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N° 328 rectifié

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 mars 2011

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 34-1 DE LA CONSTITUTION,

relative à la mise en conformité du droit français concernant le régime des astreintes et le système de forfaits en jours sur l'année considérés par le Comité Européen des Droits Sociaux comme violant différentes dispositions de la Charte sociale européenne révisée ,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Annie DAVID, Nicole BORVO COHEN-SEAT, MM. Michel BILLOUT, François AUTAIN, Guy FISCHER, Mmes Gélita HOARAU, Isabelle PASQUET, Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, M. Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, M. Robert HUE, Mme Marie-Agnès LABARRE, M. Gérard LE CAM, Mme Josiane MATHON-POINAT, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mmes Mireille SCHURCH, Odette TERRADE, MM. Bernard VERA et Jean-François VOGUET,

Sénateurs

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que les peuples d'Europe et de France subissent quotidiennement les effets négatifs d'une construction européenne fondée sur le libéralisme économique dont les conséquences concrètes se traduisent par un amoindrissement progressif des droits et protections sociales ainsi que par une casse systématique des services publics telle qu'organisée par la directive service, le Gouvernement français refuse, par idéologie politique, d'appliquer les dispositions contenues dans la Charte sociale européenne révisée, qui, obtenue par la lutte des salarié-e-s et bien qu'insuffisante, constitue néanmoins la seule protection que leur offre le cadre européen.

Dernier exemple en date, l'avis rendu par le Comité européen des droits sociaux dont la mission principale est de statuer en droit sur la conformité des situations nationales avec la Charte sociale européenne, le Protocole additionnel de 1988 et la Charte sociale européenne révisée, et qui a considéré à raison, dans sa décision sur « le bien fondé » rendue le 23 juin 2010, que notre législation nationale et plus particulièrement les dispositions relatives au forfaits en jours et aux astreintes violaient respectivement les articles 2§1, 2§5 et 4§2 de la Charte révisée.

Conformément à l'article 7 alinéa 1 et alinéa 2 du protocole, qui autorise les organisations syndicales des pays signataires de la Charte révisée à entamer une procédure de réclamation collective tendant à prouver que des éléments de législation nationale étaient contraires aux principes de la Charte, la Confédération générale du travail (CGT) a déposé auprès du Comité européen des droits sociaux (CEDS) une réclamation concernant à la fois la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 et plus spécifiquement la rémunération au forfait en jours, et le régime de l'astreinte tel que définit à l'article L. 3121-5 du code du travail.

L'organisation syndicale soutenait dans sa réclamation que le régime relatif à la durée du travail annuel, communément appelé le forfait en jours, violait les articles 2 alinéa 1 et 4 alinéa 2 de la Charte.

En effet, la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, qui introduit le système du forfait en jours, a instauré, pour la première fois, un système de rémunération sans référence horaire et sans durée maximale hebdomadaire de travail. Initialement, seuls les cadres intermédiaires, c'est-à-dire ceux qui, au sens de l'ancien article L. 212-15-3 du code du travail, n'étaient considérés ni comme des cadres intégrés ni comme des cadres dirigeants, pouvaient se voir appliquer un régime de forfait sur l'année soit en heures, soit en jours, en contrepartie de mesures censées leur permettre de bénéficier d'une réduction effective du temps de travail. Déjà, en 2000, le CEDS avait considéré, à l'occasion d'une procédure de réclamation (réclamation n°9/2000) introduite par la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) que le régime de forfait en jours était contraire à l'article 2 alinéa 1 de la Charte qui prévoit : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties contractantes s'engagent (...) à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l'augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent ».

Cette décision n'a toutefois pas empêché le Gouvernement de modifier la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail par la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi (dite « Loi Fillon II ») en étendant le forfait en jours aux cadres dits intégrés tels que définis à l'ancien article L. 212-45-2 du code du travail. Cette évolution législative a donné lieu au dépôt par la CFE-CGC et la CGT de deux nouvelles procédures de réclamation (réclamation n° 16/2003 et réclamation n° 22/2003) se concluant toutes deux par des décisions du CEDS rappelant que les évolutions législatives intervenues en 2003 n'étaient pas de nature à faire évoluer le constat dressé par le CEDS en 2000 quant à la conformité de la législation française avec la Charte.

Enfin, intervient la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, qui, loin de mettre le droit national en conformité avec les deux séries d'avis rendus par le CEDS constatant la violation de la Charte, a encore aggravé la situation en étendant cette fois-ci le forfait en jours aux autres catégories de salariés. Il résulte en effet de l'article L. 3121-43 du code du travail, tel que modifié par l'article 19 de la loi 20 août 2008 que « peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 (...) 2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées ».

Cette même loi permet par ailleurs aux salariés qui le souhaiteraient de déroger - par le biais d'une convention individuelle - à la durée de travail annuelle fixée à 218 jours en la portant à 282 jours dans certains cas, tout en amoindrissant les protections des salariés concernés puisque les garanties qui existaient au préalable, c'est-à-dire l'existence d'une convention collective ou d'un accord de branche, ont été remplacés, comme le prévoit l'article L. 3121-46 du code du travail par « un entretien annuel individuel organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année ».

Une nouvelle fois saisi (réclamation n° 55/ 2009), le CEDS a conclu dans sa décision sur le bien fondé en date du 23 juin 2010, à l'unanimité des membres qui le composent, que le système de forfait en jours sur l'année, tel qu'il résulte de l'application de notre droit positif national, viole l'article 2 alinéa 1 de la Charte qui pose le principe d'une « durée de travail raisonnable » et l'article 4 alinéa 2 qui reconnaît le « droit à une rémunération équitable ».

À l'occasion de cette réclamation (n° 55/2009) le CEDS a été appelé à statuer sur la conformité du régime des astreintes défini en ces termes à l'article L. 3121-5 du code du travail : « Une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif ».

Le Comité européen des droits sociaux a tout d'abord rappelé sa décision, qu'il avait rendue public le 7 décembre 2004 suite à la réclamation engagée par la CGT (réclamation n° 22/2003) selon laquelle : « les périodes d'astreinte pendant lesquelles le salarié n'a pas été amené à intervenir au service de l'employeur, si elles ne constituent pas un temps de travail effectif, ne peuvent néanmoins être, sans limitation, assimilées à un temps de repos au sens de l'article 2 de la Charte sauf dans le cadre de professions déterminées ou dans des circonstances ». Le CEDS précisant également que « l'absence de travail effectif, constatée a posteriori pour une période de temps dont le salarié n'a pas eu a priori la libre disposition, ne constitue dès lors pas un critère suffisant d'assimilation de cette période à une période de repos » a finalement conclu « que l'assimilation des périodes d'astreinte au temps de repos constitue une violation du droit à une durée raisonnable du travail prévue par l'article 2§1 de la Charte révisée ».

Le CEDS a ensuite rappelé que le régime des astreintes, parce que celles-ci peuvent avoir lieu le dimanche, violait l'article 2 alinéa 5 de la Charte révisée qui prévoit qu'en vue « d'assurer l'exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties s'engagent (...) à assurer un repos hebdomadaire qui coïncide autant que possible avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région ».

Ainsi, dans sa décision sur le bien fondé en date du 23 juin 2010, le Comité européen des droits sociaux a-t-il noté pas moins de quatre violations de notre législation nationale à la Charte révisée, dont l'ambition est théoriquement de sauvegarder « les droits sociaux et économiques de l'Homme. ».

Ce sont des violations importantes, puisqu'elles participent à affaiblir les droits sociaux des salariés, à réduire leurs rémunérations et à les exposer à des rythmes de travail pouvant avoir des conséquences importantes sur leur état de santé.

Elles sont d'autant plus insupportables qu'elles ont été constatées pour la première fois en 2001 et qu'elles perdurent depuis, malgré des évolutions législatives qui non seulement ne permettent pas de mettre notre droit national en conformité avec la Charte mais qui accroissent ces violations.

Le fait qu'il n'existe pas à l'heure actuelle de mécanisme de sanction en cas de non-respect des décisions du CEDS ou de non mise en conformité de la législation nationale aux principes contenus dans la Charte, ne doit pas justifier que le Gouvernement reste inactif. Il est de la responsabilité du Gouvernement d'agir afin de respecter les engagements de la France au plan européen, mais aussi et surtout afin de permettre à la législation d'évoluer, de telle sorte que la qualité de vie et de travail des salariés de notre pays soit améliorée. Ceux-ci ne comprendraient pas, à raison, que la France opère une sélection quant aux mesures européennes qu'ils leurs sont applicables en fonction du contenu de celles-ci.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article

Le Sénat,

Vu l'article 34-1 de la Constitution,

Vu les articles 1 er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,

Vu le chapitre VIII du Règlement du Sénat,

Considérant l'article 11 du Préambule de la Constitution de 1946,

Considérant l'article 53-1 de la Constitution du 4 octobre 1958,

Considérant l'article 88-1 de la Constitution du 4 octobre 1958,

Vu la Charte sociale européenne de 1961, ratifiée par la France le 9 mars 1973,

Vu le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives de 1995, ratifié par la France le 7 mai 1999

Vu la Charte sociale européenne révisée de 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999

Souhaite la mise en conformité de la législation nationale relative aux forfaits annuels en jours - mentionnés aux articles L. 3121-43 et suivants du code du travail - et relative au régime des astreintes - défini à l'article L. 3121-5 du code du travail - avec la Charte Sociale Européenne révisée de 1996.

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