II. LA RÉDUCTION DES CRÉDITS DESTINÉS A L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT : UNE REMISE EN CAUSE DES PRIORITÉS DIPLOMATIQUES DE LA FRANCE

A. UNE RÉFORME AUX EFFETS PARADOXAUX

1. La mise en place d'une structure complexe

a) Un circuit de décisions efficace ?

. L'administration centrale

A la suite de la réforme de la coopération, les moyens et les compétences de l'ancien secrétariat d'Etat à la Coopération et du ministère des Affaires étrangères ont été regroupés principalement au sein de la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID, créée par le décret n° 98-1124 du 10 décembre 1998) -structure dont l'organisation et les attributions ont été fixées par arrêté du 10 décembre 1998 relatif à l'organisation de l'administration centrale du ministère des affaires étrangères.

La DGCID réunit ainsi les services de l'ancienne direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques des affaires étrangères, la direction du développement et le centre des études financières et de la coordination géographique de l'ancien ministère de la coopération.

Le dispositif retenu superpose quatre grandes directions sectorielles et une direction chargée de la coordination des actions de développement.

La DGCID réunit quatre directions sectorielles chargées de l'élaboration et de la mise en oeuvre des actions de coopération :

- la direction du développement et de la coopération technique ;

- la direction de la coopération culturelle et du français ;

- la direction de la coopération scientifique, universitaire et de recherche ;

- la direction de l'audiovisuel extérieur et des techniques de communication.

Par ailleurs, deux missions veillent, d'une part, à la coopération multilatérale et, d'autre part, à la coopération non gouvernementale.

La coordination des actions de coopération incombera à la direction de la stratégie, de la programmation et de l'évaluation. Le service de la coordination géographique assure la coordination régionale de la programmation et le suivi des opérations sur le terrain tandis que le service de la programmation, des moyens et de l'évaluation assure la gestion financière des crédits destinés à l'aide publique au développement (même si les crédits spécifiques du Fonds de solidarité prioritaire -FSP- et ceux mis en oeuvre par l'Agence française de développement sont gérés par le bureau du FSP au sein de la direction de la coopération technique).

Ainsi, le circuit de décision superpose l'intervention d'au moins deux services - un service sectoriel, un service coordonnateur. Il n'est pas sûr que cette nouvelle organisation toute cartésienne permette de raccourcir les délais d'instruction des dossiers.

Par ailleurs, d'autres services concourent à l'aide publique au développement :

- le service des affaires francophones ;

- la direction des Nations unies et des organisations internationales pour l'aide publique au développement multilatérale ;

- le service de l'action humanitaire, responsable, en particulier, de la gestion du Fonds d'urgence humanitaire et de la dotation (chapitre 42-26) dévolue au transport de l'aide alimentaire d'urgence.

Au total, en administration centrale, près de 580 agents -dont 530 à la DGCID- gèrent directement les crédits à l'aide publique au développement.

Le regroupement des structures de l'administration centrale a eu pour corollaire la transformation des missions de coopération et d'action culturelle en service de coopération au sein des ambassades.

. L'alignement des missions de coopération sur le modèle commun des services d'une ambassade : un processus encore inachevé .

La suppression, à compter du 1 er janvier 1999 des missions de coopération (par le décret n° 98-1238 du 29 décembre 1998) a d'ores et déjà entraîné une réorganisation des services extérieurs.

D'abord, les anciens chefs de mission, précédemment nommés par décret du Président de la République, sont devenus conseillers de coopération et d'action culturelle désignés par arrêté du ministère des affaires étrangères. Ils dirigent les service de coopération et d'action culturelle (SCAC), au sein de l'ambassade. Dans le dispositif antérieur, les chefs de mission, placés sous l'autorité théorique de l'ambassadeur, s'autorisaient des contacts directs avec l'administration de l'ex-ministère de la coopération pour revendiquer une large part d'autonomie. L'alignement de la mission de coopération sur le modèle commun du service d'une ambassade et l'intégration, à l'échelon central, de l'administration de la coopération au sein du ministère des affaires étrangères devrait en principe mettre un terme au dualisme des fonctions d'autorité souvent observé dans les pays de l'ancien champ de la coopération.

En outre, en 1999, période de transition, le conseiller de coopération et d'action culturelle disposait de dotations spécifiques et conservait la qualité d'ordonnateur secondaire. A partir de 2000, le responsable du SCAC deviendra ordonnateur délégué de l'ambassadeur, institué, quant à lui, ordonnateur secondaire.

En second lieu, si la situation des personnels en poste dans les SCAC reste temporairement régie par les dispositions antérieures, en cas de mutation de poste à poste ou de nouvelle affectation, en revanche, les personnels sont désormais gérés par les dispositions propres au ministère des affaires étrangères (arrêté du 1 er juillet 1996 modifié par les agents détachés ; arrêté du 28 mars 1967 modifié pour les agents titulaires). En effet, en accord avec le contrôle financier, cette mesure, destinée en principe à s'appliquer après la fusion des corps et l'harmonisation des textes, a été anticipée à la date de tout nouveau mouvement effectué en 1999 et, principalement, pour le mouvement général de septembre dernier.

Dès cette année, dans un souci de gestion plus rationnelle des crédits, le rapprochement des structures comptables de l'ambassade, du SCAC et de la mission militaire a été recherché afin d'assurer une fusion effective au début de l'année prochaine. Ce mouvement devrait aboutir à la création d'un service administratif et financier unique chargé de coordonner la gestion de crédits du département. Il faut par ailleurs signaler d'ores et déjà plusieurs économies d'échelle :

- suppression des quotes-parts existantes pour des consommations en commun (énergie électrique, communications , etc...) ;

- regroupement du parc automobile ;

- regroupement du parc immobilier avec l'instauration d'une commission du logement sous l'autorité de l'ambassadeur pour les affectations au départ d'un agent logé dans un immeuble appartenant à l'Etat français.

b) des économies d'échelle encore mal mesurées pour les personnels

La plupart des personnels du ministère de la coopération ont été affectés, d'une part, à la direction générale de l'administration (au sein de laquelle ont été intégrés les services venant de la direction de l'administration générale de la coopération), d'autre part, à la DGCID.

Les transferts de personnels ont ainsi obéi à la répartition suivante : 167 agents -soit 32 %- de l'effectif total du ministère de la coopération ont rejoint la DGA, 253 -soit 48 %- la DGCID et 104 -soit 20 %- divers autres services du département.

La réorganisation de l'administration devrait se traduire par des économies d'effectifs évaluées à une centaine de postes . C'est ainsi que la fusion de la direction générale de l'administration et de la direction de l'administration générale a permis de redéployer quelques 37 emplois vers d'autres services du département. La mise en place de la DGCID a, quant à elle, conduit à l'économie d'une cinquantaine de postes tandis que la disparition de la sous-direction des personnels de coopération programmée pour le 1 er janvier prochain dégagera 13 emplois supplémentaires.

Les différences de statut entre les personnels des affaires étrangères et de la coopération ont longtemps dissuadé toute tentative de rapprochement entre les deux administrations. L'unification des statuts représente en effet une tâche d'une ampleur considérable.

La situation statutaire des agents issus des deux ministères n'a pas été remise en cause pendant la période transitoire de l'année 1999. Trois séries de dispositions réglementaires (soumises au nouveau comité technique paritaire du ministère des affaires étrangères réuni les 22 et 23 juin dernier) prévoient :

- l'intégration des administrateurs civils de la coopération dans le corps des conseillers des affaires étrangères ;

- l'intégration des attachés d'administration centrale de la coopération au sein d'un corps nouveau des secrétaires des affaires étrangères (formés des attachés des deux ministères, des secrétaires-adjoints des affaires étrangères et des contractuels de catégorie A titularisés dans ce corps) ;

- l'intégration au sein du corps homologué d'administration centrale des affaires étrangères des corps de catégorie B et C de la coopération.

La réforme, dans ses aspects statutaires, ne devrait pas emporter de conséquences négatives sur la rémunération indiciaire et la carrière des agents de la coopération dans la mesure où les corps homologués ou spécifiques qu'ils intégreront présentent une grille indiciaire et un déroulement des carrières identiques à ceux de leur corps d'origine.

2. Les risques de dispersion

a) Une coordination encore lacunaire

L'éparpillement de l'aide publique au développement entre plusieurs administrations appelait la mise en place d'une instance de coordination.

La fusion des services de la coopération au sein du ministère des affaires étrangères répond naturellement à cette préoccupation. Toutefois, le nouvel ensemble ne gère que 28 % de l'aide publique bilatérale. Bercy forme l'autre pôle majeur avec 36 % de l'aide.

L'aide publique au développement

 

1998 1

1999²

Aide bilatérale

- Ministère des affaires étrangères et de la coopération

- Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et Agence française de développement

- Autres ministères

- Coûts administratifs

24 686

7 481

5 890

9 715

1 600

21 625

6 140

7 819

6 066

1 600

APD multilatérale

- Aide européenne

- Banque et fonds de développement

- Nations unies

- FMI (FASR)

9 186

4 613

2 324

709

1 540

10 050

6 250

2 813

640

347

TOM

4 519

4 601

TOTAL

33 872

36 276

1 Exécution

² Prévision d'exécution associée à la LFI

Le ministère des affaires étrangères, loin de se trouver conforté par la réforme de la coopération, s'est vu relégué à la deuxième place , derrière les Finances, pour la gestion de l'aide bilatérale.

Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) institué dans le cadre de la réforme par décret du 4 février 1998 avait pour vocation de conférer une inspiration commune à une politique de coopération souvent commandée par des logiques diverses entre Bercy et le Quai. Cette tentative n'avait rien d'inédit. Rappelons-le, elle faisait suite au comité interministériel d'aide au développement (CIAD) dont les résultats s'étaient avérés décevants. La nouvelle instance se réunit une fois par an dans une formation assez lourde 3( * ) . Constitue-t-elle dès lors le cadre le plus adapté pour assurer une direction politique commune à l'aide au développement ? On peut en douter.

Le CICID s'est réuni pour la première fois, sous la présidence du Premier ministre, le 28 janvier 1999. Il a pris cinq décisions d'inégale portée :

- désignation de M. Claude Villain, inspecteur général des finances comme président du groupe de travail interministériel chargé de la préparation du rapport annuel d'évaluation de l'efficacité de la coopération et de l'aide au développement de la France ;

- accord de principe sur l'organisation d'un débat parlementaire non budgétaire, relatif à la politique de coopération internationale de la France et à ses orientations ;

- approbation du projet de décret paru le 10 février 1999, portant création du Haut conseil de la coopération internationale ;

- définition, surtout, de la zone de solidarité prioritaire (ZSP) sur laquelle votre rapporteur reviendra ;

- instruction donnée par le Premier ministre aux ministères chargés du cosecrétariat du CICID de lui remettre des propositions en vue d'une réforme du FAC, avant la fin du mois de juin 1999.

. Le Haut conseil de la coopération internationale

La coopération va-t-elle suivre les voies de la francophonie avec la multiplication d'institutions dont le rôle n'apparaît pas toujours clairement e dont les compétences se recoupent. La création du Haut conseil de la coopération internationale vise en principe à mieux impliquer la " société civile " dans la coopération internationale de la France.

Les missions confiées au Haut conseil présentent une portée limitée. En effet, cette institution :

- émet des avis et formule des recommandations sur les politiques bilatérales et multilatérales de la France ainsi que sur l'action des opérateurs privés en matière de coopération internationale ;

- propose toute mesure de nature à faciliter les échanges sur les diverses actions publiques et services de coopération ;

- remet chaque année un rapport, rendu public ;

- organise éventuellement une conférence de coopération internationale regroupant l'ensemble des acteurs publics et privés.

Les crédits nécessaires à son fonctionnement seront inscrits au budget du ministère des affaires étrangères.

b) Quelle réelle priorité pour la " zone de solidarité prioritaire " ?

Les contours de la zone de solidarité prioritaire ont été définis par le comité interministériel pour la coopération et le développement le 28 janvier dernier. Le choix du pays prend en compte trois séries de critères.

En premier lieu, la ZSP réunit les pays les moins développés en termes de revenu et n'ayant pas accès aux marchés de capitaux.

Ensuite, la solidarité de la France s'exerce plus particulièrement vis-à-vis des Etats francophones.

Enfin, la définition de la ZSP vise aussi à renforcer la cohérence régionale des actions de développement . Une stratégie régionale de coopération et la mise en oeuvre de projets rassemblant plusieurs pays devrait, d'après le ministre délégué à la coopération, permettre de dégager certaines synergies.

La liste des pays retenus peut être révisée chaque année. Après les décisions du CICID du 28 janvier 1999, la ZSP réunit 60 Etats .

Zone de solidarité prioritaire en 1999

Anciens pays du champ

Extension en 1999

 

Bénin

1978

Djibouti

Liban

 

Burkina-Faso

1980

Guinée Equatoriale

Palestine

 

Cameroun

 

Gambie

Afrique du Sud

 

Centrafrique

 

Sainte-Lucie

Algérie

 

Congo

 

Grenade

RD Congo

 

Côte d'Ivoire

1983

Dominique

Erythrée

1959

Gabon

 

Saint-Vincent

Ethiopie

 

Madagascar

 

St Kittes et Neviez

Ghana

 

Mali

1984

Guinée Conakry

Guinée

 

Mauritanie

1985

Angola

Kenya

 

Niger

 

Mozambique

Liberia

 

Sénégal

1990

Namibie

Maroc

 

Tchad

1993

Cambodge

Ouganda

 

Togo

 
 

Sierra Leone

 

Zaïre

 
 

Tanzanie

1964

Rwanda

 
 

Tunisie

 

Burundi

 
 

Zimbabwe

1971

Maurice

 
 

Laos

1973

Haïti

 
 

Vietnam

1975

Comores

 
 

Cuba

 

Cap Vert

 
 

République dominicaine

1976

Guinée Bissau

 
 

Petites Antilles

 

Sao Tomé

 
 

Surinam

 

Seychelles

 
 

Vanuatu

Les moyens de financement

Outre les crédits du titre IV mis à la disposition de nos ambassades pour la coopération et l'action culturelle, scientifique et technique, les deux principaux instruments de coopération au sein de la ZSP reposent sur les financements de l'Agence française de développement et le Fonds d'aide et de coopération (devenu Fonds de solidarité prioritaire).

Aucun pays ne dispose d'un droit de tirage automatique qui serait attribué selon des clés de répartition prédéfinies. En principe, un " accord de partenariat pour le développement " conclu avec chaque pays de la ZSP précisera dans un cadre pluriannuel les différents types de coopération définis d'un commun accord : développement, coopération militaire mais aussi maîtrise du flux migratoire. Un " document-cadre de partenariat " transcrira les termes de cet accord.

A ce jour, les accords de partenariat signés sont peu nombreux : cinq au total l'ont été (avec le Mali, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Mauritanie et le Tchad).

La procédure risque de se révéler assez lourde. Une approche par projets répond, semble-t-il davantage aux exigences de rapidité et d'efficacité .

. Une zone de solidarité vraiment " prioritaire " ?

La mise en place de la zone de solidarité prioritaire permettra-t-elle vraiment de mobiliser les ressources nécessaires pour l'aide au développement ? Dans ce cas, elle marquerait une nette inflexion d'une tendance observée depuis cinq ans.

Evolution des ressources accordées au titre de l'aide publique au développement aux pays de la zone de solidarité prioritaire

 

1994

1995

1996

1997

1998

APD bilatérale

36 706

32 085

29 438

27 877

24 688

Aide bilatérale
Zone de solidarité prioritaire

19 241

15 112

14 198

13879

11 025

En % du total

52 %

47 %

48 %

50 %

45 %



Non seulement l'aide destinée aux pays de la ZSP s'est réduite de 33 % entre 1994 et 1998 mais sa part au sein de l'aide totale est passée, sur la même période, de 52 % à 45 %.

Le mouvement sera-t-il enrayé ? Rien dans les moyens consacrés à la ZSP dans le projet de budget pour 2000 ne permet de l'attester.

L'extension de la zone de solidarité prioritaire soulève un problème de principe et de cohérence.

Une trop grande dispersion de nos moyens peut conduire à une dilution de notre influence
. A vouloir assurer notre présence dans l'ensemble des pays en développement, nous courons le risque, surtout au moment où les moyens financiers sont limités, de ne compter vraiment nulle part.

Certes, la zone de solidarité prioritaire n'a reçu pour l'heure aucune traduction budgétaire. Pourquoi dès lors avoir élargi considérablement le champ des pays bénéficiaires de l'aide au développement ? Aussi bien, cette réforme contestable dans son principe pose aussi un problème de cohérence au regard des moyens budgétaires mis en oeuvre.

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