Actes colloque Moyen-Orient



Le Qatar

Michel DHE,
Chef du Service économique de Doha au Qatar

La dynamique de croissance du Qatar est exceptionnelle depuis que l'émir a décidé de mettre en valeur les ressources gazières phénoménales du pays, il y a quinze ans.

Le Qatar a montré une résistance exceptionnelle face à la crise internationale. Il y a eu cette année un effet volume avec la mise en service des facilités de traitement et de production de gaz. Entre le 1 er janvier et le 31 décembre 2009, le Qatar aura doublé sa capacité de production et d'exportation de gaz, ce qui lui aura rapporté des ressources financières supplémentaires considérables. Le pays a su jouer sur des contrats d'achat à long terme. Une grande partie de sa production est ainsi sécurisée.

Le Qatar a opéré des choix budgétaires ambitieux en 2009. Il a confirmé sa politique d'investissement dans le domaine des infrastructures. Des projets emblématiques sont en cours qui attirent les entreprises du monde entier. Ainsi, un consortium mené par Vinci gère la construction du pont digue entre le Qatar et Bahreïn.

En termes de développement, l'essentiel de la population est concentré dans la capitale qui compte 1,6 million d'habitants. Il existe deux autres villes industrielles au Sud, où se concentre l'aval du développement pétrolier et gazier, et au Nord, où se trouvent les infrastructures pour l'accueil, le traitement et le développement des ressources pétrolières et gazières.

Doha concentre les prochains grands investissements, dont un énorme projet de mise à niveau des transports publics avec un réseau intégré de métro et de tramway mais aussi une ligne ferroviaire reliant les trois villes du pays et une autre reliant Bahreïn par le pont digue et le reste de la péninsule arabique. L'autre projet phare est celui de la création d'une ville résidentielle au Nord de Doha qui abritera 50 000 habitants. Encore plus ambitieuse, une ville industrielle au Nord de Doha accueillera 200 000 habitants, avec des districts thématiques. Au sein même de Doha, la reconstruction du coeur de la ville est en cours.

Mais la taille du marché de la consommation reste petite. Les nationaux représentent environ 15 % de la population totale, soit environ 200 000 Qataris. Malgré un pouvoir d'achat très fort, il existe des limites à leur consommation en termes de volume. Le Qatar attire les grandes marques de luxe. D'autres opportunités d'affaires existent dans le domaine énergétique et le dessalement. En tout état de cause, la seule façon de faire des affaires est d'être installé sur place.

La part de marché de la France s'établit à quatre points, hors aéronautique. Il s'agit à 90 % de biens et services industriels et à 10 % de produits de consommation. La quasi-totalité de la flotte en service de Qatar Airways est constituée par des Airbus.

Arnaud DEPIERREFEU,
Avocat au Barreau de Paris, Associé résident à Doha du cabinet UGGC,
Conseiller du commerce extérieur de la France, section Qatar

UGGC est le seul cabinet d'avocats français présent au Qatar. Nous assistons les sociétés françaises qui s'installent, celles qui sont déjà installées et, plus marginalement, les Qataris pour leurs affaires en Europe.

Il existe trois grandes options pour conclure des affaires au Qatar. La première option consiste à opérer au Qatar sans y créer de structure permanente, en matière de distribution et de service. La création d'un bureau de représentation est possible pour réaliser du développement commercial mais il ne peut être le support d'une activité économique. La formule de la succursale ne concerne que le domaine de la construction et n'est possible que dans le cadre d'un projet précis lié à l'Etat du Qatar.

La deuxième option, la plus classique, consiste à s'implanter sous forme de joint-venture avec des Qataris. Sauf cas particulier, un Qatari doit posséder la majorité des parts du capital de l'entreprise. Il peut s'agir d'un partenaire actif techniquement et commercialement et investi dans le management, ou d'un partenaire dormant qui se contente de prêter son nom. Il est alors légalement possible d'organiser la mainmise du partenaire étranger sur le fonctionnement de la joint-venture . Mais, le partenaire qatari peut bloquer le fonctionnement de la société s'il le souhaite.

La troisième option, encore relativement théorique, consiste à s'implanter sans partenaire qatari. En implantation offshore, il existe deux zones franches, réservées à certaines activités, où il est possible de s'implanter sans partenaire qatari. Il est également possible de posséder la majorité du capital d'une entreprise, mais il faut pour cela obtenir une exemption auprès du Ministère du Commerce. Il est très rare de l'obtenir.

La levée de l'obligation de recours à un partenaire qatari est envisagée. Cela est dû à la fois aux obligations liées à l'entrée du Qatar dans l'OMC et à la concurrence des pays alentours. Trois secteurs seraient concernés : technical services and consulting services , information and technology et distribution services . Les contours de ces dispositions sont encore imprécis. Mais un arbitrage est en cours au sein du gouvernement qatari sur ce point.

S'agissant de la fiscalité, une loi entrera en vigueur le 1 er janvier 2010 qui introduit un flat rate de 10 %, ce qui améliore l'attractivité du Qatar. Il n'existe pas d'impôts sur le revenu, de fiscalité indirecte ni de charges sociales employés et employeurs. Il existe enfin une convention fiscale entre la France et le Qatar qui a été récemment modifiée.

Dominique GUEUDET,
Education & Sustainable Development Manager, Total Exploration & Production Qatar

Le Qatar passe d'une économie basée sur les matières premières énergétiques à une économie qui prépare le pays au moment où ses ressources commenceront à diminuer. Le Qatar se veut l'anti-Dubaï et veut évoluer vers une knowledge-based economy .

Par ailleurs, le Qatar fournit 30 % du gaz mondial. Le pays connaît une grande stabilité politique et le gaz n'est pas utilisé à des fins politiques. La première étape de transformation de l'économie est d'utiliser ces ressources pour produire des matériaux ayant une valeur ajoutée plus importante et dont le prix de vente n'est pas déterminé uniquement par un marché mondial. La seconde étape vise à développer l'enseignement, la culture, la recherche scientifique et l'innovation. Les moyens alloués à ce développement sont très importants.

Chez Total, je m'occupe d'éducation et de développement durable. Au Qatar, nous aidons des PME françaises et européennes à s'implanter industriellement au Qatar, où il n'existe pas de tissu économique de PME. Nous développons aussi des activités de mécénat et de collaboration culturelle. Enfin, dans le domaine de l'éducation, nous aidons la Fondation Qatar à accueillir des universités et organismes d'enseignement français. Cette Fondation a créé un espace de 25 km² dédiés à éducation et à la santé qui regroupe six universités américaines. Total a tenté d'y installer l'INSEAD mais cela a été un échec. La taille réduite de la population nationale ne justifie pas la mise en place de programmes de MBA ou de Masters. Nous cherchons donc d'autres solutions.

Un certain nombre de précautions doivent être prises dans l'approche des Qataris. Avec beaucoup d'humilité, il faut faire la démonstration de son enthousiasme pour leur vision et les projets qu'ils ont pour leur pays et de son envie de les aider dans la modeste mesure de ses moyens. Il faut également montrer son intérêt non pour la région, mais pour le Qatar en particulier. Pour le Qatar, les pays voisins n'existent pas, le Golfe est arabique et non persique, le Qatar est au centre du Golfe et le Golfe est au centre du monde. Mais si les Qataris n'aiment pas que l'on fasse jouer la concurrence contre eux, ils n'hésitent pas à le faire de leur côté.

Par ailleurs, il ne faut jamais dire non aux Qataris. Eux-mêmes ne le font jamais. Ils ne s'énervent jamais. Pour autant, quand ils disent oui, cela ne veut rien dire non plus. Enfin, l'étranger arrive toujours en étant invité par quelqu'un.

Pour obtenir une réponse, il est donc indispensable de disposer de réseaux qui seront capables de relayer l'information véritable. Pour autant, il faut rester prudent vis-à-vis de ces réseaux qui peuvent avoir leurs intérêts propres. La question du temps peut être problématique. Il faut rester au moins deux ans avant de faire des affaires.

Les Qataris ont une vision du très long terme et du très court terme, mais pas de vision intermédiaire, ce qui peut poser des difficultés. Enfin, il faut faire la différence entre les mirages et la réalité. Des projets tels qu'Energy City ou sur les énergies nouvelles ne sont pas très réalistes.

Mais une fois qu'un contrat est conclu, il s'inscrit dans la durée. Les Qataris sont sincères et fiables. Ils sont également fidèles : il n'arrivera jamais que les commandes cessent tout d'un coup parce qu'un autre fournisseur aura pris votre place.