Du découpage territorial au démembrement du droit de suffrage : le cas Letton

Denis GIRAUX,
Université Panthéon Assas Paris 2

En 2004, les trois pays baltes ont intégré l'Union Européenne. Au sein même de l'Europe, ces trois Etats sont très peu connus. Une étude globalisée serait imprécise : c'est pourquoi je présenterai le cas letton uniquement. Les données historiques et démographiques seront exposées. J'aborderai ensuite la prudente politique d'intégration suivie depuis 1991 et les multiples enjeux de cette intégration.

Ce territoire fut longtemps convoité par de puissants voisins. Ainsi, il n'est pas exagéré de parler d'un traumatisme. La quête mémorielle n'est pas sans risques : les lettons ont parfois été les acteurs de leur malheur. En 1201, Riga est fondée. Devenu port hanséatique, la ville est l'enjeu d'affrontements avec et entre les Russes, les Allemands, les Polonais et les Suédois. Cependant, au XIX ème siècle, un sentiment national letton émerge. Les intellectuels rêvent alors d'une indépendance. Le 18 novembre 1918, l'indépendance est proclamée, sans toutefois ni pouvoir convaincre la population ni sans pouvoir défendre le territoire de l'armée rouge. En 1940, Staline envahit la Lettonie, alors que le pays était soumis à une dictature depuis 1934. Les populations juive et rom se voient réserver un sort funeste par l'Allemagne, lorsque celle-ci envahit à son tour la Lettonie. En 1945, Staline déporte massivement et installe de nombreux colons en Lettonie, afin de pérenniser l'accès aux mers chaudes. En 1991, le nombre de russophones est donc élevé en Lettonie.

En Lettonie, les citoyens côtoient les non-citoyens. Ces derniers n'ont pu ou voulu accéder à la citoyenneté lettone en 1991. 82 % des 2,3 millions d'habitants sont des citoyens. En outre, la Lettonie ne reconnaît pas la double nationalité. La plupart des minorités utilisent quotidiennement la langue russe, et non leur langue « d'origine ». Par ailleurs, l'ambassade de Lettonie a été incapable de me fournir une implantation des minorités en Lettonie. Géographiquement, l'octroi d'un droit de vote ne constitue donc pas une menace politique pour les autorités. L'article 114 de la Constitution, apparu en 1998, stipule que « les personnes qui appartiennent à une minorité ethnique ont le droit de préserver et de développer leur langue, ainsi que leur identité ethnique et culturelle ». Toutefois, le nouvel article 4 de la constitution stipule que la langue lettone est la seule langue officielle en Lettonie. En 1934, une politique linguiste volontariste a été menée en faveur du letton, alors que seuls 77 % de la population maîtrisaient cette langue.

Depuis 1918, la Lettonie pratique donc l'une des politiques linguistiques les plus protectionnistes en Europe. Les incidences linguistiques sont fâcheuses. Ainsi, la Cour Européenne des droits de l'Homme a validé le fait qu'un candidat au Parlement national dispose d'une capacité linguistique. En revanche, les modalités du test ne furent pas jugées juridiquement adéquates. La doctrine est surprise par l'évocation du respect des conditions d'équité procédurale et de certitude légale, qui constituent un nouveau fondement à partir duquel la Cour entend sanctionner « les violations grossières du droit à des élections libres ». Le glissement de l'égalité à l'équité n'est pas sans conséquences. Le terme d' « équité » n'est donc plus apparu dans la jurisprudence de la Cour.

Par ailleurs, les autorités politiques lettones tolèrent les défilés d'anciens Waffen-SS, alors qu'elles pourchassent les communistes. L'irrespect des minorités en Lettonie inquiète les autorités européennes. La loi sur la citoyenneté précise que la langue lettone, les principes constitutionnels, l'histoire et l'hymne doivent être connus. Ainsi, de nombreux individus refusent d'entreprendre les démarches nécessaires à l'acquisition de la citoyenneté lettone. A partir de 1991, les individus nés de parents non lettons doivent demander la citoyenneté ; ils ne l'obtiennent pas automatiquement.

Depuis l'ouverture à l'Europe, la Lettonie constitue désormais un pays d'émigration. Souvent, les individus non lettons sont parfois davantage lettons que les citoyens Lettons. La Lettonie ne peut donc rester une zone de non-droit, au sein d'une Europe respectueuse de ses minorités. L'étatité doit donc être attribuée à tous ses habitants.

Jean-Claude MASCLET

Votre exposé fut passionnant. Je vous en remercie.