EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les services publics contribuent indiscutablement à l'attractivité et au dynamisme des territoires. Dans les espaces ruraux, ils sont d'autant plus nécessaires qu'ils se mêlent aux enjeux de mobilité, d'emploi et de desserte numérique. Il n'est pas besoin de démontrer combien nos concitoyens y sont attachés. La disparition du timbre rouge illustre bien ce sentiment. Alors que les Français se rendent de moins en moins dans les bureaux postaux pour y envoyer un courrier, ils supportent mal leur réorganisation. Ce paradoxe s'explique simplement : la Poste bénéficie d'une image populaire véhiculée par le facteur qui représente le principal ambassadeur du lien social, ainsi que le gardien de la présence publique de proximité dans les petites communes.

Bien que l'accès aux services publics se fasse par trois canaux, humain, téléphonique et numérique, il n'est pas pour autant optimum.

L'enquête du magazine « 60 Millions de consommateurs », publiée le 26 janvier dernier et réalisée en collaboration avec la défenseure des droits, révèle les obstacles rencontrés par les usagers pour joindre les services publics par téléphone. Les tests 1 ( * ) conduits par les enquêteurs ont montré que 40 % des appels n'aboutissaient pas. La durée d'attente en ligne représente neuf minutes en moyenne. L'Assurance maladie est le service le plus critique. La raison de ce dysfonctionnement tiendrait au manque de conseillers face au doublement du nombre d'appels lui revenant depuis 2019. La sécurité sociale peine à réponde aux 3,2 millions d'assurés qui la sollicitent chaque mois. Pôle Emploi est la structure la plus réactive selon les résultats recueillis par le magazine. S'agissant de la Caisse d'allocations familiales (CAF), il a été constaté que 54 % des 408 appels n'avaient pas donné suite à un contact humain. De plus, quand il est joignable, l'agent redirige souvent l'usager vers Internet.

Cette tendance croissante au renvoi à un contact numérique soulève une autre difficulté, celle de l'illectronisme qui frappe certains de nos concitoyens. Différentes études ont établi que la dématérialisation des services publics constituait un problème pour un très grand nombre d'usagers, en particulier les personnes âgées et celles souffrant d'un handicap physique ou d'une situation sociale fragile. Comme l'a souligné le rapport d'information du sénateur Raymond VALL, « Illectronisme et Inclusion numérique », près de 14 millions de Français ne maîtrisent pas Internet et près d'un citoyen sur deux n'est pas à l'aise avec un ordinateur.

Afin de rapprocher le numérique du quotidien des Français, différentes politiques ont été mises en oeuvre au cours de ces dernières années. Au sein du plan France Relance, 250 millions d'euros ont été fléchés en direction de l'inclusion numérique. Cependant, si les solutions d'accompagnement se multiplient en effet, un autre paramètre est à prendre en compte pour appréhender les conséquences de la dématérialisation des services publics. Il s'agit de la question du déploiement des réseaux Internet, en particulier dans les zones rurales où la couverture y est de qualité inférieure par rapport à celle des zones urbaines. Pourtant, c'est bien parce que les moyens pour se déplacer et communiquer sont bien souvent distants en milieu rural que la téléphonie mobile et, avec elle, l'Internet, y sont plus utiles qu'ailleurs. Le sénateur de la Lozère Alain Bertrand l'avait très justement relevé dans son rapport sur l' « Hyper-ruralité » remis au gouvernement en 2014. De même, la déclaration européenne du 26 janvier 2022 sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique rappelle que « Toute personne devrait avoir accès à des technologies qui visent à unir et non à diviser. La transformation numérique devrait contribuer à l'équité sociale et économique dans l'Union. »

Malgré les efforts des collectivités locales, de l'État et des opérateurs pour mieux prendre en compte la couverture des territoires ruraux, au rythme actuel, les normes de débit devraient être inférieures à celles fixées par l'Union européenne à l'horizon 2025. Par ailleurs, comme l'a rappelé le sénateur du Puy-de-Dôme Éric Gold lors des questions d'actualité au gouvernement du 15 décembre 2022, « en parallèle de ce déploiement souvent insatisfaisant, le réseau cuivre est progressivement abandonné, et donc mal entretenu, y compris dans les territoires qui n'ont toujours pas la fibre et où les délais de dépannage peuvent être de plusieurs mois . »

Dans ces conditions, la numérisation des services publics à marche forcée, ainsi qualifiée dans les médias par le Secours populaire en 2021, conduit l'usager dans un désarroi pouvant aller jusqu'à la renonciation à ses droits. Ce constat a été démontré par l'absence de sollicitation par de nombreux ménages de la prime carburant mise en place en janvier 2023. L'Assemblée des départements de France a identifié cette sous-consommation d'une aide comme la conséquence de la fracture numérique.

Ces difficultés pourraient être relativisées, si, dans le même temps, l'État ne s'était pas déchargé du maintien des services publics de proximité. La dégradation continue des comptes publics depuis la fin des années 1970, combinée à une démographie défavorable dans certaines communes, ont conduit à des réformes rationnalisant le maillage territorial des services publics. Elles ont touché aussi bien les administrations de sécurité sociale que les Trésoreries et la Poste. Tout le territoire a été concerné, y compris l'ultramarin qui souffre pourtant d'un déficit de services publics depuis des décennies. Bien que dans son rapport consacré à "L'accès aux services publics dans les territoires ruraux" rendu public le 20 mars, la Cour des comptes considère qu' « il n'y a pas eu d'abandon généralisé des territoires ruraux par les grands réseaux nationaux de services publics », elle relève toutefois que le niveau d'implantation varie selon les réseaux considérés.

Conscient de ce risque d'abandon, l'État a mis en place les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAASP). La Cour des comptes, tout en jugeant positivement ces schémas, recommande néanmoins leur rationalisation. En outre, c'est grâce à la mobilisation des collectivités locales, très impliquées dans le développement d'une offre de services publics mutualisés, que le pire a été évité. Le dispositif des 2197 2 ( * ) maisons « France Services » permet en effet de maintenir un accompagnement adapté aux besoins locaux qui est crucial dans le contexte précédemment rappelé de numérisation des démarches administratives. Il faut toutefois souligner que moins d'un quart des Maisons France Services sont accessibles par transport en commun. Des services itinérants ont été créés, mais une nouvelle fois, ils reposent sur la bonne volonté et les moyens financiers des collectivités locales.

Il ressort de tout cela la nécessité de renforcer tous les modes d'accès aux services publics et de prévoir dans le même temps un partenariat plus équitable entre l'État et les collectivités locales.


* 1 1 532 appels ont été passés, entre le 26 septembre et le 10 novembre 2022, par des personnes représentant trois profils d'usagers - chacun ayant besoin d'un contact téléphonique pour des demandes de renseignements ou des démarches (une personne sans Internet, une autre ayant Internet mais maîtrisant mal le français, une personne âgée avec Internet)

* 2 Comptabilisées en avril 2022

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