C. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UNE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE CRÉDIBLE, ET CONSOLIDANT LES EFFORTS DE LA FRANCE EN MATIÈRE D'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

Compte tenu de l'ensemble des critiques précédemment exposées, le rapporteur pour avis déplore l'absence de réelle programmation des crédits de la mission « Aide publique au développement » , qui constitue le coeur pilotable des moyens budgétaires dédiés à la politique de développement.

Afin d'ancrer le caractère programmatique du projet de loi, le rapporteur pour avis a proposé à la commission des finances de prolonger la programmation des crédits de paiements de la mission « Aide publique au développement » jusqu'en 2025 , c'est-à-dire en fixant leur montant pour les exercices 2023, 2024 et 2025. Le montant de 4,8 milliards d'euros proposé par l'article 1 er pour 2022 est maintenu.

Dans cette perspective, le rapporteur pour avis considère que l'évolution pluriannuelle des crédits de la mission doit s'inscrire dans un double objectif :

- d'une part, il s'agit de consolider la progression de l'aide publique au développement de la France qui lui a permis, au cours des derniers exercices, de rattraper son retard par rapport aux autres pays développés ;

- d'autre part, la trajectoire proposée doit être crédible , compte tenu du contexte actuel de fortes contraintes sur les finances, aggravé par les conséquences économiques de la crise sanitaire.

En première lecture, l'Assemblée nationale a fait le choix d'afficher un objectif ambitieux, à savoir s'efforcer d'atteindre une part d'aide publique au développement s'élevant à 0,7 % du RNB en 2025. À cet égard, le rapporteur pour avis rappelle que le pilotage budgétaire de l'aide publique au développement fondé sur ce ratio doit être apprécié avec la plus grande prudence, pour plusieurs raisons.

Premièrement, l'exercice 2020 témoigne du caractère très relatif de cet indicateur . En effet, la contraction du RNB de la France lui a permis de satisfaire avec deux ans d'avance l'objectif fixé pour 2022 d'atteindre une aide publique au développement s'élevant à 0,55 % du RNB.

Deuxièmement, il est permis de s'interroger sur les fondements de la définition du ratio cible de 0,7 % du RNB . En effet, des travaux d'économie ont pu rappeler que ce ratio était davantage fondé sur un niveau politiquement acceptable tel que défini dans les années 1960 au sein des discussions portées par les Nations Unies, plutôt que sur des évaluations macroéconomiques robustes permettant de refléter le niveau adéquat d'aide publique au développement 23 ( * ) .

Enfin, et surtout, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ne recouvrent que partiellement les moyens de l'aide publique générée par la France . En effet, comme précédemment souligné, les crédits budgétaires ne financent pas tous des dépenses comptabilisées comme aide publique au développement, et ils ne constituent que l'un des canaux de financement de cette politique. En outre, l'évolution des autres composantes est difficilement prévisible, et en particulier l'évolution des allègements de dette qui présente un caractère très incertain comme l'a rappelé la direction générale du Trésor lors de son audition.

Ainsi, d'après le tableau de prévision figurant dans le rapport annexé du projet de loi, la France devrait consacrer 0,69 % de son RNB à l'aide publique au développement dès 2021 , compte tenu du montant des allègements de dettes qui serait 20 fois plus élevé qu'en 2020. Ce ratio retomberait à 0,55 % du RNB en 2022.

Sous ses réserves, il reste possible de bâtir une trajectoire budgétaire fondée sur les hypothèses suivantes :

- les crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » constituent la seule variable d'évolution de l'aide publique au développement totale de la France, en considérant que les autres composantes restent stables après 2022 par rapport aux estimations du Gouvernement prévues pour cet exercice ;

- le montant du RNB de la France en 2025 est extrapolé à partir des projections d'évolution du produit intérieur brut 24 ( * ) .

À partir de ces données, il peut être estimé que l'aide publique au développement de la France devrait s'élever en 2025 à 19,8 milliards d'euros pour atteindre le ratio de 0,7 % du RNB . Ceci correspond à une hausse de 5,7 milliards d'euros par rapport à 2022 25 ( * ) , soit une augmentation annuelle moyenne de 1,9 milliard d'euros, répartie sur trois exercices.

Le rapporteur pour avis estime qu'une telle hausse annuelle, a fortiori si elle ne repose que sur les crédits de la mission, est difficilement tenable dans le contexte actuel .

À titre de comparaison, le Royaume-Uni , qui constitue l'un des principaux pourvoyeurs mondiaux de l'aide publique au développement , a annoncé fin 2020 l'abandon de la cible de 0,7 % du RNB, pour se rapprocher des 0,5 % , ce qui se traduit par une baisse de 4 milliards d'euros de son budget.

Avec ces mêmes hypothèses, un volume d'aide publique au développement s'élevant à 0,55 % du RNB en 2025 correspond à 15,6 milliards d'euros , soit une hausse de 1,4 milliard d'euros par rapport à 2022 . Ceci se traduit par une hausse annuelle moyenne d'environ 500 millions d'euros par an pour seulement maintenir l'objectif que la France s'est fixée pour 2022 .

Le rapporteur pour avis considère que faire porter aux crédits de la mission « Aide publique au développement » une telle hausse annuelle permet de fixer un cap cohérent, de nature à sanctuariser les moyens dédiés à la politique de développement .

Compte tenu des incertitudes relatives à l'évolution du RNB d'une part, et des autres composantes de l'aide publique au développement d'autre part, le rapporteur pour avis propose d'actualiser cette trajectoire à mi-parcours, soit en 2023 . Une telle « clause de revoyure » est ainsi classiquement insérée dans les lois de programmation sectorielle.

Trajectoire des crédits de la mission « Aide publique au développement » proposée jusqu'en 2025

(en crédits de paiement et en millions d'euros courants)

N.B : les montants indiqués correspondent aux crédits de paiement à périmètre constant et hors charges de pension. Pour les exercices 2017 à 2020, les données sont issues des rapports annuels de performance (RAP).

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

La commission des finances a adopté un amendement COM-142 en ce sens, ainsi qu'un amendement de coordination COM-155 au rapport annexé, afin de prolonger jusqu'en 2025 la trajectoire des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement ».

Elle a également adopté plusieurs autres amendements portant sur la programmation financière prévue à l'article 1 er .

Ainsi, l'amendement COM-141 supprime la disposition selon laquelle le titre I er du projet de loi fixe les conditions du contrôle et de l'évaluation de la politique de développement .

L'amendement COM-143 supprime un alinéa se limitant à agréger plusieurs composantes budgétaires de l'aide publique au développement pour les années 2020 à 2022.

Enfin, la commission des finances a adopté l'amendement COM-144 qui supprime la disposition selon laquelle les services de l'État concourant à la politique de développement disposent de moyens humains « cohérents » avec la trajectoire budgétaire, compte tenu de son caractère inadapté à la conduite de cette politique. En effet, si cette disposition vise à satisfaire un objectif louable, elle n'apparaît pas adaptée à la conduite de la politique de développement, pour plusieurs raisons. Premièrement, l'aide publique au développement transite par de multiples canaux, qui ne requièrent pas tous une hausse des moyens humains pour absorber la hausse des moyens budgétaires. Deuxièmement, en pratique, il est difficile de distinguer les effectifs de l'État à l'étranger participant au développement de ceux qui sont chargés d'autres enjeux qui animent notre réseau d'ambassades et de consulats. Enfin, l'Agence française de développement et Expertise France, qui constituent les piliers de la mise en oeuvre du développement, ont vu leurs effectifs croître de façon conséquente ces dernières années.


* 23 Michael A. Clemens et Todd J. Moss, « Le mythe des 0,7 % : origines et pertinence de la cible fixée pour l'aide internationale au développement », De Boeck Supérieur - « Afrique contemporaine », 2006/3 n° 2019, p. 173 à 201.

* 24 Les prévisions d'évolution du PIB de la France sont issues des données publiées par le FMI en avril 2021. Le RNB est extrapolé à partir du montant de RNB constaté en 2019 et transmis par la direction du budget.

* 25 D'après le tableau figurant dans le rapport annexé du projet de loi, le Gouvernement estime que l'aide publique au développement totale de la France s'élèvera à 14,165 milliards d'euros en 2022, en intégrant une hausse de 100 millions d'euros des ressources du fonds de solidarité pour le développement prévue à l'article 1 er du présent projet de loi.

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