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N° 347

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 mars 2011

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT,

sur les concessions de service public ,

PRÉSENTÉE

Par M. Simon SUTOUR,

Sénateur

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.)

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mmes Alima Boumediene-Thiery, Roselle Cros, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans sa communication intitulée « Vers un acte pour le marché unique » du 28 octobre 2010, la Commission européenne a annoncé l'adoption en 2011 d'une initiative législative sur les concessions de services. Une proposition de directive pourrait être présentée dès la fin du premier semestre.

Cette idée est ancienne. La Commission européenne se prononçait déjà en sa faveur en novembre 2005 1 ( * ) , jugeant insuffisante une simple communication interprétative sur le droit en vigueur.

Le régime juridique communautaire des concessions de services est en effet original. Les marchés publics et les concessions de travaux sont couverts par plusieurs directives 2 ( * ) . En revanche, aucun texte de droit communautaire dérivé ne s'applique aux concessions de services. La directive 2004/18/CE précitée en donne seulement une définition pour bien les distinguer des marchés publics de services 3 ( * ) .

Cette particularité se justifie-t-elle encore aujourd'hui et quelle plus-value faut-il attendre d'une éventuelle directive dans ce domaine ?

Juridiquement, les concessions se distinguent des marchés publics par le fait que l'opérateur assume tout ou partie du risque économique lié à l'exploitation. Les aléas inhérents à l'exploitation d'un ouvrage ou d'un service sont transférés au concessionnaire. Dans un marché public, une simple logique d'achat prédomine, le prestataire étant rémunéré en fonction d'un prix fixé à l'avance et payé par la collectivité.

Politiquement, la concession est perçue différemment d'un marché public. Alors que ce dernier est une simple technique d'achat, la première est un véritable partenariat entre une personne publique et un opérateur auquel est délégué un service d'intérêt général.

Ces différences de nature expliquent les différences de régime juridique.

Les marchés publics obéissent à des procédures très encadrées. Ainsi, les directives de 2004 précitées définissent précisément les règles applicables en matière de publicité, de transparence des informations ou de critères d'attribution des marchés 4 ( * ) . Elles détaillent également les différentes procédures de passation des marchés (procédures ouvertes, procédures restreintes, dialogue compétitif, procédures négociées ou concours) et dans quel cas recourir à l'une ou l'autre.

Les concessions bénéficient d'un cadre juridique communautaire beaucoup plus léger, leur nature requérant une grande souplesse. Ainsi, la passation des concessions de travaux publics, bien qu'entrant dans le champ des directives de 2004, n'est pas corsetée comme celle des marchés publics. Ces textes imposent essentiellement une obligation de publicité communautaire au-delà d'un seuil de 6,2 millions d'euros et fixent des règles en matière de sous-traitance. Quant aux concessions de services, elles sont exclues du champ de ces directives.

Cette exclusion n'est nullement synonyme de vide juridique. Les concessions de services sont soumises aux règles et aux principes des traités, ainsi qu'à la jurisprudence dégagée par la Cour de justice de l'Union européenne. Les autorités adjudicatrices doivent respecter les principes de non-discrimination, d'égalité de traitement, de transparence, de reconnaissance mutuelle et de proportionnalité.

Ces principes imposent ainsi la mise en concurrence des opérateurs, après publicité. Tous les soumissionnaires doivent disposer des mêmes informations pour formuler leur offre. Le respect de ces principes laisse le concédant libre de choisir ensuite la procédure d'octroi la plus appropriée et notamment de négocier avec les candidats de son choix, pourvu que leurs offres soient conformes au cahier des charges initial.

Toutefois, aux yeux de la Commission européenne, l'absence de directive en matière de concession de services présente aujourd'hui plus d'inconvénients que d'avantages.

Selon la Commission, les communications interprétatives antérieures ont montré leurs limites pour clarifier l'état du droit et assurer une bonne diffusion des principes communautaires auprès des autorités adjudicatrices et des opérateurs. Il en découlerait une forte insécurité juridique, les traités étant trop généraux et la jurisprudence trop complexe et peu accessible. Cette insécurité serait un frein au développement de ce type de partenariat public-privé, au moment où la plupart des autorités publiques sont à la recherche d'investissements de long terme dans des secteurs stratégiques comme l'énergie, la gestion des déchets ou les transports 5 ( * ) . L'adoption d'un texte de droit communautaire dérivé serait donc nécessaire.

Cette proposition annoncée de la Commission européenne appelle plusieurs remarques.

Certes, elle ne serait pas nécessairement contraire au principe de subsidiarité. Ce n'est pas parce que l'on n'a pas légiféré jusqu'à présent dans ce domaine que ce ne peut être le cas demain. Elle pourrait présenter certains avantages, en particulier celui d'étendre aux concessions de services l'application de la directive 2007/66/CE précitée relative aux recours nationaux en matière de passation des marchés publics. En matière de sécurité juridique et d'accessibilité du droit, une directive pourrait être, sur le papier, une meilleure solution.

Toutefois, la Commission européenne avance ces arguments sans les étayer sur des constats d'infractions en hausse ou de distorsions du marché intérieur. C'est d'ailleurs en raison d'un manque de preuves, en l'état, d'un dysfonctionnement du marché intérieur que le Parlement européen a récemment jugé inutile une telle initiative. 6 ( * )

La commission des affaires européennes du Sénat nourrit aussi d'importantes réserves.

La législation française en matière de délégation de service public 7 ( * ) , issue de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi « Sapin », fait l'objet d'un rare consensus. Peu modifiée, elle encadre les délégations de service public dans le respect des principes d'égalité de traitement et de transparence, tout en laissant aux autorités délégantes la liberté de négocier avec les candidats de leur choix, pourvu que leurs offres satisfassent au cahier des charges. Cet équilibre est l'une des clefs du succès rencontré par cette forme de partenariat public-privé dans notre pays.

En outre, le bénéfice des dispositions de la directive 2007/66/CE dite directive « recours » a déjà été étendu aux délégations de service public, en dehors de toute obligation communautaire.

La législation française, conforme aux traités et à la jurisprudence de la Cour de justice, est d'ailleurs citée comme modèle par la Commission européenne.

Cette situation explique la grande prudence de votre commission avant de s'engager dans une démarche législative au niveau européen. Le mieux étant parfois l'ennemi du bien, il ne faudrait pas qu'à l'occasion de l'adoption d'une directive, on aboutisse à sur-réglementer un domaine comme cela a pu être le cas en matière de marchés publics.

La communication de la Commission européenne du 15 novembre 2005 précitée dessinait déjà le contenu d'une éventuelle initiative communautaire sur les concessions. Étaient évoqués la définition des règles applicables à la sélection des concessionnaires sur la base de critères objectifs et non discriminatoires ainsi que l'encadrement de la durée des concessions. Faut-il y voir l'introduction d'une pondération des critères d'attribution comme c'est le cas en matière de marchés publics ? Dans l'affirmative, ce ne serait pas admissible.

Certes, les déclarations récentes de M. Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, indiquent que la Commission européenne s'orienterait désormais vers une initiative a minima , posant les grands principes. Mais, dans l'attente, la vigilance reste de mise.

Au demeurant, au moment où le traité de Lisbonne 8 ( * ) reconnaît le principe de libre administration des collectivités publiques pour fournir et organiser les services d'intérêt général, il convient que l'Union légifère avec précaution dans cette matière.

Pour ces raisons, votre commission des Affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission européenne intitulée « Vers un acte pour le marché unique » du 27 octobre 2010, et plus particulièrement sa proposition n° 18 relative à une initiative législative sur les concessions de services,

- juge qu'une telle initiative, évoquée et écartée depuis plusieurs années, doit démontrer sa nécessité et sa plus-value ;

- observe en effet que l'absence de droit dérivé communautaire dans cette matière n'est pas synonyme de vide ou d'insécurité juridique, les grands principes des traités interprétés par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne s'appliquant pleinement ;

- considère que les raisons ayant conduit à ne pas légiférer jusqu'à présent demeurent valables, sauf élément nouveau, et que la reconnaissance par le traité de Lisbonne d'une large autonomie des autorités publiques pour fournir et organiser les services publics invite à légiférer avec précaution ;

- estime que si une initiative législative devait être adoptée, celle-ci devrait se limiter à quelques grands principes, notamment en matière de publicité ;

- s'oppose fermement à l'adoption de procédures semblables à celles en vigueur en matière de marchés publics ;

- exprime tout particulièrement son attachement à la liberté de négociation des offres par l'autorité publique délégante ;

- demande au Gouvernement de s'opposer à tout projet de nature à remettre en cause l'équilibre de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 dite loi « Sapin ».


* 1 Communication concernant les partenariats public-privé et le droit communautaire des marchés publics et des concessions du 15 novembre 2005. COM (2005) 569 final.

* 2 Directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux ; Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ; Directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, dite directive « recours » .

* 3 Article 1 er : [...] La concession de services est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu'un marché public de services, à l'exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d'exploiter le service, soit dans ce droit assorti d'un prix ».

* 4 Les directives prévoient en particulier que lorsque l'attribution se fait selon le principe de l'offre économiquement la plus avantageuse, les critères de sélection prédéfinis doivent faire l'objet d'une pondération relative.

* 5 Voir la communication de la commission du 19 novembre 2009 intitulée « Mobilisation des investissements privés et publics en vue d'une relance de l'économie et d'une transformation structurelle à long terme : développement des partenariats public-privé ». COM (2009) 615. La Commission y insiste principalement sur l'amélioration de l'accès au financement des partenariats public-privé.

* 6 Rapport sur l'évolution de la passation des marchés publics du 10 mai 2010. Rapporteur : Mme Heide RÜHLE au nom de la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen.

* 7 La notion française de délégation de service public recoupe à peu près celle de concession de services, sous réserve de quelques nuances, la première étant que la législation française insiste sur la notion de service public.

* 8 Voir l'article 4 du traité sur l'Union européenne et le protocole n° 26 sur les services d'intérêt général.

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