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N° 28

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2017

PROPOSITION DE LOI

tendant à renforcer la protection des mineurs contre les agressions sexuelles ,

PRÉSENTÉE

Par Mme Catherine DEROCHE, M. Alain HOUPERT, Mme Brigitte MICOULEAU, MM. Philippe DALLIER, Christian CAMBON, Mmes Laure DARCOS, Chantal DESEYNE, Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Jacques GROSPERRIN, Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Cyril PELLEVAT, Jean-Noël CARDOUX, Patrick CHAIZE, Alain CHATILLON, Pierre CUYPERS, Mmes Catherine DI FOLCO, Nicole DURANTON, Élisabeth LAMURE, MM. Daniel LAURENT, Alain MILON, Philippe MOUILLER, Stéphane PIEDNOIR, Mme Catherine PROCACCIA, MM. Pierre CHARON, Marc LAMÉNIE, Henri LEROY, Mme Vivette LOPEZ, MM. Jean-Marie MORISSET, Jean-Jacques PANUNZI, Charles REVET, Olivier CADIC, Mmes Michèle VULLIEN, Frédérique PUISSAT, MM. Michel SAVIN, Claude KERN, Mme Pascale GRUNY, M. Guy-Dominique KENNEL, Mme Florence LASSARADE, MM. Sébastien MEURANT, Louis-Jean de NICOLA•, Jean-Marie BOCKEL, Yves DÉTRAIGNE, Gilbert BOUCHET, Mmes Jacky DEROMEDI, Dominique ESTROSI SASSONE, Frédérique GERBAUD, MM. Cédric PERRIN, Michel RAISON, Bruno RETAILLEAU, Mme Catherine MORIN-DESAILLY, MM. Jean-Marie VANLERENBERGHE, Jackie PIERRE, Jean-Pierre MOGA, Bruno GILLES, Mme Françoise FÉRAT, MM. Jean-François RAPIN, Max BRISSON, Mme Sylvie GOY-CHAVENT, M. Hervé MAUREY et Mme Christine LANFRANCHI DORGAL,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Une décision récente du parquet de Pontoise a suscité une violente polémique en requalifiant « d'atteinte sexuelle sur mineure de quinze ans » une plainte initialement déposée pour viol par une fillette de onze ans contre un agresseur âgé de vingt-huit ans, l'argumentation se fondant sur la passivité de l'enfant et l'absence de violence ou de contrainte lors de la relation sexuelle, pourtant visiblement imposée. Il en résulte évidemment une échelle des peines réduite, le viol étant passible en l'occurrence d'un emprisonnement de vingt années alors que l'atteinte sexuelle sur mineur n'est punie que de 75 000 euros d'amende et cinq ans d'emprisonnement.

Cette décision, vivement critiquée par l'opinion publique, a mis en lumière l'étroitesse juridique de la définition du viol, l'absence de critères de mesure du consentement et la non-prise en compte, par notre droit, des circonstances liées à l'âge de la victime. Un mineur de quinze ans peut être, par définition, âgé de zéro à quinze ans, écart qui n'est pas anodin en matière d'activité sexuelle.

Il existe en France trois âges de majorité distincts :

-  l' âge de la majorité civile fixé à dix-huit ans depuis la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974, âge auquel notre société considère l'être humain civilement capable et responsable de ses actes ;

-  l' âge de la majorité pénale , soit celui à partir duquel un délinquant est soumis au droit pénal commun et ne bénéficie plus de l'excuse de minorité, qui s'établit également à dix-huit ans . Certains mineurs de plus de seize ans peuvent être assimilés à des majeurs sur le plan pénal dans certaines circonstances particulières au regard de la gravité des faits reprochés et/ou de récidive (article 20-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, loi n° 2007-297 du 5 mars 2007) ;

-  l' âge de la majorité sexuelle , considéré comme celui à partir duquel une personne majeure peut avoir un rapport sexuel avec un mineur civil sans commettre une infraction pénale. Il est de quinze ans, bien qu'aucun texte ne le définisse précisément comme tel hormis sous l'angle de l'aggravation des peines applicables en cas d'infraction (articles 227-22, 227-23, 227-25, 227-26 et 227-28 du code pénal).

Or, la notion de consentement aux activités sexuelles est essentielle, et plus précisément de consentement éclairé , afin que celles-ci n'entraînent pas de traumatisme psychologique et/ou somatique. La sexualité touche l'intime et attenter à cet intime est un crime.

Les mineurs doivent être protégés sur le plan de la sexualité comme ils le sont sur le plan de la majorité civile et pénale. Un enfant, surtout très jeune, n'est pas capable de réaliser la nature et la gravité des actes qui sont commis à son égard en matière de violence sexuelle, ce que la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a rappelé le 7 décembre 2005. C'est particulièrement vrai pour les actes commis au sein des familles car il est souvent impossible, pour un mineur, de réaliser combien ce qui s'y passe est pathologique : un enfant fait naturellement confiance à sa famille et se remettra d'abord lui-même en cause. De même, exciper de l'absence de réaction d'une petite fille, qu'elle est consentante, traduit une méconnaissance totale du phénomène de sidération qu'éprouve le plus souvent la victime d'une agression sexuelle.

C'est pourquoi, pour protéger les mineurs, il convient d'inscrire formellement dans le code pénal français l'âge de la majorité sexuelle.

Contrairement à la France, cet âge est le plus souvent explicitement déterminé dans les législations étrangères et varie selon l'approche culturelle et sociétale de chaque pays. Néanmoins, on constatera que les pays anglo-saxons, qui sont notoirement les plus en avance dans la lutte contre les infractions sexuelles, l'ont fixé à seize ans (Canada, États américains, Royaume-Uni) ainsi que de nombreux autres pays d'Europe (Andorre, Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Belgique, Chypre du Nord, Espagne, Finlande, Géorgie, Kazakhstan, Lettonie, Luxembourg, Moldavie, Norvège, Pays-Bas, Russie, Suisse, Ukraine).

Afin de corriger les approximations de la loi française et de lui conserver une cohérence d'ensemble avec la définition des peines, cette proposition de loi fixe à quinze ans l'âge à partir duquel on peut estimer que le mineur est en mesure d'entretenir volontairement une relation sexuelle avec un adulte dans une situation de consentement éclairé. À l'inverse, au-dessous de cet âge, il ne saurait être question de faire valoir ou présumer d'un quelconque consentement à une relation sexuelle quel qu'en soit le contexte. Il y aurait alors présomption irréfragable de viol .

Cette même présomption irréfragable s'appliquerait aux mineurs de plus de quinze ans lorsque l'adulte est une personne ayant sur eux une autorité de droit ou de fait.

Par ailleurs, le code pénal français ne traite pas des relations sexuelles entre mineurs. Or, ces relations sont évidemment une réalité et peuvent provoquer d'immenses dégâts, en particulier sous l'influence des jeux vidéo, de la pornographie et des réseaux sociaux. Il est donc également urgent de clarifier cette situation notamment au regard du fait que, si un enfant sur cinq est victime d'agression sexuelle en Europe 1 ( * ) , la part des agressions entre mineurs est en augmentation. Il convient donc de pouvoir les condamner, et d'instaurer parallèlement les mesures, avant tout éducatives, appropriées 2 ( * ) .

Afin d'encadrer les relations sexuelles entre mineurs et limiter les risques de pression d'un partenaire à l'égard de l'autre, il est ici proposé de prévoir qu'en deçà de l'âge de quinze ans, un mineur peut consentir à des activités sexuelles avec un partenaire mineur si celui-ci est de moins de deux ans son aîné et qu'il n'exerce aucune relation d'autorité, de dépendance ou de forme d'exploitation à son endroit.

Enfin, il apparaît nécessaire de rendre obligatoire l'inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) instauré par l'article 48 du 9 mars 2004 toutes les personnes condamnées à des peines, même inférieures à cinq années d'emprisonnement, dès lors que la victime en était mineure.

Tels sont les objectifs de cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l'article 222-22 est complété par les mots :

« ou lorsque l'acte est commis, quelles qu'en soient les circonstances, par une personne majeure sur un mineur de quinze ans ou sur un mineur de dix-huit ans avec lequel elle entretient une relation d'autorité de droit ou de fait. » ;

2° L'article 222-22-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La contrainte est présumée dans le cas de relations sexuelles entre mineurs, si l'un d'eux a moins de quinze ans, lorsque leur écart d'âge excède deux années ou lorsque l'un exerce sur l'autre une relation d'autorité de droit ou de fait. » ;

3° Après le premier alinéa de l'article 222-23, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il existe une présomption irréfragable de viol en cas de pénétration sexuelle par une personne majeure sur un mineur de quinze ans ou sur un mineur de dix-huit ans avec lequel elle entretient une relation d'autorité de droit ou de fait. »

Article 2

Avant le dernier alinéa de l'article 706-53-2 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au dixième alinéa, les décisions sont inscrites quelle que soit la durée de la peine dès lors que la victime des délits prévus à l'article 706-47 est mineure. »


* 1 Un sur cinq - Conseil de l'Europe - http://www.coe.int/t/dg3/children/1in5/default_fr.asp

* 2 GAMET M-L, MOISE C. Les violences sexuelles sur mineurs - Victimes et auteurs : de la parole au soin. ISBN 978-2-1005404-3-3, Dunod, Paris, Paris, 2010

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