aux expressions courantes. Pour illustrer leurs cours, ils sont libres de choisir le matériel didactique, ce qui leur permet d'utiliser des sources, écrites ou sonores, conçues dans le pays d'origine.

Vingt-cinq enseignants locaux sont, quant à eux, chargés de l'enseignement de la grammaire donné en coréen. Ces enseignants se perfectionnent dans le cadre de la formation continue, en participant à des stages à l'étranger et en travaillant sur l'élaboration et l'approfondissement des matériels didactiques avec l'aide de spécialistes.

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40
La présentation du lycée est réalisée à la suite d'entretiens locaux avec le Proviseur et les trois enseignants étrangers en mars 1992.

Les élèves brillants bénéficient de bourses annuelles : une dispense intégrale des droits d'inscription, en plus d'une allocation de 10 000 francs par an. Les élèves en chinois et en japonais peuvent effectuer des stages dans des lycées jumelés à Taïwan et au Japon. S'ils choisissent les mêmes langues à l'université, les notes qu'ils ont obtenues au lycée, en contrôle continu, leur resteront acquises pour l'épreuve de langue au concours d'entrée. C'est une incitation supplémentaire à étudier davantage les langues, en plus des programmes d'études imposés par l'Institution.

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