Colloque économique sur le Brésil



Message vidéo de Mme Anne-Marie IDRAC
Secrétaire d'Etat au Commerce extérieur

2009 sera l'année du Brésil, et j'espère que nombre d'entreprises pourront y participer et en bénéficier. Je trouve que l'impact potentiel du Brésil sur le développement de nos affaires est méconnu. C'est un marché de 200 millions de personnes, avec de grandes richesses en hydrocarbures. Ce pays se développe avec une volonté très forte et affirmée de se moderniser, ce qui crée un climat des affaires porteur. C'est pourquoi j'ai décidé de mobiliser toutes les énergies françaises susceptibles d'encourager l'exportation et le dynamisme de nos affaires pendant cette année du Brésil. Je veux parler des missions économiques, des conseillers du commerce extérieur, des milieux consulaires, des fédérations professionnelles, tout ceci via 40 événements en 2009.

Le programme s'ouvrira dès la semaine du 11 novembre 2008 par des rencontres bilatérales dans plusieurs villes du Brésil qui seront l'occasion de relations B to B entre plusieurs centaines de PME brésiliennes et françaises. En 2009, 40 événements se succèderont, principalement structurés autour de 3 thèmes : l'art de vivre, les capacités d'innovation technologique des entreprises françaises et le développement durable et social.

Venez très nombreux, je suis sûre qu'il y a beaucoup de chances à gagner avec le Brésil.

Table ronde n°1
« Brésil, véritable puissance économique du XXIème siècle »

La table ronde est animée par M. Hervé LE ROY, Chef des services économiques au Brésil.

Participants : MM. Jean-Marc LAFORET, Luiz PEIRA DA SILVA, Jean-Paul BETBEZE et Hervé THERY.

Cette table ronde permettra d'expliquer pourquoi le Brésil est devenu une grande puissance économique, via un focus politique avec Monsieur Jean-Marc LAFORET, un focus financier avec Monsieur DA SILVA de la Banque Mondiale et enfin un volet agricole, très important pour le Brésil, traité par M. Hervé THERY, chercheur au CNRS. Pour terminer, M. Jean-Paul BETBEZE livrera une analyse de la situation et des perspectives du Brésil comme véritable puissance du XXI ème siècle.

M. Hervé LE ROY
Chef des services économiques au Brésil

Bonjour à tous. Cette première table ronde, comme les deux qui vous seront proposées aujourd'hui, sera ponctuée par l'intervention de l'ancien ministre des Finances, M. Edmond ALPHANDERY, qui viendra témoigner en tant que Président du Conseil de surveillance de CNP Assurances, une des grandes entreprises françaises très impliquée sur le marché brésilien. En introduction je vais me permettre une petite présentation qui fixera un certain nombre d'idées et sera, comme toute introduction, à la fois simple voire simpliste par certains de ses aspects. Mais je suis entouré d'experts : M. Luiz PEREIRA DA SILVA, qui nous fait l'amitié de venir de Washington pour cette manifestation, M. Jean-Marc LAFORET du Ministère des Affaires Etrangères, Directeur adjoint de la zone Amérique et Caraïbes, M. Hervé THERY, chercheur au CNRS qui a résidé très longtemps au Brésil et va y retourner, tout comme M. Jean-Marc LAFORET qui a dû y passer près de 7 ans. Je suis donc entouré d'un brésilien et de personnes ayant vécu très longtemps au Brésil. En outre, un grand expert des pays émergents va nous rejoindre. Tous réagiront à mes propos et les complèteront.

« Brésil, véritable puissance économique du XXI ème siècle » :

Le titre est un peu grandiloquent, mais il ne faut pas hésiter à l'être pour changer l'image d'un pays. Ce titre a été choisi par nos soins, avec nos partenaires d'Ubifrance et des missions économiques. Notre objectif partagé est de vous transmettre une autre image que celle véhiculée traditionnellement par le Brésil : la plage, le carnaval ou la samba. Ces caractéristiques sont réelles, peuvent justifier un voyage mais apparaissent aujourd'hui extrêmement réductrices.

Pour commencer cette présentation et fixer les idées, j'ai tenté de répartir le monde en trois catégories : les pays qui bénéficient du capital de la terre, que j'ai chiffré à 4 millions de kilomètres carrés, ceux qui ont le capital humain, fixé à 100 millions d'habitants et ceux qui ont la richesse, avec un PIB supérieur à 800 milliards de dollars.

Ce classement aboutit à la répartition suivante:

· ceux qui ont la population -comme l'Indonésie, le Nigeria, le Bangladesh et le Pakistan- mais n'ont ni le capital terre ni le capital richesse ;

· ceux qui ont le capital richesse : ils sont bien sûr en Europe mais également en Corée du Sud ;

· ceux qui ont la superficie et la richesse : le Canada et l'Australie ;

· ceux qui ont la population et la richesse : l'Inde, le Mexique et le Japon.

Seuls 4 pays ont les 3, le capital terre, richesse et humain quantitatif : le Brésil, les USA, la Russie et la Chine. Trois d'entre eux ne nous surprennent guère, mais le fait est moins connu pour le Brésil.

Le PIB du Brésil se situe aujourd'hui entre 1 400 et 1 500 milliards de dollars. Un rapide classement au niveau sud américain place le Brésil largement en tête, suivi de très loin par le Mexique, puis par l'Etat de Sao Paulo qui dégage un PIB de 330 milliards de dollars, équivalent à celui de la Pologne. L'état de Rio de Janeiro dégage lui un PIB de 175 milliards de dollars, équivalent à celui d'Israël. Les chiffres sont révélateurs de la puissance et du potentiel brésiliens.

Comme l'a laissé entendre Christophe, fin connaisseur du Brésil, « on a toujours considéré ce pays comme le pays du futur... et qui le restera » . Cette expression n'est heureusement plus d'actualité. Nous lui préférons les propos du Président CHIRAC, lors de sa dernière visite au Brésil en mai 2006 : « l'une des économies qui domineront le monde dans moins de 15 ans »

Six raisons à cela :

La démographie

Les producteurs et les consommateurs vont s'enrichir : en effet, le pays traverse actuellement sa phase de transition démographique. Hormis guerre ou catastrophes naturelles de grande ampleur, la pyramide des âges brésilienne évolue. Nous passons d'une pyramide des âges d'un pays dit « en voie de développement » -avec une base extrêmement large et en forme de cône- à un pays qui entre dans les standards des pays dits plutôt développés. Cet état de faits découle d'un élément précis. Le taux de fécondité au Brésil a chuté des deux tiers dans les trente dernières années, passant de six enfants par femme en âge de procréer à seulement deux. Le taux de dépendance démographique, qui est la part entre la population active et inactive, sera de 50 % entre les années 2002 et 2030. Ainsi, nous trouverons autant d'actifs que d'inactifs, jeunes ou âgés. A partir de 2050, il y aura plus de personnes âgées inactives que de jeunes inactifs. Nous aurons donc globalement une population active plus nombreuse, plus riche et consommatrice. En découlent dès aujourd'hui une forte croissance de la consommation des ménages, l'émergence d'une classe moyenne désormais forte de 86 millions d'habitants, des consommateurs plus aisés et qui aspirent à davantage de confort.

Mais toute médaille a son revers : d'un point de vue social, la société brésilienne est l'une des plus inégalitaires du monde, composée de gens très riches et très pauvres. C'est un pays dont l'indice de développement humain n'est qu'au 66 ème rang sur les 150 pays mondiaux, soit à peine dans la première moitié. Ce chiffre n'est pas à la hauteur d'un pays ayant de telles ambitions. Par ailleurs, le système éducatif est largement défaillant, notamment les collèges et lycées.

Des ressources naturelles et énergétiques à foison

Je ne rentrerai pas dans les ressources minières et en uranium connues de tous. J'insisterai simplement sur deux points :

· C'est un futur grand pays pétrolier : le pays est déjà autosuffisant en produits pétroliers et nous ne pouvons ouvrir un journal au Brésil sans voir évoquer de nouvelles découvertes pétrolières. Celles-ci se situent en face de Santos et de Rio, donc proche des centres de consommation. Les événements du champ pétrolier au Brésil sont à suivre de très près. En effet, ce pays a toutes les chances de se retrouver entre la 6 ème et la 8 ème place des pays pétroliers au monde, dans les 15 ans à venir.

· La deuxième ressource dont je voudrais parler est l'eau , qui, comme tout le monde le sait sera le nerf de la guerre dans un terme de 50 à 100 ans. Le Brésil possède 12  % des ressources hydriques mondiales. Sa matrice de production d'électricité est générée par de l'hydroélectricité à 93 %.

Le « géant vert » ou la « ferme du monde »

Ces deux titres sont issus des conclusions des deux missions que M. LEROY a mentionnées précédemment : la commission économique du Sénat, qui s'est tenue fin 2006 au Brésil et la commission des finances. La première avait baptisé sa commission « le géant vert », la deuxième « la ferme du monde ». Ces formules fortes traduisent une réalité que j'ai choisi d'illustrer par une photo montage réalisé par le Brésil. Cette image nous donne un aperçu de ce qu'est l'agriculture brésilienne : 47 moissonneuses-batteuses, dans un champ gigantesque. Ce type de communication permet de véhiculer la puissance du Brésil.

J'aimerais citer ce pays en quelques chiffres : 8 % des surfaces cultivables mondiales, 12 % des ressources hydriques, une balance commerciale agricole excédentaire de 50 milliards de dollars. Pourtant, la balance du pays n'est excédentaire que de 40 milliards : le secteur agricole contribue à l'excédent commercial brésilien, tout comme certains leaders mondiaux de café, jus d'orange ou sucre.

Le Brésil est également le premier exportateur mondial de biocarburants. Le débat actuel s'interroge sur la capacité de nourrir les milliards d'habitants de cette terre. Certains diront que les biocarburants sont en concurrence avec la production de biens alimentaires au Brésil. Nous pouvons émettre quelques réserves sur cette position, mais la question du prix écologique reste posée, en termes de poids et d'équilibre dans la société. Cependant, les biocarburants constituent une des très grandes forces de l'économie brésilienne.

Les avantages compétitifs d'une industrie mondialisée.

Une autre force moins connue est illustrée par une photo : le pays est capable de devenir le troisième producteur mondial ou la 4ème puissance aéronautique. Cela suppose une structure et une ligne productrice performantes, que ce soit en électronique ou en matériaux. Le pays n'a pas agi seul, mais via des partenariats avec des sociétés étrangères. Le Brésil a acquis les technologies, les a intégrées et est maintenant capable de les développer.

Cela m'amène également à quelques constatations. Les sociétés ou grands groupes brésiliens sont extrêmement internationalisés à l'heure actuelle : 13 d'entre eux selon Boston Consulting Group seront les champions dans leur secteur d'activité dans 10 à 15 ans. A titre d'exemple, WEG qui construit et exporte des petits moteurs pour frigidaires ; CVRD, qui s'appelle désormais Weil, le co-leader au niveau mondial en matière de mines ; COTEMINAS dans le secteur textile ; GERDAU dans le secteur de l'aciérie et de la sidérurgie ; NATURA dans les cosmétiques et SADIA dans l'agroalimentaire.

Le Brésil a un positionnement rentable sur des secteurs à forte croissance, où la demande mondiale restera durablement inférieure à l'offre. Cela assure un développement durable pendant au moins 15 à 20 ans. Le pays est la 3 ème puissance aéronautique, la 8 ème puissance sidérurgique et dispose d'une main-d'oeuvre et d'une recherche-développement de qualité.

Le contrepoint de ces éléments positifs est une compétitivité qui tend à se dégrader : hausse régulière des salaires, coût élevé des infrastructures dans le pays, retards de développement des routes et des ports, sont autant de facteurs à charge.

Une politique économique dans la continuité

Il s'agit d'une relative nouveauté. Le découplage du politique et de l'économique est avéré pour une raison précise. En effet, la politique économique suivie à l'heure actuelle par le gouvernement LULA 2 continue celle d'Enrique CARDOSO, menée dès 1994. La politique économique connaît donc une stabilité depuis 14 à 15 ans quels que soient les partis au pouvoir. Ce, malgré les orientations politiques différentes des administrations des présidents CARDOSO et LULA.

Ce phénomène a permis l'émergence d'une économie politique du possible et l'orthodoxie financière. Luiz PEREIRA DA SILVA en fera une description pour en avoir été l'un des principaux artisans. Ses fonctions au Ministère des Finances l'ont conduit à imaginer et à appliquer cette politique économique, dont il constitue donc le meilleur témoin.

Le large consensus sur la politique économique de croissance suivie par le pays depuis 2007 est, en outre, un point important sur lequel Monsieur BETBEZE reviendra. Il évoquera ce sujet avec toute la compétence qui est la sienne, et abordera les perspectives de croissance de ce pays.

Cette politique économique débouche sur l'obtention récente par le Brésil de l'« investment grade », un grade que le pays recherchait depuis des années.

Deux agences lui ont octroyé ce classement qui pourrait avoir trois conséquences majeures :

· des flux de capitaux plus importants,

· un coût de l'argent proportionnellement moins élevé

· devenir une cible privilégiée de l'investissement étranger.

J'aimerais donner un autre chiffre : 33 milliards de dollars d'investissement étranger en 2007 au Brésil. Cette donnée situe ce pays parmi les tous premiers en termes de pays récepteur d'investissements étrangers.

Le risque Brésil existe cependant : il est d'ordre microéconomique. Nous notons de forts déficits en infrastructures, un cadre régulateur flou, ainsi qu'une pression fiscale stable extrêmement importante représentant plus de 37 % du PIB. A ces éléments s'ajoutent les réglementations lourdes, rigides et nombreuses et une économie informelle encore pesante -évasion fiscale, contrefaçon, non respect des normes sanitaires.

Ces aspects négatifs seront également abordés : il ne s'agit pas de vendre un pays qui n'existe pas. Des difficultés se font jour dans cette zone. Le secteur informel, hors activités délictueuses, équivaut environ au PIB australien. Ne nous cachons pas que ce secteur est l'un des moteurs de l'économie de ce pays. Cependant, l'objectif de la politique économique du gouvernement Lula - qui était celle du gouvernement CARDOSO- est de réintégrer dans les circuits financiers toute cette économie informelle. Il souhaiterait ainsi que la population se bancarise, ait des activités qui lui permettent de rentrer dans les circuits, voire emprunte sur le marché financier. La population deviendrait alors un agent économique connu et sur lequel il est possible d'agir.

Un autre point négatif est à noter : il s'agit des conditions de financement plutôt onéreuses. En effet, le taux de base de la Banque de France est de 12 % avec des taux SELIC bancaires extrêmement élevés. Si vous venez au Brésil, apportez votre capital : vous trouverez sur place des moyens pour développer vos affaires mais vos ressources seront nécessaires, au départ.

En conclusion, le sentiment de confiance grandit envers le Brésil. Ce pays est incontournable et les parts de marché y sont encore abordables. Son marché est en forte expansion avec 120 milliards d'importations en 2007, soit une augmentation de près de 33 %. Le Brésil est donc un pays qui importe considérablement, dans toute sa gamme de produits : biens de consommation, d'équipement, etc. La croissance au Brésil s'explique par la modernisation de l'outil productif, via des importations nombreuses de matériel de production. Cet élément pèse sur la balance commerciale mais est également gage d'un avenir plus serein. L'une des priorités de la politique de commerce extérieur de la France est la saison de la France au Brésil. Monsieur de SAINTJOUR, présent aujourd'hui, en est le Commissaire général et préside à son organisation au niveau français.

J'aimerais maintenant aborder la question de la France au Brésil. J'invite mes partenaires de table ronde à me rejoindre. Je donne immédiatement la parole à M. Jean-Marc LAFORET qui nous propose le contrepoint politique de la relation bilatérale. En outre, il nous indiquera dans quelle mesure ce pays, puissance économique, peut devenir une véritable puissance.

M. Jean-Marc LAFORET
Directeur Adjoint Amériques et Caraïbes, Ministère des Affaires étrangères et européennes

L'intitulé de ce colloque est « le Brésil, véritable puissance économique du XXI ème siècle ». Nul besoin en effet de s'interroger sur cet état de fait, qui est une certitude. Néanmoins, j'aimerais supprimer l'adjectif « économique » et envisager le Brésil en tant que véritable puissance du XXI ème siècle. La question reste ouverte, puisque le statut définitif de puissance n'existe pas.

Il est vrai que les seuls attributs de puissance économique ne sont pas suffisants pour faire du Brésil une des grandes puissances mondiales actuelles. Néanmoins, il s'agit de l'hypothèse la plus vraisemblable, la plus souhaitable pour l'Europe et pour la stabilité du monde. Telle est la perception de la France et de sa diplomatie, qui a noué avec le Brésil un partenariat stratégique. Le terme « stratégique » est quelque peu galvaudé : nous avons en effet une quarantaine de partenaires stratégiques dans le monde. Il convient de distinguer les appellations de complaisance à l'égard d'une nation, de celles plus fondamentales. Rappelons que ce partenariat stratégique s'est élaboré sur la durée. Il a donné lieu à des débats importants, tant au Brésil qu'en France. Un partenariat requiert en effet l'accord des deux parties. Il n'avait pas eu lieu en 2005, au moment de la visite du Président LULA à Paris, mais a été décidé en 2006 lors de la dernière visite du Président CHIRAC au Brésil. Ce partenariat a ensuite été réaffirmé avec force lors de la rencontre du Président SARKOZY avec le Président LULA en février. La visite officielle du Président SARKOZY en novembre prochain, en tant que Président de l'Union Européenne et à titre bilatéral, concrétisera ce partenariat stratégique.

Telles sont les raisons du fort soutien de la France à l'égard de la revendication brésilienne d'octroi d'un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Cette position est soutenue pour un nombre très limité de pays dans le monde. Il s'agit également de la volonté du Président SARKOZY de transformer le G8 en G13, en intégrant la participation du Brésil et du Mexique pour l'Amérique latine.

L'une des conditions de base de l'accès du Brésil à ce statut de grande puissance dans le monde est l'économie. De ce point de vue, le Brésil a fait montre d'un très bon départ. J'ai connu le pays à deux époques différentes, la plus ancienne remontant à 1992. Les progrès réalisés depuis sont spectaculaires, mais d'autres encore plus marquants nous attendent dans les 15 prochaines années.

Le premier véritable défi du Brésil pour accéder au statut de puissance consiste à affirmer son leadership sur sa propre région, l'Amérique du sud. Le Brésil s'y emploie mais avec la difficulté paradoxale d'y être perçu comme trop fort. Il est toujours déplaisant pour des pays, même amis, de reconnaître un statut de supériorité à un pays de la région. Il faut faire preuve de diplomatie et s'imposer au service d'un intérêt supérieur. Sur la scène mondiale, des avancées vont dans ce sens : l'une des plus prometteuses étant la nouvelle organisation récemment formellement constituée à Brasilia, l'Union des Nations sud-américaines. Cependant, un chemin important reste à parcourir. Par ailleurs, l'Union Européenne elle-même rencontre des difficultés. Elle ne peut donc pas se montrer docte sur la façon de constituer une union forte ailleurs.

Le deuxième point concerne la capacité du Brésil à être un acteur plus actif de la paix dans le monde. A ce sujet, une initiative importante parfois un peu méconnue est le leadership qu'a pris le Brésil dans la mission de stabilisation des Nations Unies en Haïti. Cette action n'est pas neutre pour la France, puisque Haïti est très proche des frontières françaises, avec nos départements d'Amérique. La stabilisation de cet unique Etat francophone dans les Caraïbes est pour nous un enjeu important. Depuis maintenant 4 ans, le Brésil joue un grand rôle auprès d'autres pays latino-américains, par une contribution humaine de plus de 1 200 soldats et policiers brésiliens déployés en Haïti. Le Brésil doit cependant aller plus loin s'il veut vraiment asseoir son statut de puissance mondiale.

La collaboration franco-brésilienne est souhaitable : il existe une vraie complicité culturelle entre nos deux nations. Sur plusieurs questions, nos valeurs sont assez proches, bien plus qu'avec d'autres pays (puissances ou puissances en devenir du XXI ème siècle). Certaines caractéristiques internes au Brésil sont positives en termes de métissage, de coexistence : c'est la « cordialité » de ce pays. Nous saluons le fait qu'un grand pays comme le Brésil s'affirme sur la scène mondiale par de telles valeurs et non par une compétition avec des voisins comme cela se produit dans d'autres régions du monde. Le Brésil a vocation à devenir vecteur de paix, de développement, comme il tente de le faire en Afrique, renouant ainsi avec ses propres origines africaines.

Il est vraiment de notre intérêt que se crée autour du Brésil un grand pôle de stabilité et de développement en Amérique du Sud. Celui-ci pourra, en harmonie avec l'Europe, peser sur les affaires du monde. Il s'agit d'un intérêt stratégique dont nous ne verrons certainement pas l'entier aboutissement : sa mise en place prendra encore quelques décennies. Néanmoins, je crois que nous pouvons raisonnablement parier sur ce scénario.

M. Hervé LE ROY

Le contrepoint économique et financier va être apporté par M. Luiz PEREIRA DA SILVA, représentant aujourd'hui la Banque Mondiale mais qui avait accepté notre invitation alors qu'il était économiste en chef du Ministère du Plan. Il a été également responsable du service des affaires internationales du Ministère des Finances pendant plusieurs années. Bien que brésilien, il parle un français parfait.

M. Luiz PEREIRA DA SILVA
Banque mondiale

Je souhaite remercier Ubifrance et le Sénat de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous.

Je voudrais renforcer les propos formulés en soulignant un élément marquant les 15 dernières années au Brésil. Il s'agit de la capacité à effectuer une transition politique, en passant d'un gouvernement centre-droit à un gouvernement centre-gauche. Ce, tout en conservant le pragmatisme des politiques économiques stables de responsabilité fiscale et de contrôle de l'inflation. Ces éléments sont essentiels pour la stabilité des affaires, la croissance économique et le développement social.

Les entrepreneurs ont accueilli avec inquiétude l'élection d'un gouvernement de gauche sous la présidence de LULA. Pourtant, ils furent surpris d'observer que le pragmatisme et la poursuite de politiques économiques responsables ont marqué le temps fort de ces six dernières années. J'ai participé à son premier mandat en tant que Secrétaire d'Etat aux finances. Lors de son deuxième mandat, j'étais Secrétaire d'Etat et économiste en chef au Ministère du Plan. Je voudrais évoquer rapidement le statut d'invest grade du Brésil. Un consensus gouvernemental existe parmi les décideurs publics pour maintenir des politiques macro-économiques prudentes.

Nous avons conscience que plusieurs changements structurels sont très positifs : certains d'entre eux ont été énoncés par Hervé LE ROY. Néanmoins, un certain nombre de défis réclament une démarche prudente.

Le changement de rythme de croissance au Brésil ces dernières années constitue un motif de satisfaction. Il y a cinq ans, le Brésil avait une croissance relativement faible en raison de l'instabilité et de la volatilité dues à l'inflation. Aujourd'hui, la moyenne avoisine les 4,5 % et va probablement continuer à croître autour des 5 / 5,5%. Cette croissance s'explique notamment par l'investissement, qui a fortement augmenté ces dernières années. Une des grandes réussites de la période LULA a été de créer les conditions idéales pour les investisseurs privés, étrangers et nationaux. Cette stratégie a permis d'atteindre aujourd'hui un taux de croissance moyen de 9 %, et même de 13,4 % en 2007. Ce, malgré une augmentation des exportations, des importations et également de la production de biens d'équipement. La croissance, plus solide, se fonde sur l'investissement et est donc plus pérenne.

Une autre satisfaction montre le changement structurel de ce pays : il s'agit de la solidité des comptes extérieurs. La croissance brésilienne dans les années 70-80 était toujours freinée par un défi : un taux de croissance plus élevé amenait immédiatement un déficit du compte courant brésilien. Cela déclenchait une crise de balance des paiements. Aujourd'hui, structurellement, pour des raisons de productivité agricole et de production industrielle, la balance commerciale reste très solide. Il peut cependant arriver qu'elle faiblisse, à cause de la valorisation du real et de la dépréciation du dollar. Nous avons un excédent commercial de l'ordre de 35 à 40 milliards de dollars. Nos réserves internationales avoisinent les 200 milliards de dollars, avec une croissance très importante de l'investissement direct étranger. En outre, ces derniers mois, l'affaiblissement relatif du compte courant brésilien est largement compensé par l'entrée de flux de capitaux de long terme et par la solidité de nos réserves internationales.

Le contrôle rigoureux de l'inflation a été un des points forts de l'administration LULA. Contrairement à l'anticipation des marchés, notre président a immédiatement offert une autonomie opérationnelle à la banque centrale. Celle-ci n'a pas hésité à intervenir très fortement pour contrôler les anticipations d'inflation, début 2004. La différence avec le taux d'inflation du Brésil dans les années 80 -début 90- est grande, qui s'élevait à 80 ou 90 %.

Le grand changement brésilien, au sein du plan real, a été le contrôle de l'inflation via notamment la création d'un régime d'inflation targeting . Ce dernier fixait les objectifs d'inflation et accordait un rôle très important à la banque centrale, dans le contrôle des prix et des anticipations d'inflation.

Un autre élément est structurellement important dans la croissance du Brésil. Il s'agit de la croissance du revenu annuel moyen des salariés et du développement d'une couche moyenne consommatrice. L'emploi, et notamment l'emploi formel au Brésil, est lui aussi en pleine expansion. Le marché du crédit, qui avoisinait les 20 % du PIB, s'élève aujourd'hui à 35 %.

Ces changements se traduisent par une stabilisation plus prononcée de notre « risque » pays. Le Brésil était l'un des pays à l'origine de crises financières internationales ou qui les amplifiait, à tout le moins. A titre d'exemple, je citerai seulement la crise asiatique et celle de la transition politique de 2002. En outre, notons que, lors de la crise récente du marché hypothécaire américain, le « risque pays » brésilien n'a presque pas bougé, en raison des fondements macro-brésiliens.

Ces fondamentaux structurels sont désormais solides, mais le gouvernement LULA est conscient qu'il reste des défis à relever. J'aimerais les rappeler rapidement. Malgré une progression très importante de nos indicateurs sociaux, comme la chute de la pauvreté absolue et de notre indice d'inégalité, il reste beaucoup de travail à faire. Le Brésil est un pays où la violence urbaine reste un problème et le traitement de ces inégalités sociales fait partie des programmes gouvernementaux.

L'effort fiscal doit être soutenu : notre objectif d'excédent budgétaire primaire s'élève à 3,8 % du PIB. L'excédent budgétaire primaire du secteur public consolidé est aujourd'hui d'environ 3,8 à 4 % du PIB, ce qui permet une décroissance très forte de notre dette publique. Il s'agit d'un facteur de solidité, de changement structurel et de réduction de la vulnérabilité fiscale brésilienne.

En conclusion, il convient de dire que personne ne doit s'aveugler. En effet, le pays va mieux et a aujourd'hui des fondements plus importants. Cependant, les risques que présente l'économie mondiale dans les années à venir, sont bien réels. La crise du marché hypothécaire américain laisse encore planer des doutes sur la résolution des problèmes de croissance des grandes zones monétaires mondiales : la zone euro, les Etats-Unis et le Japon.

Il existe un regain d'inflation mondiale, notamment dû à la hausse des prix de l'énergie et de ceux de l'alimentation. Nous devons absolument changer la composition de notre matrice énergétique primaire au niveau global. Le Brésil est bien placé à ce niveau-là : nous avons développé déjà des techniques évoluées et efficaces de production d'éthanol à partir de canne à sucre et pouvons nous appuyer sur notre productivité agricole. Contrairement aux idées reçues, la production, très importante, en hausse d'environ 60 %, ne s'est pas traduite par une augmentation des terres cultivables au Brésil. Il reste, pour résoudre les problèmes de la crise alimentaire et énergétique mondiales, un potentiel immense de terres cultivables sans empiètement sur la forêt amazonienne.

Que le Brésil ait obtenu de façon méritoire, grâce au pragmatisme et à la continuité des politiques macroéconomiques, son « investment grade » est un pas vers l'avenir. Toutefois, nous pourrions dire un mot de la gestion macroéconomique. Qu'il s'agisse du contrôle de l'inflation ou des politiques budgétaires, le gouvernement du président LULA et son administration restent très prudents. Telle est la condition pour progresser encore davantage et répondre favorablement aux perspectives positives qu'a dessinées Hervé LEROY dans son intervention précédente. Je vous remercie.

M. Hervé LE ROY

Toutes ces présentations sont dans vos dossiers. Je remercie Luiz très sincèrement de s'être déplacé depuis Washington pour à peine une journée. En outre, il vient de m'offrir une transition idéale, en avançant que le capital terre était essentiel à ce pays pour pouvoir se développer à l'avenir. A cet égard, nous accueillons un expert : Hervé THERY, chercheur au CNRS, qui a également tenu une chaire géographie/agriculture à l'USP, l'Université de Sao Paulo.

M. Hervé THERY
Chercheur au CNRS - CREDAL

Je vais essayer d'apporter le point de vue complémentaire du géographe que je suis, qui fréquente le Brésil depuis 5 ans. J'aimerais rendre une partie des connaissances que la République m'a permis d'acquérir, en tentant de me rapprocher de vos points de vue.

Le Brésil désigne davantage un continent qu'un pays. Nous parlons d'un pays géant, continental, et nous devons ajuster nos perceptions dans ce cadre. Les 27 pays de l'Union Européenne pourraient facilement tenir à l'intérieur !

J'ai réalisé deux cartes, en utilisant des logiciels de calcul d'itinéraires disponibles dans les Fnac, à Paris comme à Sao Paulo. Ceux-ci permettent de calculer de vraies distances et non des distances en ligne droite. Un tableau en bas donne les vraies distances et permet de comparer. Le point le plus au sud au point le plus à l'est du Brésil représente la distance qui sépare Moscou de Lisbonne. Il faut ajouter que le réseau de transport est extrêmement hétérogène. Si l'histoire avait été différente, le Brésil aurait éclaté comme l'empire espagnol, en 5 ou 6 pays.

Cette distance, cette hétérogénéité spatiale et sociale et quelques éléments de l'histoire socio-économique du Brésil ne sont pas toujours abordés par votre presse. Les brésiliens sont obsédés en ce moment par les comparaisons avec la Chine, en se demandant pourquoi la Chine grandit de 10 % par an et pas eux. Je réponds : « parce que vous l'avez déjà fait ». Le Brésil a déjà fait ce décollage à 10 % pendant 10 ans dans les années 70, et cela n'arrive qu'une fois dans la vie d'un pays. Cela pour des raisons arithmétiques élémentaires, il est plus facile de croître à 10 % quand on a un petit PIB que quand on a un grand PIB. Il a été mentionné précédemment le chiffre d'un 1 300 milliards de dollars. Si le Brésil grandit à raison de 5 % par an pendant quelques années, c'est déjà très bien. Le Brésil est sur une ligne de croissance soutenue, puisqu'il y a encore des possibilités. C'est encore, comme on disait autrefois, un pays neuf ou au moins pionnier, ce qui n'est pas le cas du tout des autres pays émergents.

Pour vous montrer qu'il s'agit de croissance lourde, j'évoquerai le développement de l'éthanol, c'est-à-dire de l'alcool tiré de la canne à sucre. Ne croyez pas que la production n'est en place que dans quelques petites fermes éparpillées du pays. Ce sont vraiment des machines lourdes qui sont utilisées : on parle pour les biocarburants d'un secteur agro-industriel et on devrait presque dire industrialo - agricole.

Les photographies que vous voyez appartiennent à un groupe français, le groupe TERREOS, un groupe de coopératives betteravières de Picardie, qui a anticipé le fait que la PAC et la betterave n'auraient qu'un temps et a donc commencé à investir au Brésil où il a acheté cinq usines. Il se développe à grande vitesse et est maintenant bien placé sur le marché brésilien.

Vous voyez bien que ce n'est pas de l'investissement « de fond de jardin », comme on dit au Brésil, nous sommes vraiment dans un système lourd. Cela s'explique par le fait que le Brésil a deux chances extraordinaires : aucun problème de retraites à l'horizon 2050 et aucun problème énergétique. Le pays est autosuffisant en pétrole et, si les découvertes faites récemment se confirment, sera exportateur. Par ailleurs, l'essentiel de son électricité est hydraulique puisqu'il possède, d'après mes chiffres, 20 % et non 12 des eaux du monde.

Il dispose en plus aujourd'hui des biocombustibles avec l'éthanol pour remplacer l'essence. Toutes les voitures brésiliennes normales roulent avec environ 20 % d'éthanol dans l'essence et il existe maintenant des voitures Flex, c'est-à-dire qui acceptent indifféremment depuis 2002 de l'alcool, de l'essence ou un mélange des deux. Actuellement, 80 % des voitures qui sortent en chaînes sont en Flex.

Des usines de biodiesel sont en cours d'implantation ou prévues et les usines d'alcool sont appelées à se développer. Il y a toute une série de ces usines dans le nord de l'État de Sao Paulo, mais aussi dans les états voisins, avec une marche vers le nord, vers l'Amazonie où l'on trouve des terres encore libres. Actuellement, un projet est en cours, sans équivalent dans le monde : des tubes pour transporter l'alcool, qui feront 2 500 à 3 000 kilomètres. L'un d'entre eux a déjà fait l'objet d'une adjudication remportée par Mitsubishi. Sur une partie du trajet, il pourrait se passer quelque chose que j'attends depuis longtemps : les producteurs de jus d'orange, qui se sont emparés de 80 % du marché mondial du jus d'orange concentré se plaignent de ne plus pouvoir depuis longtemps sortir le jus d'orange concentré en fûts. Ils le sortent aujourd'hui en camions-citernes à remorque ce qui permet de faire 20 000 litres mais ils voudraient des tubes. Des « poly ducs » sont enfin annoncés pour répondre à leurs attentes.

Nous sommes en droit de nous demander si la place est suffisante pour tous ces éléments. Les Brésiliens sont toujours très optimistes sur cette question. Une délégation de Japonais s'est rendue récemment au Brésil. Ils ont demandé s'ils pouvaient acheter 18 milliards de litres d'alcool. Les Brésiliens ont admis qu'il s'agissait de la totalité de leur production. Ils ont donc sollicité du temps afin de l'augmenter. Ils oeuvrent actuellement dans ce sens, grâce aux milieux économiques autorisés et ayant les moyens de relever ce défi.

Des centaines d'usines sont actuellement en construction. Certains sont inquiets quand à l'éventuel défrichement de l'Amazonie. Selon les médias, la construction des usines de canne à sucre va « raser l'Amazonie ». Mais, il n'existe pas de rapport direct. Roberto RODRIGUEZ, ancien ministre de l'agriculture, a démontré par calcul, qu'il resterait 100 millions d'hectares disponibles. Cela représente trois fois la surface agricole utile française, hors forêt amazonienne et autres aires protégées comme les réserves indiennes et naturelles. A l'échelle planétaire, l'Amérique du sud est le seul continent qui ait des réserves de terres. Le Brésil en représente plus de la moitié, avec d'immenses terres disponibles. Le potentiel est donc conséquent. De plus, ce pays n'a pas de problème de retraite, possède de l'énergie et des terres. Il mérite une grande considération.

Les exportations brésiliennes vers l'Union Européenne représentent des millions de tonnes de graines de céréales et de préparations diverses que vous consommez chaque jour sans le savoir. L'agriculture française sans le soja brésilien aurait de grandes difficultés.

Ainsi, tous les secteurs d'affaires sont concernés et l'agriculture au premier chef. Des affaires sont encore possibles en exportant au Brésil des produits qu'il ne cultive pas, notamment le blé, ou en vendant des savoir-faire qu'il ne maîtrise pas encore. Parmi les pays émergents, le Brésil est sans doute celui qui a le plus de potentiel en terres et en ressources à mobiliser. De plus, sa population est stabilisée, formée, avec des niveaux de compétence élevés. Les possibilités de développement restent immenses.

Ma partialité est cependant totale, puisque je sers les intérêts brésiliens depuis bien longtemps. Je crois pourtant que la France et le Brésil partagent un espace culturel commun.

J'aimerais reprendre le titre d'un livre de l'Ambassadeur ROUQUIER, il appelait l'Amérique latine un « Extrême Occident ». Ce monde culturel est dérivé du nôtre, avec ses spécificités et ses différences, mais constituant un ensemble culturel familier. Les négociations montrent que le Brésil est plus proche de l'Occident que de la Chine ou de l'Inde.

Je terminerai en citant mon ancien professeur, Pierre MONBEGUE, que j'estime beaucoup. En outre, j'occupe maintenant la Chaire Pierre MONBEGUE à l'Université de Sao Paulo, où j'évoque le découplage politique/économie. Dans les années 30, les Brésiliens citaient déjà au Professeur MONBEGUE comme appartenant au passé une phrase : « le Brésil grandit la nuit pendant que les politiciens dorment ».

Cette phrase pourrait sembler cruelle, dans le cadre du Sénat. Pourtant, elle exprime non le mépris pour la politique que l'extraordinaire vitalité de la société brésilienne. Celle-ci attend très peu de l'intervention de l'Etat. Néanmoins, elle proteste quand il met un obstacle à sa croissance, notamment sur les infrastructures.

M. Hervé LE ROY

Pour clore cette première partie de la table ronde, je laisse la parole à Jean-Claude BETBEZE, l'économiste en chef du Crédit Agricole. Il est aussi l'un des plus grands économistes mondiaux. Merci d'avoir accepté notre invitation et de nous dresser quelques scenarii de l'avenir du Brésil.

M. Jean-Paul BETBEZE
Chef économiste - Crédit agricole

Il n'est pas évident d'inviter un économiste de banque dans un tel cadre. Il évoquera toujours les risques en présence. En effet, il y en a et, malgré mon amour pour ce pays, je vais vous les exposer.

Comme l'a démontré le géographe qui m'a précédé, le Brésil est un grand pays. C'est également un grand pays émergent, deuxième économie après la Chine, 9 ème au monde. Un élément est important pour la stratégie de développement d'un pays : les crises, preuve de sa solidité. La résilience est une marque de force. De ce point de vue, le Brésil a beaucoup vécu.

Le pays a connu une croissance forte, puis l'hyper inflation, qui a conduit au plan real. J'ai commencé à m'intéresser au Brésil il y a une vingtaine d'années. Dans la banque où je travaillais, personne ne pariait sur la pérennité de ce pays. Je me suis rendu plusieurs fois au Brésil. A Brasilia, j'ai pu rencontrer le patron de l'opposition, Fernando CARDOSO, le jour de l'« Empeachment color » Suite à ce rendez-vous, j'ai compris qu'un pays avec des élites de ce niveau saurait résister à ce type de choc.

Par la suite, le pays a connu d'autres crises. A l'époque, celle traversée par le Président LULA DA SILVA, j'ai rassuré les décideurs de la banque où j'officiais. J'étais certain que l'intelligence du Président et du Brésil permettraient au pays d'en réchapper. En effet, malgré l'affolement des marchés mondiaux, la crise n'a pas duré. Le Brésil connaîtra d'autres chocs, mais la conjoncture est aujourd'hui favorable, portée par les produits agricoles et l'énergie. Grâce à une meilleure vigilance, le développement devrait se faire via des systèmes plus efficaces que par le passé. Si une légère chute est envisageable pour les produits agricoles, elle semble exclue à l'avenir pour les produits alimentaires. Les pays émergents aspirent à être nourris et en ont aujourd'hui les moyens, ce qui change radicalement la donne.

L'environnement a changé et le Brésil est une terre d'avenir. Le pays dispose d'un potentiel majeur, de ressources naturelles et d'un système bancaire solide. Le Brésil est aujourd'hui une puissance industrielle avec, à sa tête, des élites politiques qui assurent une continuité de gestion.

Je relèverai un autre atout du Brésil, celui de compter des élites et des organisations patronales qui permettront le développement des infrastructures. Par le passé, l'adage populaire « les hommes politiques dorment pendant que les entrepreneurs entreprennent » pouvait faire sens. Aujourd'hui, les entrepreneurs entreprennent et les hommes politiques se réveillent. Cette double conjonction élitaire, politique et patronale, permet le réveil du pays, qui sait tirer profit de ses matières premières. Il a la capacité d'anticiper et de participer à un monde en pleine mutation. Ce phénomène est totalement nouveau en Amérique latine. Dans le passé, le continent a connu des tensions, notamment entre le Brésil et l'Argentine. Aujourd'hui, des régions se constituent dans le monde : Europe, Amérique latine, Asie. Chacune aspire à avoir une structure de hub , c'est-à-dire à être une zone de création et de production bénéficiant d'un marché interne important. Ces associations, au-delà du simple montage, visent à promouvoir l'efficacité, le développement, et la possibilité d'exportation en périphérie. Elles se veulent ainsi un gage de solidité économique.

La croissance de 4 %, dite « molle », inquiète certains observateurs, face à des pays qui semblent caracoler. Mais, le Brésil a déjà connu cette étape. La Chine ne vivra pas avec 11 à 12 % ad vitam aeternam : un ralentissement est inévitable à moyen terme dans ces autres pays émergents. En revanche, des structures se développent et mûrissent avec des organisations efficaces. Celles-ci peuvent résister et manifesteront leur force.

Cependant, le Brésil est très inégalitaire. J'ai écrit un livre, intitulé « Les symboles de l'économie », en cours de traduction. J'ai dû intégrer des éléments qui le « brasilianisent ». Ces inégalités marquées peuvent s'expliquer par la jeunesse et la taille du pays. Tout pays fonctionne à plusieurs vitesses et le Brésil ne déroge pas à cette règle. Il en a parfaitement conscience et parie sur la formation, le meilleur investissement à moyen terme. Celle-ci s'appuie sur une conjoncture assez sereine, liée notamment à la stabilité politique. Le Brésil met ainsi en place une véritable stratégie de croissance, avec davantage de volontarisme que d'autres pays plus instables.

A l'horizon 2010, aucun choc n'est prévisible dans un pays qui connaît une aversion particulière pour l'inflation. Les Brésiliens l'ont vécu avec intelligence, mais ont compris qu'elle les paupérisait et créait des inégalités. Ils sont donc très attentifs à ce que les taux d'intérêt ne deviennent pas trop élevés. Cette tendance reste à surveiller. Une évolution doit se faire pour permettre aux PME plus de croissance, un développement et un financement autonomes sans apport nécessaire de capital et taux d'intérêt prohibitifs.

Des mesures sont à prendre et, hormis l'investissement dans la formation, la finance doit également jouer un rôle très important. L' investment grade n'est pas un aboutissement et les Brésiliens ne sont pas naïfs. Ils savent que le monde connaîtra des tensions, que des échéances se profilent en 2010. De plus, il n'ignore pas que l'Amérique latine subira des poussées populistes.

Des interrogations existent quant au possible scénario, après 2010. Cette date inquiète et polarise:

- le plus réaliste est celui d'un réformisme graduel , dans la continuité de la politique du Président LULA, optant pour une stratégie économique prudente, et ne s'attaquant pas vraiment au déficit brésilien. Cette stratégie nécessite du temps et de la crédibilité, mais est la plus sûre et les coûts de transition sont faibles.

- Un réformisme fort, plus difficile, avec plus de volatilité

- le populisme qui pourrait avoir de graves conséquences. L'exemple du pays voisin est significatif : immense producteur de pétrole et dont les réserves sont aujourd'hui épuisées. CHURCHILL, en parlant du socialisme, prédisait déjà qu'il « conduirait à importer du sable dans le désert ». Si le danger populiste est avéré en Amérique latine, le Brésil semble cependant immunisé.

Je conclurai en disant que le Brésil, bien que chanceux, possède aussi un capital terre dont il a conscience, un rôle d' hub , une réelle stratégie de développement et peut compter sur ses élites. Merci.

M. Hervé LE ROY

Merci pour ces 4 interventions qui auront sans doute répondu à certaines de vos questions. Le Brésil traverse une période structurelle et conjoncturelle faste. Il connaît des évolutions structurelles très favorables, et dispose d'un potentiel de développement agricole à peine esquissé. Il fait montre d'une capacité à se réformer. Cela se fera sans doute lentement, car les réformes indispensables prennent du temps. Les scénarios pour le futur sont globalement positifs, dans un environnement bilatéral politique et économique extrêmement porteur. Afin d'offrir un contrepoint à ces aspects positifs, nous allons maintenant entendre le témoignage d'un praticien, qui va nous présenter les facteurs clés de réussite au Brésil. Je laisse la parole à  M. ALPHANDERY, Président du Conseil d'administration CNP Assurances, entreprise florissante au Brésil depuis plusieurs années.