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Avis n° 97 (2000-2001) de M. Georges OTHILY , fait au nom de la commission des lois, déposé le 23 novembre 2000

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N° 97

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 novembre 2000

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2001 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME V

JUSTICE :

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Par M. Georges OTHILY,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ;
René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Robert Bret, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo,
MM. Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Edmond Lauret, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2585 , 2624 à 2629 et T.A. 570

Sénat : 91 et 92 (annexe n° 32 ) (2000-2001)

Lois de finances .

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Après avoir procédé à l'audition de Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, le mardi 14 novembre, la commission des Lois, réunie le mardi 5 décembre 2000, sous la présidence de M. Pierre Fauchon, vice-président, a examiné, sur le rapport pour avis de M. Georges Othily, les crédits consacrés à l'administration pénitentiaire par le projet de loi de finances pour 2000.

Le rapporteur pour avis a notamment formulé les observations suivantes :

- les crédits de l'administration pénitentiaire augmentent de 0,4% à structure constante (1,22% en incluant les mesures indemnitaires intégrées dans le projet de budget à l'occasion de son examen par l'Assemblée nationale) après avoir augmenté de 5,9% en 2000 ; 530 créations de postes sont prévues. Néanmoins, les vacances de postes liées à l'abaissement de l'âge de la retraite des surveillants ne sont pas encore résorbées ;

- le nombre de personnes incarcérées continue à diminuer légèrement ; cette évolution masque cependant des évolutions différenciées en fonction des infractions commises ; ainsi, le nombre de détenus pour viols et agressions sexuelles augmente de manière impressionnante. A cet égard, il est préoccupant que les dispositions relatives à l'injonction de soins de la loi du 17 juin 1998 sur la prévention et la répression des infractions sexuelles n'aient pas encore reçu d'application ;

- les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires n'ont pour l'heure guère été suivies d'effet ; l'élaboration d'une grande loi pénitentiaire ne devrait pourtant pas empêcher de prendre des mesures d'urgence comme l'a recommandé la commission d'enquête du Sénat ;

- l'année écoulée a été marquée par de nouvelles annonces par le Gouvernement de constructions ou de rénovations d'établissements ; les projets annoncés tardent cependant à se concrétiser et le taux de consommation des crédits consacrés à la construction de nouveaux établissements a été particulièrement faible en 2000 ;

La commission a en conséquence donné un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire.

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi de finances pour 2001 soumis au Sénat fixe à 29,03 milliards de francs le budget du ministère de la justice, ce qui représente une hausse de 6,35 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2000. A structure constante cependant, l'augmentation des crédits n'est que de 3,1% . En effet, au titre du budget 2001, il est procédé au transfert, sur les budgets des ministères, de la part employeur des cotisations d'assurance maladie des fonctionnaires civils titulaires de l'Etat, précédemment inscrits au budget des charges communes.

Au sein de ces crédits, 8,22 milliards de francs, soit 28,3 % du budget de la justice, seront consacrés à l'administration pénitentiaire. A structure constante, les crédits de l'administration pénitentiaire s'élèvent à 7, 89 milliards de francs, soit une progression de 0,4% seulement par rapport à 2000 (1,22% en incluant les mesures indemnitaires insérées dans le projet de budget lors de son examen par l'Assemblée nationale).

I. LES CRÉDITS DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE POUR 2001

Répartition des crédits
de l'administration pénitentiaire en 2001
(en millions de francs)

Titre III ( Moyens des services)
dont :
personnel
fonctionnement

7.753

4.949
2.804

Titre IV (interventions publiques)

40

Titre V (interventions exécutées par l'Etat)

423

TOTAL

8.223

210 millions de francs de mesures nouvelles sont prévus au titre des dépenses ordinaires. Ils sont en particulier consacrés :

à la création de 530 emplois

- 215 emplois, dont 189 emplois de personnels de surveillance sont destinés à préparer l'ouverture, en 2002, des deux premiers établissements du programme 4000 : Seysses et Le Pontet ;

- 141 postes de personnels de surveillance sont créés pour améliorer les conditions de travail des personnels et mieux prendre en compte l'évolution des métiers face aux nouvelles caractéristiques de la population incarcérée ;

- 112 emplois de personnels d'insertion et de probation doivent permettre le renforcement du suivi des personnes en milieu ouvert ;

- 47 postes administratifs, dont 10 postes de directeurs des services pénitentiaires, viendront renforcer l'encadrement des établissements et la gestion des services ;

- 15 postes de psychologues sont créés pour soutenir le personnel de surveillance face aux problèmes de comportement des détenus et notamment pour les assister dans la prévention des suicides.

à des mesures indemnitaires et statutaires pour le personnel

- 10,6 millions de francs sont consacrés à des mesures indemnitaires, en particulier la revalorisation de l'indemnité pour charges pénitentiaires ;

- une provision de 4,5 millions de francs est prévue au titre de la réforme du statut des chefs de service pénitentiaire.

A la suite du conflit social survenu en octobre dernier, le Gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale un amendement augmentant de 57, 6 millions de francs les crédits consacrés à des mesures indemnitaires. Ainsi, l'enveloppe consacrée à l'augmentation de l'indemnité pour charges pénitentiaires a été augmentée de 39 millions de francs, soit un supplément annuel de 1700 F par agent. Le montant forfaitaire de la prime de nuit a été porté de 48,70 F à 75 F.

à l'abondement des crédits de fonctionnement de l'administration pénitentiaire à hauteur de 117 millions de francs

- revalorisation des rémunérations du travail des détenus (20 millions de francs) ;

- prise en charge des escortes des détenus devant subir une consultation médicale (13,3 millions de francs) ;

- amélioration de l'hygiène en détention (13 millions de francs) ;

- mise à niveau de la surveillance (30 millions de francs) ;

- placement sous surveillance électronique (5 millions de francs).

à l'augmentation du budget de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire (30,8 millions de francs).

En ce qui concerne les dépenses en capital, 429 millions de francs de crédits de paiement et 844 millions de francs d'autorisation de programme sont inscrits dans le projet du budget. Ces crédits seront consacrés :

à la réhabilitation du parc classique

à la rénovation des cinq plus grandes maisons d'arrêt .

Il convient de rappeler que 800 millions de francs d'autorisations de programme ont été inscrits dans la loi de finances rectificative pour 2000, afin de financer la construction de nouveaux établissements.

A la suite de l'annonce par le Premier ministre d'un plan de rénovation de l'ensemble des établissements pénitentiaires devant mobiliser dix milliards de francs sur six ans, l'Assemblée nationale a adopté un amendement au projet de loi de finances pour 2001, afin d'inscrire un milliard de francs d'autorisations de programme au titre de ce programme de rénovation.

II. LA SITUATION DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

A. L'ÉVOLUTION DE LA POPULATION CARCÉRALE

Au 1 er janvier 2000, 51.441 personnes étaient détenues en France (métropole et outre-mer) contre 52.961 au 1 er janvier 1999 et 53.845 au 1 er janvier 1998. Le nombre de détenus continue donc à diminuer légèrement, conformément à l'évolution enregistrée depuis 1996 . Il convient cependant de noter que la baisse observée entre le 1 er janvier 1999 et le 1 er janvier 2000 peut s'expliquer en partie par le prononcé de deux décrets de grâce au cours de cette année, l'un, traditionnel, en juillet, l'autre, exceptionnel, en décembre.

Au 1 er janvier 2000, le taux d'occupation des établissements pénitentiaires atteignait 104 % en moyenne , mais 112 % dans les maisons d'arrêt . Pour six maisons d'arrêt, le taux d'occupation dépassait 200 %.

Le nombre de prévenus a substantiellement diminué entre le 1 er janvier 1999 et le 1 er janvier 2000, passant de 20.452 à 18.100 sans que cette évolution ait une explication claire. Peut-être faut-il y voir une anticipation des dispositions de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Pour la première fois, la durée moyenne de détention semble s'être stabilisée. Après être passée de 4,6 mois en 1980 à 8,3 mois en 1998, elle a été de 8,1 mois en 1999.

Comme le notait déjà l'an dernier votre rapporteur pour avis, la diminution de la population pénale masque des évolutions différenciées en ce qui concerne les motifs d'incarcération. Ainsi, entre 1994 et 1999, les entrées en détention pour vol simple ont diminué de 51% et les entrées en détention pour infractions à la police des étrangers de 56%.

En revanche les entrées en détention pour les délits d'atteintes aux personnes, d'atteintes aux moeurs ou de vol aggravé ont respectivement augmenté de 30%, 16% et 24%.

La structure de la population pénale par quantum de peine a également beaucoup évolué. Entre 1994 et 2000, le nombre de condamnés à moins d'un an d'emprisonnement a diminué de 13% et le nombre de condamnés à moins de trois ans d'emprisonnement de 12%. Le nombre de condamnés à une peine comprise entre trois ans et moins de cinq ans d'emprisonnement a augmenté de 9% et le nombre de condamnés à une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnement ou plus a augmenté de 35%. Ainsi, les condamnés qui effectuent une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement pèsent pour plus de 40% de l'ensemble des condamnés au 1 er janvier 2000 .

La progression du nombre de détenus incarcérés pour viols et autres agressions sexuelles est particulièrement impressionnante, comme le montre le graphique suivant.

La prise en charge de cette population, très stigmatisée par les autres détenus pose des difficultés particulières à l'administration pénitentiaire et les détenus pour infractions sexuelles sont fréquemment regroupés au sein des établissements afin de limiter les contacts avec les autres détenus.

Votre rapporteur pour avis s'inquiète du retard observé dans la mise en oeuvre de la loi du 17 juin 1998 sur la prévention et la répression des infractions à caractère sexuel, en particulier en ce qui concerne le dispositif de l'injonction de soins . Un décret en Conseil d'Etat a été adopté en mai dernier et précise les règles relatives à la désignation des médecins coordonnateurs ou au déroulement de l'injonction de soins, mais des arrêtés ministériels sont encore nécessaires pour que des injonctions de soins puissent être prononcées. Il apparaît qu'il sera difficile, dans certaines régions, de trouver deux médecins psychiatres susceptibles de prendre en charge un condamné, l'un étant chargé d'assurer les soins, l'autre d'exercer un rôle d'interface entre le juge et le médecin traitant.

Le nombre de mineurs détenus a également augmenté au cours des dernières années. Comme la commission d'enquête du Sénat, votre rapporteur pour avis a pu constater que les personnels pénitentiaires étaient souvent déroutée face à des jeunes parfois très violents. Des formations spécifiques sont cependant dispensées aux personnels responsables des quartiers pour les mineurs.

B. LES SUICIDES EN DÉTENTION : GUÈRE DE PROGRÈS

Il y a un an, votre rapporteur pour avis s'était inquiété du nombre préoccupant de suicides en prison. Le nombre de suicides a en effet fortement augmenté au cours des dernières années pour atteindre 125 en 1999. A la date du 28 novembre, 112 détenus s'étaient suicidés depuis le début de l'année 2000, qui ne se traduira donc pas par une amélioration significative de la situation en cette matière.

Une récente étude de la direction de l'Administration pénitentiaire sur les suicides intervenus en 1998 et 1999 a permis de disposer d'informations plus précises sur le contexte des suicides et les caractéristiques des personnes suicidées.

Il ressort tout d'abord de cette étude que le taux de suicide est nettement plus élevé en détention que dans la population générale.

En 1980, le taux de suicide était cinq fois plus élevé en détention que dans la population générale. En 1997, il était douze fois plus élevé.

L'étude de la chancellerie montre que le taux de suicide tend à augmenter avec le surpeuplement, la vétusté de l'établissement, le sous-encadrement en personnel de surveillance et socio-éducatif. Les détenus se suicident davantage en maisons d'arrêt.

Près des trois quarts des suicides ont lieu dans la cellule du détenu qui, dans la moitié des cas, est occupée par plusieurs détenus. Le nombre de suicides en quartier disciplinaire tend cependant à augmenter.

L'étude montre également que les risques suicidaires augmentent avec l'âge et que les détenus mariés et les détenus ayant des enfants présentent des risques suicidaires plus élevés que les célibataires sans enfant, alors que la situation est plutôt inverse dans la population générale.

20 % des suicides ont lieu au cours du premier mois de la détention. Ces suicides concernent surtout les personnes emprisonnées pour la première fois, les détenus âgés de moins de trente ans et les détenus pour affaires de moeurs.

Parmi les condamnés, ceux qui exécutent une peine d'une durée supérieure à dix ans d'emprisonnement sont ceux qui se suicident le plus. Les risques suicidaires sont particulièrement élevés parmi les détenus écroués pour crime de sang ou pour crimes ou délits sexuels.

L'étude de la direction de l'administration pénitentiaire met ainsi en évidence que l'augmentation du nombre de suicides en détention s'explique pour partie par l'augmentation du nombre de détenus âgés, de détenus pour crimes et délits sexuels, de condamnés à de longues peines. C'est parmi ces trois catégories que le taux de suicide a le plus augmenté au cours des dernières années.

De manière plus inquiétante, l'auteur de l'étude précise que 19 % des détenus qui se sont donnés la mort avaient été repérés suicidaires, 36 % avaient été repérés pour leur fragilité, tandis que 44 % n'avaient jamais été repérés. Ces chiffres montrent d'une part que le repérage demeure imprécis, d'autre part qu'il ne suffit pas à empêcher le passage à l'acte.

C. QUELLE PRISE EN COMPTE DES TRAVAUX DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE DU SÉNAT ?

1. Les travaux de la commission d'enquête

L'année 2000 a vu la création de deux commissions d'enquête parlementaire sur les prisons à l'Assemblée nationale et au Sénat.

La commission d'enquête du Sénat a souhaité concentrer ses investigations sur la situation des maisons d'arrêt. Après une soixantaine d'auditions et la visite de vingt-huit établissements, elle a proposé de mettre en oeuvre trente mesures d'urgence, afin d'améliorer sans attendre les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. Elle a ainsi notamment proposé :

- de déconcentrer la gestion des affectations des détenus en établissements pour peine et de supprimer le centre national d'observation ;

- de renforcer les unités fermées des hôpitaux psychiatriques et de doubler le nombre de lits en unités pour malades difficiles (UMD) ;

- de pourvoir l'ensemble des postes de personnels actuellement vacants ;

- de revaloriser les métiers de l'administration pénitentiaire, afin de les rendre plus attractifs ;

- de développer la formation continue des personnels ;

- de lancer un plan de réhabilitation sur cinq ans du parc pénitentiaire sous la forme d'une loi de programme ;

- de créer une agence pénitentiaire, structure publique chargée de gérer de manière autonome les investissements et la maintenance ;

- de doubler les crédits consacrés à l'entretien des bâtiments ;

- d'instituer un minimum carcéral pour les indigents ;

- d'harmoniser à la baisse les tarifs des cantines ;

- de supprimer le prélèvement sur le produit du travail des détenus destiné à les faire participer à leurs frais d'entretien ;

- d'allonger la durée des activités proposées aux détenus au cours de la journée de détention ;

- d'harmoniser les règlements intérieurs des établissements pénitentiaires par catégorie d'établissement ;

- de réduire à vingt jours la durée maximale de placement au quartier disciplinaire ;

- d'améliorer l'accueil des familles et de favoriser le projet des associations visant à améliorer cet accueil ;

- d'expérimenter la transformation d'établissements pénitentiaires en établissements publics administratifs dotés d'un conseil d'administration.

La commission d'enquête a présenté ses conclusions le 5 juillet dernier et espérait que des mesures d'urgence pourraient être prises sans tarder.

2. Les réponses du Gouvernement

Le 8 novembre dernier, à l'occasion de l'inauguration de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, le Premier ministre a fait deux annonces importantes Il a tout d'abord annoncé le lancement d'un plan de rénovation des établissements pénitentiaires devant mobiliser dix milliards de francs sur six ans.

Le Premier ministre a précisé qu'un établissement public serait mis en place pour assurer la réalisation de ce vaste plan de rénovation. Le garde des sceaux a indiqué, lors de son audition par votre commission des lois, qu'un conseil d'orientation comprenant notamment des parlementaires serait mis en place au sein de l'établissement public.

Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé l'élaboration d'une loi pénitentiaire , dont la discussion au Parlement pourrait débuter à l'automne 2001. Il a ainsi défini le contenu futur de la loi : " Elle définira le sens de la peine, les missions de l'administration pénitentiaire, les règles fondamentales du régime carcéral en encadrant les nécessaires restrictions aux libertés individuelles, les conditions générales de détention. Elle permettra en outre de regrouper et d'harmoniser toute une série de textes aujourd'hui épars. Cette grande loi suivra aussi les préconisations du Premier président Canivet et des députés de la commission d'enquête sur les prisons ".

3. La nécessité d'agir vite

Les mesures annoncées par le Gouvernement sont importantes. Elles ne répondent pourtant pas entièrement aux préoccupations de la commission d'enquête du Sénat, qui souhaitait la mise en service rapide de mesures d'urgence. Les propos du Premier ministre précédemment cités montrent d'ailleurs que les préconisations des sénateurs ne retiennent guère l'attention du Gouvernement...

Ainsi, la commission d'enquête du Sénat avait souhaité l'organisation d'un débat d'orientation sur les prisons, mais le Gouvernement n'a pris aucune initiative en ce sens. Dans ces conditions, M. Jean-Jacques Hyest a posé le 21 novembre dernier au garde des sceaux une question orale avec débat sur les suites susceptibles d'être données aux travaux de la commission d'enquête.

La ministre de la justice a indiqué que certaines des propositions de la commission d'enquête étaient à l'étude, en particulier celles relatives à l'affectation des condamnés. Elle a notamment précisé que " certaines affectations pourraient être décidées sans passage par le centre national d'orientation de Fresnes, car, si c'est parfois une commodité, ce n'est pas une obligation en droit ".

Il reste que la principale réponse du Gouvernement aux travaux des commissions d'enquête, à savoir l'élaboration d'une loi pénitentiaire redéfinissant les mesures de l'administration pénitentiaire, le rôle des personnels, les droits et devoirs des détenus, nécessitera certainement un délai très long de mise en oeuvre concrète.

Or, certaines mesures utiles pourraient être prises sans attendre l'aboutissement de ce chantier important.

Aussi, nos excellents collègues, MM. Jean-Jacques Hyest et Guy Cabanel, respectivement président et rapporteur de la commission d'enquête du Sénat, ont-ils pris l'initiative de déposer, le 30 novembre dernier, une proposition de loi 1 ( * ) destinée à mettre en oeuvre rapidement les quelques propositions de la commission d'enquête relevant du domaine législatif. Cette proposition de loi prévoit :

- l'interdiction de maintenir en maison d'arrêt les condamnés à des peines d'une durée supérieure à un an d'emprisonnement ;

- la possibilité d'affecter en établissements pour peine les prévenus dont l'instruction est achevée, les appelants ou les personnes ayant formé un pourvoi en cassation ;

- la possibilité pour le juge de l'application des peines de prononcer une suspension de peine à l'égard des condamnés atteints d'une maladie grave mettant en jeu le pronostic vital ;

- enfin, la création d'un contrôleur général des prisons, conformément à la proposition formulée par la commission sur le contrôle externe des établissements pénitentiaires présidée par M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation.

A ce stade, votre commission des lois doit constater que les propositions de la commission d'enquête du Sénat n'ont guère été suivies d'effet et que les propositions formulées par le Gouvernement risquent de n'avoir un véritable impact sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires que dans plusieurs années.

D. UNE ANNÉE MARQUÉE PAR DES RÉFORMES LÉGISLATIVES IMPORTANTES

L'année 2000 a été marquée par des réformes législatives de grande ampleur appelées à avoir des conséquences importantes pour l'administration pénitentiaire :

- dans son précédent avis, votre commission s'était inquiétée de la diminution très préoccupante du nombre de libérations conditionnelles et s'était interrogée sur la nécessité de modifier les conditions d'octroi de cette mesure. La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes est venue bouleverser en profondeur le régime de l'application des peines.

A l'initiative de l'Assemblée nationale, la loi prévoit la juridictionnalisation des décisions du juge de l'application des peines qui seront rendues après un débat contradictoire et seront susceptibles d'appel. A l'initiative du Sénat, les règles relatives à la libération conditionnelle ont été profondément modifiées. Les critères permettant l'octroi d'une mesure de libération conditionnelle ont été élargis. En outre, le garde des sceaux s'est vu retirer son pouvoir de prononcer les mesures de libération conditionnelle à l'égard des condamnés à de longues peines. A compter du 1 er janvier 2001, cette décision sera prise par une juridiction régionale de la libération conditionnelle, les décisions de cette dernière étant susceptibles d'appel devant une juridiction nationale de la libération conditionnelle.

Votre rapporteur pour avis a pu constater, lors de ses visites dans les établissements pénitentiaires, que ceux-ci aménageaient des locaux en vue de la tenue des débats contradictoires ;

- la loi sur la présomption d'innocence a également prévu le droit pour les parlementaires de visiter à tout moment les établissements pénitentiaires . Votre commission des lois n'avait pour sa part pas attendu l'adoption de cette mesure pour effectuer des missions en prison ;

- la même loi a prévu que les prévenus devraient bénéficier de l'encellulement individuel à compter du 16 juin 2003 , sans que la configuration des maisons d'arrêt puisse justifier d'exceptions à cette règle ;

- enfin, l'adoption de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration a eu pour conséquence de permettre aux détenus d'être assistés par un avocat en cas de procédure disciplinaire ; cette disposition est entrée en vigueur le 1 er novembre dernier.

E. UNE EXPÉRIMENTATION TIMIDE DU PLACEMENT SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE

Dans son précédent rapport, votre rapporteur pour avis s'était ému de l'absence de mise en oeuvre de la loi relative au placement sous surveillance électronique adoptée par le Parlement en décembre 1997 . Rappelons que cette loi ouvre la possibilité de placer sous surveillance électronique des condamnés à une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à un an et des condamnés auxquels il reste à accomplir une peine d'une durée inférieure ou égale à un an. La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence a étendu cette possibilité aux personnes susceptibles d'être placées en détention provisoire.

L'an dernier, le garde des sceaux avait indiqué à votre commission des Lois qu'une expérimentation serait entreprise dans les centres pour peines aménagées dont elle avait décidé la création.

Ce projet a finalement été abandonné au profit d'une expérimentation conduite à partir de quatre établissements pénitentiaires pilotes : le centre de semi-liberté de Grenoble, le centre de détention régional de Loos-les-Lille, la maison d'arrêt d'Aix-Luynes et la maison d'arrêt d'Agen.

Le Gouvernement envisage d'étendre l'expérimentation à dix-sept nouveaux sites en 2001 puis de généraliser le dispositif au cours des années 2002 et 2003.

Vingt bracelets et vingt récepteurs ont été mis à la disposition de chacun des sites pilotes. Il semble que le Gouvernement ait recommandé, au stade de l'expérimentation, d'envisager le placement sous surveillance électronique pour des condamnés auxquels il reste à accomplir une peine d'une durée inférieure ou égale à six mois d'emprisonnement. L'objectif affiché du Gouvernement est de voir deux cents condamnés bénéficier du placement sous surveillance électronique au cours des neuf mois d'expérimentation.

Dans chaque site pilote, une structure de projet a été mise en place pour assurer le pilotage de l'expérimentation. Cette structure regroupe un représentant du parquet, le juge de l'application des peines et des représentants de la direction régionale des services pénitentiaires, de l'établissement pénitentiaire et du service d'insertion et de probation. Elle est chargée de recueillir l'ensemble des questions relatives à la mise en oeuvre du placement sous surveillance électronique et d'en assurer le traitement en liaison avec l'administration centrale.

A ce stade, votre rapporteur pour avis ne peut que constater que l'expérimentation débute de manière timide même si un progrès a été enregistré au cours des dernières semaines. Deux bracelets électroniques sont actuellement utilisés à Agen, deux le sont à Grenoble, deux à Lille. Quatre bracelets ont été posés à Aix, la période de placement sous surveillance électronique étant achevée pour l'un des condamnés concernés.

Votre rapporteur pour avis, accompagné de notre excellent collègue M. Robert Bret, s'est récemment rendu à Agen, dont la maison d'arrêt a été retenue comme site pilote pour l'expérimentation. Il a pu constater que l'expérimentation du placement sous surveillance électronique se heurtait encore à certaines difficultés :

- l'ordinateur permettant le contrôle du respect par le condamné de ses obligations est installé dans le bureau du greffe de la maison d'arrêt. Ce bureau est inoccupé la nuit, de sorte que les messages signalant une violation des obligations du condamné ne peuvent être découverts que le matin. Or, lorsque l'ordinateur signale une violation des obligations, il est nécessaire qu'un contrôle soit effectué au domicile du condamné pour qu'une procédure de révocation du placement sous surveillance électronique soit engagée. Cette difficulté est en passe d'être résolue, mais n'a pas contribué à faciliter un recours fréquent au bracelet électronique ;

- des magistrats regrettent que la loi ne prévoit pas la possibilité de révoquer le placement sous surveillance électronique en cas " d'inconduite notoire ", alors qu'une telle possibilité est prévue en matière de libération conditionnelle ;

- enfin, certaines des personnes concernées par la mise en oeuvre du placement sous surveillance électronique s'interrogent sur les conséquences d'une résiliation de l'abonnement téléphonique d'un condamné bénéficiant du placement sous surveillance électronique.

Quoi qu'il en soit, votre commission regrette que l'expérimentation du placement sous surveillance électronique démarre si lentement. Elle craint que l'extension de la mesure soit difficile si le placement sous surveillance électronique n'est pas proposé à un nombre suffisant de condamnés au cours de la phase d'expérimentation.

F. LES PERSONNELS

1. Des créations de postes, mais des difficultés persistantes

En 2000, l'administration pénitentiaire compte 25.868 agents en effectif budgétaire ainsi répartis :

- 20.256 personnels de surveillance ;

- 2.308 personnels administratifs ;

- 1.560 personnels d'insertion et de probation ;

- 540 personnels de service social ;

- 675 personnels techniques ;

- 363 personnels de direction ;

- 166 autres personnels.

Le projet de budget prévoit la création de 530 emplois en 2001 après la création de 386 emplois en 2000. Malgré ce nombre important de créations de postes, beaucoup d'établissements ne disposent pas du personnel normalement prévu pour les faire fonctionner.

La " bonification du cinquième " qui a permis, en 1996, aux personnels de surveillance de partir à la retraite à l'âge de 55 ans à partir du 1 er janvier 2000 (de 1996 à 1999, la limite d'âge a été abaissée d'une année par an) continue à avoir des effets sensibles sur le nombre de personnels en activité.

Face à cette situation, l'administration pénitentiaire recrute massivement et forme dans des délais très brefs de nombreux personnels. Au cours de l'année 2000, 1.315 élèves surveillants seront sortis de l'école nationale d'administration pénitentiaire (ENAP). Or, le nombre de candidats est en diminution et la déperdition entre le nombre de reçus et le nombre de ceux qui entrent en formation à l'ENAP peut atteindre 30 %. Dans ces conditions, les personnels rencontrés par votre rapporteur pour avis au cours de ses visites ont exprimés la crainte de voir diminuer la qualité du recrutement du personnel de surveillance .

Par ailleurs, on assiste à une féminisation croissante du personnel de surveillance ; il semble que les dernières promotions d'élèves surveillants formées à l'ENAP comportent entre 30 et 40 % de femmes. Cette évolution devra être prise en considération dans la gestion du personnel. En effet, les missions particulières de l'administration pénitentiaire impliquent que l'administration soit en mesure de remplacer les personnels féminins en congé de maternité, les vacances de postes ayant des conséquences particulièrement lourdes sur la pénibilité des fonctions des personnels de surveillance. Il convient en outre de souligner que les personnels féminins ne peuvent pratiquer des fouilles corporelles sur les hommes détenus, ce qui implique qu'elles ne soient pas affectées dans des postes où de telles fouilles doivent être pratiquées.

Plus généralement, votre rapporteur pour avis partage les conclusions de la commission d'enquête du Sénat, selon laquelle les personnels de l'administration pénitentiaire sont dévoués mais désorientés. Nombre d'entre eux ont le sentiment de ne pas faire ce pour quoi ils ont été recrutés, compte tenu des vacances de postes. Ici des personnels de surveillance sont affectés aux tâches administratives, là des personnels de direction font office de formateurs parce qu'un poste n'a pas été pourvu...

2. L'évolution de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire

Le 8 novembre dernier, le Premier ministre a inauguré l'Ecole national d'administration pénitentiaire à Agen. La délocalisation de l'école de Fleury-Mérogis à Agen a été décidée en 1994 par M. Pierre Méhaignerie, alors ministre de la justice. Cette délocalisation a été l'occasion d'une profonde réorganisation de la formation des personnels.

Jusqu'il y a peu, les formations étaient conçues par corps et par catégorie de personnel. Cette conception a été entièrement remise en cause, notamment pour assurer une mixité des publics devant permettre aux personnels de mieux percevoir la complémentarité de leurs fonctions .

L'école comporte désormais une direction des enseignements composée de quatre départements :

- droit (enseignement du droit pénitentiaire, du droit pénal, de la procédure pénale...) ;

- population placée sous main de justice (enseignements en sciences humaines, psychologie, étude des comportements, formation aux pratiques professionnelles de sécurité ou d'insertion...) ;

- administrations et management publics (ressources humaines, gestion budgétaire, gestion immobilière...) ;

- stages.

Tous les personnels formés à l'ENAP doivent suivre des stages au cours de leur scolarité.

La formation continue relève pour une grande part des directions régionales de l'administration pénitentiaire, mais l'ENAP a renforcé son action dans ce domaine. Elle propose en particulier des formations spécifiques destinées à prendre en compte l'évolution de la population pénale . Des formations relatives aux mineurs incarcérés ou aux auteurs d'infractions à caractère sexuel sont ainsi proposées aux personnels.

L'école comporte également une direction de la recherche et de la diffusion , qui a notamment pour mission de valoriser les travaux réalisés à l'école et de créer des liens avec les communautés scientifiques en France ou à l'étranger. Un DESS " Exécution des peines et droits de l'homme " commun aux Universités de Pau et de Bordeaux IV ainsi qu'à l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire a été créé cette année.

L'école comprend actuellement 169 agents parmi lesquels 15 personnels de direction, 57 personnels de surveillance et 55 personnels administratifs. En outre, près de 1.000 intervenants extérieurs contribuent à la formation des personnels de l'administration pénitentiaire.

Votre rapporteur pour avis souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur la situation des personnels de surveillance exerçant des fonctions de formateur . Il semble que ce choix soit fort peu encouragé en ce qui concerne les possibilités d'avancement, alors qu'il est particulièrement nécessaire que des personnels mettent leur expérience au service de la formation des élèves. On note d'ailleurs que peu de personnels de surveillance se portent candidats pour exercer des fonctions de formateur. Ces formateurs sont indispensables à l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, mais également dans les établissements où sont envoyés en stage les élèves surveillants.

Au cours d'une visite effectuée le 23 novembre dernier avec notre excellent collègue M. Robert Bret, votre rapporteur pour avis a pu constater la qualité des équipements installés à Agen pour la formation et le logement des futurs fonctionnaires de l'administration pénitentiaire.

Il s'inquiète cependant du raccourcissement de la durée de certaines formations rendu nécessaire pour le nombre important de vacances de postes. Il est indispensable que la nécessité de recruter de nombreux personnels ne se traduise pas par un moindre effort de formation à des métiers de plus en plus complexes.

G. LES BÂTIMENTS

Le parc pénitentiaire français comporte 187 établissements, dont 119 maisons d'arrêt et 55 établissements pour peine.

1. Les actions en cours

Le programme " 4 000 places " est maintenant entré dans sa phase de réalisation. Ce programme prévoit la construction de six établissements, cinq d'entre eux étant appelés à remplacer des établissements vétustes :

- une maison d'arrêt à Seysses (ouverture prévue au 3 ème trimestre 2002) ;

- un centre pénitentiaire au Pontet (ouverture prévue au 3 ème trimestre 2002) ;

- une maison d'arrêt à Sequedin (ouverture prévue au 1 er semestre 2003) ;

- une maison d'arrêt à Chauconin-Neufmontiers (ouverture prévue au 3 ème trimestre 2003) ;

- un centre pénitentiaire à Liancourt (ouverture prévue au 3 ème trimestre 2003) ;

- une maison d'arrêt à La Farlède (ouverture prévue au 3 ème trimestre 2003).

De plus, le Gouvernement a décidé la reconstruction de la maison d'arrêt de Saint-Denis de la Réunion et a affecté 200 millions de francs d'autorisations de programme à cette opération dans la loi de finances rectificative pour 1999.

Le Gouvernement a en outre décidé cette année la construction de trois nouveaux établissements à Lyon, Nice et Basse-Terre et a inscrit 800 millions de francs d'autorisations de programme dans la loi de finances rectificative pour 2000 au printemps dernier.

Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé en 1999 un plan de rénovation des cinq plus grandes maisons d'arrêt (Fleury-Mérogis, Fresnes, La Santé, Les Baumettes et Loos-les-Lille). D'après les dernières estimations du Gouvernement, ce plan pourrait mobiliser 3,6 milliards de francs. La rénovation pourrait durer cinq à sept ans à Fresnes, Loos et La Santé, sept ans aux Baumettes et dix à onze ans à Fleury-Mérogis.

Enfin, le Premier ministre a récemment annoncé la mise en oeuvre d'un plan de rénovation concernant la totalité du parc pénitentiaire et devant mobiliser dix milliards de francs en six ans . Un milliard de francs d'autorisations de programme a été inscrit dans le projet de loi de finances pour 2001 à l'occasion de son examen par l'Assemblée nationale. Selon le Gouvernement, ces crédits viendraient s'ajouter à l'ensemble des actions déjà annoncées en matière de construction et de rénovation d'établissements pénitentiaires.

La multiplication des annonces de plans de construction ou de rénovation d'établissements pénitentiaires ne permet guère, à ce stade, de percevoir la cohérence globale des actions entreprises. Il faut espérer que cette cohérence apparaîtra davantage après la mise en place de l'établissement public chargé de mettre en oeuvre le plan global de rénovation des prisons.

Les actions de reconstruction et de rénovation annoncées par le Gouvernement représentent un effort très substantiel. Toutefois, votre rapporteur pour avis s'inquiète du rythme des réalisations. Il doit constater, avec notre excellent collègue, M. Hubert Haenel, rapporteur spécial de la commission des Finances sur le budget du ministère de la justice, que les retards s'accumulent dans l'utilisation des crédits inscrits en lois de finances.

En 2000, pour le programme spécial de construction de nouveaux établissements, 754,7 millions de francs de crédits de paiement étaient ouverts, dont la moitié issue de reports de crédits non utilisés. Or, au 2 novembre dernier, 43,4 millions de francs avaient été dépensés. Au 31 juin 2000, plus d'un milliard de francs de crédits de paiement étaient disponibles.

Rien ne serait pire que de lancer des projets très ambitieux qui ne seraient suivis d'effet que de nombreuses années plus tard. Il est indispensable que le Parlement puisse avoir une vision claire du temps nécessaire pour que les crédits qu'il ouvre aboutissent à des constructions ou à des rénovations.

D'une manière générale, les projets immobiliers de l'administration pénitentiaire prennent un retard préoccupant. Ainsi, à la fin de l'année 1998, le Gouvernement prévoyait la livraison des établissements du " programme 4000 " au cours des années 2001 et 2002. Or, aucune livraison n'est plus prévue avant le troisième trimestre 2002 et les dernières interviendront à la fin de 2003 si de nouveaux retards ne sont pas enregistrés.

La même observation vaut pour les centres pour peines aménagées, dont la ministre avait annoncé la création dès 1998. Ces établissements seront appelés à accueillir d'une part des condamnés purgeant une peine ou un reliquat de peine de moins d'un an et qui n'ont pas de projet d'insertion immédiat, d'autre part des détenus bénéficiant de mesures de semi-liberté ou de placement extérieur. Les premiers centres, installés à Metz et à Marseille auraient dû ouvrir dès cette année, mais la mise en service a d'abord été repoussée à 2001 et est maintenant annoncée pour le premier semestre 2002.

L'annonce de rénovations ou de reconstructions et l'inscription au budget de milliards de francs d'autorisations de programme ne suffira pas à améliorer les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires.

2. Les constatations de votre commission

Si votre commission des Lois n'a pas visité d'établissements pénitentiaires au cours du premier trimestre 2000, compte tenu de la création d'une commission d'enquête qui a, pour sa part, visité vingt-huit établissements, elle a en revanche souhaité reprendre ses visites d'établissements dès la fin des travaux de la commission d'enquête.

Votre rapporteur pour avis s'est donc rendu récemment à la cour d'arrêt d'Agen et à celle de Bois d'Arcy.

• La maison d'arrêt d'Agen est un établissement de taille modeste situé en centre ville. Le jour de la visite de votre rapporteur pour avis, elle accueillait 143 détenus parmi lesquels 61 condamnés, dont 35 condamnés à plus d'un an d'emprisonnement. Rappelons qu'en principe, les maisons d'arrêt ne peuvent accueillir des condamnés à plus d'un an d'emprisonnement.

La maison d'arrêt est vétuste, mais propre et préserve la dignité des personnes détenues. Certaines cellules accueillent cependant jusqu'à six détenus. La maison d'arrêt n'est guère en mesure de proposer du travail aux détenus, ne disposant que de neuf places d'atelier et d'une offre de travail par des concessionnaires limitée.

L'établissement dispose d'un quartier réservé aux femmes, dont la rénovation doit être entreprise prochainement. Ces femmes, peu nombreuses, se voient proposer beaucoup moins d'activités sportives et culturelles que les hommes, compte tenu de l'organisation de la maison d'arrêt. En outre, elles ne peuvent bénéficier de la semi-liberté, faute d'aménagements de locaux distincts de ceux des hommes.

Cette situation semble assez générale dans les établissements qui accueillent à la fois des hommes et des femmes. Votre rapporteur pour avis souhaite instamment qu'une réflexion soit entreprise pour éviter que les femmes soient défavorisées en termes d'activités et de perspectives de réinsertion au motif qu'elles sont moins nombreuses que les hommes en prison.

•  La maison d'arrêt des Yvelines à Bois d'Arcy a été mise en service en 1980. Conçu pour accueillir des condamnés, l'établissement est en fait devenu une maison d'arrêt. Cette situation comporte certains avantages pour les détenus, puisque la maison d'arrêt de Bois d'Arcy est en mesure de proposer du travail ou des formations professionnelles à un très grand nombre de détenus, contrairement à la plupart des autres maisons d'arrêt .

En revanche, le changement de vocation de l'établissement a singulièrement compliqué sa gestion, notamment en ce qui concerne les circulations des détenus. Parfois qualifiée de " Beaubourg pénitentiaire ", la maison d'arrêt est caractérisée par une gigantesque structure métallique située au centre de l'établissement, au sein de laquelle se trouvent des escaliers en colimaçon par lesquels se font l'ensemble des déplacements des détenus.

D'une manière générale, l'établissement, pourtant récent, paraît déjà fortement dégradé et connaît en particulier régulièrement des infiltrations d'eau. Le vieillissement précoce de l'établissement trouve une explication partielle dans le fait que la maison d'arrêt, dans les premières années de son fonctionnement, a pu accueillir jusqu'à 1.300 détenus pour une capacité de 519 places.

Le jour de la visite de votre rapporteur pour avis, l'établissement accueillait 700 détenus, dont 254 condamnés. Parmi ces derniers, 102 étaient condamnés à une peine égale ou supérieure à un an d'emprisonnement et 39 subissaient une peine de réclusion criminelle.

La maison d'arrêt des Yvelines comprend un quartier mineurs de 35 places. Les responsables de l'établissement incitent au maximum ces mineurs à participer à des activités de formation, l'enseignement n'étant obligatoire que pour les mineurs de moins de seize ans.

Le personnel de la maison d'arrêt se renouvelle à hauteur du quart chaque année, ce qui ne peut que poser des difficultés sérieuses d'organisation. La gestion du personnel paraît pour le moins chaotique. Ainsi, des premiers surveillants nommés à Bois d'Arcy ont été mutés dans un autre établissement le jour même de leur installation. Le poste de directeur du " bâtiment jeunes ", qui abrite en particulier le quartier des mineurs, est actuellement vacant, alors même que la prise en charge des mineurs est considérée comme une priorité.

A l'inverse, la maison d'arrêt dispose actuellement d'un nombre de chefs de service pénitentiaire plus élevé que celui que prévoit son organigramme. Loin d'améliorer la gestion, cette situation suscite des difficultés, dans la mesure où certains ne peuvent avoir les mêmes responsabilités que d'autres.

Le personnel de la maison d'arrêt a attiré l'attention de votre rapporteur pour avis sur la situation des personnels issus des départements d'outre-mer. Récemment, l'établissement a accueilli vingt-six surveillants stagiaires parmi lesquels onze ressortissants des départements d'outre-mer. Ces personnels ont droit à des congés bonifiés destinés à leur permettre de retourner dans leur département d'origine. Si plusieurs d'entre eux prennent ces congés en même temps, la maison d'arrêt risque de connaître des difficultés d'organisation particulièrement lourdes.

*

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Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice consacrés à l'administration pénitentiaire.

* 1 Proposition de loi n° 115 relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au Contrôle général des prisons.

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