N° 549

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 mai 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, complétant l' article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l' environnement ,

Par M. Guillaume CHEVROLLIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec , vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin , secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

3787 , 3894 , 3902 et T.A. 577

Sénat :

449 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, réunie mardi 4 mai 2021, sous la présidence de M. Jean-François Longeot, président, a examiné le rapport pour avis de M. Guillaume Chevrollier sur le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement .

Cette réforme s'inscrit dans la continuité de la révision constitutionnelle de 2005 1 ( * ) qui avait conféré rang constitutionnel à la protection de l'environnement en intégrant la Charte de l'environnement dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958. Le Conseil constitutionnel s'y est référé pour la première fois dès 2005 2 ( * ) et, trois ans plus tard 3 ( * ) , a reconnu valeur constitutionnelle à l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte.

Inspiré de l'une des 149 propositions de la Convention citoyenne sur le climat, le texte constitutionnel proposé par le Gouvernement, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, ajoute à l'article 1 er de la Constitution une phrase selon laquelle : « Elle [la France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». L'acuité de la préoccupation environnementale est bien réelle : il s'agit en effet du troisième projet de réforme constitutionnelle en la matière en moins de trois ans.

Face à l'urgence climatique et à la nécessité de préserver la diversité biologique , la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable estime opportun d'accompagner la dynamique impulsée en 2005 en érigeant la lutte contre le réchauffement climatique au sommet de la hiérarchie des normes .

Attachée à l' équilibre de notre texte fondamental, la commission considère qu'une réforme de notre Constitution ne doit pas soulever d'ambiguïtés sur l'articulation des principes constitutionnels qui y sont affirmés. La Constitution ne doit pas non plus faire peser de doute sur une possible hiérarchie entre eux. C'est pourquoi la commission juge préférable de compléter le dispositif en renvoyant les conditions de son application aux principes définis dans la Charte de l'environnement, dont la prééminence serait affirmée avec plus de force. L'action des pouvoirs publics en matière environnementale et climatique doit en effet pouvoir concilier les trois exigences du développement durable : environnementale, économique et sociale .

Sur la proposition de son rapporteur pour avis, la commission a adopté un amendement :

- précisant que « la France préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique » ;

- complétant le dispositif en renvoyant les conditions de son application aux principes définis dans la Charte de l'environnement.

I. LA CONSTITUTIONNALISATION DES ENJEUX CLIMATIQUES, UNE RÉPONSE AUX FORTES ATTENTES ENVIRONNEMENTALES

A. L'URGENCE CLIMATIQUE, UNE ÉVIDENCE SCIENTIFIQUE, LE DÉFI DE NOTRE SIÈCLE

Les connaissances scientifiques relatives à l'environnement et au climat ont considérablement progressé depuis le début du XXI e siècle. Ce contexte a favorisé la montée en puissance d'une prise de conscience politique transpartisane autour de deux préoccupations majeures : le changement climatique et l' érosion de la biodiversité . Pour une proportion croissante de nos concitoyens, des efforts à accomplir dans ces domaines dépendent l'avenir de l'espèce humaine à moyen et long terme , ce qui a indéniablement nourri de nouvelles formes d'engagement citoyen.

L'origine anthropique des dérèglements environnementaux n'est désormais plus à démontrer : les scientifiques s'accordent en effet à reconnaître que les activités de l'Homme contribuent, pour une large part, au réchauffement climatique , ce qui marque une rupture nette dans l'histoire du climat au cours des derniers millénaires durant lesquels le climat était affecté seulement par le jeu combiné de facteurs naturels (activité du soleil, éruptions volcaniques, variabilité spontanée du climat, etc.).

L' espèce humaine est aujourd'hui devenue un acteur majeur du changement climatique , et ce depuis que les activités anthropiques ont une incidence globale significative sur l'écosystème terrestre : plusieurs scientifiques désignent cette nouvelle ère géologique sous le terme d' anthropocène sans que ce mot fasse l'objet d'un consensus parmi la communauté scientifique.

« L'espèce humaine est devenue , au tournant de la révolution industrielle du milieu du XIX e siècle, une puissance biogéochimique capable d'influer sur le fonctionnement du système terrestre , équivalente à des centaines de volcans massifs. »

Chris Bowler, titulaire de la chaire Biodiversité et écosystèmes au Collège de France

Selon les rapports successifs du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui compilent et synthétisent les conclusions de dizaines de milliers d'études scientifiques, il est déjà trop tard pour éviter de graves perturbations du climat, quels que soient les actions mises en oeuvre et les résultats obtenus 4 ( * ) .

Le changement climatique , avec l'apparition plus fréquente d'évènements climatiques extrêmes (inondations, sécheresse, cyclones, etc.) et des transformations irréversibles (fonte du manteau neigeux, dégel des sols gelés et des glaces, réchauffement des sols et des océans) est désormais visible, et partant difficile à nier.

Le réchauffement climatique entraîne des risques graves, aux incidences économiques potentiellement dévastatrices : submersion des littoraux, insécurité alimentaire mondiale en raison de la baisse des rendements agricoles et du potentiel de pêche, déplacements climatiques, dépérissements de forêts qui jouent le rôle de puits à carbone, réduction de la disponibilité en eau, etc.

De même, l'érosion de la biodiversité est un fait incontestable, qui a pour effet de réduire les services rendus à l'homme par les écosystèmes , en contribuant notamment à la diversité de notre alimentation et à l'habitabilité de notre cadre de vie. Le rapport de l'IPBES d'octobre 2020 5 ( * ) a alerté sur les liens entre perte de biodiversité et pandémies : des pandémies plus fréquentes, meurtrières et coûteuses adviendront si la biodiversité continue de décroître.

Au regard de la concentration actuelle de CO 2 dans l'atmosphère, nous pourrions faire face, d'ici 240 à 540 ans, à des taux d'extinction planétaires supérieurs à 75 % , soit le seuil définissant une extinction massive : cet horizon de projection plaide en faveur d'une action vigoureuse, déterminée et concertée , car le défi est planétaire.


* 1 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement.

* 2 Décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005 relative à la création du registre international français de l'immatriculation des navires.

* 3 Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 relative à la loi sur les OGM , suivie d'autres décisions en 2009, 2011 et 2019.

* 4 « Le réchauffement dû aux émissions anthropiques mondiales qui ont eu lieu depuis l'époque préindustrielle jusqu'à présent persistera pendant des siècles à des millénaires et continuera de causer d'autres changements à long terme dans le système climatique tels que l'élévation du niveau de la mer », Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels (2019).

* 5 Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, couramment surnommée le « GIEC de la biodiversité ».

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