EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En raison de la crise migratoire, les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE) connaissent depuis plusieurs années et en particulier depuis trois ans une augmentation exponentielle des demandes de prise en charge de la part de jeunes migrants se présentant comme des mineurs non accompagnés d'un représentant légal.

Le nombre de mineurs non accompagnés recensés sur le territoire est passé de 4 000 en 2010 à 13 000 en 2016 pour atteindre 25 000 au 31 décembre 2017.

Sur l'ensemble de l'année 2017, les départements ont ainsi procédé à l'évaluation de minorité de 50 000 jeunes migrants pour confier finalement 14 000 nouveaux mineurs non accompagnés aux services départementaux de l'aide sociale à l'enfance pour une dépense effective de 1,25 milliards d'euros.

Or, sans compensation de l'État, les départements ne peuvent plus aujourd'hui faire face financièrement à ces nouvelles dépenses liées à l'augmentation du flux migratoire.

Pourtant, en l'état du droit, c'est bien au département, sur le fondement de l'article L. 228-3 du code de l'action sociale et des familles (CASF), qu'incombe par principe la prise en charge financière de l'ensemble des mineurs relevant de l'aide sociale à l'enfance, mineurs étrangers compris.

Seules les dispositions de l'article L. 228-5 de ce code, introduit il y a plusieurs décennies pour répondre à la crise dite des « Boat People », prévoient de manière dérogatoire le remboursement intégral du département par l'État pour la prise en charge par les services de l'ASE de « mineurs accueillis sur le territoire national à la suite d'une décision gouvernementale prise pour tenir compte de situations exceptionnelles ».

Mais cet article est visiblement tombé en désuétude puisqu'à la suite de la décision gouvernementale de recueillir des migrants débarqués de l'Aquarius à Valence le 17 juin 2018, l'État n'a toujours pas manifesté l'intention de conclure la convention de remboursement visée à cet article pour la prise en charge des mineurs accueillis par les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance.

En outre, cet article ne répond pas à la problématique générale de la prise en charge financière des mineurs étrangers isolés confiés aux services départementaux de l'aide sociale à l'enfance par l'autorité judiciaire en application des articles 375-3 et 375-5 du code civil.

La situation est donc aujourd'hui la suivante :

En application de l'article L. 228-3 du CASF précité, il appartient par principe aux départements d'exercer et de financer l'aide sociale à l'enfance en faveur des mineurs étrangers non accompagnés d'un représentant légal.

Cependant, le nombre croissant de jeunes migrants sur le territoire qui résulte de choix politiques de l'État place les départements dans l'incapacité matérielle et financière de mener à bien cette mission.

Il les prive de la prévisibilité nécessaire à l'établissement de budgets réalistes, d'autant plus importants que le pacte financier limite à 1,2 % par an la hausse du budget de fonctionnement des départements.

Face à cette situation « exceptionnelle », les gouvernements actuel et précédent se sont engagés à apporter une aide financière de l'État aux départements.

C'est ainsi que, par dérogation aux dispositions de l'article L. 228-3 du CASF précité, l'arrêté du 23 juillet 2018 « fixant le montant du financement exceptionnel de l'État pour la prise en charge des mineurs non accompagnés confiés à l'aide sociale à l'enfance sur décision de justice et pris en charge au 31 décembre 2017 » a été pris sur le fondement « à usage unique » de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 et de simples courriers.

Pour l'année 2018, un accord a finalement été trouvé le 16 mai dernier entre l'État et l'Assemblée des départements de France (ADF), mais ces conditions a minima - qui ne satisfont pas les présidents de département - n'ont pu être obtenues qu'après de longues et difficiles négociations puisqu'à défaut de base légale pérenne imposant à l'État une participation financière, celle-ci relève uniquement de son bon vouloir.

C'est pourquoi, afin d'éviter à ce scénario de se répéter tous les ans, et prenant en considération le fait que les circonstances « exceptionnelles » sont en réalité devenues les circonstances normales liées à la croissance du flux migratoire, il est proposé d'inscrire dans la loi le principe de la prise en charge financière par l'État de l'aide sociale à l'enfance au bénéfice de l'ensemble des mineurs étrangers non accompagnés confiés par décision de justice.

Il n'est en effet plus acceptable que la participation financière de l'État pour l'accueil des mineurs non accompagnés soit actée contractuellement chaque année en fonction de l'humeur du Gouvernement. Une telle variabilité du financement est totalement contraire au pacte de stabilité financière qui s'impose aux départements. Ces derniers ont besoin d'une visibilité pour établir leur budget de fonctionnement, ce qui n'est pas possible puisqu'ils ne disposent ni du pouvoir décisionnel permettant de limiter le flux de migrants, ni du pouvoir de deviner les intentions financières de l'État pour l'année suivante.

Sans remettre en cause la vocation naturelle du département à exercer sa mission d'aide sociale à l'enfance, il apparaît donc opportun que le financement de ces prestations à l'égard des mineurs non accompagnés incombe in fine à l'État auquel il revient d'assumer financièrement ses décisions en matière de politique migratoire.

Tel est l'objet de l'article premier.

La problématique financière ne se pose pas uniquement une fois que les jeunes migrants ont été reconnus par le juge comme des mineurs isolés et confiés à ce titre à l'aide sociale à l'enfance.

Elle se pose aussi en amont de cette phase judiciaire pour la période d'accueil provisoire d'urgence des personnes se présentant comme des mineurs étrangers non accompagnés.

Cette phase administrative obligatoire prescrite par l'article L. 223-2 du CASF doit en effet également être financée.

Or, au regard du nombre croissant de jeunes migrants se présentant comme des mineurs isolés dont il s'avère, après évaluation, que les trois quarts sont majeurs, la participation financière actuelle de l'État via le Fonds national de financement de la protection de l'enfance prévu à l'article 27 de la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance n'est pas suffisante, ni légalement, ni factuellement.

L'article R. 221-12 du CASF énonce en effet que le comité de gestion de ce fonds « définit les modalités de remboursement forfaitaire, par jour et par personne prise en charge, des dépenses relatives à la phase de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation, engagées par les départements dans la limite des cinq jours mentionnés au I de l'article R. 221-11 ».

Ce faisant, le pouvoir réglementaire a cru pouvoir restreindre à cinq jours la durée d'accueil financée par ce fonds alors que le législateur n'a pas entendu limiter à cinq jours cet accueil, lequel se poursuit jusqu'au terme de l'évaluation de minorité du demandeur.

D'ailleurs, l'article R. 221-11 du CASF précise lui-même au IV qu'en cas de saisine du juge sur le fondement de l'article 375-5 du code civil, l'accueil provisoire d'urgence se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire.

Dans les faits, le nombre croissant de demandeurs pris en charge au titre de cet accueil d'urgence ne permet pas qu'une évaluation de minorité soit faite en l'espace de cinq jours.

Pour ces raisons, l'article 2 de la présente proposition de loi entend inscrire clairement dans la loi qu'il appartient à l'État, seul à même de contrôler le flux migratoire, de prendre en charge financièrement cette phase administrative qui bénéficie majoritairement à des majeurs étrangers en situation irrégulière, et ce quelle qu'en soit sa durée.

S'agissant de l'évaluation de minorité, il ne paraît pas normal, alors que l'âge avancé par l'intéressé n'est pas vraisemblable ou que ses papiers d'identité ne sont pas valables, que celui-ci puisse être admis à l'aide sociale à l'enfance après avoir refusé les examens radiologiques osseux seuls à même de mettre en lumière une réelle différence d'âge.

La rédaction actuelle de l'article 388 du code civil permet pourtant au juge de prononcer l'admission à l'aide sociale à l'enfance d'une personne de 25, 30 ou même 40 ans alors qu'une simple radio du poignet aurait permis la révélation de son véritable âge.

Ces adultes sont en conséquence accueillis au même titre que les enfants du département dans les centres de l'aide sociale à l'enfance pourtant déjà saturés.

Il n'est pourtant ni de la compétence, ni dans les moyens matériels, humains et financiers des départements d'accueillir de jeunes adultes en situation irrégulière au titre de l'aide sociale à l'enfance.

Le nombre croissant de nouveaux jeunes migrants nous oblige à prendre les dispositions nécessaires car l'accueil de migrants adultes ne peut pas se faire au détriment des enfants en danger du département.

L'article 3 de la présente proposition de loi ajoute donc à l'article 388 du code civil qu'en cas de refus de réaliser les examens radiologiques osseux, le demandeur à l'aide sociale à l'enfance est présumé majeur, inversant de cette manière la charge de la preuve.

Le juge serait ainsi contraint de refuser l'admission à l'aide sociale à l'enfance à un demandeur qui refuse la réalisation des examens radiologiques osseux pour la raison évidente qu'en réalité il n'est pas un mineur non accompagné.

La lutte contre les « faux mineurs » nous oblige également à trouver une parade à la présentation de faux documents d'identité attestant de la prétendue minorité du demandeur.

Une des fragilités actuelles du dispositif émane de la rédaction actuelle de l'article 47 du code civil, lequel donne foi à « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays ».

Cette présomption de fiabilité des documents établis à l'étranger appliquée au cas des mineurs étrangers non accompagnés constitue une brèche dans laquelle les réseaux mafieux se sont largement engouffrés.

Il est en effet facile de fabriquer de faux actes d'état civil des pays dont les jeunes migrants sont en provenance comme il est tout aussi facile de présenter l'acte de naissance (sans photo) d'une tierce personne mineure qui serait quant à elle restée au pays.

C'est pourquoi l'article 4 de la présente proposition de loi complète l'article 47 du code civil, lequel établit une présomption de fiabilité des documents faits à l'étranger, par un article dérogatoire applicable aux personnes se présentant comme des mineurs étrangers non accompagnés.

Certaines dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) sont très favorables à l'obtention d'un titre de séjour par les jeunes majeurs étrangers qui ont été confiés mineurs au service de l'aide sociale à l'enfance.

Le 2° bis de l'article L. 313-11 du CESEDA prévoit en particulier la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » aux étrangers de 18 ans qui ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leurs 16 ans.

L'article L. 313-15 du CESEDA prévoit quant à lui la possibilité à titre exceptionnel de délivrer à un étranger de 18 ans qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre ses 16 et 18 ans la carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire ».

Ces dispositions ont créé un véritable appel d'air des jeunes migrants vers les services de l'aide sociale à l'enfance.

Les familles étrangères non éligibles à l'asile ou au séjour y voient en effet une incroyable opportunité puisqu'il suffit d'envoyer un de leurs enfants mineurs de 16 ans - ou paraissant l'être - en France pour que celui-ci obtienne automatiquement un titre de séjour à sa majorité.

Le jeune majeur titulaire d'un titre de séjour peut alors légalement obtenir des aides sociales et renvoyer au pays l'argent versé par l'État et, à terme même, obtenir la venue de sa famille en France sur le fondement du regroupement familial.

C'est donc dans un intérêt bien compris et en parfaite connaissance de nos lois - dont les associations se font bien sûr le relais - que ces familles envoient volontairement leurs enfants sur notre sol.

Cela est tellement vrai que les jeunes de ces familles sont déposés par les passeurs exactement devant les services de l'aide sociale à l'enfance juste avant leur ouverture.

Cela est tellement vrai que les prix pratiqués par les passeurs diffèrent selon l'âge du migrant : le prix pour faire passer un majeur est de 7 500 € quand celui pour un mineur est de 15 000 €.

Il est aujourd'hui incontestable que l'obtention automatique des titres de séjour à la majorité de ces jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance est une incitation à la multiplication des trafics d'êtres humains réalisés par des structures mafieuses.

L'article 5 de la présente proposition de loi a donc pour objet de supprimer ces dispositions qui sont cause d'un afflux massif de jeunes migrants vers les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance qui n'ont, pour rappel, ni les moyens matériels, ni les moyens humains pour les accueillir.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page