Table ronde Caucase (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie)

La table ronde est présidée par Daniel PATAT, avec :

Ardavan AMIR-ASLANI, président de la Chambre de Commerce France-Azerbaïdjan, avocat à la Cour, Cabinet Cohen Amir-Aslani Ornano et Associés
Diane DOUVILLE, attachée commerciale, ambassade de France en Arménie
Jacques FLEURY, président, IDS Borjomi International, CCEF
(industrie des boissons)
Catherine GRASSET, vice-président Kazakhstan & Azerbaïdjan, Total Exploration & Production
Gilbert HIE, directeur général, Bank Republic
(filiale de la Société Générale) , président du French Business Council, vice-président de ICC Georgia, CCEF
James HOGAN, Avocat associé, Salans
Pascale PEREZ, directeur du développement Groupe Derichebourg, administrateur Medef international
Armand PINARBASI, Managing Partner, Grant Thornton Amyot
(audit et conseil)

Daniel PATAT

Le Caucase, qui est connu depuis la plus haute Antiquité, est une région tourmentée et complexe qui abrite des populations variées parlant des langues différentes. Malmenée par les empires ottoman, soviétique et perse, elle essaie aujourd'hui de se construire avec l'objectif de devenir une zone clé, une zone de transit, un trait d'union entre l'Asie et l'Occident européen.

Régis GENTÉ

Maitre Ardavan Amir-Aslani, vous avez été récemment élu à la présidence de la Chambre de commerce France-Azerbaïdjan. Quelles sont vos ambitions pour cette dernière ? Quel est l'intérêt géostratégique de l'Azerbaïdjan, et plus globalement, du Caucase ?

Ardavan AMIR-ASLANI

Je pense que le fait de définir le Caucase par exception et par défaut constitue une erreur d'approche. La Géorgie a certes du potentiel parce qu'elle est une voie de transit du pétrole de la mer Caspienne vers l'Europe, l'Azerbaïdjan a bien sûr de l'intérêt car il constitue une source de production d'hydrocarbures susceptibles de remplacer les produits russes et l'Arménie est, c'est vrai, un pays chrétien dans une zone islamique. Mais au-delà de ces clichés, ces pays présentent avant tout un véritable potentiel propre.

Alors que leur niveau intellectuel et universitaire compte parmi les plus élevés au monde, ils offrent également des opportunités d'investissement et de vente. L'Azerbaïdjan a connu ses instants difficiles mais il abrite une population jeune, éduquée et particulièrement ouverte sur l'Europe. Si le pays s'est focalisé sur l'industrie pétrolière - qui représente aujourd'hui plus de 50 % de son PIB - d'autres activités peuvent y être développées. Bakou se situe au centre d'un marché global de plus de 100 millions de personnes dont 25 millions ont un pouvoir d'achat équivalent à celui de la moyenne des Européens.

Ne regardons pas ces pays comme des zones exotiques mais appréhendons-les comme un point d'ancrage important pour toute la région!

L'Azerbaïdjan est membre du Conseil de l'Europe et se situe à la jonction de l'Europe, de l'Asie centrale et du Moyen Orient. Dans ce pays, un tapis rouge est déroulé aux entreprises qui souhaitent investir et développer le potentiel du Caucase, en dehors du pétrole.

Régis GENTÉ

James Hogan, quelles sont les mesures de diversification introduites par le gouvernement azerbaidjanais et quelles sont les difficultés principales pour les investisseurs en Azerbaïdjan aujourd'hui?

James HOGAN

Nous sommes un cabinet international créé à Paris il y a 32 ans et qui s'est internationalisé à partir de 1991. Mon expérience avec l'Azerbaïdjan a commencé en 1991 avec le grand projet ACG. Le bureau de Bakou a été ouvert il y a onze ans et emploie actuellement douze juristes.

Le gouvernement azerbaidjanais est très sensible à la diversification de l'économie, l'économie locale étant gouvernée par le secteur pétrolier (42 % du PIB). En effet, malgré les réserves extraordinaires présentes dans le sous-sol, un déclin de la production pétrolière est prévu pour 2014-2015.

Le gouvernement a lancé un programme ambitieux de développement des infrastructures. En témoigne, par exemple, le contrat de la CNIM pour la conception, la construction et l'exploitation d'un grand incinérateur pour convertir les déchets de la ville de Bakou en énergie.

En 2009, le gouvernement a adopté une nouvelle loi importante sur les zones économiques spéciales avec des régimes douaniers simplifiés, des exonérations des droits de douanes et d'autres impôts. Les zones économiques spéciales existent dans tous les secteurs à l'exception de quelques uns tels que la production et le traitement des hydrocarbures et des ressources naturelles ou la production et la vente de produits alcoolisés.

Dans le cadre des accords de partage de production signés par les grandes sociétés pétrolières, de nombreux avantages sont concédés aux sous-traitants étrangers, notamment des exonérations de charges.

Il convient de promouvoir la diversification de l'économie, peut-être de manière plus ciblée et plus importante comme l'a fait le Kazakhstan à travers les zones économiques spéciales dans les secteurs prioritaires de l'industrie. Je pense que l'Azerbaïdjan présentera de nombreux avantages dans les années à venir. Enfin, notons que le pays a accompli beaucoup de progrès et selon le rapport Doing Business 2010 publié par la Banque Mondiale, il occupe la 33 ème place sur 183 pays pour la facilité des mener des affaires.

Régis GENTÉ

Madame Grasset, comment jugez-vous le climat des affaires en Azerbaïdjan où Total est présent depuis 1996 ?

Catherine GRASSET

Nous jugeons le climat des affaires en Azerbaïdjan plutôt bon. La meilleure preuve en est la croissance continue de nos activités dans ce pays. Nous avons signé un nouveau contrat en février 2009 pour l'exploration du puits d'Absheron qui est situé en mer Caspienne en partenariat avec la compagnie nationale SOCAR et GDF Suez. Je précise que nous sommes opérateurs sur ce projet et que c'est notre technicité qui nous a aidés à obtenir le permis. En effet, le démarrage du puits d'exploration sera techniquement très difficile. Il coûtera plus de 150 millions de dollars et l'objectif sera de creuser à plus de 7 000 mètres.

Nous détenons par ailleurs 10 % sur le projet de gaz de Shah Deniz qui est opéré par BP. Son potentiel de production actuel est de 9 milliards de m 3 de gaz par an. Une deuxième phase permettrait de produire 16 milliards de m 3 supplémentaires mais reste en suspens du fait des difficiles négociations entre l'Azerbaïdjan et la Turquie concernant les ventes de gaz.

L'Azerbaïdjan est un pays de transit important pour la production pétrolière et gazière de la région. Nous sommes présents dans le transport depuis quelques années. S'agissant du gaz, nous avons une participation de 10 % dans le South Caucasus Pipeline qui permet d'acheminer le gaz de Shah Deniz vers la Géorgie et la Turquie. Enfin, nous avons une participation dans le BTC qui permet d'acheminer le pétrole de la région vers la Méditerranée. La capacité de ce pipeline, qui a déjà été augmentée, devrait être portée à 1,6 millions de barils/jour.

Nous avons d'autres objectifs de croissance dans ce pays, toujours en partenariat avec la société nationale SOCAR avec laquelle nous entretenons de bonnes relations.

Régis GENTÉ

Intéressons-nous à présent à la Géorgie. Les relations entre Tbilissi et Moscou sont au plus bas depuis le mois de mars 2006, avec l'embargo russe sur les eaux minérales et les vins géorgiens. Jacques Fleury, quelles sont les conséquences de l'embargo sur ces marchés ?

Jacques FLEURY

Les Russes essaient de trouver un moyen d'empêcher l'entrée des produits géorgiens sur leur territoire en dépit de l'union douanière. Je n'ai pas trouvé dans la presse d'études précises sur les conséquences de l'embargo, mais il a été extrêmement rude pour les industries de l'eau minérale et du vin, animées par des entreprises relativement jeunes et issues de privatisations.

L'industrie de l'eau minérale a perdu environ 250 millions de dollars de valeur. En 2008, nous avons réussi à retrouver 51 % du niveau des exportations de 2005 grâce aux exportations vers d'autres pays amis (Pays baltes, Pologne, Ukraine, Kazakhstan, Azerbaïdjan).

Nous sommes nous-mêmes devenus la multinationale de l'eau, ce qui nous a permis de racheter cette année Nestlé Russie. Aujourd'hui, nous sommes une entreprise plus forte et nous attendons avec impatience la réouverture du marché russe.

L'industrie du vin a connu plus de difficultés. En effet, 90 % des volumes étaient destinés à l'exportation dont 92 % à la Russie. En 2008, les volumes d'exportation n'avaient été rétablis qu'à hauteur de 21 %. Toutefois, il est sorti de cette crise des entreprises plus fortes et restructurées.

Trois ou quatre entreprises géorgiennes jouissent aujourd'hui d'une certaine envergure. Je pense que dans les quatre ou cinq années qui viennent, elles pourront faire une percée sur le marché international.

Régis GENTÉ

La croissance géorgienne, essentiellement tirée par la finance et l'immobilier, était de 9 % en moyenne avant la crise financière. Gilbert Hie, quelles sont les conditions d'une reprise efficace en Géorgie ? Comment le French Business Council peut-il attirer les entreprises françaises dans ce pays afin qu'elles prennent part à la relance de l'économie ?

Gilbert HIE

La Société Générale est présente en Géorgie depuis trois ans. Au cours de ces trois années, nous avons dû faire face à deux périodes différentes. De fin 2006 à mi 2008, nous avons traversé une phase d'expansion avec une croissance nationale de 10 % et une croissance de nos activités de 30 à 50 % par an. A partir de l'été 2008, la Géorgie a été confrontée à une crise financière et politique aiguë.

Ceci étant, la finance en Géorgie se porte bien puisque le secteur bancaire, qui est solide, a été recapitalisé. La fuite des dépôts, de l'ordre de 15 % après les événements de l'été 2008, a été endiguée dès la fin de la même année. L'activité est depuis lors plus atone car le niveau d'endettement des entreprises et des ménages est important. Si l'activité économique a connu des difficultés en 2009, elle présente de nettes preuves de reprises qui tendent à se confirmer, notamment dans l'immobilier.

Ce secteur, ainsi que celui des investissements étrangers, étaient les principaux vecteurs du développement économique avant la crise. Il est important que la Géorgie parvienne à restaurer la confiance des investisseurs étrangers. Le gouvernement s'y emploie activement. Toutefois, l'initiative privée est moins dynamique parce que les taux des dépôts et des crédits sont élevés dans le pays. Le mouvement de contraction des taux permettra néanmoins de contribuer à la réactivation du secteur privé et à la croissance économique. Le taux de croissance 2010 devrait être de 2 % après une récession de 4 % en 2009.

Le Géorgie est un pays accueillant, ouvert, avec une fiscalité légère. La création de zones franches industrielles est un élément important pour les investisseurs, notamment à Poti, qui représente une porte vers le Caucase du Sud. Il est donc possible pour une entreprise française de s'implanter et de produire en Géorgie. Le pays a en outre signé des accords de droits de douanes avec l'Union européenne.

Il y a deux ans, suite au constat que les échanges avec la France représentaient environ 2 % des échanges commerciaux de la Géorgie, nous avons décidé de créer un club d'affaires, le French Business Council . Celui-ci compte désormais 70 membres et aide les entreprises des deux États à entrer en contact.

Régis GENTÉ

Armand Pinarbasi, en quoi la crise a-t-elle modifié le climat des affaires en Arménie ? Quelle est la situation du secteur bancaire dans ce pays ?

Armand PINARBASI

L'Arménie a été fortement affectée par la crise qui a mis en lumière les faiblesses de son développement économique. En effet, son PIB a chuté de 15 % après des années de croissance à deux chiffres et nous avons réalisé que le pays basait son développement sur l'immobilier. La chute des cours des matières premières au niveau international été relativement brutale et le montant des transferts de la diaspora, qui est deux fois plus nombreuse que la population arménienne locale, a été divisé par deux.

Le gouvernement a revu son approche de l'économie et a tenté de flexibiliser les entreprises, les impôts, les taxes et la méthodologie administrative. Le secteur bancaire s'en est sorti sans trop d'encombres, aucune banque n'ayant fermé malgré un premier semestre 2009 très difficile. Il reste néanmoins sous perfusion du FMI, de la Banque Mondiale et d'autres organisations internationales.

Les secteurs qui enregistraient de belles performances continueront à le faire alors que les points faibles de l'économie arménienne devront être rapidement pris en charge par le gouvernement. Tout ce qui relève des minerais, des IT, de l'industrie, de l'immobilier et de l'énergie (nucléaire, hydroélectricité, éolienne) présente un réel potentiel. Le potentiel humain avec des personnes ayant une formation de haut niveau doit également être pris en considération. Enfin, les pays du Caucase peuvent servir l'incubateur pour aborder les marchés russe, ukrainien et kazakhs, sachant qu'il existe des accords douaniers entre la Russie et l'Arménie.

Le système juridique, fiscal et comptable arménien est similaire au système français.

Enfin, je dirai que notre société est présente dans les trois pays du Caucase - Azerbaïdjan, Arménie et Géorgie- mais également en Ukraine et en Russie avec des projets de développement en Asie centrale.

Régis GENTÉ

Diane Douville, quels sont les points forts et les points faibles de l'Arménie aujourd'hui ? Par ailleurs, quels sont les efforts consentis par le pays pour améliorer le climat des affaires ?

Diane DOUVILLE

La France et l'Arménie ont une relation privilégiée qui se ressent au quotidien. Les Français sont toujours bien accueillis dans ce pays, que ce soit par les entreprises ou par les autorités.

Les entreprises françaises qui se sont installées dans le pays ont rencontré un succès considérable. Elles sont surtout présentes dans le domaine de l'eau, de la finance et de l'énergie. La volonté de l'Arménie de se tourner vers l'Europe est patente, notamment pour la téléphonie mobile et Internet. Orange a par exemple remporté la troisième licence de téléphonie mobile et devient le troisième opérateur après deux sociétés russes.

Si l'Arménie a été fortement touchée par la crise en 2009, elle enregistrait une croissance à deux chiffres au cours des années précédentes. Ce petit pays en transition présentera des opportunités qu'il conviendra de saisir rapidement dans les secteurs de la technologie et des services. Enfin, la perspective d'ouverture des frontières entre la Turquie et l'Arménie pourrait changer le climat des affaires et offrir de nouvelles opportunités.

Les points faibles du pays sont les quasi-monopoles de la Russie dans des secteurs stratégiques tels que l'énergie, le gaz, les chemins de fer et les télécommunications. Cependant, rien ne prouve que la dépendance commerciale de L'Arménie à l'égard de la Russie sera pérenne. Enfin, le pays fait face à un manque de concurrence et à une certaine corruption. Ce dernier problème constitue le chantier prioritaire du gouvernement d'après le discours du Premier ministre.

L'ouverture de la frontière avec la Turquie permettrait de désenclaver le pays qui n'a aucun accès à la mer, dont deux frontières sur quatre sont fermées et qui importe 80 % de ses marchandises via la Géorgie. Le climat des affaires est en définitive relativement satisfaisant en Arménie. Le pays est membre de l'OMC depuis 2003 et occupe la 44 ème place du classement Doing Business de la Banque Mondiale.

Charles DENIVELLE

Le Nakhitchevan, morceau de territoire azerbaidjanais isolé entre la Turquie et l'Arménie, n'est-il pas de nature à déstabiliser la région ?

Ardavan AMIR-ASLANI

L'Azerbaïdjan a été séparé en deux parties à l'issue du conflit qui l'a opposé à l'Arménie. La plupart des Azerbaidjanais ont quitté cette région pour s'installer dans l'autre partie du pays et ce morceau de territoire est majoritairement peuplé de Kurdes. Nous avons l'espoir que ce conflit puisse un jour se pacifier et ramener la paix dans cette région. Les petits pays du Caucase sont le théâtre de petits conflits incessants. Je pense cependant que ce colloque n'est pas le lieu adéquat pour traiter cette question.

Son Excellence Mamuka KUDAVA

J'aimerais que vous évoquiez la question de la corruption dans la stratégie d'investissement en Géorgie.

Par ailleurs, quelle est la position énergétique française depuis d'EDF et GDF Suez ont intégré les projets Southstream et Northstream qui sont menés par la Russie ? Celle-ci va-t-elle à l'encontre des intérêts européens, en particulier au regard de Nabucco ?

Quelles sont les perspectives pour l'implication des entreprises françaises et européennes dans la région ? Enfin, il me semble que l'absence des Européens dans les projets énergétiques d'envergure laisse la place à d'autres pays tels que la Chine ou la Corée.

Gilbert HIE

La Géorgie fait partie des pays qui enregistrent les meilleurs résultats en matière de lutte contre la corruption, le gouvernement ayant consenti de nombreux efforts à cette fin. En trois ans de présence dans ce pays, je n'ai jamais entendu parler de problème de ce genre.

Catherine GRASSET

Le projet Nabucco verra le jour s'il est rentable. Aujourd'hui, les perspectives à court terme ne vont pas dans ce sens. Il est en outre patent que l'Europe est lente par rapport à la Chine qui est capable de monter un projet de pipeline et de le rendre opérationnel en deux à quatre ans.

Un participant

La carte de cette région du monde indique qu'elle n'est pas sereine et il n'est pas raisonnable de vouloir rassurer les investisseurs sans leur présenter aussi l'autre réalité des choses. Par ailleurs, nous avons évoqué plusieurs grands projets depuis ce matin mais je rappelle que 2,5 millions de PME souhaitent et ont besoin d'exporter. Elles ne peuvent toutefois pas le faire dans n'importe quelles conditions. Si cela fait douze ans que nous parlons de « chasser en meute », ce mode opératoire n'est toujours pas une réalité sur le terrain. Enfin, le portage par les grandes sociétés est une douce légende.

Nous ne sommes pas venus pour vous entendre tenir des propos lénifiants. Les interventions lyriques de Messieurs Amir-Aslani et Patat sont éloquentes mais manquent de réalisme.

Daniel PATAT

Le Caucase convient-il aux PME ? Il est manifeste que ces pays ne sont pas accessibles aux entreprises qui n'ont pas acquis suffisamment d'expérience en matière d'exportation. Par ailleurs, s'il est vrai que nous abordons les grands projets, nous ne devons pas oublier l'effet porteur des grands groupes sur les exportations et sur la création des courants d'affaires. Les grands contrats ne sont pas la panacée mais apportent beaucoup aux plus petites entreprises.

Vous avez raison, nous ne pouvons pas regarder cette région sans prendre en compte le morcellement des territoires qui est le fruit d'une histoire tourmentée. Toutefois, la situation du Caucase n'est pas de nature à rendre impossibles les investissements. Notre intention n'est pas de brosser un tableau idyllique et merveilleux de la zone mais de signaler qu'au beau milieu du conflit avec la Russie, par exemple, les affaires ont continué et que l'exportation d'électricité n'a jamais été interrompue. Le climat des affaires reprend, nous l'avons vu, de manière plutôt positive.

En Azerbaïdjan, malgré les tensions, l'économie continue de croître de manière incroyable et attire des investisseurs. De plus, le pays a peu souffert de la crise liée au système financier. La Géorgie est le pays qui a le plus progressé en matière de privatisation de services. La seule question que nous pouvons nous poser concerne notre incapacité à monter des tours de table qui puissent, par exemple, se lancer dans la concession d'une centrale hydroélectrique.

Jacques FLEURY

La réussite des entreprises dans le Caucase dépend des conditions locales et de la volonté des PME de faire face sur ces marchés. Je suis la preuve qu'il est possible de faire des affaires en Géorgie. Partis de rien en 1996 et malgré les difficultés, nous avons réussi à faire de notre société l'une des entreprises d'eau minérale les plus rentables au monde. Nous sommes parvenus à créer l'une des rares multinationales nées de l'ex-URSS. La rentabilité de ces économies est telle qu'elle permet de gagner de l'argent. Enfin, je confirme que la corruption dans le milieu des affaires a été éradiquée en Géorgie.

Les PME italiennes et allemandes peuvent servir d'exemple aux PME françaises qui ont des velléités d'implantation dans le pays. J'ai toujours favorisé les fournisseurs français mais force est de constater que ces derniers sont plus chers que leurs concurrents européens, moins accrocheurs et de plus en plus rares dans le secteur des biens d'équipement. Les Italiens ont des bases commerciales et des représentants actifs dans le pays. Ainsi, la faiblesse de l'industrie française est patente.

Christian MARTIN, Senior Strategic Advisor, SOPREMA

Quelle autre région du monde, à proximité de l'Europe, est aussi prometteuse que le Caucase ? Nous avons une très forte confiance dans le développement de la région.

Je m'interrogeais en outre sur la convertibilité des monnaies géorgienne et azerbaidjanaise.

Gilbert HIE

Après les événements de 2008, la monnaie géorgienne a été dévaluée d'environ 15 %. Depuis, elle s'est rétablie et se comporte bien vis-à-vis de l'euro et du dollar. Il s'agit plutôt d'une monnaie forte dans la région. Il n'existe pas de contrôle des changes en Géorgie et la convertibilité du lari est totale.

Daniel PATAT

Il n'y a aucun problème de convertibilité de la monnaie azerbaidjanaise. Le pays légifère en outre pour renforcer son arsenal de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Enfin, le repositionnement du manaat en nouveau manaat a permis d'établir une parité avec le dollar.

Avant 2008, la banque centrale observait un système d'ancrage flottant sur un panier de monnaies (50 % de dollars, 40 % d'euros et 10 % de roubles et de yens). Puis, elle s'est rendu compte, devant le constat de l'incroyable volatilité des monnaies, qu'il était préférable de revenir à un ancrage flottant avec le dollar. Cette solution est la moins couteuse en termes de flux de soutien et d'équilibrage des parités monétaires.

James HOGAN

Pendant la crise financière, le gouvernement d'Azerbaïdjan a décidé de défendre la monnaie à l'aide du fonds national de ressources pétrolières, avec succès.

Régis GENTÉ

Qu'en est-il du drachme arménien?

Armand PINARBASI

Tous les pays de l'ex-URSS, à l'exception de l'Azerbaïdjan, ont dévalué leur monnaie durant la crise. Le drachme est une monnaie flottante, convertible et libre même si des contrôles sont régulièrement effectués pour lutter contre le blanchiment d'argent et le terrorisme.

Régis GENTÉ

Le Kazakhstan a annoncé qu'il gèlerait ses projets de raffinerie ou de terminaux céréaliers dans le Caucase suite à la crise russo-géorgienne de 2008. Il semblerait néanmoins que le pays s'apprête à acheter des terres à Poti pour y construire un terminal céréalier et que les logiques régionales se réinstaurent.

Son Excellence Mamuka KUDAVA

Si le Kazakhstan a été le premier investisseur en Géorgie pendant deux ou trois ans, les Émirats Arabes Unis, l'Égypte et l'Ukraine sont devenus les investisseurs les plus importants du pays en 2009. Le Kazakhstan a en outre repris les projets qui avaient été gelés.

J'aimerais revenir sur l'embargo russe. Nous pensons que la Russie, même si elle rejoint l'union douanière avec le Kazakhstan et la Biélorussie, trouvera toujours des moyens pour que les produits géorgiens ne pénètrent pas son marché.

Daniel PATAT

Le transit est l'un des facteurs importants de développement de cette région. Le Kazakhstan devient un important exportateur de pétrole brut et ne pourra pas gérer ses exportations par le seul réseau russe : il devra traverser la mer Capsienne par transbordement, remonter via le Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) et alimenter toute cette partie de l'Europe à partir des bases qu'il développe sur les ports géorgiens.

Des investissements conséquents sont en cours d'étude et verront le jour car ils répondent à une nécessité matérielle absolue. Les débouchés conditionneront la construction des pipelines. Ainsi, le transit représentera dans les dix années à venir l'une des plus grandes opportunités pour les grandes, les moyennes et les petites entreprises.

Si nous ajoutons à cela la relance des liaisons ferroviaires et routières, nous prenons la mesure du nombre de projets en cours qui sont financés par les multinationales. Toutefois, nous ne sommes pas les seuls intéressés par ce créneau. Les Turcs sont extrêmement dynamiques et considèrent cette région comme une zone d'expansion. Rien ne nous empêche cependant de travailler avec eux.

Azamat KAYYRALIEV, président de l'Association des Kirghizes de France

Nous avons peu parlé des grandes puissances régionales, notamment des grands frères turc, russe ou occidentaux qui soutiennent respectivement l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Géorgie. N'est-il pas préférable, pour ceux qui souhaitent faire une percée dans cette région, de passer par l'Union européenne ? Que fait Bruxelles pour ouvrir cette région aux Français ?

Daniel PATAT

L'Union européenne est très active mais ses efforts ne sont pas visibles. Elle contribue à l'approfondissement des capacités de construction de ces États et a notamment mis en place des jumelages qui permettent à des pays européens de réaliser des travaux intégrés et intégrants dans la zone. Le partenariat oriental et le processus d'accord de libre échange approfondis contribuent à améliorer la qualité du terrain de jeu. Il me semble qu'il y a là un réel partenariat en devenir.