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N° 226

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 janvier 2011

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUINQUIES DU RÈGLEMENT,

tendant à obtenir compensation des effets , sur l' agriculture des départements d' outre-mer , des accords commerciaux conclus par l' Union européenne,

PRÉSENTÉE

Par MM. Serge LARCHER et Éric DOLIGÉ,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires européennes)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 24 septembre 2010, la Commission européenne a transmis au Parlement européen et au Conseil une proposition de règlement portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union (texte E 5655). Il s'agit d'une refonte du régime existant fondé sur des Programmes d'Options Spécifiques à l'Éloignement et l'Insularité (régime « POSEI ») qui, depuis son adoption le 30 janvier 2006, a fait l'objet de plusieurs modifications.

Le régime POSEI répond à deux objectifs : garantir l'approvisionnement des régions ultrapériphériques en produits agricoles, d'une part, préserver et développer l'activité agricole des régions ultrapériphériques, y inclus la production, la transformation et la commercialisation des produits locaux, d'autre part.

Si elle ne modifie pas le soutien communautaire à l'agriculture des RUP, la proposition de règlement ne semble pas prendre la mesure des conséquences que risquent d'avoir, pour l'agriculture en outre-mer, les accords commerciaux récemment conclus par l'Union européenne avec des pays andins et l'Amérique centrale.

Après plusieurs années de négociation avec les pays andins et l'Amérique centrale, l'Union européenne a en effet conclu un accord commercial multipartite avec la Colombie et le Pérou en mars 2010, officialisé à l'occasion du sommet de Madrid qui s'est tenu en mai 2010 entre l'Union européenne et l'Amérique latine et les Caraïbes (ALC). Les négociations du pilier commercial de l'accord d'association avec l'Amérique centrale ont également été conclues à la dernière minute à l'occasion de ce sommet de Madrid. Les décisions sur la signature et la conclusion des accords devraient être proposées au Conseil et au Parlement européen dans l'année 2011, pour une entrée en vigueur au premier semestre 2012.

Le texte de ces accords n'a donc pas encore été transmis au Parlement au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Néanmoins, selon les informations disponibles, l'Union européenne a pu obtenir des avancées majeures, à savoir la fin des barrières douanières pour ses industries, surtout l'automobile, et un meilleur accès aux marchés péruvien et colombien des vins et spiritueux et des produits laitiers. En contrepartie, les deux États andins ont obtenu pour leur part une amélioration du potentiel d'exportation de bananes, de sucre, de rhum et d'autres produits agricoles.

De facto , la France, à travers ses RUP, est incontestablement le premier pays contributeur à ces accords. En effet, l'économie agricole des RUP françaises est extrêmement dépendante de ces productions. Ainsi, en 2007, la banane représentait 57 % de la production agricole en Martinique, 17,8 % en Guadeloupe, et la canne à sucre 6,7 % en Martinique et 20,3 % en Guadeloupe 1 ( * ) . Le commerce extérieur des DOM est également très étroitement lié à ces produits : pour la Guadeloupe, le sucre représente près de 30 % des exportations en valeur, la banane plus de 14 % et le rhum près de 12 % ; à La Réunion, le sucre représente 38,5 % des exportations en valeur 2 ( * ) .

De telles concessions commerciales ne peuvent donc s'entendre sans compensation destinée à préserver la fragile production agricole locale. Il s'agit de maintenir au niveau international la compétitivité des filières ultramarines touchées et de sauvegarder leurs emplois pour les années à venir.

La négociation d'accords de partenariat économique (APE) entre l'Union européenne et les pays d'Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), engagée depuis 2008 3 ( * ) , soulève une problématique analogue, comme l'a souligné la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer dans son rapport publié en juillet 2009 4 ( * ) : entérinant l'ouverture intégrale et immédiate du marché européen, y compris les DOM, à l'ensemble des produits des pays ACP -avec des périodes de transition seulement pour le sucre et le riz-, de tels accords apparaissent susceptibles de menacer l'agriculture des DOM. À la demande de la France, la Commission européenne a accepté le principe d'une clause de sauvegarde régionalisée, susceptible d'être activée en cas d'urgence et de manière provisoire : ainsi, en cas de perturbation du marché local d'une ou plusieurs régions ultrapériphériques, il est permis de demander à la Commission la possibilité de rétablir les droits de douane sur certains produits dans une ou plusieurs RUP, pour une durée déterminée, afin de laisser le temps à ce territoire de restructurer son marché. La durée maximale de cette clause a été portée de deux à quatre ans. En outre, la Commission européenne a accepté de maintenir les droits de douane sur les marchés locaux pour l'entrée du sucre et de la banane en provenance des pays ACP sur une période de deux fois dix ans (soit vingt ans au total).

Ce principe d'adaptation des normes communautaires, notamment commerciales, aux contraintes particulières des RUP a été réaffirmé par le conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009. Il a depuis été conforté juridiquement par l'entrée en vigueur, le 1 er décembre 2009, du traité de Lisbonne : en effet, le nouvel article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que le Conseil arrête des mesures spécifiques pour adapter le droit primaire (les traités) et secondaire (règlements ou directives communautaires ou politiques communes) aux caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques, « compte tenu de leur situation économique et sociale structurelle (...), aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits ».

Il serait donc cohérent et légitime que, dans cet esprit, la France demande des compensations à la suite de la signature en 2010 des accords avec la Colombie, le Pérou et l'Amérique centrale. Ces compensations pourraient prendre la forme de mesures de protection du marché des RUP, par exemple un mécanisme de sauvegarde protecteur susceptible d'être automatiquement activé ou une compensation sur budget communautaire des pertes de recettes commerciales induites.

En qualité de président et rapporteur de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer et au nom du comité de suivi des orientations de cette mission, créé le 21 octobre 2009, les auteurs jugent indispensable d'encourager le Gouvernement français à demander que soient analysés et compensés, dans le cadre de cette refonte du règlement POSEI, les effets des accords commerciaux signés par l'Union européenne sur l'agriculture des RUP françaises voisines de l'Amérique latine et des Caraïbes.

D'ores et déjà, la France a fait valoir que la base juridique invoquée par la Commission pour la proposition de règlement POSEI était incomplète : en effet, les visas de cette proposition ne citent que les articles 42 et 43 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, lesquels concernent la politique agricole, sans référence à l'article 349 du traité, évoqué ci-dessus. Avec l'Espagne et le Portugal, la France demande la réintroduction de cette base juridique aux côtés de la base agricole, afin de préserver la portée de l'article 349 qui représente le fondement juridique de toute compensation pour les RUP.

Il s'agit d'un premier pas. En tout état de cause, la négociation entre États membres ne fait que s'ouvrir : présentée pour la première fois au Conseil agriculture du 27 septembre 2010, la proposition de règlement POSEI sera examinée en codécision au sein du Comité spécial agricole et au Parlement européen, ce qui laisse présager sa finalisation fin 2011 ou début 2012.

La présente démarche parlementaire offre également l'opportunité de plaider pour une systématisation, à l'avenir, de la réalisation d'études d'impact par la Commission européenne lors de la négociation d'accords commerciaux susceptibles d'affecter les économies des RUP. Reprenant l'une des préconisations du mémorandum conjoint RUP/ États membres signé aux Canaries le 7 mai 2010, le Conseil affaires générales a lui-même insisté, dans ses conclusions du 14 juin 2010, sur la nécessité, pour la Commission européenne, de réaliser de telles études d'impact pour évaluer l'effet des politiques communautaires sur l'outre-mer. La récente relance des négociations entre l'Union européenne et le MERCOSUR invite à rappeler ce point, afin que la politique commerciale de l'Union intègre une meilleure reconnaissance des réalités économiques ultramarines. De telles études d'impact, pour être pleinement utiles, devraient intervenir ex ante , c'est-à-dire avant l'échange d'offres.

C'est en fonction de toutes ces considérations qu'a été déposée la proposition de résolution européenne qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vus les articles 42, 43 et 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu le mémorandum de l'Espagne, de la France, du Portugal et des régions ultrapériphériques signé le 7 mai 2010 à Las Palmas de Gran Canaria,

Vu les conclusions du Conseil Affaires générales du 14 juin 2010,

Vu la conclusion des négociations relatives à la signature d'un accord d'association entre l'Union européenne et l'Amérique centrale,

Vu la conclusion des négociations relatives à la signature d'un accord commercial multipartite entre l'Union européenne, la Colombie et le Pérou,

Vu les conclusions du conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009,

Vu le rapport du Sénat n° 519 (2008-2009) fait au nom de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer,

Vu la proposition de règlement du Parlement et du Conseil portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l'Union (E 5655),

Considérant que les accords de libre échange conclus en mars 2010 par l'Union européenne avec la Colombie et le Pérou, d'une part, et avec les pays d'Amérique centrale, d'autre part, font courir un risque important à l'agriculture des régions ultrapériphériques françaises,

Considérant qu'il est dans l'intérêt de l'Union européenne de soutenir le développement endogène des régions ultrapériphériques,

Considérant que la Commission envisage la conclusion d'autres accords commerciaux, notamment avec le Mercosur,

Estime urgent d'analyser et de compenser les effets des accords commerciaux déjà signés sur les productions agricoles des régions ultrapériphériques,

Souligne que de telles mesures de compensation trouvent leur fondement juridique dans l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Juge que la proposition de règlement portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l'Union constitue une opportunité à saisir pour arrêter les modalités de cette compensation,

Demande au Gouvernement de négocier en vue d'obtenir toute forme de compensation efficace pour préserver l'agriculture ultramarine des effets négatifs des accords commerciaux signés avec la Colombie et le Pérou et avec l'Amérique centrale,

Invite la Commission européenne à évaluer systématiquement les effets sur les régions ultrapériphériques des accords commerciaux qu'il lui revient de négocier, particulièrement grâce à des études d'impact préalables à l'échange d'offres.


* 1 Source : INSEE, Tableaux économiques régionaux.

* 2 Source : rapport du Sénat n° 519 (2008-2009), « Les DOM : défi pour la République, chance pour la France » , établi au nom de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer par MM. Serge Larcher, président, et Éric Doligé, rapporteur.

* 3 Le seul accord conclu pour l'heure est l'APE Cariforum.

* 4 Rapport d'information du Sénat n° 519 (2008-2009) précité.

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