Faut-il réformer le financement des « grands et micros » partis ?

Monsieur Bernard MALIGNER , CERSA Université Panthéon Assas (Paris 2)


Dans son étude consacrée à la réglementation des dépenses et ressources des partis politiques, Bernard Owen a exposé les raisons militant en faveur d'un financement public de la vie politique et dessiné les contours de ce que devrait être leur régime juridique. J'hésitais donc à intervenir sur le sujet. L'omniprésence médiatique, pendant l'été 2010, de l'affaire Woerth-Betancourt et du financement illégal des partis politiques m'a néanmoins incité à rouvrir ma réflexion. Si le régime juridique de financement des partis politiques s'est affiné au cours du temps, les lacunes et dévoiements révélés par la pratique invitent à le rationaliser.

Le régime juridique de financement des partis politiques a en effet fait l'objet de réformes législatives successives et bénéficié de l'apport de la jurisprudence électorale du Conseil d'Etat et du Conseil Constitutionnel. La loi du 11 mars 1988 prévoit ainsi l'attribution d'aides financières aux partis et groupements politiques proportionnellement au nombre de voix recueillies à l'occasion des élections législatives. Des dérogations au droit commun sont d'emblée instituées par le législateur, à savoir l'inapplicabilité du contrôle financier de la loi du 10 août 1922 relative à l'organisation du contrôle des dépenses engagées, l'absence de contrôle de la Cour des comptes et la non application du décret du 30 octobre 1935 relatif au contrôle des associations, oeuvres et entreprises privées subventionnées.

Deux ans plus tard, la loi du 15 janvier 1990 instaure un système reposant sur trois éléments principaux. Elle institue un financement public présentant pour caractéristiques de répartir l'aide publique aux partis et groupements politiques en deux fractions à peu près égales. La première est destinée au financement des partis ou groupements politiques en fonction de leurs résultats au premier tour des élections à l'Assemblée national, à l'exception des formations politiques ayant présenté des candidats exclusivement dans les départements et territoires d'Outre-mer. La seconde fraction de l'aide publique est attribuée aux partis bénéficiaires de la première fraction en fonction du nombre de parlementaires déclarant s'y rattacher. La loi du 15 janvier 1990 autorise également les partis politiques à recevoir des fonds par l'intermédiaire d'un mandataire financier. Enfin, elle institue un plafonnement des dons. Le droit des personnes morales de droit privé de contribuer au financement d'un parti est consacré et plafonné à 500 000 francs. Sont proscrits les dons des personnes morales de droit privé dont la majorité du capital appartient à plusieurs personnes morales de droit public, les dons émanant des casinos et maisons de jeux, de même que les contributions de personnes morales de droit étranger. Les dons des personnes physiques sont plafonnés à 50 000 francs par parti.

Concernant les personnes morales, elle impose désormais que soient rendus publics les entreprises donatrices, les dons versés et leurs bénéficiaires. La loi du 29 janvier 1993 modifie ce régime. Elle conditionne ensuite l'attribution de la première partie de l'aide publique à la nécessité de présenter des candidats dans 50 circonscriptions au lieu de 75, ce qui multiplie les candidatures aux élections législatives et favorise la création de nouvelles formations politiques. Un parti considéré comme sectaire, à savoir le parti de la loi naturelle, a ainsi pu bénéficier de l'aide publique.

La loi du 19 janvier 1995 complète et dans une certaine mesure revient sur le dispositif antérieur en interdisant désormais purement et simplement tout don des personnes morales de droit privé à l'exception des dons émanant des partis politiques. La possibilité est ainsi offerte aux partis politiques de financer d'autres partis et des candidats aux élections. Ceci n'est pas non plus étranger au développement des formations. Le 6 janvier 2000, la loi sanctionne le non-respect du principe de la parité entre les candidats en affectant d'une retenue financière le montant de l'aide publique - 5 millions d'euros échapperaient ainsi aux partis politiques -. La loi du 11 avril 2003 aménage le dispositif d'attribution des fractions d'aide publique, notamment pour les candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages dans 50 circonscriptions. En vertu de l'ordonnance du 14 mai 2009, la première fraction de l'aide publique est désormais également versée aux partis et groupements ayant présenté des candidats exclusivement dans l'Outre-mer, à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Ce système n'a pourtant pas atteint le degré de sophistication qu'il atteindra en 2014. La loi du 16 décembre 2010 concernant la réforme territoriale contient en effet des dispositions dont l'économie générale reprend le dispositif des aides en deux parties, une partie étant fractionnée en deux parties de deux tiers/un tiers. Les députés ont fait valoir sans succès qu'il s'agissait d'une atteinte au principe d'intelligibilité de la loi. La création des conseillers territoriaux aura pour conséquence de modifier le régime d'attribution des aides puisqu'il sera désormais tenu compte des voix obtenues par les candidats aux fonctions de conseiller territorial. Je redoute qu'une telle perspective n'entraîne une nouvelle prolifération des partis.

Cette législation ne prend pas position sur la définition d'un parti politique. Dans un premier temps, le Conseil d'Etat a jugé qu'un parti politique est un groupement qui s'assigne un but politique et dont les statuts confirment cette orientation. Il s'est ensuite ravisé et a complété cette définition par le fait d'être bénéficiaire de l'aide publique ou d'avoir désigné un mandataire financier et par la soumission à l'obligation de déposer des comptes certifiés par un expert comptable le 30 juin de chaque année. Cette jurisprudence a été confirmée par le Conseil Constitutionnel et par un avis de contentieux rendu le 30 juin 2000. La notion de parti politique est aujourd'hui plus restrictive, mais purement formelle et très peu contraignante.

Dans ce contexte juridique, le système de financement introduit depuis 1988 bénéficie actuellement à 296 partis et le montant de l'aide publique s'élève à 75 millions d'euros. En réalité, il est de 71,776 millions d'euros, principalement du fait des pénalités dues à la méconnaissance des règles de parité. Huit partis politiques ont connu une retenue sur leur dotation pour cette raison, parmi les plus importants. Plutôt que d'aide publique, il faudrait par ailleurs parler d'aide directe publique. Or l'avantage fiscal consenti par l'article 200 du code général des impôts n'est pas évalué. Il peut être estimé à un montant variant entre la moitié et les trois quarts de l'aide publique, soit 35 millions d'euros. Le poids du financement public représente 39,4 % du total des financements des partis, à raison de 33,4 millions d'euros pour l'UMP (62 %), 23 millions d'euros pour le Parti socialiste (40,6 %), devançant largement le MODEM et le Parti communiste. 14 partis politiques étaient bénéficiaires de la première fraction de l'aide dans 50 départements. 227 formations politiques ont déposé en juin 2010 leurs comptes certifiés, dépensant ainsi 181,4 millions d'euros. Dans ces conditions, le système ne peut être considéré comme pleinement satisfaisant. A certains égards, il a été dévoyé et mériterait d'être rationalisé. La souplesse de la notion de parti politique retenue a favorisé leur prolifération (28 partis en 1990, 255 en 2004, 296 en 2010). Trois catégories peuvent être distinguées :

• les grands partis traditionnels et structurés (UMP, Parti Socialiste) ;

• les partis d'Outre-mer ayant droit à un traitement privilégié (une quarantaine) ;

• les autres partis, qualifiés par la presse de « micros partis » ou de « partis satellites ».

Il est indéniable que les micros partis sont liés à une personnalité politique. Le Président Sarkozy dispose ainsi de deux partis satellites (l'association nationale des amis de Nicolas Sarkozy et l'association de soutien à l'action de Nicolas Sarkozy), de même que Monsieur Dupont-Aignan. Je pourrais faire la même remarque pour la gauche. Les micros partis peuvent également prendre la forme d'associations locales associées à des personnalités politiques ou adopter un objet politique limité tel que le rassemblement des objecteurs de conscience.

Les interstices de la loi ont ainsi développé le nombre de partis politiques au point de rendre possible le financement de partis sectaires pendant quelques années. On rapporte également le cas de partis politiques qui ne perçoivent pas de financement direct mais en bénéficient indirectement par leur affiliation à un parti politique. Des efforts de rationalisation méritent donc d'être entrepris, notamment sur la notion de parti politique. Mais pour des raisons constitutionnelles tenant au principe de libre administration des partis politiques, nous devrons nous contenter de quelques mesures législatives :

• modifier le régime des dons des personnes physiques aux partis politiques sans en modifier le montant ;

• interdire aux parlementaires élus sur le territoire métropolitain de s'affilier à des partis Outre-mer pour bénéficier de la manne financière ;

• distinguer les dons et les cotisations, dont la confusion permet de contourner la législation.

En conclusion, le régime juridique de financement des partis politiques est très élaboré et diversifié. Il encadre assez correctement notre vie politique mais gagnerait à être perfectionné. S'il faut l'amender, c'est le Parlement qui doit en décider.