N° 238

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 mars 2005

PROPOSITION DE LOI

tendant à lutter contre la vente à la découpe et la spéculation immobilière
et à
garantir la mixité sociale

PRÉSENTÉE

par Mmes Michelle DEMESSINE, Nicole BORVO COHEN-SEAT, Éliane ASSASSI, Josiane MATHON, Évelyne DIDIER, MM. Gérard LE CAM, Michel BILLOUT, Yves COQUELLE, François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Pierre BIARNÈS, Robert BRET, Mme Annie DAVID, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, M. Robert HUE, Mme Hélène LUC, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA et Jean-François VOGUET,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Logement et habitat.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La vente à la découpe, appartement par appartement, jette et menace de jeter à la rue des dizaines de milliers de locataires vivant dans leur appartement souvent depuis de longues années.

Les grandes villes (Paris au premier chef, Lille, Toulouse, Strasbourg, Lyon, Marseille) sont particulièrement touchées par ce phénomène.

Cette dérive scandaleuse est la conséquence directe de la vente, par des propriétaires institutionnels, de leurs immeubles à des fonds de pension qui entendent réaliser, à court terme, des plus values importantes.

Dans la capitale, ce sont ainsi 36 000 logements qui ont été ainsi vendus par leurs anciens propriétaires (compagnies d'assurance, investisseurs institutionnels, établissements de crédit, institutions financières) à des fonds de pension agissant comme de véritables prédateurs faisant « main basse sur la ville ».

Ils piétinent le droit au logement, alimentent la spéculation immobilière, aggravant par là même la grave crise du logement que connaît notre pays qui exclut des couches de plus en plus larges de la population de l'exercice du droit au logement.

Pour les locataires concernés, le choix est terrible : soit ils achètent, fort cher, leur logement d'origine, soit ils le quittent et vont grossir la liste des demandeurs, soit, encore, ils sont de facto rejetés des centres villes et contraints à l'exode.

Aujourd'hui, il y a donc urgence à renforcer les droits des locataires victimes des ventes à la découpe, de la spéculation immobilière et d'empêcher par des moyens législatifs et réglementaires adaptés les congés motivés par la spéculation immobilière.

Des mesures spécifiques fortes, de salut public, doivent donc être prises sans attendre pour mettre un terme à ces pratiques spéculatives et pour affirmer le droit au logement.

La présente proposition de loi découle de ces objectifs.

L'article premier vise à subordonner la mise en copropriété à une autorisation municipale garantissant le maintien de la fonction locative des logements concernés .

Il instaure un principe de permis de diviser dans les villes où s'effectuent les opérations portant le plus atteinte à la mixité sociale, et singulièrement les opérations dites de vente à la découpe.

Les articles 2 et 3 renforcent les garanties offertes aux locataires lors des procédures de congé vente, en prenant notamment en compte la réalité de leur situation de ressources, de leur situation sociale et en précisant les conditions de reprise des logements.

De manière tout à fait concrète, il s'agit de conforter la loi de 1989 pour protéger les personnes les plus vulnérables en matière de congé vente, c'est-à-dire les personnes âgées aux ressources modestes, les personnes handicapées ou les personnes malades atteintes d'une affection de longue durée.

L'article 4 tend à amener le Gouvernement à prendre une mesure de salut public, en publiant un décret, après avis de la Commission nationale de concertation, empêchant toute évolution des loyers et des prix de vente de logements portant atteinte à la mixité sociale, pour pallier les effets de la crise que l'on peut aujourd'hui observer dans le domaine de l'immobilier, qui agit comme une véritable « machine à exclure » un nombre croissant de nos compatriotes.

Les articles 5 à 7 de la proposition de loi portent sur le volet fiscal propre à l'activité immobilière.

Il s'agit clairement d'indiquer qu'il est de responsabilité publique, partagée entre l'Etat et les collectivités territoriales, d'intervenir sur la prévention des dérèglements du « marché du logement » dont les ventes à la découpe constituent une des illustrations.

Ainsi, l'article 5 revient sur le dispositif de Robien qui n'a permis que d'assurer la rentabilité de l'investissement locatif privé au détriment de la réponse aux besoins sociaux en la matière, équilibre trouvé dans le cadre du dispositif Besson, qui lui était antérieur.

Cette mesure d'incitation fiscale particulièrement coûteuse pour le budget de l'Etat, accompagne en effet la flambée des loyers dans le secteur privé (près du doublement en six ans sur la ville de Paris par exemple) et ne résout rien quant aux attentes de la population.

De surcroît, se pose encore une fois la question de savoir ce qui est important en matière de logement : assurer la rentabilité de l'investissement ou répondre aux besoins sociaux ?

Qui sont les plus nombreux ?

Les spéculateurs immobiliers ou les demandeurs de logement ?

Par ailleurs il supprime l'ahurissant dispositif fiscal des « sociétés d'investissements immobiliers cotées » introduit par la loi de finances pour 2005 qui a favorisé le développement des opérations spéculatives.

L'article 6 supprime l'exonération de droits de mutation sur les opérations de vente par lots, opérations hautement spéculatives.

Cette augmentation des recettes des collectivités territoriales comme de l'Etat, complétées par les dispositions de l'article 7, relatif au plafond des taxes spéciales d'équipement, vise concrètement à ce que soient dégagés les moyens financiers d'une véritable politique de maîtrise foncière, d'aménagement urbain et de construction de logements mise en oeuvre par les collectivités territoriales et/ou l'État.

Il est en effet de plus en plus évident que c'est l'action publique en matière de logement qui demeure le meilleur outil permettant de garantir la mixité sociale, gravement remise en question par la grave crise que nous constatons aujourd'hui.

A notre sens, d'ailleurs, l'ensemble des droits de mutation immobiliers perçus par les collectivités territoriales devrait être prioritairement affecté à la politique de construction de logements sociaux.

C'est donc au bénéfice de ces observations que nous vous invitons, Mesdames, Messieurs, à adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

I - Après le chapitre VI du titre I er du livre VI du code de la construction et de l'habitation, il est inséré un chapitre VII intitulé « Permis de diviser ».

II - Après l'article L. 616 du code de la construction et de l'habitation, il est inséré un article L. 617 ainsi rédigé :

« Art. L.617 - Toute division d'immeuble à usage d'habitation est soumise à une autorisation municipale préalable, dénommée permis de diviser. Ce permis de diviser ne sera délivré, qu'après examen de la conformité technique, actuelle ou prévisible, de l'immeuble et des lots divisés, avec des normes minimales d'habitabilité. Dans la ou les zones géographiques où la situation résidentielle provoquée par l'évolution et le niveau anormal du marché porte atteinte à la mixité sociale, ce permis de diviser ne sera délivré qu'en tenant compte des engagements souscrits dans un dossier locatif, permettant de garantir la pérennité de la situation locative des locataires ou occupants habitant l'immeuble et, de maintenir la fonction locative existante. Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article. »

Article 2

I - Le premier alinéa du I de l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 est ainsi rédigé :

« Le bailleur peut donner congé à son locataire par un motif sérieux et légitime concernant l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant. Le bailleur personne physique peut aussi donner congé à son locataire en justifiant celui-ci par sa décision de reprendre le logement comme résidence principale ou par la vente du logement. Dans ce cas, le congé vaut offre de vente. A peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire. »

II - La première phrase du deuxième alinéa du même I est ainsi rédigée :

« Le délai de préavis est égal à un mois par année de présence dans le logement, chaque année commencée comptant pour une. »

Article 3

Le III de l'article 15 de la loi n° 89-462 précitée est ainsi rédigé :

« III - Le bailleur personne physique ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au I ci-dessus à l'égard de tout locataire âgé de plus de soixante ans ou dont les ressources annuelles sont inférieures à deux fois le montant annuel du salaire minimum de croissance, sans qu'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1 er septembre 1948 précitée.

« Les mêmes dispositions sont applicables, sans condition d'âge, à toute personne bénéficiant du droit à pension visé à l'article L. 341-1, de l'attribution de l'allocation visée aux articles L. 821-1 à L. 821-7 du code de la sécurité sociale ou atteinte d'une affection longue durée.

« Toutefois, les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque le bénéficiaire de la reprise est une personne âgée de plus de soixante ans et ses ressources annuelles sont inférieures à deux fois le montant annuel du salaire minimum de croissance ou toute personne bénéficiant, sans condition d'âge, du droit à pension visé à l'article L. 341-1, de l'attribution de l'allocation visée aux articles L. 821-1 à L. 821-7 du code de la sécurité sociale ou atteinte d'une affection longue durée.

« L'âge du locataire et la situation du bénéficiaire de la reprise sont appréciés à la date d'échéance du contrat ; le montant de leurs ressources est apprécié à la date de notification du congé. »

Article 4

L'article 18 de la loi n° 89-462 précitée est ainsi rédigé :

« Art. 18 - Dans la ou les zones géographiques où la situation du marché immobilier résidentiel ou locatif présente une évolution anormale dans le niveau des loyers, le prix de vente des locaux d'habitation ou mixtes portant atteinte à la mixité sociale comparés à ceux constatés sur l'ensemble du territoire, un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de concertation, peut fixer le montant maximum d'évolution des loyers des logements vacants et des contrats renouvelés, de l'éventuelle révision annuelle des contrats et suspendre la mise en vente par lots des logements d'habitation et mixtes. »

Article 5

I - Les dispositions du h du I de l'article 31 et de l'article 31 bis du code général des impôts sont abrogées.

II - L'article 11 de la loi de finances pour 2003 (n° 2002-1575 du 30 décembre 2002) est abrogé.

Article 6

Le septième alinéa de l'article 1115 du code général des impôts est ainsi rédigé :

« L'exonération des droits et taxes de mutation n'est pas applicable aux reventes consistant en des ventes par lots déclenchant le droit de préemption prévu à l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation ou celui prévu à l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986. »

Article 7

I - Au deuxième alinéa de l'article 1607 bis du code général des impôts, le montant « 20 euros » est remplacé par le montant « 30 euros ».

II - Au deuxième alinéa de l'article 1607 ter du même code, le montant « 20 euros » est remplacé par le montant « 30 euros ».

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