Regards croisés de grands patrons mexicains et français

Miguel ALEMAN VELASCO, Président du Conseil, Aerolinea Interjet

Juan GALLARDO, Président, Embotelladoras Unidas

Jean-Paul HERTEMAN, Président du Directoire, SAFRAN

Les débats sont animés par Céline KAJOULIS, Chef du service Economie, Radio Classique

Céline KAJOULIS

Nous allons écouter les regards croisés de trois grands patrons, membres du groupe de haut niveau mis en place par les Présidents mexicain et français.

Jean-Paul Herteman, votre groupe est présent depuis longtemps au Mexique. Vous y êtes le premier employeur de l'aéronautique. Pouvez-vous nous expliquer à quel point ce pays est important pour le développement de SAFRAN ?

Jean-Paul HERTEMAN

SAFRAN est une société de taille importante, avec 11 milliards d'euros de chiffres d'affaires. Elle intervient dans des domaines de haute technologie, avec souvent une dimension de souveraineté. Nous produisons des équipements critiques. Environ 80 % de notre activité est réalisée à l'exportation. De plus en plus, nos marchés s'orientent vers les grands pays émergents.

Le Mexique est, en termes d'effectifs, notre troisième pays d'implantation, derrière la France et les Etats-Unis. Nous y employons plus de 3 000 personnes et, compte tenu de notre croissance, le seuil des 4 000 devrait être prochainement atteint. Nous sommes le premier intervenant aéronautique mexicain. Nous avons investi 500 millions d'euros en dix ans.

Nos usines mexicaines ne sont pas des maquiladoras . Le management est très largement local. Le retour sur investissement est rapide. Il n'est pas constitué uniquement des coûts de main d'oeuvre. Les différenciations technologiques en sont également un élément important.

Nous allons inaugurer, au début de l'année prochaine, une usine de maintenance de réacteur d'avion. Elle sera la plus moderne du monde. Nous avons également des projets d'extension pour nos ateliers de câblage et de création d'une nouvelle entité sur les matériaux composites.

Nous essayons de concevoir notre présence au Mexique comme un vrai partenariat. Nous contribuons à l'émergence de campus technologiques. La poursuite de notre développement demande des capacités de formation spécialisée.

Il ne faut pas être naïf face à la mondialisation. Les règles du jeu doivent être claires. Les pays comme le nôtres ne doivent pas hésiter à jouer pleinement de leurs avantages historiques. Cela ne signifie pas vouloir le conserver jalousement mais, au contraire, de les apporter au monde. Nous devons accepter que le « gâteau » soit partagé. Il sera ainsi plus gros et nous aurons de plus belles parts.

Céline KAJOULIS

Vous êtes le Président du Conseil des chefs d'entreprise France-Mexique. Que s'est-il passé au cours de cette année ? Sur quelles pistes faut-il travailler en priorité ?

Jean-Paul HERTEMAN

Nous avons mis en place des pôles de compétitivité. Comme je l'ai déjà indiqué, nous avons contribué à la construction de campus technologiques dans le domaine de l'aéronautique. Nous avons également constitué une filière de biofuel. Dans le futur, la réduction de la consommation des avions ne suffira pas pour poursuivre le développement du transport aérien. Nous devons absolument trouver d'autres carburants. Nous devons toutefois le faire intelligemment, sans mettre en péril les enjeux agroalimentaires. Il faut en outre s'assurer que les nouvelles solutions envisagées aient un bilan carbone positif. Nous avons déjà quelques pistes prometteuses.

Céline KAJOULIS

Aerolinea Interjet, qui est une compagnie low cost, est l'un des principaux clients d'Airbus.

Miguel ALEMAN VELASCO

Nous sommes effectivement le principal client d'Airbus au Mexique. En Amérique Latine, je crois que nous sommes devancés par une compagnie brésilienne et une compagnie chilienne.

Nous avons réussi à bâtir de vrais partenariats entre la France et le Mexique dans le domaine de l'aéronautique et de l'espace. Les succès sont nombreux et ont des répercussions très positives.

Un groupe de Français s'est installé au Mexique au 19 ème siècle pour créer des usines textiles et ce que nous appellerions aujourd'hui des grands magasins. Ceux-ci ont permis l'émergence d'une nouvelle catégorie de population, qui ne travaillait pas la mer et ne descendait pas dans les mines. La participation de la France au développement économique du pays s'est consolidée aux 20 ème et 21 ème siècles. Il existe aujourd'hui près de 400 entreprises d'origine française au Mexique. Elles génèrent environ 80 000 emplois. La présence française est également évidente dans le monde de l'enseignement et de la formation.

Les collaborations sont étroites dans le domaine de l'aéronautique. Elles le sont également dans le secteur de l'automobile, qui est particulièrement développé dans notre pays.

Le groupe de haut niveau, constitué en 2008, avait pour objectif d'identifier des projets pouvant être mis en place sous forme de partenariats ou de sociétés. Un certain nombre d'entre eux ont pu se concrétiser grâce aux efforts de coopération entre nos deux pays.

En ce qui concerne l'aéronautique, les compagnies à bas coûts ont fait leur apparition et tirent désormais le marché en Amérique Latine. Le potentiel est très important. Aerolinea Interjet est devenu le deuxième opérateur national. Nous assurons 25 % des vols intérieurs. Nous avons encore de fortes perspectives de croissance, en particulier sur les liaisons transfrontalières. Grâce à des alliances avec d'autres transporteurs, il est possible de proposer des tarifs accessibles à la plus large partie de la population.

Quels que soient les résultats que nous avons déjà obtenus, les liens entre la France et le Mexique doivent encore se renforcer.

Céline KAJOULIS

Juan Gallardo, quels sont, selon vous, les apports de ce groupe de haut niveau ? Quel regard portez-vous sur notre pays ?

Juan GALLARDO

Nous avons déjà assisté à des présentations détaillées sur ce sujet depuis le début de ce colloque. Les relations entre nos deux économies restent insuffisantes. Nous savons dans quelle direction nous devons aller.

Le groupe de haut niveau a bien fonctionné, car les personnes qui en faisaient partie se sont bien entendues. Cette dimension humaine est extrêmement importante. Elle a permis des échanges riches, autour d'un mandat clair et officiel. Nous avions trois objectifs. Nous voulions obtenir des résultats concrets, grâce à une démarche ouverte à tous ceux qui souhaitaient y participer. Il nous paraissait également souhaitable de pouvoir capitaliser sur des expériences pouvant être reproduites. Il me semble que toutes les réussites qui ont pu être enregistrées présentaient ces caractéristiques.

Le plus important est de trouver les bons partenariats. Il existe de très nombreuses opportunités, qui n'ont pas encore été explorées. Le traité de libre-échange avec l'Union européenne a permis des avancées importantes, notamment dans le domaine de l'agroalimentaire. Nous avons des quotas élevés, qui ne sont pas atteints. Les négociations ont déjà eu lieu, il ne reste qu'à mettre en oeuvre ce potentiel. Nos deux pays peuvent certainement en tirer avantage.