L'Argentine qui gagne

I. Introduction

Marcelo ELIZONDO,
ancien Président de la Fondation « Export Ar » (Agence de promotion des exportations)
et Directeur général de DNI Conseil

L'Argentine a amélioré la qualité de ses institutions. Il y a dix ans, nous avons vécu une crise terrible. Elle a favorisé une croissance économique durable. Les élections de l'année prochaine amélioreront probablement les institutions pour tous les acteurs du pays.

Certains secteurs ont été gagnants. Le secteur agro-alimentaire est le secteur le plus compétitif. L'Argentine est l'un des principaux producteurs de céréales au monde. Plus de 80 % de la récolte est transportée par la route. Des services financiers doivent accompagner cette production agricole. La production est beaucoup plus grande que la consommation intérieure.

Sur le plan économique, les Argentins savent entreprendre. Il y a 650 000 entreprises, majoritairement petites et moyennes. Il existe des opportunités d'investissement pour accompagner la croissance. Je travaille avec des entreprises de différentes branches, notamment dans le design, qui ont besoin de partenaires internationaux. L'Argentine a connu une grande croissance exportatrice au cours des dernières années. Il existe 14 000 entreprises exportatrices en Argentine.

La crise économique a touché l'Argentine par la voie commerciale, pas par la voie financière. Même au pire moment de la crise, les entreprises argentines de produits manufacturés ont su absorber la chute des prix et ne pas diminuer leurs volumes d'investissements.

L'Argentine aura besoin d'investissements dans les infrastructures. Nous devons améliorer nos routes. L'énergie - renouvelable et alternative - ne doit pas non plus être oubliée. L'Argentine est un pays très ensoleillé et très venteux.

Le secteur du tourisme a permis d'accroître les revenus. Il représente 8 % du PIB. Entre cette année et l'année prochaine, 5 millions de touristes auront visité l'Argentine.

Le système bancaire argentin est très solide. Les comptes fiscaux du pays sont corrects. Les liens que l'Argentine entretient avec le monde permettent de prévoir une forte capacité de croissance.

Les affaires les plus importantes de ces dernières années proviennent d'Amérique latine. Le commerce entre pays émergents est maintenant plus important, en termes nominaux, que le commerce entre les pays émergents et les pays développés. Les trois principales destinations des exportations argentines sont le Brésil, le Chili et la Chine.

Evidemment, les défis sont nombreux. Des corrections devront être apportées. Je suis optimiste. Notre expérience d'une grande croissance économique ces dernières années nous permettra d'effectuer des sauts qualitatifs. L'Argentine se positionne comme une plate-forme d'échanges avec le monde.

Néanmoins, l'inflation est trop élevée. C'est un problème qu'il faut résoudre. De même, il faut encourager les investissements nationaux et internationaux. Les pays émergents ont des opportunités. La somme de connaissance et les ressources humaines qui existent en Argentine sont des avantages pour développer le commerce et l'investissement. De nombreux étrangers étudient en Argentine.

Je n'ignore pas les problèmes que nous avons vécus et les défis que nous devrons surmonter, mais je pense qu'il existe de très nombreuses opportunités en Argentine.

II. Le secteur agricole : la filière céréalière et ses opportunités pour les entreprises françaises

Martin FRAGUIO,
Directeur général, Association MAIZAR (interprofession du maïs argentin)

Notre association réunit des producteurs de maïs. En Argentine, ce concept n'est pas très répandu.

La chaîne de valeur se compose de cinq maillons : d'abord celui de la recherche, de la science et de la technologie, ensuite les entreprises qui s'occupent des processus des produits, puis les producteurs agricoles - aussi bien individuels qu'en association -, les institutions - bourses de commerce, bourses agricoles, exportateurs, éleveurs - et enfin la transformation.

L'Argentine a connu plusieurs crises économiques et financières, certaines très graves, d'autres moins. Ces crises ont créé un sentiment d'auto-sauvegarde. Les filières sont très importantes pour surmonter cette barrière mentale. Tous les secteurs publics et privés doivent partager les mêmes objectifs.

Les régions semées en maïs sont en décroissance. Nous devons modifier notre culture. La demande d'exportation est très importante. Notre association cherche à définir des concepts. L'Argentine doit-elle développer les zones semées de maïs ou doit-elle les limiter ? Il faut améliorer les éco-systèmes et les variétés de céréales dans les zones agricoles.

L'Argentine est un pays où le chômage et le niveau de pauvreté sont assez élevés. La chaîne des valeurs doit être un moteur pour résoudre ces problèmes de société.

Il est important d'assurer la transparence des marchés. De grandes interférences se sont produites ces dernières années. Nous avons besoin de marchés qui fonctionnement efficacement.

Nous nous sommes également interrogés sur le développement des infrastructures. Nous avons besoin d'un accès aux financements. Or les taux d'intérêt sont très élevés. Nous croyons que dans le monde moderne, la recherche et l'innovation doivent être la base des changements futurs. A cet égard, nous voyons la France comme un modèle.

Nous avons parlé avec chacun des acteurs représentés au sein de notre association pour nous enquérir de leur vision du futur. Dans le secteur de la viande bovine, principal consommateur de céréales fourragères, il est possible de passer de 3 millions à 5 millions de tonnes en dix ans, entre 2007 et 2017. Le secteur laitier est également très important. Du fait de la succession des crises, l'Argentine est un pays qui a arrêté de planifier l'avenir. Il est donc difficile de trouver des secteurs capables de se projeter. Le secteur laitier l'a fait. Il souhaite multiplier sa production de lait en deux ans. Le secteur porcin souhaite augmenter la consommation interne. Le secteur avicole affiche un taux de croissance de quasiment 10 % depuis 1990. Il envisage d'être un petit exportateur d'ici dix ans. Le secteur de la mouture sèche pense également qu'il peut avancer. Dans le cas de la mouture humide, de grands investissements sont en cours de réalisation. Enfin, le secteur du biogaz pourrait être développé.

Les biocombustibles n'ont pas démarré, mais les intentions d'investissements existent. Les gouvernements provinciaux sont intéressés par des aides. Ils souhaitent que leurs territoires soient considérés comme des opportunités.

Chaque maillon doit être le plus compétitif possible. L'esprit de filière doit être l'axe central de notre travail. Il est fondamental de mettre en place une stratégie public-privé afin de construire de nouvelles chaînes de valeurs et de se protéger de l'adversité.

III. Le secteur agricole, l'Argentine, une priorité pour Louis Dreyfus

Silvia TAUROZZI,
Présidente de Louis Dreyfus Argentina

Louis Dreyfus est un groupe privé présent dans plus de 55 pays qui emploie environ 40 000 personnes. Il dispose de 11 plates-formes principales de produits agricoles. Nous sommes présents dans toute la chaîne : nous cultivons, nous semons, nous stockons et nous exportons. 80 % des volumes que nous manipulons proviennent des pays émergents.

En 2050, la planète aura 9 milliards d'habitants. Les villes augmenteront de près de 50 %. Près de 70 % de la population vivra en ville. Il en résultera une croissance de la demande d'aliments. Pendant les quarante prochaines années, cette demande doublera. L'Amérique latine a un rôle fondamental. La technologie s'améliorera. L'Amérique du Sud est l'une des zones du monde qui se développera le plus.

En Argentine, nous sommes le troisième exportateur de produits agricoles. Nous avons plusieurs usines de stockage. En Uruguay, nous sommes le principal exportateur d'oléagineux. Au Paraguay, nous avons également des plantations de coton et nous travaillons le soja.

Le groupe Louis Dreyfus est présent en Argentine depuis 1895, en Uruguay depuis 2003 et au Paraguay depuis 2004. Les oléagineux sont au centre de nos activités.

Les deux dernières années, le secteur a connu un conflit très important, qu'il essaie maintenant de résoudre. Ce conflit s'est doublé de la sécheresse la plus importante depuis cinquante ans. Cette année, les récoltes seront en croissance. Le blé et le maïs ont perdu du terrain face aux oléagineux. Il faut recomposer toutes ces productions. Le régime des exportations aide à cette reprise. L'Argentine affiche une capacité de reprise et de récupération très développée. Le contexte mondial est très favorable. L'Argentine gagne la confiance d'autres pays.

Nous cultivons environ 60 % des terres arables. De nouvelles zones dont découvertes tous les jours. La manière dont les gouvernements provinciaux comptent développer leur agriculture soulève quelques questions.

L'Argentine possède de grands avantages compétitifs, avec d'importantes ressources en eau, un secteur privé très compétitif et des coûts de transport réduits. Elle souhaite maintenir et améliorer ses positions dans les pays du Cône Sud. Les investissements se poursuivront dans les processus de fabrication. Des ports continueront d'être construits en eaux profondes. Les fertilisants et le commerce du riz doivent être développés. Enfin, le secteur de la viande et le secteur laitier affichent d'importantes potentialités.

IV. Le secteur automobile : l'Argentine, un axe stratégique pour le groupe Renault

Dominique MACIET,
Président de Renault Argentina

Les investissements sont habituellement très importants dans le secteur de l'automobile. Ils doivent donc être appréciés sur la durée. Par le passé, les constructeurs argentins étaient seulement orientés sur la production nationale. Aujourd'hui, plus de 60 % de la production est exportée. A moyen terme, cette part montera à 85 %.

Aujourd'hui, l'industrie automobile emploie environ 80 000 personnes - 160 000 avec le réseau commercial. Les ventes ne sont financées qu'à 30 % par le crédit à la consommation. C'est ce qui explique que le marché argentin ne soit pas aussi développé qu'il devrait l'être. Les capacités installées - 1 million de véhicules - sont utilisées à 52 %.

Le tissu de fournisseurs est relativement réduit depuis 2002, du fait d'un manque d'investissements et de la chute du marché à 100 000 véhicules. Néanmoins, l'Argentine a pour ambition de se situer parmi les vingt-cinq premiers producteurs mondiaux de véhicules.

La production a suivi l'évolution du marché. De plus en plus, les exportations sont le moteur de l'industrie locale ; 74 % des exportations argentines vont vers le Brésil, mais un rééquilibrage s'opère vers le Mexique. Cette dépendance envers le Brésil est un problème de fond à résoudre dans les prochaines années. L'Amérique latine est un marché très vaste. Excepté le Venezuela, les autres marchés de la région sont en cours d'intégration.

Le marché automobile - toutes marques confondues - devrait atteindre 600 000 véhicules en 2010, puis 680 000 en 2015. L'instabilité économique et le développement du crédit sont les deux principaux freins à une meilleure croissance. Par manque de confiance, les Argentins sont faiblement bancarisés. Le marché automobile est étroitement corrélé avec le PIB et la confiance.

Fin 2011, l'Argentine devra résoudre son problème d'inflation. Son potentiel est d'un million de véhicules. Il existe donc une grande réserve de croissance sur ce marché. Le tissu de fournisseurs est trop faible. Cela génère un déficit de la balance commerciale du secteur automobile. Un plan est en cours d'élaboration. Il est important de favoriser l'installation de fournisseurs et d'équipementiers en Argentine. Il ne faudrait pas que nous nous retrouvions dans une impasse d'ici cinq à dix ans.

Renault Argentine est une entreprise de 3 500 personnes. Renault vise une part de marché de 15 % à l'horizon 2015. Les leaders actuels sont Volkswagen et General Motors. Le niveau d'exportation est prévu à 40 000 véhicules en 2010. En 2015, les deux tiers de la production devraient être exportés. Renault a investi 128 millions de dollars sur deux ans afin de moderniser l'outil industriel et se doter de nouvelles capacités de production. Présent en Argentine depuis 1955, Renault possède des capacités d'autofinancement.

L'Argentine est stratégique pour Renault car il s'agit d'un marché de 600 000 à 700 000 véhicules. Ce marché ira vers le million de véhicules. Il existe peu de doutes sur le sujet. Renault est présent dans toute l'Amérique latine. Les plates-formes véhicules ne s'y font pas concurrence. Ainsi, la Clio est produite en Argentine pour l'ensemble du Mercosur. Renault fournit tous les grands marchés d'Amérique latine. Les installations actuelles seront saturées car ce marché croîtra dans les années futures.

L'Argentine est une opportunité pour les équipementiers. Travaillé dans la durée, il s'agit d'un marché rentable. Ces derniers temps, l'ingénierie tend de plus en plus à être déconcentrée du Brésil vers l'Argentine, à la fois pour une question de qualité de la main d'oeuvre et pour une question de prix.

V. Echanges

De la salle

Je suis directeur général d'une petite entreprise française spécialisée dans les nouvelles solutions de biocontrôle pour l'agriculture. Comment collaborer avec l'Argentine sur ces nouvelles solutions de biocontrôle qui permettent de limiter les intrants ?

Martin FRAGUIO, Directeur général, Association MAIZAR (interprofession du maïs argentin)

Le gouvernement travaille à l'élaboration de plans stratégiques pour développer le secteur agricole en Argentine. Tous les sujets seront traités. C'est le bon moment pour développer le biocontrôle entre les deux pays.

Philippe LECAPLAIN

Les pays du Cône Sud offrent-ils des opportunités pour les petites et moyennes entreprises ?

Marcelo ELIZONDO, ancien Président de la Fondation « Export Ar » (Agence de promotion des exportations) et Directeur général de DNI Conseil

Oui. Enormément de petits acteurs interviennent dans le secteur laitier. Des collaborations avec des entreprises françaises seraient les bienvenues.

De la salle

Je suis président d'une grosse PME implantée depuis peu de temps en Argentine. Il s'agit d'un pays très accueillant, avec des techniciens et des juristes de bon niveau. Les services sont également très accueillants. L'environnement est très profitable. En revanche, une question se pose sur les possibilités d'exportation dans les autres pays, et pas seulement le Brésil.

Dominique MACIET, Président de Renault Argentina

Il est impossible de s'installer en Argentine en ne pensant qu'au marché national. Il faut penser Amérique latine. L'Argentine est encore un pays à bas coûts, alors que le Brésil est devenu un pays à coûts élevés.

Son Exc. Luis URETA SAENZ PENA, Ambassadeur d'Argentine en France

Quelle est la part de la masse salariale dans le coût d'un véhicule ?

Dominique MACIET, Président de Renault Argentina

Cette part est de 4 à 5 %.

Son Exc. Luis URETA SAENZ PENA, Ambassadeur d'Argentine en France

Quel est le coût horaire, charges comprises, de la main d'oeuvre en Argentine ?

Dominique MACIET, Président de Renault Argentina

Il est de 9 à 10 euros. Le prix horaire d'un ingénieur en Argentine est très compétitif. Voilà pourquoi Renault envisage d'accroître son ingénierie dans ce pays.

De la salle

Comment voyez-vous les évolutions des taxes douanières dans les années à venir ? Aujourd'hui, il est compliqué d'exporter du Chili vers l'Argentine.

Dominique MACIET, Président de Renault Argentina

Dans le secteur automobile, le Chili est un marché d'exception. C'est le marché test mondial de la compétitivité d'un constructeur automobile. Les droits de douane entre l'Argentine et le Brésil sont à 0 %. Ils sont à 0 % entre l'Uruguay et ses partenaires du Mercosur. La Colombie les fait progressivement baisser. A terme, tous les marchés seront à 0 %, excepté au Venezuela. Le Mexique est déjà devenu un marché libre. Le marché chilien est un peu à part car très ouvert sur le reste du monde.

De la salle

L'Argentine est le troisième exportateur d'OGM au monde. Quelles sont les perspectives ?

Silvia TAUROZZI, Présidente de Louis Dreyfus Argentina

L'Argentine produit des variétés d'oléagineux approuvées par les consommateurs finaux. C'est également le cas pour le maïs. La part des céréales qui ne sont pas génétiquement modifiées se réduit. Ce sujet ne se développe pas vraiment au Paraguay.

Silvia TAUROZZI, Présidente de Louis Dreyfus Argentina

La campagne pour la nouvelle récolte débute. L'huile qui doit être envoyée en Chine s'exporte à partir du Brésil et des Etats-Unis. La Chine représente 33 % des exportations de soja.