LA TRANSMISSION DE L'ESB CHEZ LES BOVINS ET LES AUTRES ANIMAUX

Exposé introductif sur les problèmes de l'alimentation animale

M. ROBELIN (chef du département " Elevage et nutrition des animaux " de l'Institut national de la recherche agronomique).- Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs,

Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à présenter cet exposé introductif. J'en suis très honoré. J'espère que cette modeste contribution apportera quelques éléments à votre réflexion.

On m'a demandé de parler de l'alimentation animale, des concepts sur lesquels elle repose, des perspectives sur son évolution avec, en filigrane, l'introduction des protéines animales dans l'alimentation des bovins et des autres animaux. Je ferai ensuite une tentative d'explication de cette introduction dans le passé et des conséquences de leur suppression.

Cet exposé concerne essentiellement le contexte de la crise dans laquelle nous sommes mais, vous l'avez bien compris, pas l'ESB directement qui fera l'objet des exposés suivants.

Je fais cet exposé en tant que chercheur à l'INRA où j'assume les fonctions de responsable d'un département intitulé " Nutrition et élevage des animaux " ; c'est dans ce champ de compétence que je situerai mon exposé.

J'ai volontairement fait le choix d'un message dépouillé, en assumant le risque d'une trop grande simplicité, mais je compte sur vos questions pour me permettre de préciser les points que vous jugeriez utiles.

Dans ce message, j'aborderai successivement trois facettes de l'alimentation animale :

- sa finalité et les concepts sur lesquels elle repose (c'est le principal point de mon exposé),

- les flux de produits dans l'alimentation animale et leur lien au territoire,

- la pratique de l'alimentation animale dans les élevages, à savoir la conduite alimentaire des animaux (je parlerai essentiellement des ruminants).

Enfin, dans un dernier point, j'aborderai les perspectives d'évolution et plus précisément les orientations de nos recherches dans ce domaine, tout cela à très grands traits pour laisser place à des questions.

Quels sont les concepts principaux sur lesquels repose l'alimentation animale ?

Elle a pour finalité d'approvisionner l'animal en éléments nutritifs nécessaires à sa survie et à celle de l'espèce, avec les différentes fonctions que cela implique : entretien de l'organisme, croissance chez le jeune, reproduction chez l'adulte, sans oublier le travail musculaire.

Les aliments ingérés par l'animal sont dégradés en éléments de plus en plus simples, au cours des processus digestifs. Chez les ruminants, cette digestion commence par un processus de fermentation microbienne dans le rumen, avec des conséquences bien particulières et, en premier lieu, la capacité de valoriser la cellulose des végétaux, ce que ne peuvent pas faire les monogastriques dont nous faisons partie.

Revenons au parcours de ces éléments nutritifs, produits terminaux de la digestion (les nutriments). Ils sont absorbés au niveau de la paroi intestinale, ensuite transportés par la lymphe et le sang, transformés éventuellement au niveau du foie, et enfin utilisés au niveau des cellules pour le fonctionnement des différents organes : cerveau, muscles, placenta, glandes mammaires.

Tous ces phénomènes que l'on appelle globalement " nutrition " sont régis par un jeu complexe de régulations hormonales qui modulent le fonctionnement de l'animal en fonction de diverses priorités liées à son état physiologique interne tel que la gestation ou la lactation, et à son environnement au sens le plus large.

Rapprochons-nous de notre principal sujet d'intérêt, les protéines, en précisant la nature de ces nutriments issus de la digestion.

On distingue principalement deux catégories de nutriments : les nutriments énergétiques et les nutriments protéiques.

Je passerai rapidement sur les nutriments énergétiques, ce sont des chaînes de carbone d'hydrogène et d'oxygène (hydrates de carbone) ; ils représentent la source d'énergie pour le fonctionnement cellulaire.

Je m'étendrai un peu plus sur les nutriments protéiques au coeur de notre problème. Ce sont les acides aminés qui sont des chaînes carbonées également mais comportant des atomes d'azote. Ces acides aminés sont les éléments constitutifs des protéines, entités caractéristiques des êtres vivants, à la base de leur fonctionnement. Il existe un peu plus d'une vingtaine d'acides aminés différents. Leur arrangement selon des séquences dictées par le code génétique détermine la nature et la fonction des protéines.

Ces bases étant apportées, je voudrais maintenant focaliser votre attention sur les trois points essentiels sur lesquels repose la nutrition protéique des animaux.

Le premier point est que certains acides aminés peuvent être synthétisés dans les tissus animaux à partir d'autres acides aminés, notamment ceux de l'alimentation. En revanche, un certain nombre d'autres acides aminés ne peuvent pas faire l'objet d'une telle synthèse dans les tissus animaux. On les qualifie alors d'acides aminés indispensables, sous-entendu pour l'animal. L'animal doit donc obligatoirement les trouver dans son alimentation.

Le second point est que la proportion de ces acides aminés indispensables dans les tissus animaux est différente de celle que l'on trouve dans les végétaux. Ainsi, il existe a priori un déséquilibre entre les besoins des animaux pour la synthèse de leurs tissus et les apports alimentaires qu'ils trouvent dans les végétaux. Ce déséquilibre se traduit par une utilisation partielle des acides aminés à d'autres fins, notamment énergétiques, avec en corollaire un rejet d'azote dans l'urine (une pollution) et une utilisation non optimale de l'alimentation.

Le troisième point qui découle des deux premiers et entraîne la pratique de l'alimentation animale est que les différentes espèces végétales renferment des proportions différentes de ces acides aminés indispensables, certaines espèces étant plus riches que d'autres. On peut ainsi, par un mélange judicieux de différentes sources d'aliments, obtenir des rations présentant un meilleur équilibre en acides aminés vis-à-vis des besoins nutritionnels des animaux. C'est tout l'art de l'alimentation animale.

Dans la pratique de l'alimentation animale, on a d'abord rééquilibré les rations à partir de tourteaux, sous-produits de l'industrie huilière (arachide, soja, colza) contenant de fortes proportions de ces acides aminés indispensables.

Partant de là, quels sont les différents éléments qui ont pu contribuer à l'introduction des déchets animaux en tant que compléments protéiques dans les rations ? On peut a posteriori en citer plusieurs sans tenter de les hiérarchiser.

Tout d'abord la disponibilité en tant que sous-produits de l'industrie de la viande, l'accroissement de cette disponibilité découlant de l'augmentation de la production de viande au cours des années soixante, avec en corollaire la diminution de leur coût, donc des sous-produits peu coûteux.

Une autre raison est leur très bonne adéquation -et pour cause- en termes de proportion d'acides aminés indispensables puisque ce sont des produits animaux.

Ajoutons à cette liste que la recherche d'une indépendance nationale vis-à-vis des importations de soja américain a contribué également à cette évolution de l'alimentation dans les années soixante-dix mais cet aspect est en dehors de mon domaine de compétence et du cadre de mon exposé.

La seconde facette de l'alimentation animale est le flux de produits concernés et son lien au territoire.

Les animaux de rente, ruminants, porcs et volailles, consomment environ 125 millions de tonnes d'aliments, exprimés en matière sèche, dont 100 millions de tonnes de fourrages ingérés sous forme d'herbe ou conservés et 25 millions de tonnes d'aliments concentrés, en majorité des céréales.

Les 100 millions de tonnes de fourrages ingérés par les ruminants proviennent de 15 millions d'hectares de surfaces fourragères, dont 10 millions d'hectares de prairies permanentes, c'est-à-dire de terres toujours en herbe. Cette surface est du même ordre de grandeur que celle occupée par les céréales (12 M ha).

Ainsi, les ruminants demeurent essentiellement des consommateurs de fourrages avec seulement 4 millions de tonnes d'aliments concentrés complémentaires. A contrario, leur présence est absolument indispensable pour consommer l'herbe qui pousse sur ces 10 millions d'hectares de prairie permanente.

La troisième facette de l'alimentation animale est la pratique de la conduite alimentaire des ruminants.

Je limite ma présentation aux ruminants et même aux bovins parce qu'ils sont au coeur de la crise actuelle et présentent une très grande variété de conduites alimentaires mal connues. Là encore, j'ai fait le choix risqué d'une description très simplifiée dans un but pédagogique.

Je parlerai d'abord de la conduite d'élevage des bovins adultes puis de celle des jeunes.

La population des bovins adultes en France comporte un peu moins de 10 millions de vaches réparties pour moitié dans des troupeaux dits " à viande " et pour moitié dans des troupeaux dits " laitiers ".

Les vaches des races à viande (Charolaise, Limousine, Blonde d'Aquitaine... pardon pour les oubliées) sont appelées vaches allaitantes car elles nourrissent leur veau avec une production laitière de 1 500 à 2 000 litres de lait étalée sur un peu plus de six mois. Le jeune veau complète cette alimentation dès le printemps en pâturant de l'herbe avec sa mère.

Ces vaches consomment au total dans l'année environ 4 tonnes de fourrages, de l'herbe en été, du foin et de la paille en hiver. Elles reçoivent en plus de l'ordre de 1 à 2 kilos d'aliments concentrés par jour, à l'étable, durant les tous derniers jours de gestation (260 kg). Ainsi, le fourrage constitue 95 % de la ration de ces vaches à viande ou allaitantes.

Au plan géographique, ces élevages sont situés dans une grande diagonale qui va du Sud-Ouest aux Vosges, dans des zones herbagères de semi-montagnes.

Les vaches des races laitières, l'autre catégorie de bovins adultes, sont réparties dans deux types d'élevages liés à leur localisation : les vaches laitières de montagnes (c'est une dénomination personnelle) dans les Vosges, le Jura, les Alpes, le Massif Central, les Pyrénées, et les vaches laitières hautes productrices des plaines (c'est encore une dénomination personnelle).

Les vaches laitières de montagnes, de races Montbéliarde, Salers, Brune des Alpes (à nouveau j'en oublie) produisent 4 000 à 6 000 kilos de lait par an et consomment de 4 à 5 tonnes de fourrages (herbe pâturée pendant l'été et fourrage conservé pendant l'hiver) complétées par 500 kilos d'aliments concentrés au total répartis au cours des premiers mois de lactation.

Les vaches hautes productrices du Grand Ouest, de races Holstein ou normande, avec un niveau de production plus élevé, entre 6 000 à 8 000 kilos de lait par an, nécessitent une alimentation plus abondante et plus riche composée d'environ 5 tonnes de fourrages (herbe, foin ou ensilage de maïs) et d'une tonne d'aliments concentrés, mélange de céréales et de tourteaux.

Parlons maintenant des jeunes animaux issus de ces troupeaux qui représentent une quinzaine de millions de têtes (10 millions d'adultes, 5 millions de jeunes), nous pouvons les répartir en trois catégories.

La première catégorie est destinée au renouvellement du troupeau, constituée en majeure partie de femelles, nourries essentiellement de fourrages et d'un peu de concentrés.

La seconde catégorie est destinée à la production de veaux de boucherie ; elle concerne surtout des veaux issus du troupeau laitier, retirés de leur mère très tôt après le vêlage et nourris avec des aliments d'allaitement.

La troisième catégorie enfin, qui représente une grande majorité des animaux, concerne la production de viande de boeuf stricto sensu, avec un éventail très large de conduites alimentaires : depuis des jeunes bovins recevant une alimentation riche à base d'ensilage de maïs avec une croissance rapide et abattus à l'âge de 20 mois ; des bovins mâles castrés (le boeuf) ou des génisses alternant des périodes de pâturage durant l'été et d'alimentation à l'étable durant l'hiver, alimentation essentiellement à base de foin, abattues à l'âge de 30 à 40 mois.

Le dernier point de mon exposé concerne les perspectives de l'alimentation animale et surtout les orientations de nos recherches dans ce domaine.

Je serai assez bref concernant l'évolution de l'alimentation animale, nous pourrons y revenir lors des questions.

La suppression des farines animales, dans la ration des herbivores (effective depuis plusieurs années) et dans celle des procs et des volailles décidée récemment, ne pose pas de problème nutritionnel insoluble. La complémentation protéique des rations, lorsqu'elle est nécessaire, peut être réalisée à partir de tourteaux grâce à une combinaison judicieuse d'aliments de base. Il n'y a donc pas dans ce domaine précis de conséquence directe sur la nutrition des animaux ni de recherche particulière à engager sur cet aspect précis de la nutrition protéique des animaux.

Les deux conséquences les plus importantes concernent, d'une part, notre approvisionnement en aliments protéiques, qui n'est pas un problème technique... et d'autre part, le recyclage des déchets animaux, c'est un autre domaine.

Quelles sont actuellement nos orientations de recherche dans le domaine de la nutrition animale pour les années à venir ?

Guidés par les attentes de la société, nos efforts de recherche en nutrition animale sont maintenant focalisés prioritairement sur deux finalités : assurer la sécurité de l'alimentation de l'homme et une meilleure intégration de l'élevage dans l'environnement.

Sécurité de l'alimentation tout d'abord : il s'agit de détecter le rôle de l'alimentation animale dans la sécurité des produits animaux pour l'homme.

Deux exemples précis pour illustrer ce propos.

Nous engageons des recherches sur le devenir des éléments potentiellement toxiques, les mycotoxines, liés au développement de flores indésirables dans les différents aliments pour animaux ou encore le devenir de composés aromatiques issus de la combustion des produits pétroliers qui se déposent sur les fourrages et sont ingérés par les animaux.

Nous engageons aussi des recherches sur le rôle positif de l'alimentation animale et sur la valeur nutritionnelle des produits animaux pour l'homme, avec à nouveau deux exemples précis : on cherche à accroître par l'alimentation la présence dans le lait ou la viande d'acides gras particuliers ayant un effet bénéfique pour la santé de l'homme ; on cherche également à caractériser les particularités des produits des ruminants liées à une alimentation exclusive à l'herbe.

Notre seconde priorité est l'intégration de l'élevage dans l'environnement, et notamment la réduction des rejets de toutes natures (azote, phosphore et méthane) et surtout la maîtrise de leur devenir dans l'environnement. Cette préoccupation concerne toutes les espèces, porcs, volailles mais aussi vaches laitières au pâturage. A ce titre, la gestion écologiquement propre d'un troupeau de vaches laitières au pâturage n'est pas un processus trivial... il ne suffit pas d'ouvrir la barrière aux animaux.

Voici donc brossées à très grands traits ces différentes facettes de l'alimentation animale et nos priorités actuelles de recherche. Je voudrais conclure cet exposé par trois réflexions d'ordre plus général.

L'arrêt de l'utilisation des farines animales ne constitue pas un frein technique stricto sensu à l'optimisation de la nutrition protéique des animaux.

Les herbivores sont et demeurent des herbivores, ils consomment d'ailleurs la production de 50 % de la surface agricole en France, avec un rôle essentiel sur l'aménagement du territoire, au niveau de l'environnement comme au plan social.

Enfin, la crise de l'ESB qui a emprunté l'alimentation pour se développer doit enrichir notre expérience et nous rendre vigilants pour mieux détecter et évaluer de façon rationnelle les risques potentiels liés aux pratiques alimentaires, afin de donner des éléments pour une meilleure maîtrise de ces risques.

A plus court terme, il faut aussi aider les filières en crise à regagner la confiance fragilisée des citoyens-consommateurs.

M. REVOL.- Merci Monsieur ROBELIN de cet exposé très complet. Je me tourne vers mes collègues parlementaires pour les questions qu'ils auraient à poser à Monsieur ROBELIN...

S'il n'y a pas de questions, nous passons à la table ronde.

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