Rapport n° 155 (2000-2001) de M. Louis SOUVET , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 19 décembre 2000

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N° 155

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 décembre 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à la lutte contre les discriminations ,

Par M. Louis SOUVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Jean-Yves Autexier, Paul Blanc, Claire-Lise Campion, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Hethener, Claude Huriet, André Jourdain, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Roland Muzeau, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2566 , 2609 et T.A. 565 .

Sénat : 26 (2000-2001)

Droits de l'homme et libertés publiques

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La lutte contre les discriminations constitue un élément essentiel de notre pacte républicain.

L'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose, en effet, que : " Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ".

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 proclame que : " Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ".

Par ailleurs, l'article premier de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que la France " assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ".

Ces principes qui constituent nos références premières et le fondement de notre organisation politique ont naturellement inspiré la construction européenne conduite aujourd'hui par quinze peuples démocratiques.

L'article 6 du traité sur l'Union européenne a rappelé, à cet égard, que l'Union était fondée sur " les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'Etat de droit ".

La construction européenne ne se résume pas à l'établissement d'un grand marché. Elle vise également à bâtir une Communauté de droit. Dans cette perspective, les lignes directrices pour l'emploi en 2000, approuvées par le Conseil européen de Helsinki les 10 et 11 décembre 1999, ont souligné la nécessité de promouvoir un marché du travail favorable à l'insertion sociale en formulant un ensemble cohérent de politiques destinées à lutter contre les discriminations.

Nul ne conteste aujourd'hui la nécessité de lutter contre les discriminations. Cette action est même indispensable si l'on veut arrimer à la République des quartiers et des citoyens qui ont eu tendance à s'en éloigner ces derniers temps. Elle constitue le complément indispensable des politiques économiques et sociales comme des politiques de l'éducation et de sécurité.

Ce souci de faciliter l'accès de tous au marché du travail devrait être d'autant mieux partagé que l'on assiste aujourd'hui au développement de pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs d'activité comme nous l'a rappelé dernièrement notre collègue Alain Gournac à l'occasion de la discussion de la proposition de loi permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre 1 ( * ) .

La période de croissance actuelle constitue, à cet égard, une occasion irremplaçable de faire évoluer les mentalités pour permettre à chacun l'accès au marché du travail et à l'égalité de traitement.

Cette préoccupation a abouti, au niveau européen, à l'adoption, le 29 juin 2000, d'une directive 2 ( * ) relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique dont l'un des moyens consiste à aménager les règles concernant la charge de la preuve dès lors qu'il existe une présomption de discrimination.

Cette directive reprenait certaines dispositions déjà prévues par une autre directive, celle du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe 3 ( * ) .

Le Gouvernement avait envisagé de transcrire en droit interne certaines dispositions de ces directives à l'occasion de l'examen du projet de loi de modernisation sociale 4 ( * ) .

Le retard constaté dans l'examen de ce texte a amené M. Jean Le Garrec et les membres du groupe socialiste à déposer une proposition de loi reprenant quatre articles du projet de loi de modernisation sociale. Cette proposition de loi a été adoptée en première lecture le 12 octobre par l'Assemblée nationale.

Votre commission des Affaires sociales vous proposera d'adopter ce texte tel que modifié par les amendements qu'elle a préparés.

Ces amendements ont notamment pour objet de revenir chaque fois que nécessaire au texte des directives qui semble plus clair et plus équilibré que certaines dispositions adoptées par l'Assemblée nationale.

I. UNE PROPOSITION DE LOI DIRECTEMENT INSPIRÉE PAR LA LÉGISLATION EUROPÉENNE

A. LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS CONSTITUE UNE NÉCESSITÉ

1. Des discriminations en voie de développement

Comme en attestent plusieurs rapports 5 ( * ) et les témoignages quotidiens des victimes, les discriminations sont une réalité dans notre pays.

Elles peuvent reposer notamment sur la nationalité, l'origine, le sexe, les opinions politiques ou religieuses. Elles peuvent aussi avoir pour fondement l'âge, l'apparence physique ou le handicap. Par ailleurs, les motifs peuvent se cumuler.

Les discriminations peuvent prendre des formes diverses : refus d'embauche, carrière entravée, difficulté à trouver un logement, accès interdit aux " boîtes de nuit ", voire des relations difficiles avec certains services publics.

Les discriminations sont cependant difficiles à cerner et à démontrer. Etant par nature contraires à la morale publique et à notre culture républicaine, elles sont rarement affichées et encore moins revendiquées. Elles prennent la forme de comportements, d'attitudes qui ont pour conséquence l'exclusion de la vie sociale d'une partie de la communauté nationale et des étrangers vivant sur notre sol.

2. Des politiques de l'intégration menacées

Dans une étude remarquée 6 ( * ) , l'association " France moderne " présidée par M. Alain Juppé, a dressé récemment un constat inquiétant de la montée des discriminations au travail.

Ce constat confirme que la première discrimination concerne l'accès au travail des étrangers et des salariés français d'origine étrangère. En mars 1998, le taux de chômage des Français était de 11 % alors que celui des salariés étrangers, hors Union européenne, était de 31 %, soit le triple. Cette situation était plus accentuée encore en ce qui concernait les jeunes, l'évolution du taux de chômage des jeunes étrangers (15-24 ans) variant de 22 % à 43 % entre 1992 et 1996 alors que le taux de chômage des jeunes Français passait de 16,2 % à 21 % durant la même période.

Comme le soulignaient les auteurs de l'étude, cela signifie concrètement que " dans certaines cités, un jeune sur deux, voire plus, est au chômage ou alterne petits boulots et chômage ".

Cette situation est d'autant plus préoccupante que le niveau de formation ou la maîtrise de la langue n'expliquent pas entièrement ce phénomène qui est, pour une part au moins, dû à l'existence de discriminations lors de l'accès au premier emploi. Les cas existent, même s'ils sont rares de discriminations ouvertes prenant par exemple le forme de mentions sur les offres d'emploi comme " BBR " (bleu, blanc, rouge) ou " profil : race blanche ", mais le plus souvent ces pratiques restent non écrites.

Des estimations ont permis de considérer que les discriminations pouvaient concerner jusqu'à 30 %, voire 50 % des offres dans certaines catégories d'emploi.

Avec de telles pratiques, les jeunes finissent par se convaincre qu'on ne leur donne pas leur chance et que tous les employeurs ont des pratiques discriminatoires.

Plus grave, comme le souligne l'étude citée précédemment, c'est l'adhésion de ces jeunes aux principes républicains qui est aujourd'hui en question.

Par ailleurs, il serait hasardeux de considérer que ces difficultés rencontrées par certains jeunes pour accéder au marché du travail n'influencent en rien le climat conflictuel qui règne dans certains quartiers " difficiles ".

Dans ces conditions, la lutte contre les discriminations apparaît comme une priorité, puisqu'elle conditionne, en plus de l'accès à l'emploi, le succès d'autres politiques, comme celles de l'éducation, de la culture, de la solidarité...

L'engagement de votre commission des Affaires sociales dans la lutte contre les discriminations est ancien et se manifeste régulièrement. On peut rappeler à cet égard qu'elle avait, en décembre 1998, invité le Gouvernement, dans une résolution, à proposer une modification des lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres pour 1999, tendant à préciser que " les Etats membres s'attacheront à interdire toutes les formes de discrimination dans l'accès au marché du travail " 7 ( * ) .

C'est donc avec une certaine sérénité qu'elle vous proposera de transcrire des directives européennes qui répondent à une de ses préoccupations constantes.

B. LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS NÉCESSITE DES MODIFICATIONS LÉGISLATIVES

1. La législation française n'est plus adaptée aux enjeux

Le service des Affaires européennes du Sénat a réalisé dernièrement une étude de législation comparée concernant les politiques de " lutte contre les discriminations sur les lieux de travail ".

Sans revenir sur le contenu de cette étude publiée en annexe 8 ( * ) de ce rapport, on peut néanmoins observer qu'elle laisse apparaître une hétérogénéité des législations en Europe et des degrés divers dans le développement des moyens de recours.

On remarque en particulier, par comparaison, le retard pris par la France dans l'adaptation de sa législation aux nouveaux enjeux auxquels doivent faire face les politiques de l'intégration et l'exigence républicaine de respect du principe d'égalité.

Même si cela n'est pas sans présenter de réelles difficultés, notamment dans la gestion des entreprises, il apparaît nécessaire d'aménager le régime de la preuve pour permettre aux victimes de discriminations de faire valoir leurs droits. Cette évolution est devenue d'autant plus urgente qu'elle est prévue par plusieurs directives européennes.

2. La législation européenne dresse les contours d'une évolution nécessaire

La législation française va devoir être modifiée pour prendre en compte les dispositions prévues par plusieurs directives européennes.

L'article 8 de la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique 9 ( * ) , prévoit en particulier que " dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement ".

Ce principe était déjà énoncé par l'article 4 de la directive européenne du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe 10 ( * ) .

Ces deux directives doivent être transcrites en droit interne, c'est-à-dire que le droit national doit être modifié lorsque cela est nécessaire afin de ne pas contredire le texte de la directive. Ces transcriptions devront avoir été effectuées avant le 1 er janvier 2001 pour la directive du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe et avant le 19 juillet 2003 pour la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique .

Or, l'examen du droit en vigueur révèle la nécessité de modifications législatives.

L'article L. 122-45 du code du travail prévoit en effet que " aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou être sanctionnée ou licenciée en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de sa situation de famille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race ou de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail (...), en raison de son état de santé ou de son handicap ".

Pour être conforme à la directive du 29 juin 2000, cette rédaction doit être complétée afin de prendre en compte l'ensemble des conditions d'emploi et de travail (formation, promotion, reconversion, rémunération...). Elle doit surtout être modifiée pour tenir compte du nouveau régime de la charge de la preuve prévu par la directive.

II. UNE PROPOSITION DE LOI QUI AMÉNAGE LE RÉGIME DE LA CHARGE DE LA PREUVE

A. UN ÉQUILIBRE FRAGILE QUI DOIT ÊTRE PRÉSERVÉ

1. Les textes européens ont cherché à établir un équilibre entre plusieurs objectifs

Ce nouveau régime ne constitue pas une inversion " pure et simple " de la charge de la preuve.

Autant dans notre droit, il incombait au plaignant d'établir la preuve de ses dires, autant la nouvelle procédure cherche à établir un certain équilibre afin d'obliger les parties à présenter chacune leurs arguments pour permettre à une tierce partie de se faire son opinion et de trancher.

Il s'agit là néanmoins d'un changement déjà considérable et qui n'est pas sans risque.

Ce changement trouve sa justification dans les difficultés que connaissent les plaignants à prouver leurs dires comme en témoigne le faible nombre des recours devant les tribunaux et le nombre encore plus faible des décisions de justice favorables aux plaignants.

Les risques sont cependant évidents. L'aménagement de la charge de la preuve, en obligeant l'employeur à se justifier sur sa décision, ouvre la porte à des recours qui pourraient ne pas tous être mus par le désir de réparer une injustice mais qui s'expliqueraient également par la volonté d'obtenir raison d'une décision défavorable rendue sur des critères légitimes tenant, par exemple, à une différence de formation, d'aptitude, d'expérience voire même à une différence plus subjective tenant au profil, au tempérament ou à la sympathie.

En cela, l'aménagement du régime de la preuve accroît le contrôle sur les décisions de l'entrepreneur et fait même peser sur lui comme une présomption de culpabilité.

Chacun sait en effet que, dans notre société, le fait d'avoir à rendre des comptes à la justice équivaut trop souvent à une condamnation aux yeux d'une partie de l'opinion. Qui pourra affirmer qu'un chef d'entreprise obligé de se justifier de n'avoir pas agi selon des visées racistes, puis innocenté, n'aura pas à subir la même opprobre ?

Pour limiter les risques de dérive, le législateur européen a fort heureusement prévu que le plaignant devra " établir (...) des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination " 11 ( * ) . Par faits, il convient de comprendre des faits connus qui servent à constituer la preuve par présomption.

Un fait, comme un indice, est plus aisé à établir ou à rassembler qu'une preuve. Néanmoins, il se distingue du soupçon, de l'impression voire de la rumeur. On peut donc estimer que le législateur européen a trouvé un bon équilibre et qu'il convient de ne pas s'en écarter.

2. Le texte adopté par l'Assemblée nationale ne présente pas toutes les garanties d'équilibre et de clarté nécessaires

La présente proposition de loi comprend huit articles, dont quatre articles additionnels ajoutés lors de la discussion à l'Assemblée nationale. Les quatre premiers articles constituent en fait une reprise des articles 46, 47, 48 et 49 du projet de loi de modernisation sociale déposé à l'Assemblée nationale le 24 mai dernier.

L'article premier de la proposition de loi aménage le régime de la charge de la preuve concernant l'ensemble des discriminations. L'article 4 fait de même en ce qui concerne le domaine spécifique des discriminations fondées sur le sexe.

La rédaction retenue dans chaque cas s'éloigne du texte de la directive. En effet, selon le texte adopté par l'Assemblée nationale, le salarié doit présenter des " éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte " à l'appui de sa plainte alors que la directive prévoit que le plaignant " établit (...) des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination ".

De deux choses l'une, ou les deux membres de phrases ont le même sens et l'on ne voit pas l'intérêt de s'éloigner de la directive ou ce n'est pas le cas et il faudrait que les auteurs précisent leurs intentions.

De même, les directives ont prévu qu'il incombait " à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement " alors que l'Assemblée nationale prévoit, quant à elle, reprenant mot pour mot la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'il lui incombe de prouver que sa décision " est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ".

Dans ce cas, la différence est plus sensible notamment du fait de la référence à des " éléments objectifs ". Il s'agit là de termes ambigus. Pourquoi une décision de recrutement ne pourrait-elle pas être déterminée, au moins partiellement, par des éléments subjectifs comme l'intuition, la sympathie ou le dynamisme ? Les entreprises ne recrutent pas par concours anonyme. A trop vouloir en faire, on risque d'obtenir un résultat inverse à l'effet recherché. Comment le juge pourrait-il former sa conviction si le plaignant ne lui présente pas des faits et si l'on oblige l'employeur à n'évoquer que des éléments " objectifs " ?

L'intérêt des parties comme l'efficacité des mesures de lutte contre les discriminations résident dans notre capacité à modifier en profondeur les comportements individuels et non en l'affaiblissement de l'employeur qui deviendrait alors le bouc émissaire de l'échec partiel de nos politique d'intégration.

L'Assemblée nationale et le Gouvernement ont souhaité s'inspirer davantage de l'évolution de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation que du texte des directives européennes. En effet, le texte de la proposition de loi s'inspire très largement d'un arrêt rendu dernièrement par la Chambre sociale de la Cour de cassation 12 ( * ) . Il en résulte des dispositions qui sont soit floues, soit excessives, mais qui ont en commun de placer le juge en position d'arbitre, ayant à se faire son opinion en dehors d'éléments matériels, ce qui est toujours risqué.

Force est de constater qu'une fois de plus la majorité et le Gouvernement ont choisi de transcrire dans la loi les arrêts de la Cour de cassation plutôt que des directives européennes. Pareille situation s'était produite lors de la discussion du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail à propos de la définition du temps de travail effectif.

L'arrêt de M. Fluchère et autres c/SNCF
de la Cour de Cassation du 28 mars 2000

(...) Attendu que, selon l'arrêt attaqué, MM. Dick et Fluchère, entrés respectivement en 1964 et 1970 à l'établissement d'Avignon de la SNCF, tous deux agents de conduite exerçant ou ayant exercé de nombreux mandats représentatifs et syndicaux, ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts en se prévalant d'un préjudice résultant du déroulement retardé de leur carrière, conséquence de la prise en considération par l'employeur de leurs activités syndicale et de représentation du personnel ;

Attendu que pour débouter MM. Dick et Fluchère de leurs demandes de dommages-intérêts pour préjudice de carrière, la cour d'appel énonce, par motifs adoptés, que les dispositions statutaires prévoient les conditions dans lesquelles la hiérarchie, seule compétente pour le faire, accorde les avancements qu'elle estime mérités et que, dès lors, il n'est pas établi que les demandeurs n'ont pas eu la carrière que justifiaient leur qualification, assiduité et leurs compétences et, par motifs propres, qu'aucun des agents ne faisant la démonstration qu'il y aurait eu à son égard discrimination en raison de son appartenance syndicale ; que le juge n'a pas qualité pour se substituer à l'employeur quant à l'appréciation de la qualification, de la compétence, le cas échéant de la disponibilité et autres éléments qui gouvernent les décisions d'affectation des agents à des postes déterminés et que les pièces produites ne permettent pas de penser que la carrière des agents concernés ne serait pas conforme à leurs qualités professionnelles propres ;

Attendu, cependant, qu'il appartient au salarié syndicaliste qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et qu'il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au syndicaliste, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que, d'une part, si le juge n'a pas à se substituer à l'employeur, il lui appartient de vérifier, en présence d'une discrimination syndicale invoquée, les conditions dans lesquelles la carrière des intéressés s'est déroulée, et alors, d'autre part, que la preuve de la discrimination n'incombait pas au salarié , la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs :

Casse et annule, dans toutes ces dispositions, l'arrêt rendu le 23 septembre 1997, entre le parties, par la cour d'appel de Nîmes (...).

Cette situation est préoccupante puisqu'elle encourage la Cour de cassation à s'éloigner parfois sensiblement des textes de loi qu'elle ne se limite plus à interpréter mais auxquels elle substitue sa propre vision des relations sociales, au besoin en s'inspirant plus ou moins de directives européennes dont le délai de transcription n'est pas échu.

Parmi les autres dispositions prévues par cette proposition de loi, on observera que l'article 2 prévoit :

- la possibilité pour les syndicats d'agir en justice sans avoir à justifier d'un mandat du salarié concerné ;

- la mise en place d'un droit d'alerte au bénéfice des associations ;

- et la reconnaissance de la nullité d'un licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice pour discrimination.

L'article 3 est plus particulièrement consacré à l'inscription dans les conventions collectives de dispositions concernant l'égalité de traitement entre salariés.

L'article 6 comprend les dispositions électorales relatives aux prud'hommes qui interdisent notamment à toute organisation prônant des discriminations de présenter des listes.

L'article 7 modifie la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales afin de protéger les salariés qui témoignent de mauvais traitements aux personnes accueillies dans des institutions et qui, de ce fait, font l'objet de discriminations.

Enfin, l'article 8 prévoit la création d'un service d'accueil téléphonique gratuit.

B. VOTRE COMMISSION SOUHAITE PROMOUVOIR UNE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS QUI N'OUBLIE PAS LA PRÉVENTION

1. La proposition de loi n'aborde pas suffisamment la prévention des discriminations

Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est davantage de pédagogie que de répression. A cet égard, force est de constater que les auteurs de la proposition de loi, comme le Gouvernement, ont préféré privilégier des dispositions à caractère répressif plutôt qu'une politique préventive.

Pourtant il existait une alternative. Les directives européennes de lutte contre les discriminations envisagent soit un mécanisme juridictionnel soit une voie de recours devant une instance ad hoc . Il aurait pu être intéressant de connaître les raisons qui ont fait privilégier le seul recours à la voie juridictionnelle. Ce choix est d'autant moins évident que les juridictions sont, comme chacun sait, déjà surchargées de plaintes et peinent à rendre leurs décisions dans un délai raisonnable, comme le montre l'affaire Fluchère qui a inspiré le texte de l'Assemblée nationale qui a été renvoyée devant une Cour d'appel, trois ans après un premier arrêt. Par ailleurs, rien n'interdisait de se poser la question de savoir si le juge de droit commun est le mieux à même de former sa conviction sur des éléments somme toute " subjectifs " dans un domaine aussi délicat que la lutte contre les discriminations et s'il ne valait pas mieux établir un " filtre " sous la forme d'une instance ad hoc .

En fait, loin de remettre en cause le renforcement des procédures juridictionnelles qui doivent demeurer, ne serait-ce que pour constituer un instrument puissant de dissuasion, il importe de s'interroger sur la possibilité de mener des politiques préventives.

Au Royaume-Uni, une commission pour l'égalité raciale est chargée de lutter contre les discriminations au besoin en menant des enquêtes ou en saisissant la justice.

Aux Pays-Bas, la commission pour l'égalité de traitement enquête sur les affaires de discrimination. Elle peut offrir sa médiation, voire entamer une procédure judiciaire.

En Belgique, le centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme aide les victimes de discriminations en leur fournissant informations et conseils et en se constituant partie civile.

Ces différentes commissions favorisent une résolution à l'amiable des plaintes. Leur action permet de sensibiliser les entreprises à la nécessité de lutter contre les discriminations comme en témoigne l'édiction de nombreux " codes de bonne conduite ".

La création, en France, d'une telle commission a été envisagée par M. Jean-Michel Belorgey dans un rapport de mars 1999 ayant pour objet d'analyser les adaptations nécessaires des structures administratives existantes pour " lutter contre les discriminations ". L'auteur évoquait la création d'une commission d'une quinzaine de membres qui aurait pu avoir les compétences suivantes :

- un pouvoir d'avis et de proposition sur les stratégies de lutte contre les discriminations ;

- un pouvoir de négocier avec les services publics et les organisations syndicales des " chartes de bonne conduite " ;

- le pouvoir de recevoir et d'instruire des réclamations ;

- le pouvoir de saisir d'autres autorités (exécutives, juridictionnelles ou indépendantes).

Cette nouvelle autorité indépendante aurait eu également selon M. Jean-Michel Belorgey pour mission d'établir dans un rapport annuel la situation des différents secteurs d'activité et de procéder à l'évaluation de la législation et de la réglementation applicable.

Les propositions semblaient toutefois moins abouties pour ce qui concerne les modalités de saisine de cette instance comme les conditions dans lesquelles elle prodiguerait une assistance juridique aux victimes.

Votre rapporteur s'interroge sur les raisons qui ont amené le Gouvernement à ne pas donner suite à la réflexion sur l'opportunité de la création d'une telle structure. Compte tenu de l'importance de la question, il ne s'interdit pas de mener son propre travail de réflexion concernant l'opportunité de créer une telle structure administrative indépendante.

2. Les propositions de votre commission des Affaires sociales

Votre commission vous propose d'adopter une dizaine d'amendements sur l'ensemble de ces articles.

Ces amendements participent tous de la même logique : permettre une lutte plus efficace contre les discriminations en préservant les droits des victimes comme ceux des responsables d'entreprise.

Les directives européennes ont établi les bases d'un équilibre entre ces différents objectifs complémentaires. Votre commission vous propose donc de revenir, chaque fois que nécessaire, à la lettre et à l'esprit des textes européens.

Les principales modifications qu'elle vous propose concernent donc l'aménagement de la charge de la preuve pour lequel elle considère que le texte de l'Assemblée nationale s'éloigne trop de la directive et l'action de syndicats qui, selon elle, ne doit pas pouvoir s'exercer sans l'accord écrit de la victime dans un domaine aussi sensible que les discriminations.

D'autres amendements ont également pour objet d'améliorer la rédaction de l'article 8 de la proposition de loi, relatif à la création d'un service d'accueil téléphonique gratuit.

*

Le texte que votre commission des Affaires sociales vous propose d'adopter ainsi modifié devrait permettre des progrès sensibles dans la lutte contre les discriminations sans pour autant compromettre la nécessaire marge de manoeuvre des entreprises dans la gestion de leur personnel.

EXAMEN DES ARTICLES

Intitulé de la proposition de loi

Les discriminations ne se limitent pas au lieu de travail. Elles concernent aussi, par exemple, le logement, les loisirs (problème d'accès dans les boîtes de nuit) et l'accès aux services publics.

La présente proposition de loi traite essentiellement les aspects relatifs aux discriminations dans l'emploi à l'exception d'un article relatif aux élections prud'homales qui constitue une sorte de " cavalier " ainsi qu'un article plus général sur la création d'un accueil téléphonique gratuit. Il n'y a, en particulier, aucune disposition relative au logement, l'article 50 du projet de loi de modernisation sociale qui y faisait référence n'a, en particulier, pas été repris par la présente proposition de loi 13 ( * ) .

Dans un souci de clarté, votre commission vous propose donc un amendement ayant pour objet de compléter le titre de la proposition de loi par les mots " dans l'emploi ", afin de mettre en cohérence l'intitulé de la proposition avec les dispositions du texte. Le titre ainsi modifié correspond à l'intitulé de la section 1 du chapitre III du projet de loi de modernisation sociale qui comprenait les quatre articles (46 à 49) qui constituent le texte initial de la proposition de loi.

Article premier
(art. L. 122-35, L. 122-45, L. 611-1 et L. 611-6 du code du travail,
art. 225-1 et 225-2 du code pénal)
Mesures discriminatoires
et aménagement du régime de la charge de la preuve

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le paragraphe I de cet article propose une nouvelle rédaction de l'article L. 122-45 du code du travail. Dans sa rédaction actuelle, cet article proscrit, dans son premier alinéa, les discriminations sur le lieu de travail à trois occasions (recrutement, sanction et licenciement), lorsqu'elles ont pour origine l'une des treize raisons citées (origine, sexe, moeurs, situation de famille, appartenance à une ethnie, une nation ou une race, opinions politiques, activités syndicales ou mutualistes, convictions religieuses, état de santé ou handicap).

L'Assemblée nationale a étendu le contrôle des discriminations à l'ensemble des aspects de la relation de travail (rémunération, formation, reclassement, qualification, classification, promotion professionnelle, mutation, renouvellement de contrat).

Elle a également étendu les raisons des discriminations à " l'orientation sexuelle ", à " l'apparence physique " et au " patronyme ".

Le deuxième alinéa de l'article L. 122-45, relatif aux discriminations motivées par l'exercice du droit de grève, a été complété de manière à être coordonné avec le premier alinéa et un nouvel alinéa a été introduit pour tenir compte de la situation des personnes ayant témoigné ou relaté de tels agissements discriminatoires.

Le principal apport de ce paragraphe réside néanmoins dans le quatrième alinéa de la nouvelle rédaction de l'article L. 122-45 qui aménage le régime de la charge de la preuve.

Le texte proposé par l'Assemblée nationale s'inspire très largement des conclusions de l'arrêt " Fluchère et autres c/SNCF " de la Chambre sociale de la Cour de cassation 14 ( * ) . Il prévoit en particulier une procédure en deux temps. Dans un premier temps, le salarié qui s'estime victime d'une discrimination doit présenter au juge " des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ". Et dans un second temps, " au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ". Enfin, il appartiendra finalement au juge de former sa propre conviction. Les termes retenus par l'Assemblée nationale se distinguent ainsi de la lettre des directives européennes telles qu'elle résulte de l'article 8 de la directive du 29 juin 2000 15 ( * ) et de l'article 4 de la directive du 15 décembre 1997 16 ( * ) .

L'expression " éléments de fait laissant supposer " apparaît à cet égard moins précise que celle faisant référence à " des faits qui permettent de présumer " que l'on trouve dans la directive. Cette différence appelle un débat. Comme le remarquait en effet M. Thierry Mariani, lors du débat à l'Assemblée nationale 17 ( * ) , on peut observer que l'aménagement de la charge de la preuve " ne doit pas se transformer (...) en une attribution de la charge de la preuve au défendeur, ce qui rendrait tout simplement sa défense impossible en lui imposant de trouver un fait négatif " 18 ( * ) .

Un autre problème a été relevé lors du débat à l'Assemblée nationale concernant le fait que l'entreprise devra justifier sa position au moyen d'éléments " objectifs ". Cette formulation appelle également quelques remarques. Comme le remarquait très justement M. Pierre Cardo lors du débat en première lecture, on peut considérer que : " l'employeur peut aussi se déterminer en fonction d'éléments purement subjectifs, néanmoins eux aussi étrangers à toute discrimination. Que se passera-t-il alors ? Sera-t-il hors la loi et condamné ou non ? ".

On peut regretter que le Gouvernement n'ait pas jugé bon de répondre aux remarques formulées par les deux parlementaires cités. Ceci d'autant plus que le texte des directives n'est pas aussi restrictif puisqu'il prévoit notamment " qu'il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement " .

On remarquera seulement que le Gouvernement a déclaré lors de la discussion de cet article premier que l'objectif poursuivi " n'est pas de renverser la charge de la preuve mais de faire en sorte que le juge se fasse son opinion après avoir entendu l'ensemble des éléments du dossier " 19 ( * ) .

Le paragraphe II de cet article modifie l'article L. 122-35 du code du travail relatif au règlement intérieur des entreprises. Il insère trois nouveaux motifs de discrimination dans la liste des dispositions lésant les salariés ne pouvant figurer dans le règlement intérieur, par coordination avec le paragraphe I, il s'agit de " l'orientation sexuelle ", de " l'apparence physique " et du " patronyme ".

L'expression " orientation sexuelle " figure dans plusieurs textes européens dont l'article 13 du traité d'Amsterdam 20 ( * ) . La référence à des discriminations fondées sur l'apparence physique ou le patronyme vise à tenir compte de cas d'espèce rencontrés ces derniers temps.

Le paragraphe III modifie l'article 225-1 du code pénal pour y introduire les mêmes dispositions que celles prévues par le paragraphe II. On peut rappeler que cet article du code pénal qualifie pénalement les distinctions à caractère discriminatoire tandis que l'article 225-1 prévoit les cas dans lesquels ces discriminations sont punies de deux ans d'emprisonnement et de 200.000 francs d'amende.

Le paragraphe IV élargit la liste des cas prévus à l'article 225-2 aux demandes de stage ou de période de formation en entreprise, ainsi qu'aux stages visés par l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire les étudiants ou élèves des établissements d'enseignement accomplissant des stages dans le cadre de leur scolarité ou de leurs études, les stagiaires effectuant des stages de formation professionnelle continue et les personnes accomplissant un stage de réadaptation fonctionnelle ou de rééducation professionnelle.

Le paragraphe V a pour objet d'étendre le contrôle des inspecteurs du travail à l'ensemble des discriminations constatées lors des sanctions, des embauches et des licenciements et non plus seulement aux atteintes portées à la règle de l'égalité professionnelle. Il modifie ce faisant l'article L. 611-1 du code du travail relatif aux missions des inspecteurs du travail, alors que le paragraphe VI réalise une modification semblable de l'article L. 611-6 relatif aux missions des inspecteurs du travail placés sous l'autorité du ministre de l'agriculture.

II - Les propositions de votre commission des Affaires sociales

Votre commission vous propose deux amendements de modification de l'article premier qui concernent plus particulièrement le quatrième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 122-45 du code du travail.

Un premier amendement propose de prévoir que l'action judiciaire nécessite, pour être engagée, l'établissement par le plaignant de faits permettant de présumer l'existence d'une discrimination comme le prévoit l'article 8 de la directive européenne du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique .

Le recours à l'expression " laissant supposer " ne semble pas en effet présenter toutes les garanties de rigueur juridique.

La nouvelle rédaction que votre commission vous propose d'adopter est plus précise et devrait permettre une amélioration des conditions du respect des droits des plaignants puisque les plaintes les plus solides sont celles qui reposent sur des faits, même peu nombreux. Elle constitue donc un facteur de sécurité juridique tant pour le plaignant que pour le défendeur.

Enfin, il convient d'observer que la principale novation du dispositif concerne l'obligation faite au défendeur de se justifier et non le fait de permettre des poursuites qui pourraient dans certains cas être infondées.

Le second amendement a précisément pour objet d'améliorer la rédaction proposée par l'Assemblée nationale concernant les obligations faites au défendeur dans l'établissement de la preuve au regard d'un litige relatif à une discrimination.

La nouvelle rédaction de l'article L. 122-45 prévoit qu'" il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ".

Sans remettre en cause cet objectif, il est apparu nécessaire à votre commission des Affaires sociales de se rapprocher davantage de la rédaction de la directive européenne du 29 juin 2000 qui prévoit qu'" il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement ".

C'est pourquoi votre commission vous propose d'établir qu'" il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision n'est pas contraire aux dispositions énoncées aux alinéas précédents " de l'article.

Cette nouvelle rédaction est plus claire. Elle permet d'éviter des contentieux compliqués qui auraient pu tourner autour des différentes façons d'interpréter la notion " d'élément objectif ". Chacun d'entre nous sait bien, en effet, que la politique des ressources humaines d'une entreprise comprend une part de subjectivité qui ne peut être assimilée à des mesures discriminatoires.

Outre les modifications proposées concernant les modalités de l'aménagement de la charge de la preuve, votre commission des Affaires sociales s'est interrogée sur la cohérence des différents articles ayant pour objet de dresser " l'inventaire " des discriminations à proscrire dans l'emploi.

La comparaison des articles L. 122-45 et L. 122-35 du code du travail et de l'article 225-1 du code pénal laisse apparaître des divergences difficilement explicables.

Certaines divergences préexistaient à la proposition de loi et n'ont pas été corrigées. Il s'agit de l'absence de mention de l'appartenance à une ethnie, à une nation ou à une race, ainsi que de la pratique d'activités syndicales et mutualistes et de l'état de santé, dans l'article L. 122-35 du code du travail, relatif au règlement intérieur.

Il s'agit aussi de l'absence de mention des activités mutualistes dans l'article 225-1 du code pénal.

Enfin, on note la présence d'expressions différentes dans les trois articles pour désigner selon toute vraisemblance une même réalité. Les divergences ne sont pas sans poser problème compte tenu du fait que des " opinions " ( art. L. 122-35 du code du travail ) ne se limitent pas aux " opinions politiques " ( art. L. 122-45 du code du travail et art. 225-1 du code pénal ). De même, la référence aux " convictions religieuses " ( art. L. 122-45 du code du travail ) ne se confond pas avec celle relative à des " confessions " ( art. L. 122-35 du code du travail ) ou à une " religion " ( art. 225-1 du code pénal ).

Des divergences difficilement explicables
dans " l'inventaire " des motifs de discriminations

Motif de la
discrimination

Art. L. 122-45
du code du travail

Art. L. 122-35
du code du travail

Art. 225-1
du code pénal

Origine

X

X

X

Sexe

X

X

X

Moeurs

X

X

X

Orientation sexuelle

O

O

O

Situation de famille

X

X

X

Appartenance à une ethnie

X

-

X

Appartenance à une nation

X

-

X

Appartenance à une race

X

-

X

Opinions politiques

X

X
(opinions)

X

Activités syndicales

X

-

X

Activités mutualistes

X

-

-

Convictions religieuses

X

X
(confessions)

X
(religion)

Apparence physique

O

O

O

Patronyme

O

O

O

Etat de santé

X

-

X

Handicap

X

X

X

Age

-

-

-

X : droit en vigueur

O : ajout de l'Assemblée nationale

- : absence de référence

Ces divergences constituent une source de confusion. Par ailleurs, il convient d'observer qu'aucun des trois articles ne fait référence aux discriminations fondées sur l'âge qui sont pourtant mentionnées par l'article 13 du traité d'Amsterdam et qui constituent également une réalité, notamment dans l'embauche et le licenciement.

Sous réserve de ces remarques, votre commission des Affaires sociales vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

Art. 2
(art. L. 122-45-1 et L. 122-45-2 nouveaux et L. 422-1-1 du code du travail)
Action en justice des organisations syndicales et nullité d'un licenciement à raison de l'action de justice

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le paragraphe I de cet article crée un nouvel article L. 122-45-1 dans le code du travail qui ouvre aux organisations syndicales la possibilité d'agir en justice à la place du salarié ou du candidat à l'embauche victime de discrimination sur le modèle de ce que prévoit déjà l'article L. 123-6 du même code en matière de harcèlement sexuel. Le salarié est seulement informé par écrit de cette action et dispose d'un délai de quinze jours pour s'y opposer.

Le paragraphe I prévoit aussi un droit d'alerte au bénéfice des associations régulièrement constituées depuis cinq ans au moins. Elles se voient reconnaître la possibilité de saisir les organisations syndicales pour leur demander d'ester en justice sur le fondement des discriminations à l'emploi qu'elles auraient constatées.

Le paragraphe I bis crée un nouvel article L. 122-45-2 du code du travail qui vise à mettre en place un dispositif de réintégration spécifique au profit du salarié licencié en raison d'une action en justice engagée par lui ou par une organisation syndicale en sa faveur contre une mesure discriminatoire.

Ce nouvel article, qui résulte d'un amendement présenté par M. Vuilque, rapporteur, M. Aschieri et M. Gremetz, prévoit également qu'au cas où le salarié refuserait de poursuivre la relation de travail, il bénéficierait des indemnités de licenciement normales, des indemnités pour cause de licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit six mois de salaire au minimum, ainsi que de l'indemnité spécifique créée par le présent article qui s'élève elle aussi à six mois de salaire au minimum.

Lors du débat à l'Assemblée nationale, M. Philippe Vuilque, rapporteur, a considéré que cette disposition " aligne donc la protection contre les discriminations sur ce qui existe en matière d'égalité professionnelle " 21 ( * ) .

Le paragraphe II de cet article complète la rédaction de l'article L. 422-1-1 du code du travail afin d'étendre la procédure particulière prévue par cet article aux cas relatifs à des mesures discriminatoires.

On peut rappeler que l'article L. 422-1-1 du code du travail prévoit que les délégués du personnel ont le devoir de saisir l'employeur lorsqu'il existe une " atteinte aux droits des personnes ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché ". Lorsque l'employeur et le délégué du personnel sont en désaccord sur l'existence d'une telle atteinte ou lorsque l'employeur n'y met pas fin, le délégué du personnel peut saisir le conseil des Prud'hommes qui statue en référé. Par ailleurs, l'article L. 422-1-1 prévoit que le juge peut ordonner des mesures ou prononcer des astreintes.

II - Les propositions de votre commission des Affaires sociales

Votre commission vous propose d'adopter quatre amendements relatifs au premier paragraphe de cet article 2.

Le premier amendement est rédactionnel.

Le deuxième amendement est relatif à la possibilité reconnue par l'article L. 122-5-1 à une organisation syndicale de se substituer à un salarié victime d'une discrimination pour ester en jugement.

Le texte voté par l'Assemblée nationale prévoit que cette organisation syndicale n'aura pas à justifier d'un mandat de l'intéressé pourvu que celui-ci ait été averti par écrit. Contrairement à l'article L. 122-3-16 du code du travail qui prévoit un avertissement " par lettre recommandée avec accusé de réception ", il est par ailleurs fait référence ici à un simple avertissement " par écrit ".

Cette disposition ne semble pas opportune. Votre commission remarque que, l'article 7 de la directive européenne du 29 juin 2000, qui semble l'avoir inspirée, prévoit l'approbation du salarié. C'est une précaution heureuse. Le plaignant est en effet le mieux à même de juger de l'opportunité des poursuites surtout dans des cas aussi sensibles.

En fait, le contentieux, s'il a une utilité, relève plus de la dissuasion. C'est pourquoi il est fondamental de laisser au salarié la maîtrise des négociations à conduire avec l'employeur, au besoin grâce au soutien d'un syndicat, afin d'assurer le respect de ses droits. Autrement, le risque est grand pour le salarié de se voir instrumentaliser par un syndicat conduisant une action propre à l'encontre de l'employeur dans le cadre d'une stratégie plus large.

Votre commission des Affaires sociales remarque par ailleurs que l'accord écrit de l'intéressé est exigé des organisations syndicales par l'article L. 123-6 dans le cas des actions menées en justice sur le fondement d'un harcèlement sexuel. Il ne semble pas illégitime, dans ces conditions, d'exiger un tel accord écrit dans les cas de discriminations, notamment celles fondées sur des motifs racistes, et c'est le sens de ce deuxième amendement à l'article 2.

Le troisième amendement à cet article complète la dernière phrase du texte proposé pour le premier alinéa de l'article L. 122-45-1 qui prévoit que l'intéressé peut toujours intervenir à l'instance engagée par le syndicat. Il semble utile à votre commission de préciser que ce dernier peut également mettre un terme à tout moment à cette action, comme le prévoit d'ailleurs l'article L. 122-3-16, dans le cas des ruptures du contrat de travail. Cette précaution permet de garantir à la victime la maîtrise de l'évolution du contentieux afin qu'il ne débouche pas sur une situation contraire à ses intérêts.

Enfin, votre commission des Affaires sociales vous propose de supprimer le dernier alinéa du texte proposé pour l'article L. 122-45-1 qui prévoit un " droit d'alerte " permettant aux associations de saisir les organisations syndicales pour leur demander d'ester en jugement à l'encontre d'auteurs de discrimination.

Cette disposition s'inspire de l'article L. 341-6-3 du code du travail qui prévoit un dispositif identique au regard des infractions relatives à l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère.

Là encore, il s'agit d'une disposition inopportune qui conforte le pouvoir de substitution d'un syndicat à la victime, ce pouvoir pouvant d'ailleurs, selon l'Assemblée nationale, s'exercer sans l'accord de la victime.

Cette rédaction fait référence aux associations constituées depuis plus de cinq ans sans que l'on comprenne le sens de cette ancienneté, voire de cette " discrimination ".

On remarque ensuite que le texte voté par l'Assemblée nationale fait référence aux " associations " alors que l'article L. 341-6-3 mentionne les " associations pour la lutte contre les discriminations ", ce qui est plus précis.

Plus généralement, on peut rappeler que rien n'empêche une association de saisir un syndicat d'une discrimination qu'elle aurait constatée. Cette disposition n'a donc pas de véritable portée législative et constitue surtout une " mesure d'affichage ".

Votre commission observe que la véritable novation aurait consisté à reconnaître aux associations le droit de saisir directement la justice. Cette possibilité était d'ailleurs reconnue par l'article 7 de la directive du 29 juin 2000. La solution retenue constitue donc un compromis ambigu qui ne garantit pas les droits et la liberté d'action des salariés.

Dans ces conditions, votre commission des Affaires sociales vous propose de supprimer cette disposition qui ne me semble pas souhaitable dans le cadre d'une procédure juridictionnelle.

Votre commission des Affaires sociales vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

Art. 3
(art. L. 133-5 et L. 136-2 du code du travail)
Discriminations et négociations collectives

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Cet article a pour objet d'intégrer l'objectif de lutte contre les discriminations dans la négociation collective que ce soit au niveau de la branche ou de la commission nationale de la négociation collective.

Le paragraphe I de cet article rerédige le 10° de l'article L. 133-5 du code du travail en ajoutant à la liste des clauses, que doit comporter une convention de branche conclue au niveau national, l'égalité de traitement entre salariés sans considération d'appartenance à " une ethnie, une nation ou une race " alors que la rédaction actuelle ne vise que l'égalité entre salariés français et étrangers. Par ailleurs, l'Assemblée nationale a souhaité compléter la notion d'emploi en prévoyant une référence aux notions " de formation, de promotion professionnelle et de conditions de travail ".

Par ailleurs, le paragraphe II de cet article introduit, dans le suivi annuel de l'application de conventions collectives de branche réalisé par la commission nationale de la négociation collective, l'application du principe d'égalité de traitement des salariés, indépendamment de tout critère d'appartenance à une ethnie, une nation ou une race.

II - Les propositions de votre commission des Affaires sociales

Votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

Art. 4
(art. L. 123-1 et L. 123-6 du code du travail)
Aménagement du régime de la charge de la preuve
et égalité professionnelle

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le paragraphe I de cet article introduit dans l'article L. 123-1 un nouvel alinéa qui aménage le régime de la charge de la preuve dans le cas des discriminations fondées sur le sexe ou la situation de famille. Cette modification qui s'inscrit dans le cadre de la transcription de la directive du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans le cas de discrimination fondée sur le sexe reprend l'architecture des modifications introduites par l'article premier dans l'article L. 122-45 du code du travail.

Le paragraphe II de cet article modifie l'article L. 123-6 afin d'étendre aux organisations syndicales représentatives au plan national la possibilité d'ester en justice pour défendre une personne victime de discrimination en raison de son sexe. Le même paragraphe étend également aux candidats à l'embauche la possibilité d'invoquer une telle discrimination.

II - Les propositions de votre commission des Affaires sociales

Par cohérence avec ce qu'elle vous a proposé à l'article premier, votre commission vous propose d'adopter deux amendements qui modifient l'aménagement du régime de la preuve dans le cas des discriminations fondées sur le sexe, de manière à revenir à une rédaction plus proche du texte des directives européennes.

Le premier amendement prévoit que le plaignant doit établir des faits qui permettent de présumer de l'existence de discriminations tandis que le deuxième amendement spécifie que l'entreprise devra prouver que sa décision n'est pas contraire aux dispositions énoncées au début de l'article L. 123-1 du code du travail.

Votre commission des Affaires sociales vous propose également d'adopter un troisième amendement qui coordonne les dispositions relatives à l'action en justice d'un syndicat en lieu et place d'un salarié, avec les modifications qu'elle vous a proposé d'adopter à l'article 2. L'accord du salarié serait alors indispensable à l'action du syndicat et le salarié conserverait la possibilité d'y mettre un terme à tout moment.

Votre commission des Affaires sociales vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

Art. 5 (nouveau)
(art. L. 140-8 du code du travail)
Discrimination relative à la rémunération

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement ayant pour objet d'harmoniser le régime de la charge de la preuve en matière d'égalité de rémunération prévue par l'article L. 140-8 avec le nouveau régime mis en place pour l'égalité professionnelle.

II - Les propositions de votre commission des Affaires sociales

Votre commission vous ayant déjà proposé de modifier le régime de la charge de la preuve en matière d'égalité professionnelle, elle ne voit pas d'obstacle à ce qu'il y soit fait référence en matière de rémunération.

Votre commission vous propose donc d'adopter cet article sans modification.

Art. 6 (nouveau)
(art. L. 513-3-1, L. 513-10 et L. 513-11 du code du travail)
Irrecevabilité des listes présentées par une organisation politique prônant des discriminations aux élections prud'homales

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement ayant pour objet, selon Mme Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité, " d'introduire de nouvelles conditions de recevabilité des listes de candidatures reprises des principes dégagés par la cour de Cassation en matière de dénaturation du syndicalisme " 22 ( * ) .

Le paragraphe I de cet article complète l'intitulé de la section 1 du chapitre III du titre premier du livre V du code du travail par une mention des listes de candidatures.

Le paragraphe II introduit un nouveau paragraphe dans cette section relatif précisément à ces listes de candidatures.

Le nouvel article L. 513-3-1 prévoit que les candidatures présentées par un parti politique ou une organisation prônant des discriminations ne sont pas recevables.

Les paragraphe II et IV précisent les conditions de recours dans les opérations d'élections prud'homales.

Alors que l'actuel article L. 513-10 prévoit que les contestations relatives à l'électorat, à l'éligibilité et à la régularité des opérations électorales pour l'élection des conseillers prud'hommes sont de la compétence du tribunal d'instance qui statue en dernier ressort, la proposition de loi a souhaité distinguer selon que la contestation repose sur l'électorat ou sur l'éligibilité, la régularité et la recevabilité des listes et la régularité des opérations électorales.

Le paragraphe III propose une nouvelle rédaction de l'article L. 513-10 qui prévoit que les contestations relatives à l'électorat sont de la compétence du tribunal d'instance qui statue en dernier ressort alors que le paragraphe IV crée un nouvel article L. 513-11 qui précise les conditions de recours devant le tribunal d'instance concernant les contestations relatives à l'éligibilité, à la régularité et à la recevabilité des listes de candidats à l'élection de conseiller prud'hommes, ainsi qu'à la régularité des opérations électorales. Ces contestations pourront être portées devant ledit tribunal, avant ou après le scrutin, par tout électeur ou mandataire d'une liste relevant du conseil de prud'hommes pour lequel la contestation est formée, par la préfet ou le procureur de la République dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

II - Les propositions de votre commission des Affaires sociales

Votre commission remarque tout d'abord que cet article, issu d'un amendement du Gouvernement, n'est qu'indirectement lié à l'objet de la proposition de loi puisqu'il modifie le droit électoral prud'homal.

Le lien existe néanmoins, puisqu'il s'agit, ce faisant, de préciser l'état du droit en tenant compte de la jurisprudence de la cour de Cassation qui, dans son arrêt du 10 avril 1998 " Syndicat Front national de la police contre Syndicat national des policiers en tenue " a considéré qu'un syndicat ne pouvait poursuivre des objectifs essentiellement politiques et agir contrairement aux dispositions de l'article L. 122-45 du code du travail qui pose un principe de non-discrimination en matière de recrutement, de sanction, de licenciement ainsi qu'aux principes plus généraux de notre droit public.

Votre commission s'interroge cependant sur le choix fait par l'Assemblée nationale d'adopter, à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, cet article qui reprend partiellement des dispositions prévues à l'article 51 du projet de loi de modernisation sociale 23 ( * ) .

Il résulte de cette décision que le Parlement examinera en parallèle, dans deux textes différents, des dispositions pour le moins complémentaires. Outre le présent article, les autres dispositions de l'article 51 relatives au scrutin, à l'installation des conseillers prud'hommes et aux élections complémentaires continuent en effet à être examinées dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale 24 ( * ) .

Sous réserve de ces remarques, votre commission des Affaires sociales vous propose d'adopter cet article sans modification.

Art. 7 (nouveau)
(art. 29-3 nouveau de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et art. 17-1 nouveau de la loi n° 89-475 du 10 juillet 1989 relative à l'accueil par des particuliers, à leur domicile, à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapées adultes)
Nullité d'un licenciement d'un salarié ayant témoigné de mauvais traitements

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté un amendement présenté par MM. Derosier et Birsinger ayant pour objet d'interdire les sanctions dont peuvent être victimes les personnels des institutions sociales et médico-sociales pour avoir dénoncé des maltraitances à enfant ou à adulte.

Lors du débat à l'Assemblée nationale, Mme Martine Aubry a estimé que ces maltraitances étaient réelles et que, depuis 1997, " plus de cent cas (avaient) donné lieu à saisine de la justice et (s'étaient traduits par) plusieurs condamnations à des peines de prison ferme " 25 ( * ) .

Le paragraphe I propose d'insérer dans la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales un nouvel article 29-3 qui proscrit toute discrimination dans l'emploi à l'encontre d'un salarié d'un établissement accueillant des mineurs, des handicapés ou des personnes bénéficiant d'un accompagnement social, pour avoir dénoncé des mauvais traitements.

Le paragraphe II étend cette disposition aux salariés d'une personne ou d'un couple accueillant et crée un nouvel article 17-1 dans la loi du 10 juillet 1989.

II - Les propositions de votre commission des Affaires sociales

Votre commission ne peut que souscrire à l'objectif de cet article. Elle s'interroge néanmoins sur l'opportunité de le discuter dans le cadre d'une proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations . Ceci d'autant plus que le texte proposé est incomplet puisqu'il ne traite pas des sanctions spécifiques que peuvent se voir infliger des médecins pour avoir dénoncé de mauvais traitements.

Votre commission des Affaires sociales observe que la commission des Affaires culturelles, sociales et familiales de l'Assemblée nationale a adopté un amendement proposant la création d'un article additionnel au projet de loi de modernisation sociale ayant pour objet de traiter la question des poursuites disciplinaires contre un médecin ayant dénoncé des sévices contre des enfants 26 ( * ) .

Compte tenu de la nécessité de mener une réflexion de fond sur ce sujet et des modifications intervenues très récemment sur ce sujet à l'occasion de l'examen du projet de loi de modernisation sociale, votre commission des Affaires sociales s'interroge maintenant sur la pertinence de l'examen de cet article dans ce texte.

Sous réserve de ces remarques, votre commission des Affaires sociales vous propose d'adopter cet article sans modification.

Art. 8 (nouveau)
Création d'un service d'accueil téléphonique gratuit

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Un service d'accueil téléphonique gratuite, le 114, a été créé pour aider les victimes ou les témoins de discriminations. Compte tenu de la nature des informations recueillies par ce service, la CNIL a fait savoir qu'il pouvait y avoir un problème de droit concernant la diffusion d'informations nominatives pour laquelle l'article 34 de la Constitution confie au législateur le soin de fixer les garanties fondamentales.

Comme le soulignait Mme Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, lors du débat à l'Assemblée nationale, il semble dans ces conditions " d'autant plus nécessaire de donner à ce dispositif un support législatif que les signalements opérés peuvent donner lieu à des procédures judiciaires " 27 ( * ) .

Cet article précise donc les conditions de fonctionnement de ce service créé par l'Etat :

- concourir à la mission de prévention et de lutte contre les discriminations raciales ;

- recueillir les appels des personnes estimant avoir été victimes ou témoins de discriminations raciales ;

- répondre aux demandes d'informations et de conseil ;

- recueillir les cas de discriminations signalés ainsi que les coordonnées aux personnes morales désignées comme ayant pu commettre un acte discriminatoire.

Le deuxième alinéa de cet article précise que dans chaque département est mis en place, en liaison avec l'autorité judiciaire et les organismes et services ayant pour mission ou pour objet de concourir à la lutte contre les discriminations un dispositif permettant d'assurer le traitement et le suivi des cas signalés et d'apporter un soutien aux victimes, selon des modalités garantissant la confidentialité des informations.

Enfin, le dernier alinéa prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat précise les modalités de transmission des informations entre les échelons national et départemental ainsi que les conditions d'organisation et de fonctionnement du dispositif départemental.

II - Les propositions de votre commission des Affaires sociales

Votre commission vous propose d'adopter deux amendements à cet article.

Le premier amendement a pour objet de garantir le secret professionnel des agents amenés à faire fonctionner le service d'accueil téléphonique. Compte tenu notamment du fait que le service peut être amené à recueillir les coordonnées de personnes morales désignées comme ayant pu commettre un acte discriminatoire, cette précaution est indispensable.

Par ailleurs, la création d'un service d'accueil téléphonique n'a de sens que s'il est aisément accessible et donc si son existence est connue. Dans ces conditions, il est apparu nécessaire à votre commission de prévoir, dans un second amendement, l'affichage de ces coordonnées dans les entreprises mais aussi dans les services publics qui sont des lieux de passage mais aussi de plus en plus des lieux de travail pour des salariés sous statut privé (contractuels, emplois-jeunes, CES...).

Votre commission des Affaires sociales vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mardi 19 décembre 2000, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Louis Souvet sur la proposition de loi n° 26 (2000-2001) adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la lutte contre les discriminations.

M. Louis Souvet, rapporteur, a souligné que la lutte contre les discriminations constituait un élément essentiel de notre pacte républicain.

Il a rappelé, d'une part, que l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, les distinctions sociales ne pouvant être fondées que sur l'utilité commune, d'autre part, que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 proclame que chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi, nul ne pouvant être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances, enfin que, l'article premier de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.

Il a indiqué que ces principes, qui constituaient nos références premières et le fondement de notre organisation politique, avaient naturellement inspiré la construction européenne conduite aujourd'hui par quinze peuples démocratiques : l'article 6 du traité sur l'Union européenne rappelle, à cet égard, que l'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'Etat de droit.

De fait, la construction européenne ne se résume pas à l'établissement d'un grand marché, mais vise également à bâtir une Communauté de droit. Dans cette perspective, les lignes directrices pour l'emploi en 2000, approuvées par le Conseil européen de Helsinki les 10 et 11 décembre 1999, soulignent la nécessité de promouvoir un marché du travail favorable à l'insertion sociale en formulant un ensemble cohérent de politiques destinées à lutter contre les discriminations.

M. Louis Souvet, rapporteur , a précisé que nul ne contestait aujourd'hui la nécessité d'une lutte contre les discriminations, qui constitue le complément indispensable des politiques économiques et sociales, comme des politiques de l'éducation et de sécurité.

Il a remarqué, par ailleurs, que ce souci de faciliter l'accès de tous au marché du travail devrait être d'autant mieux partagé que l'on assistait aujourd'hui au développement de pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs d'activité, comme l'avait rappelé dernièrement M. Alain Gournac à travers sa proposition de loi permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre.

Il a souligné que la période de croissance actuelle constituait à cet égard une occasion irremplaçable de faire évoluer les mentalités pour permettre à chacun l'accès au marché du travail et à l'égalité de traitement.

Il a déclaré que cette préoccupation avait abouti, au niveau européen, à l'adoption, le 29 juin 2000, d'une directive relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes, sans distinction de race ou d'origine ethnique, dont l'un des moyens consiste à aménager les règles concernant la charge de la preuve dès lors qu'il existe une présomption de discrimination.

Il a rappelé que l'article 8 de la directive du 29 juin 2000 prévoyait en particulier que, dès lors qu'une personne s'estimait lésée par le non-respect du principe de l'égalité de traitement et établissait, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombait à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement.

Il a souligné que ce principe était déjà énoncé par l'article 4 de la directive européenne du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe.

Il a précisé que ces deux directives devaient être transcrites en droit interne, c'est-à-dire que le droit national devait être modifié lorsque cela était nécessaire afin de ne pas contredire le texte de la directive. Il a ajouté que ces transcriptions devaient avoir été effectuées avant le 1 er janvier 2001 pour la directive du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe et avant le 19 juillet 2003 pour la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.

M. Louis Souvet, rapporteur , a constaté que l'examen du droit en vigueur révélait la nécessité de modifications législatives.

L'article L. 122-45 du code du travail prévoit en effet qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou être sanctionnée ou licenciée en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de sa situation de famille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race ou de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, en raison de son état de santé ou de son handicap.

Pour être conforme à la directive du 29 juin 2000, cette rédaction doit être complétée afin de prendre en compte l'ensemble des conditions d'emploi et de travail (formation, promotion, reconversion, rémunération...) ; elle doit surtout être modifiée pour tenir compte du nouveau régime de la charge de la preuve prévue par la directive.

M. Louis Souvet, rapporteur , a observé que ce nouveau régime ne constituait pas une inversion de la charge de la preuve.

Il a constaté qu'autant, dans notre droit actuel, il incombait au plaignant d'établir la preuve d'une discrimination, autant la nouvelle procédure cherchait à établir un certain équilibre afin d'obliger les parties à présenter chacune leurs arguments pour permettre à une tierce partie de se faire son opinion et de trancher.

Il a reconnu qu'il s'agissait là d'un changement déjà considérable et qui n'était pas sans risque.

Il a constaté que ce changement trouvait sa justification dans les difficultés que connaissaient les plaignants à prouver leurs dires, comme en témoignait le faible nombre des recours devant les tribunaux et le nombre, encore plus faible, des décisions de justice favorables aux plaignants.

Il a souligné que les risques de la nouvelle procédure n'étaient pas négligeables, car l'aménagement de la charge de la preuve, en obligeant l'employeur à justifier sa décision, ouvrait la porte à des recours qui pouvaient ne pas être mus par le désir de réparer une injustice mais, au contraire, par la volonté d'obtenir raison d'une décision défavorable rendue sur des critères pourtant légitimes tenant par exemple à une différence de formation, d'aptitude ou d'expérience, voire à une différence plus subjective tenant au profil, au tempérament ou à la sympathie.

Il a déploré qu'en cela, l'aménagement du régime de la preuve accroisse le contrôle sur les décisions de l'entrepreneur et fait même peser sur lui comme une présomption de culpabilité.

Il a précisé en particulier que, dans notre société, le fait d'avoir à rendre des comptes à la justice équivalait trop souvent à une condamnation aux yeux d'une partie de l'opinion. Il s'est demandé si un chef d'entreprise obligé de se justifier de n'avoir pas agi selon des visées racistes, puis innocenté, n'aurait pas à subir la même opprobre.

Il s'est félicité que, pour limiter les risques de dérive, le législateur européen ait fort heureusement prévu que le plaignant devrait établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination. Il a précisé que, par faits, il convenait de comprendre des faits connus qui servent à constituer la preuve par présomption.

Il a considéré qu'un fait, comme un indice, était plus aisé à établir ou à rassembler qu'une preuve, mais qu'il se distinguait néanmoins du soupçon, de l'impression, voire de la rumeur. Il a donc estimé que le législateur européen avait trouvé un bon équilibre et qu'il convenait de ne pas s'en écarter.

Il a rappelé que l'Assemblée nationale et le Gouvernement avaient souhaité s'inspirer plus de l'évolution de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation que du texte des directives européennes. Il a constaté qu'il en résultait des dispositions qui étaient soit floues, soit excessives, et qui avaient en commun de placer le juge en position d'arbitre, ce qui comportait toujours un risque.

Il a rappelé que, dans une affaire récente (Fluchère et autres contre SNCF) à propos d'une discrimination présumée pour un motif d'engagement syndical, la Cour d'appel de Nîmes avait pu estimer, dans un arrêt rendu le 23 septembre 1997, que le juge n'avait pas qualité pour se substituer à l'employeur quant à l'appréciation de la qualification, de la compétence et des autres éléments qui gouvernaient les décisions d'affectation des agents. Il a précisé que la Chambre sociale de la Cour de cassation avait cassé cet arrêt, le 28 mars 2000, considérant qu'il appartenait au salarié de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et qu'il incombait à l'employeur, s'il contestait le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié d'établir que la disparité de situation constatée était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Il a ajouté que la Cour de cassation concluait que la preuve de la discrimination n'incombait pas au salarié.

Il a constaté qu'une fois de plus le Gouvernement et sa majorité avaient choisi de transcrire dans la loi les arrêts de la Cour de cassation plutôt que les directives européennes. Il a rappelé qu'une pareille situation s'était présentée lors de la discussion du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail à propos de la définition du temps de travail effectif.

Il a considéré que cette situation était préoccupante, puisqu'elle encourageait la Cour de cassation à s'éloigner très sensiblement des textes de lois, qu'elle ne se limitait plus à interpréter, mais auxquels elle substituait sa propre vision des relations sociales, au besoin en s'inspirant plus ou moins de directives européennes dont le délai de transcription n'était pas échu.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que la proposition de loi comprenait huit articles, dont quatre articles additionnels introduits par l'Assemblée nationale, les quatre premiers articles constituant une reprise des articles 46, 47, 48 et 49 du projet de loi de modernisation sociale déposé à l'Assemblée nationale le 24 mai dernier.

L'article premier de la proposition de loi aménage le régime de la charge de la preuve concernant l'ensemble des discriminations ; l'article 4 fait de même en ce qui concerne le domaine spécifique des discriminations fondées sur le sexe.

La rédaction retenue dans chaque cas s'éloigne du texte de la directive. En effet, selon le texte adopté par l'Assemblée nationale, le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte à l'appui de sa plainte alors que la directive prévoit que le plaignant doit établir des faits qui permettaient de présumer l'existence d'une discrimination.

M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré que, si les deux membres de phrases avaient le même sens, il ne voyait pas l'intérêt de s'éloigner de la directive et que si ce n'était pas le cas, il aurait été souhaitable que les auteurs précisent leurs intentions.

Il a souligné, de même, que les directives avaient prévu qu'il incombait à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y avait pas eu violation du principe de l'égalité de traitement alors que l'Assemblée nationale prévoyait, quant à elle, reprenant mot pour mot la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'il lui incombait de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il a précisé que, dans ce cas, la différence était plus sensible, notamment du fait de la référence à des " éléments objectifs ". Il a constaté qu'il s'agissait là de termes ambigus, une décision de recrutement pouvant être déterminée, au moins partiellement, par des éléments subjectifs comme l'intuition, la sympathie ou le dynamisme, car les entreprises ne recrutaient pas par concours anonyme.

Soulignant le risque d'obtenir un résultat inverse à l'effet recherché, il s'est interrogé sur les moyens dont disposerait le juge pour former sa conviction si le plaignant ne lui présentait pas des faits et si l'on obligeait l'employeur à n'évoquer que des éléments " objectifs ". Il a estimé que l'efficacité des mesures de lutte contre les discriminations résidait dans la capacité des pouvoirs publics à modifier en profondeur les comportements individuels et non en l'affaiblissement de l'employeur qui deviendrait alors le bouc émissaire de l'échec partiel des politiques d'intégration.

Il a constaté que les auteurs de la proposition de loi comme le Gouvernement avaient préféré privilégier des dispositions à caractère répressif à une politique préventive.

Il a remarqué qu'il existait pourtant une alternative, les directives européennes de lutte contre les discriminations ne choisissant pas entre un mécanisme juridictionnel et une voie de recours devant une instance ad hoc. Il a constaté qu'aucune raison n'avait été avancée pour privilégier le recours à la voie juridictionnelle.

Il a considéré que ce choix était d'autant moins évident que les juridictions étaient déjà surchargées et peinaient à rendre leurs décisions dans un délai raisonnable, comme le montrait l'affaire Fluchère, qui avait inspiré le texte de l'Assemblée nationale et qui était renvoyée devant une nouvelle cour d'appel, trois ans après un premier arrêt. Il a observé que le juge de droit commun n'était pas nécessairement le mieux à même de former sa conviction sur des éléments somme toute " subjectifs " dans un domaine aussi délicat que la lutte contre les discriminations.

M. Louis Souvet, rapporteur, a remarqué que, sans remettre en cause le renforcement des procédures juridictionnelles qui devaient demeurer, ne serait-ce que pour constituer un instrument puissant de dissuasion, il importait de s'interroger sur la possibilité de mener des politiques préventives.

Il a précisé qu'au Royaume-Uni, une commission pour l'égalité raciale était chargée de lutter contre les discriminations, au besoin en menant des enquêtes ou en saisissant la justice, qu'aux Pays-Bas, la commission pour l'égalité de traitement enquêtait sur les affaires de discrimination et qu'elle pouvait offrir sa médiation, voire entamer une procédure judiciaire, qu'en Belgique, le centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme aidait les victimes de discriminations en leur fournissant informations et conseils et en se constituant partie civile.

Il a constaté que ces différentes commissions favorisaient une résolution à l'amiable des plaintes et que leur action permettait de sensibiliser les entreprises à la nécessité de lutter contre les discriminations, comme en témoignait l'édiction de nombreux " codes de bonne conduite ".

Il a rappelé que la création, en France, d'une telle commission avait été envisagée par M. Jean-Michel Bélorgey dans un rapport de mars 1999 analysant les adaptations nécessaires des structures administratives existantes pour " lutter contre les discriminations ". L'auteur évoque la création d'une commission d'une quinzaine de membres qui pourrait avoir les compétences suivantes : un pouvoir d'avis et de proposition sur les stratégies de lutte contre les discriminations, un pouvoir de négocier avec les services publics et les organisations syndicales des " chartes de bonne conduite ", le pouvoir de recevoir et d'instruire des réclamations, et le pouvoir de saisir d'autres autorités (exécutives, juridictionnelles ou indépendantes).

Il a précisé que cette nouvelle autorité indépendante devrait également avoir, selon M. Jean-Michel Bélorgey, pour mission d'établir, dans un rapport annuel, la situation des différents secteurs d'activité et de procéder à l'évaluation de la législation et de la réglementation applicable.

Il a souligné que les propositions semblaient toutefois moins abouties pour ce qui concernait les modalités de saisine de cette instance, comme les conditions dans lesquelles elle prodiguerait une assistance juridique aux victimes.

Il s'est interrogé sur les raisons qui avaient amené le Gouvernement à ne pas donner suite à la réflexion sur l'opportunité de la création d'une telle structure. Compte tenu de l'importance de la question, il a indiqué qu'il n'excluait pas, d'ici la seconde lecture, de poursuivre une réflexion sur l'opportunité de créer une telle structure administrative indépendante.

Puis M. Louis Souvet, rapporteur , a évoqué les autres dispositions prévues par la proposition de loi. L'article 2 prévoit la possibilité pour les syndicats d'agir en justice sans avoir à justifier d'un mandat du salarié concerné, la mise en place d'un droit d'alerte au bénéfice des associations et la reconnaissance de la nullité d'un licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice pour discrimination ; l'article 3 prévoit l'inscription dans les conventions collectives de dispositions concernant l'égalité de traitement entre salariés ; l'article 6 comprend les dispositions électorales relatives aux prud'hommes qui interdisent notamment à toute organisation prônant des discriminations de présenter des listes ; l'article 7 modifie la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales afin de protéger les salariés qui, ayant témoigné de mauvais traitements infligés aux personnes accueillies, faisaient l'objet de discriminations ; enfin, l'article 8 prévoit la création d'un service d'accueil téléphonique gratuit.

M. Louis Souvet, rapporteur, a indiqué que les amendements qu'il proposait participaient tous de la même logique : permettre une lutte plus efficace contre les discriminations en préservant les droits des victimes comme ceux des responsables d'entreprise.

Il a souligné que les directives européennes avaient établi les bases d'un équilibre entre ces différents objectifs complémentaires. Il a donc proposé de revenir, chaque fois que nécessaire, à la lettre et à l'esprit des textes européens.

Il a précisé que les principales modifications proposées concernaient l'aménagement de la charge de la preuve pour lequel il a considéré que le texte de l'Assemblée nationale s'éloignait trop de la directive et l'action de syndicats qui, selon lui, ne devait pas pouvoir s'exercer sans l'accord écrit de la victime dans un domaine aussi sensible que les discriminations.

Il a ajouté que le texte ainsi modifié devrait permettre des progrès sensibles dans la lutte contre les discriminations, sans pour autant compromettre la nécessaire marge de manoeuvre des entreprises dans la gestion de leur personnel.

M. Alain Gournac a déclaré qu'il partageait tout à fait les conclusions présentées par le rapporteur. Il a considéré, en particulier, qu'il pourrait être intéressant de prévoir des dispositions permettant aux parties de trouver un terrain d'entente sans nécessairement passer devant le juge. Il a remarqué qu'il était effectivement difficile de définir les discriminations mais qu'il ne fallait pas, pour autant, supprimer toute marge de manoeuvre aux chefs d'entreprise dans la gestion de leurs personnels.

M. Louis Boyer a souligné les difficultés d'interprétation que pouvaient soulever des notions comme " l'orientation sexuelle " et s'est inquiété du développement d'un contentieux tournant autour de cette question.

M. Guy Fischer a considéré que le texte voté à l'Assemblée nationale n'allait pas assez loin et qu'il était donc nécessaire de proposer des avancées supplémentaires. Il a indiqué que le groupe communiste républicain et citoyen entendait tirer parti du temps restant avant l'examen en séance publique pour proposer des amendements.

M. Jean Chérioux a manifesté son plein accord avec les modifications proposées par le rapporteur qui, en proposant de revenir au plus près du texte des directives, faisait oeuvre utile afin, notamment, de préciser les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale qui, à bien des égards, ne présentaient pas toutes les garanties de clarté et de sécurité juridique attendues.

Présentant ses amendements, M. Louis Souvet, rapporteur, a tout d'abord estimé nécessaire de préciser, dans la nouvelle rédaction de l'article L. 122-45 proposé par l'article premier, ainsi que dans celle de l'article L. 123-1 proposé par l'article 4, que le plaignant devait établir des faits qui permettaient de présumer l'existence d'une discrimination, et non simplement présenter des éléments de fait la laissant supposer. Il a considéré que cette modification s'inscrivait dans la logique d'un retour au texte de la directive et présentait davantage de garanties en termes de sécurité juridique, sans remettre en cause la logique du dispositif. Il a proposé, qu'en réponse, l'employeur soit amené à prouver que sa décision n'est pas contraire aux dispositions énoncées aux alinéas précédents, c'est-à-dire à la liste établie des pratiques discriminatoires et non, comme dans le texte initial, à justifier sa décision par des éléments " objectifs " étrangers à toute discrimination. Il a observé que cette modification devrait permettre d'éviter des contentieux autour des différentes façons d'interpréter la notion " d'éléments objectifs ". Il a souligné que la politique des ressources humaines d'une entreprise comprenait une part de subjectivité qui ne pouvait être assimilée à des mesures discriminatoires.

A l'article 2, M. Louis Souvet, rapporteur, a proposé de revenir sur la possibilité reconnue à un syndicat par l'article L. 122-45-1 du code du travail d'ester en justice sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé pourvu que celui-ci ait été averti par écrit et ne s'y soit pas opposé dans un délai de 15 jours à compter de la date à laquelle l'organisation syndicale lui aurait notifié son intention. Il a remarqué, en particulier, que l'article 7 de la directive européenne du 29 juin 2000 prévoyait l'approbation du salarié. Il a considéré que le plaignant était le mieux à même de juger de l'opportunité des poursuites, surtout dans des cas aussi sensibles. Il a estimé fondamental, dans ces conditions, de laisser au salarié, au besoin grâce au soutien d'un syndicat, la maîtrise des moyens lui permettant d'assurer le respect de ses droits. Il a mis en garde, a contrario, contre le risque, pour le salarié, de se voir instrumentaliser par une organisation conduisant sa propre stratégie. Il a constaté que l'accord écrit de l'intéressé était déjà exigé des organisations syndicales par l'article L. 123-6 du code du travail dans le cas des actions menées en justice sur le fondement d'un harcèlement sexuel. Il ne lui a pas semblé illégitime, dans ces conditions, d'exiger un tel accord écrit dans les cas de discriminations.

Toujours à l'article 2, M. Louis Souvet, rapporteur, a proposé de compléter le texte prévu pour l'article L. 122-45-1 du code du travail afin de préciser que le salarié peut mettre un terme à tout moment à l'action du syndicat comme le prévoit par ailleurs, dans d'autres configurations, l'article L. 122-3-16 du même code. Cette précaution lui est apparue de nature à garantir à la victime la maîtrise de l'évolution du contentieux, afin qu'il ne débouche pas sur une situation contraire à ses intérêts.

Il a proposé, en outre, de supprimer la disposition de l'article L. 122-45-1 permettant aux associations de saisir les organisations syndicales pour leur demander d'ester en justice à l'encontre d'auteurs de discriminations.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que rien n'empêchait une association de saisir un syndicat d'une discrimination qu'elle aurait constatée. Il a estimé par conséquent que cette disposition n'avait pas de véritable portée législative et constituait surtout une " mesure d'affichage ".

Il a observé que la véritable novation aurait consisté à reconnaître aux associations le droit de saisir directement la justice, cette possibilité étant reconnue par l'article 7 de la directive du 29 juin 2000. Il a donc considéré que la solution retenue constituait un compromis ambigu qui ne permettait pas de garantir les droits et la liberté d'action des salariés.

A l'article 4 (article L. 123-1 du code du travail), il a précisé qu'outre les modifications de coordination avec les amendements à l'article premier modifiant l'article L. 122-45 du code du travail, il était nécessaire de coordonner les dispositions relatives à l'action d'un syndicat au nom d'un salarié avec celles proposées par l'article 2 pour le nouvel article L. 122-45-1.

A l'article 8 relatif à la création d'un service d'accueil téléphonique gratuit, il a considéré qu'il était essentiel de prévoir que le secret professionnel serait applicable aux agents de ce service et que ses coordonnées devraient être affichées dans l'ensemble des entreprises, ainsi que dans tous les bâtiments publics, afin de donner tout son sens à la création de ce dispositif.

Enfin, M. Louis Souvet, rapporteur, a proposé de compléter le titre de la proposition de loi en ajoutant les mots " dans l'emploi " afin de mettre l'intitulé en cohérence avec le contenu du texte.

La commission a alors adopté successivement les douze amendements présentés par le rapporteur et la proposition de loi ainsi amendée .

TABLEAU COMPARATIF

ANNEXE N° 1
-
DIRECTIVE 97/80/CE DU CONSEIL DU 15 DÉCEMBRE 1997
RELATIVE À LA CHARGE DE LA PREUVE DANS LES CAS DE DISCRIMINATION FONDÉE SUR LE SEXE

LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE,

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A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DIRECTIVE:

Article premier
Objectif

La présente directive vise à garantir que soient rendues plus efficaces les mesures prises par les États membres, en application du principe de l'égalité de traitement, qui permettent à toute personne qui s'estime lésée par la non-application à son égard du principe de l'égalité de traitement de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle après, éventuellement, le recours à d'autres instances compétentes.

Article 2
Définitions

1. Aux fins de la présente directive, le principe de l'égalité de traitement implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement.

2. Aux fins du principe de l'égalité de traitement visé au paragraphe 1, une discrimination indirecte existe lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte une proportion nettement plus élevée de personnes d'un sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit approprié(e) et nécessaire et ne puisse être justifié(e) par des facteurs objectifs indépendants du sexe des intéressés.

Article 3
Champ d'application

1. La présente directive s'applique:

a) aux situations couvertes par l'article 119 du traité et par les directives 75/117/CEE, 76/207/CEE et, dans la mesure où il y a discrimination fondée sur le sexe, 92/85/CEE et 96/34/CE;

b) dans le cadre de toute procédure civile ou administrative concernant le secteur public ou le secteur privé qui prévoit les recours selon le droit national en application des dispositions visées au point a), à l'exception des procédures gracieuses de nature volontaire ou prévues par le droit national.

2. La présente directive ne s'applique pas aux procédures pénales, sauf si les États membres en disposent autrement.

Article 4
Charge de la preuve

1. Les États membres, conformément à leur système judiciaire, prennent les mesures nécessaires afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement .

2. La présente directive n'empêche pas les États membres d'imposer un régime probatoire plus favorable à la partie demanderesse.

3. Les États membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la juridiction ou à l'instance compétente.

Article 5
Information

Les États membres veillent à ce que les mesures prises en application de la présente directive, ainsi que les dispositions déjà en vigueur en la matière, soient portées, sous toute forme appropriée, à la connaissance de toute personne concernée.

Article 6
Sauvegarde du niveau de protection

La mise en oeuvre des dispositions de la présente directive ne constitue en aucun cas un motif suffisant pour justifier une réduction du niveau général de protection des travailleurs dans les domaines couverts par celle-ci, sans préjudice du droit des États membres d'adopter, eu égard à l'évolution de la situation, des dispositions législatives, réglementaires ou administratives différentes de celles qui existent au moment de la notification de la présente directive, pour autant que les exigences minimales prévues dans la présente directive soient respectées.

Article 7
Mise en oeuvre

Les États membres adoptent les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 1 er janvier 2001 . Ils en informent immédiatement la Commission.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d'une telle référence lors de leur publication officielle.

Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

Les États membres transmettent à la Commission au plus tard deux ans après la mise en oeuvre de la présente directive toutes les données utiles en vue de permettre à la Commission d'établir un rapport à soumettre au Parlement européen et au Conseil sur l'application de la présente directive.

Article 8
Les États membres sont destinataires de la présente directive

Fait à Bruxelles, le 15 décembre 1997.

Par le Conseil

Le président

J.-C. JUNCKER

ANNEXE N° 2
-
DIRECTIVE 2000/43/CE DU CONSEIL DU 29 JUIN 2000 RELATIVE À LA MISE EN OEUVRE DU PRINCIPE DE L'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ENTRE LES PERSONNES SANS DISTINCTION DE RACE OU D'ORIGINE ETHNIQUE

LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE,

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A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DIRECTIVE :

CHAPITRE I
DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Article premier
Objet

La présente directive a pour objet d'établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique, en vue de mettre en oeuvre, dans les États membres, le principe de l'égalité de traitement.

Article 2
Concept de discrimination

1. Aux fins de la présente directive, on entend par " principe de l'égalité de traitement ", l'absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l'origine ethnique.

2. Aux fins du paragraphe 1:

a) une discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race ou d'origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable;

b) une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une race ou d'une origine ethnique donnée par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires.

3. Le harcèlement est considéré comme une forme de discrimination au sens du paragraphe 1 lorsqu'un comportement indésirable lié à la race ou à l'origine ethnique se manifeste, qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Dans ce contexte, la notion de harcèlement peut être définie conformément aux législations et pratiques nationales des États membres.

4. Tout comportement consistant à enjoindre à quiconque de pratiquer une discrimination à l'encontre de personnes pour des raisons de race ou d'origine ethnique est considéré comme une discrimination au sens du paragraphe 1.

Article 3
Champ d'application

1. Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s'applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

a) les conditions d'accès à l'emploi aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d'activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion;

b) l'accès à tous les types et à tous les niveaux d'orientation professionnelle, de formation professionnelle, de perfectionnement et de formation de reconversion, y compris l'acquisition d'une expérience pratique;

c) les conditions d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;

d) l'affiliation à et l'engagement dans une organisation de travailleurs ou d'employeurs ou à toute organisation dont les membres exercent une profession donnée, y compris les avantages procurés par ce type d'organisations;

e) la protection sociale, y compris la sécurité sociale et les soins de santé;

f) les avantages sociaux;

g) l'éducation;

h) l'accès aux biens et services et la fourniture de biens et services, à la disposition du public, y compris en matière de logement.

2. La présente directive ne vise pas les différences de traitement fondées sur la nationalité et s'entend sans préjudice des dispositions et conditions relatives à l'admission et au séjour des ressortissants de pays tiers et des personnes apatrides sur le territoire des États membres et de tout traitement lié au statut juridique des ressortissants de pays tiers et personnes apatrides concernés.

Article 4
Exigence professionnelle essentielle et déterminante

Sans préjudice de l'article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à la race ou à l'origine ethnique ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée.

Article 5
Action positive

Pour assurer la pleine égalité dans la pratique, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à la race ou à l'origine ethnique.

Article 6
Prescriptions minimales

1. Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l'égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive.

2. La mise en oeuvre de la présente directive ne peut en aucun cas constituer un motif d'abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres dans les domaines régis par la présente directive.

CHAPITRE II
VOIES DE RECOURS ET APPLICATION DU DROIT

Article 7
Défense des droits

1. Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu'ils l'estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s'estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l'égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s'être produite se sont terminées.

2. Les États membres veillent à ce que les associations, les organisations ou les personnes morales qui ont, conformément aux critères fixés par leur législation nationale, un intérêt légitime à assurer que les dispositions de la présente directive sont respectées puissent, pour le compte ou à l'appui du plaignant, avec son approbation , engager toute procédure judiciaire et/ou administrative prévue pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive.

3. Les paragraphes 1 et 2 sont sans préjudice des règles nationales relatives aux délais impartis pour former un recours en ce qui concerne le principe de l'égalité de traitement.

Article 8
Charge de la preuve

1. Les États membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement .

2. Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à l'adoption par les États membres de règles de la preuve plus favorables aux plaignants.

3. Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux procédures pénales.

4. Les paragraphes 1, 2 et 3 s'appliquent également à toute procédure engagée conformément à l'article 7, paragraphe 2.

5. Les États membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la juridiction ou à l'instance compétente.

Article 9
Protection contre les rétorsions

Les États membres introduisent dans leur système juridique interne les mesures nécessaires pour protéger les personnes contre tout traitement ou toute conséquence défavorable en réaction à une plainte ou à une action en justice visant à faire respecter le principe de l'égalité de traitement.

Article 10
Diffusion de l'information

Les États membres veillent à ce que les dispositions adoptées en application de la présente directive ainsi que celles qui sont déjà en vigueur dans ce domaine soient portées à la connaissance des personnes concernées par tous moyens appropriés et sur l'ensemble de leur territoire.

Article 11
Dialogue social

1. Conformément à leurs traditions et pratiques nationales, les États membres prennent les mesures appropriées afin de favoriser le dialogue entre les partenaires sociaux en vue de promouvoir l'égalité de traitement, y compris par la surveillance des pratiques sur le lieu de travail, par des conventions collectives, des codes de conduite, et par la recherche ou l'échange d'expériences et de bonnes pratiques.

2. Dans le respect de leurs traditions et pratiques nationales, les États membres encouragent les partenaires sociaux, sans préjudice de leur autonomie, à conclure, au niveau approprié, des accords établissant des règles de non-discrimination dans les domaines visés à l'article 3 qui relèvent du champ d'application des négociations collectives. Ces accords respectent les exigences minimales fixées par la présente directive et par les mesures nationales de transposition.

Article 12
Dialogue avec les organisations non gouvernementales

Les États membres encouragent le dialogue avec les organisations non gouvernementales concernées qui ont, conformément aux pratiques et législations nationales, un intérêt légitime à contribuer à la lutte contre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique, en vue de promouvoir le principe de l'égalité de traitement.

CHAPITRE III
ORGANISMES DE PROMOTION DE L'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT

Article 13

1. Les États membres désignent un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir l'égalité de traitement entre toutes les personnes sans discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. Ils peuvent faire partie d'organes chargés de défendre à l'échelon national les droits de l'homme ou de protéger les droits des personnes.

2. Les États membres font en sorte que ces organismes aient pour compétence:

- sans préjudice des droits des victimes et des associations, organisations et autres personnes morales visées à l'article 7, paragraphe 2, d'apporter aux personnes victimes d'une discrimination une aide indépendante pour engager une procédure pour discrimination,

- de conduire des études indépendantes concernant les discriminations,

- de publier des rapports indépendants et d'émettre des recommandations sur toutes les questions liées à ces discriminations.

CHAPITRE IV
DISPOSITIONS FINALES

Article 14
Conformité

Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que:

a) soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l'égalité de traitement;

b) soient ou puissent être déclarées nulles et non avenues ou soient modifiées les dispositions contraires au principe de l'égalité de traitement qui figurent dans les contrats ou les conventions collectives, dans les règlements intérieurs des entreprises ainsi que dans les règles régissant les associations à but lucratif ou non lucratif, les professions indépendantes et les organisations de travailleurs et d'employeurs.

Article 15
Sanctions

Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer l'application de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues, qui peuvent comprendre le versement d'indemnités à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient ces dispositions à la Commission au plus tard le 19 juillet 2003 et toute modification ultérieure les concernant dans les meilleurs délais.

Article 16
Mise en oeuvre

Les États membres adoptent les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 19 juillet 2003 ou peuvent confier aux partenaires sociaux, à leur demande conjointe, la mise en oeuvre de la présente directive, pour ce qui est des dispositions relevant des accords collectifs. Dans ce cas, ils s'assurent que, au plus tard le 19 juillet 2003, les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires par voie d'accord, les États membres concernés devant prendre toute disposition nécessaire leur permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. Ils en informent immédiatement la Commission.

Lorsque les États membres adoptent lesdites dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d'une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

Article 17
Rapport

1. Les États membres communiquent à la Commission, au plus tard le 19 juillet 2005 et ensuite tous les cinq ans, toutes les informations nécessaires à l'établissement par la Commission d'un rapport au Parlement européen et au Conseil sur l'application de la présente directive.

2. Le rapport de la Commission prend en considération, comme il convient, l'opinion de l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes ainsi que le point de vue des partenaires sociaux et des organisations non gouvernementales concernées. Conformément au principe de la prise en compte systématique de la question de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, ce rapport fournit, entre autres, une évaluation de l'impact que les mesures prises ont sur les hommes et les femmes. À la lumière des informations reçues, ce rapport inclut, si nécessaire, des propositions visant à réviser et à actualiser la présente directive.

Article 18
Entrée en vigueur

La présente directive entre en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes.

Article 19
Destinataires

Les États membres sont destinataires de la présente directive.

Fait à Luxembourg, le 29 juin 2000.

Par le Conseil

Le président

M. Arcanjo

ANNEXE N° 3
-
ÉTUDE RÉALISÉE PAR LE SERVICE DES AFFAIRES EUROPÉENNES DU SÉNAT SUR LA LÉGISLATION COMPARÉE DES PAYS EUROPÉENS EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

LES DOCUMENTS DE TRAVAIL DU SÉNAT

Série LÉGISLATION COMPARÉE

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à l'intention des Sénateurs par la Division des études de législation comparée du Service des affaires européennes. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

n° LC 82 Décembre 2000

SERVICE DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Division des Études de législation comparée

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

Le 6 juin 2000, les ministres des affaires sociales de l'Union européenne ont adopté la directive relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique , qui prohibe toute discrimination fondée sur la race ou sur l'origine ethnique et qui s'applique notamment dans le domaine de l'emploi.

Le 12 octobre 2000, l'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations, qui vise à empêcher les discriminations sur les lieux de travail, quel qu'en soit le motif . Ce texte élargit le champ couvert par le principe de non-discrimination en y incluant les principaux actes relatifs à la carrière du salarié et en définissant de nouveaux motifs de discrimination (orientation sexuelle, apparence physique et patronyme). Par ailleurs, il cherche à améliorer la lutte contre les discriminations, d'une part, en ouvrant aux organisations syndicales la possibilité d'engager une action à la place du salarié victime d'une discrimination et, d'autre part, en aménageant les règles de preuve. En effet, le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit que, si le salarié parvient à apporter les éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination, c'est à l'employeur qu'il revient de prouver que sa décision repose sur des éléments objectifs.

Le 17 octobre 2000, les ministres européens des affaires sociales sont parvenus à un accord sur la proposition de directive créant un cadre général pour l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, laquelle interdit toute discrimination fondée sur des motifs autres que raciaux.

Dans ces conditions, il est apparu utile d'analyser les dispositifs étrangers permettant de lutter contre les discriminations sur les lieux de travail. Après avoir décrit les principales caractéristiques, d'une part, de la directive " racisme " et, d'autre part, de la directive " emploi ", la présente étude examine les mesures prises dans plusieurs pays européens ( Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Grande-Bretagne et Pays-Bas ). Pour chacun de ces pays, les points suivants ont été analysés :

- les discriminations sur les lieux de travail explicitement interdites par la loi ;

- les sanctions qui y sont apportées ;

- les procédures particulières permettant aux victimes de faire valoir leurs droits.

Les dispositions relatives à la lutte contre les discriminations sexuelles et à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes n'ont pas été prises en compte, car elles font partout l'objet d'une législation spécifique. En outre, l'étude n'évoque ni les mesures de " discrimination positive " permettant de faciliter l'insertion sur le marché du travail de catégories en difficulté (handicapés, demandeurs d'asile...), ni les dispositions particulières propres par exemple aux partis politiques ou aux églises, autorisés à pratiquer des discriminations politiques ou religieuses à l'embauche.

L'examen des législations étrangères relatives à la lutte contre les discriminations sur les lieux de travail permet de mettre en évidence que :

- le Danemark et les Pays-Bas sont les seuls à disposer d'une loi générale prohibant toutes les discriminations sur les lieux de travail, la loi néerlandaise donnant aux victimes d'importants moyens d'action ;

- les lois belge et anglaise n'interdisent que certaines discriminations, mais elles offrent aux victimes de puissants moyens d'action ;

- l'Allemagne et l'Espagne recourent à des dispositions éparses du droit du travail.

1. Le Danemark et les Pays-Bas disposent d'une loi générale prohibant toute discrimination sur les lieux de travail, la loi néerlandaise donnant aux victimes d'importants moyens d'action

a) Le champ d'application des lois danoise et néerlandaise

Au Danemark, la loi du 12 juin 1996 portant interdiction de toute discrimination sur le marché du travail prohibe toute différence de traitement (à l'embauche, à l'occasion d'une mutation, d'une promotion, d'un licenciement, dans le cadre de la formation professionnelle...) fondée sur " la race, la couleur de la peau, la religion, l'opinion politique, l'orientation sexuelle, ou l'origine nationale, sociale ou ethnique ".

La loi néerlandaise du 2 mars 1994 sur l'égalité de traitement, qui s'applique à tous les domaines de la vie sociale, et donc notamment à l'emploi , interdit toute différence de traitement, directe ou indirecte, fondée sur la religion, les convictions personnelles, les opinions politiques, la race, le sexe, la nationalité, l'orientation sexuelle ou l'état civil. Elle prohibe explicitement les discriminations à l'embauche, dans les conditions de travail, pour l'avancement, pour l'admission à une formation ou lors de la rupture du contrat de travail.

b) Les principaux moyens qu'ont les victimes de faire valoir leurs droits

Au Danemark, lorsqu'un salarié estime être victime d'une discrimination salariale, c'est à l'employeur qu'il revient de prouver que la différence de salaire est justifiée . En outre, lorsque la discrimination salariale est établie, la victime est en droit d'exiger la différence de salaire. En revanche, dans tous les autres cas, les victimes doivent utiliser les règles de droit commun.

Aux Pays-Bas, les victimes de discriminations peuvent s'adresser directement à la Commission pour l'égalité de traitement , organisme indépendant institué par la loi de 1994. Elles peuvent également demander à leur comité d'entreprise ou à une association de lutte contre les discriminations de saisir la commission .

Cette dernière, lorsqu'elle estime la demande fondée, mène une enquête et dispose pour cela de larges pouvoirs (convocation des parties et de tiers, demande de documents, inspection sur place...). Bien que les conclusions de la commission n'aient aucune force exécutoire, elles sont généralement suivies. La commission peut également agir en justice pour obtenir l'annulation ou la réparation financière d'une mesure discriminatoire. Dans son dernier rapport annuel disponible (celui de 1998), elle indiquait cependant ne pas encore avoir utilisé cette faculté.

2. Les lois belge et anglaise n'interdisent que certaines discriminations, mais elles offrent aux victimes de puissants moyens d'action

a) Les discriminations explicitement interdites par les lois belge et anglaise

La Belgique a adopté en 1981 la loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie , qui comporte, depuis 1994 , un article relatif à la discrimination raciale en matière d'emploi. Cet article sanctionne toute personne qui commet une discrimination fondée sur la race, l'ascendance, l'origine et la nationalité, l'interdiction s'appliquant " en matière de placement, de formation professionnelle, d'offre d'emploi, de recrutement, d'exécution du contrat de travail ou de licenciement ".

La Grande-Bretagne , conformément à sa vision " communautariste " de la société, procède par touches successives : après avoir, en 1975, adopté la loi sur la discrimination sexuelle, elle a légiféré sur les discriminations raciales en 1976 , puis sur les discriminations fondées sur le handicap en 1995.

La loi de 1976 sur les discriminations raciales se subdivise en plusieurs parties, et l'une d'elles est consacrée au domaine de l'emploi. Elle interdit aux employeurs toute discrimination, directe ou indirecte, aussi bien à l'égard des candidats à un emploi que des salariés déjà recrutés .

b) Les principaux moyens qu'ont les victimes de faire valoir leurs droits

En Belgique , la loi de 1981 prévoit que les associations de défense des droits de l'homme ou de lutte contre la discrimination , dans la mesure où elles existent depuis au moins cinq ans, ainsi que les syndicats, peuvent agir en justice dans tous les litiges que son application provoque. Pour cela, il leur faut l'autorisation de la victime.

En outre, le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme , organisme indépendant créé en 1993 afin de combattre toutes les formes de racisme, dispose de la même faculté. Il ne l'utilise que dans les affaires particulièrement graves ou exemplaires. Il aide également les victimes en leur prodiguant aide et conseils et, de façon indirecte, par ses recherches et par ses recommandations aux pouvoirs publics.

En Grande-Bretagne, la Commission pour l'égalité raciale , créée par la loi de 1976 constitue le principal vecteur d'aide aux victimes de discriminations. La commission leur apporte surtout une aide indirecte, notamment par ses codes de bonne conduite et ses enquêtes , au terme desquelles elle peut adresser des recommandations aux auteurs de discriminations. Si ces derniers n'obtempèrent pas, elle peut saisir les tribunaux. Elle aide aussi directement les victimes de discriminations en leur fournissant des conseils, et en essayant d'obtenir le règlement extrajudiciaire des conflits ainsi que l'assistance d'avocats. En revanche, elle ne peut saisir directement la justice que dans deux cas : lorsqu'elle a connaissance d'une offre d'emploi discriminatoire ou d'une incitation à la discrimination.

3. L'Allemagne et l'Espagne disposent de quelques mesures éparses

En Allemagne, quelques dispositions législatives, contenues notamment dans la loi sur les conseils d'établissement et dans le code social, interdisent certaines pratiques discriminatoires en matière d'emploi. Par ailleurs, les juridictions du travail appliquent le principe de l'égalité de traitement , qui interdit à l'employeur toute différence de traitement reposant sur des motifs subjectifs ou arbitraires. Cependant, pour faire valoir leurs droits, les victimes de discriminations ne disposent d'aucune procédure spécifique. Elles doivent donc utiliser les règles de droit commun. Tout au plus, la loi sur les conseils d'établissement permet-elle au conseil d'établissement lui-même ou à l'un des syndicats représentés dans l'entreprise d'entamer une action en justice contre l'employeur lorsque ce dernier a violé de façon grossière l'une des obligations qu'elle énonce.

L'insuffisance du dispositif juridique allemand a conduit les Verts à préparer une proposition de loi générale sur la lutte contre toutes les discriminations. Applicable notamment dans le domaine de l'emploi, elle prévoit d'introduire des aménagements aux règles de preuve et d'ouvrir aux syndicats la possibilité d'intervenir en justice au nom des victimes.

En Espagne, les dispositions interdisant les pratiques discriminatoires dans l'entreprise sont également dispersées. Cependant, les victimes se trouvent dans une situation plus favorable qu'en Allemagne, d'une part, parce que les syndicats peuvent , en vertu de la loi sur la procédure devant les tribunaux du travail, défendre en justice les intérêts individuels de leurs membres et, d'autre part, parce que le principe constitutionnel d'interdiction de toute discrimination jouit d'un niveau de protection très élevé . En effet, l'article de la Constitution qui interdit toute discrimination " pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d'opinion ou pour n'importe quel autre facteur ou circonstance personnel ou social " fait partie de ceux dont la violation justifie que la victime entame une action en justice fondée sur les principes de priorité et de la procédure sommaire. Ensuite, lorsqu'elle a épuisé les recours judiciaires, la victime peut s'adresser au Tribunal constitutionnel.

* *

*

La proposition de loi française semble se fixer des objectifs plus ambitieux que les principaux dispositifs étrangers . En effet, son champ d'application est plus large que celui des lois anglaise et belge, qui offrent certes une protection assez complète aux victimes de discriminations, mais seulement aux victimes de discriminations raciales.

Par ailleurs, contrairement au texte français, la loi néerlandaise, dont l'objectif est la lutte contre toutes les discriminations, ne prévoit pas, l'aménagement des règles de preuve. Il est en revanche prévu par la loi danoise relative à l'interdiction de toute discrimination sur le marché du travail, mais seulement pour les discriminations salariales.

Cependant, l'importance des moyens que la proposition de loi française met à la disposition des victimes ne doit pas faire oublier l'importance des organismes ad hoc créés par les lois anglaise, belge et néerlandaise et leur rôle dans la prévention et la résolution extrajudiciaire des conflits .

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

UNION EUROPEENNE

La lutte contre les discriminations sur les lieux de travail fait l'objet de deux directives :

- la directive relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, qui vise les seules discriminations raciales, mais dont le champ d'application dépasse le domaine de l'emploi ;

- la directive portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, qui vise les autres discriminations et dont le champ d'application est limité au domaine de l'emploi.

1) La directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique interdit toute discrimination, directe et indirecte, dans plusieurs domaines, parmi lesquels figurent, pour ce qui est de l'emploi :

- l'accès à l'emploi ;

- les conditions d'avancement ;

- l'accès aux formations professionnelles ;

- les conditions d'emploi et de travail ;

- les conditions de licenciement ;

- l'affiliation à une organisation représentative.

Pour garantir l'efficacité du dispositif, les victimes doivent bénéficier d'un droit de recours individuel contre les auteurs de discriminations. Les associations et les personnes morales qui y ont intérêt doivent pouvoir engager, au nom du plaignant ou pour l'aider, des procédures permettant de faire respecter le principe d'égalité. De plus, la charge de la preuve incombe au défendeur et les victimes doivent être protégées contre toute tentative de représailles.

Chaque Etat membre doit disposer d'un organisme indépendant chargé de promouvoir l'égalité de traitement entre personnes de race différente. Ces organismes reçoivent les plaintes des victimes, réalisent des enquêtes et émettent des recommandations.

Cette directive doit être transposée en droit national au plus tard le 19 juillet 2003.

2) La directive portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail , adoptée en octobre, n'est pas encore publiée.

Elle tend à interdire les discriminations directes et indirectes sur le lieu de travail, qu'elles soient fondées sur la religion ou les convictions, sur le handicap, sur l'âge ou sur l'orientation sexuelle.

Elle s'applique aux mêmes domaines que la directive " racisme " (l'accès à l'emploi, les conditions d'avancement...) et comporte les mêmes dispositions permettant aux victimes de faire valoir leurs droits, à l'exception du recours à des organismes indépendants.

Chaque Etat membre dispose de trois ans pour la transposer en droit national. Ce délai est de six ans pour ce qui concerne la lutte contre la discrimination fondée sur l'âge ou sur le handicap.

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

ALLEMAGNE

L'article 3 de la Loi fondamentale , qui est consacré à l'égalité devant la loi, énonce à l'alinéa 3 : " Nul ne doit être défavorisé ou avantagé en raison de son sexe, de son ascendance, de sa race, de sa langue, de sa patrie et de son origine géographique, de ses croyances, de ses opinions religieuses ou politiques. Nul ne doit être défavorisé en raison de son handicap. "

Ce principe constitutionnel n'a été que peu développé dans la législation, où les dispositions explicites à cet égard sont fragmentaires. Dans le domaine de l'emploi, les principaux textes qui évoquent l'interdiction de la discrimination sont les lois sur les fonctionnaires et sur les conseils d'établissement, ainsi que le code social.

1) LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES EXPLICITEMENT INTERDITES PAR LA LOI

Le principe formulé à l'article 3-3 de la Loi fondamentale interdit la plupart des discriminations, mais n'évoque pas la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Par ailleurs, l'article 3-3 de la Loi fondamentale ne s'applique pas directement aux relations de droit privé , et notamment aux relations entre employeurs et salariés. En effet, d'après l'article 1-3 de la Loi fondamentale, les droits fondamentaux que cette dernière énonce, parmi lesquels le principe de non-discrimination, ne s'imposent directement qu'aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire . L'article 3-3 vise donc avant tout à protéger les particuliers contre d'éventuels abus commis par les pouvoirs publics. Cependant, comme tous les autres articles relatifs aux droits fondamentaux, l'article 3-3, par l'obligation qu'il constitue pour le législateur, le gouvernement et les tribunaux, a un effet indirect sur les tiers .

De plus, à partir de l'obligation contractuelle qu'a l'employeur de prendre en compte les intérêts des salariés et de tout mettre en oeuvre pour assurer le bien-être de ces derniers, la jurisprudence a adapté le principe constitutionnel de non-discrimination au droit du travail : le principe d'égalité de traitement interdit à l'employeur toute différence de traitement reposant sur des motifs subjectifs ou arbitraires. Par conséquent, l'employeur n'a pas le droit de traiter différemment un salarié d'un groupe donné par rapport aux autres salariés du même groupe. Il a en revanche le droit d'établir une distinction entre différents groupes de salariés, dans la mesure où la distinction repose sur un critère objectif (situation familiale, ancienneté...).

Outre ce principe général, quelques dispositions législatives interdisent explicitement certaines pratiques discriminatoires en matière d'emploi.

La loi-cadre sur les fonctionnaires énonce, à l'article 7, que les nominations doivent être faites en tenant compte de l'aptitude des candidats, indépendamment de toute considération de sexe, d'ascendance, de race, de croyance, d'opinions religieuse ou politique, d'origine sociale ou de parenté.

L'article 7 de la loi sur les fonctionnaires fédéraux reprend la même formulation.

La loi sur les conseils d'établissement précise, à l'article 75, que les employeurs et les conseils d'établissement doivent veiller à ce que tous les salariés soient traités conformément aux principes du droit et de l'équité. Cet article interdit en particulier toute différence de traitement fondée sur l'ascendance, la religion, la nationalité, l'origine, les activités politiques ou syndicales, les opinions ou le sexe.

L'article 36 du livre III du code social interdit aux bureaux publics de placement de prendre en compte certains des critères dont l'employeur demande qu'ils soient remplis par le candidat à l'emploi (relatifs à l'âge, à l'état de santé ou à la nationalité par exemple) lorsqu'ils n'ont aucun lien avec le poste à pourvoir.

L'article 2-1 de la loi sur la promotion de l'emploi interdit à l'employeur de défavoriser les salariés qui travaillent à temps partiel.

2) LES SANCTIONS DE CES INTERDICTIONS

Conformément à l'article 134 du code civil, tout acte juridique qui enfreint une interdiction législative est frappé de nullité , à moins que l'interdiction ne soit assortie d'une autre sanction. En théorie, les décisions discriminatoires de l'employeur ne produisent donc aucun effet.

La loi sur les comités d'entreprise prévoit que, si l'employeur viole de manière grossière l'une des obligations qu'elle lui impose, la juridiction du travail peut lui imposer de renoncer à une décision antérieure ou, au contraire, de prendre une décision donnée.

Seule une minorité de juristes affirme que la violation du principe d'égalité de traitement peut justifier une demande de dédommagement des préjudices matériels sur la base de l'article 823 du code civil, lequel énonce : " quiconque porte illicitement atteinte, intentionnellement ou par imprudence, à la vie, à l'intégrité corporelle, à la santé, à la liberté, au droit de propriété ou à un autre droit d'autrui est tenu envers autrui de réparer le dommage qui en résulte ". En effet, il faudrait pour cela que le principe d'égalité de traitement fît partie, comme le " droit général de la personnalité ", des droits que la jurisprudence considère comme susceptibles de justifier une action fondée sur l'article 823 du code civil. Or, il n'est pas évident qu'une discrimination constitue une violation du " droit général de la personnalité ".

3) LES PROCÉDURES SPÉCIFIQUES PERMETTANT AUX VICTIMES DE FAIRE VALOIR LEURS DROITS

Il n'en existe aucune. Pour faire valoir leurs droits, les victimes de discriminations doivent donc utiliser les règles de droit commun . Elles doivent en particulier apporter la preuve de la discrimination.

L'article 23 de la loi sur les conseils d'établissement justifie que le conseil d'établissement lui-même ou l'un des syndicats représentés dans l'entreprise entame une action en justice en cas de " violation grossière " de l'une des obligations énoncées par cette même loi . Or, l'interdiction de la discrimination figure parmi ces obligations. Cependant, la possibilité offerte par l'article 23 de la loi sur les conseils d'établissement ne constitue en aucun cas un droit du salarié, qui ne peut donc pas exiger l'intervention du conseil d'établissement ou du syndicat.

* *

*

Les défenseurs des minorités (des étrangers, des homosexuels...) font valoir la quasi-absence de législation explicite sur l'interdiction de la discrimination et l'inefficacité des dispositions constitutionnelles.

C'est pourquoi plusieurs propositions tendant à prohiber les discriminations dans plusieurs domaines, parmi lesquels l'emploi , ont été préparées au cours des dernières années. Ces textes définissent la discrimination et le champ d'application de l'interdiction des discriminations. Ils prévoient des aménagements aux règles de preuve et permettent à certaines personnes morales (syndicats, associations de défense des droits de l'homme) d'intervenir au nom des victimes de discriminations dans toute procédure judiciaire ou extrajudiciaire.

Le dépôt d'un projet de loi sur l'interdiction de la discrimination faisait partie du programme de gouvernement du SPD et des Verts.

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

BELGIQUE

L'article 11 de la Constitution dispose que : " La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. A cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques. "

Cependant, la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques ne comporte aucune disposition applicable aux employeurs.

La loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, qui assimile à des délits certains de ces actes, a été adoptée en 1981 (document n° 1). Elle a été complétée par la loi du 15 février 1993 portant création du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (document n° 2) et par celle du 12 avril 1994, qui a introduit dans la loi de 1981, d'une part, une définition de la discrimination et, d'autre part, un article relatif à la discrimination raciale en matière d'emploi.

1) LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES EXPLICITEMENT INTERDITES PAR LA LOI

La loi du 30 juillet 1981 définit , à l'article 1-1, la discrimination comme " toute distinction, exclusion, restriction ou préférence ayant ou pouvant avoir pour but ou pour effet de détruire, de compromettre ou de limiter la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social ou culturel, ou dans tout autre domaine de la vie sociale ".

La loi précise ensuite toutes les pratiques qu'elle interdit, et consacre son article 2 bis au domaine de l'emploi : " Quiconque, en matière de placement, de formation professionnelle, d'offre d'emploi, de recrutement, d'exécution du contrat de travail ou de licenciement de travailleurs, commet une discrimination à l'égard d'une personne en raison de sa race, de sa couleur, de son ascendance, de son origine ou de sa nationalité, est puni des peines prévues à l'article 2. "

2) LES SANCTIONS DE CES INTERDICTIONS

D'après la loi de 1981, les discriminations en matière d'emploi sont punies d'un emprisonnement d'un mois à un an et/ou d'une amende de 50 BEF à 1 000 BEF. Compte tenu du système des " décimes additionnels ", le montant de l'amende est actuellement compris entre 10 000 BEF et 200 000 BEF (c'est-à-dire entre 1 600 FRF et 32 000 FRF).

En effet, pour lutter contre l'érosion monétaire, le législateur utilise, depuis 1921, un système d'augmentation du montant des amendes, appelé système des " décimes additionnels ". La dernière loi qui les a fixés est la loi du 24 décembre 1993, qui prévoit qu'à partir du 1 er janvier 1995, le montant des amendes pénales doit être multiplié par 200.

Par ailleurs, la loi précise que " l'employeur est civilement responsable des amendes auxquelles ses préposés ou mandataires ont été condamnés ".

3) LES PROCÉDURES SPÉCIFIQUES PERMETTANT AUX VICTIMES DE FAIRE VALOIR LEURS DROITS

a) L'action en justice des syndicats ou des associations

La loi de 1981 prévoit que certains organismes peuvent agir en justice dans tous les litiges provoqués par son application. Ont cette possibilité :

- toute association ou tout établissement public dont l'objectif statutaire consiste soit en la défense des droits de l'homme, soit en la lutte contre la discrimination , à condition que l'organisme en question existe depuis au moins cinq ans ;

- les syndicats .

Cependant, aucun de ces organismes ne peut ester en justice sans l'autorisation explicite de la victime.

Aux termes de la loi qui l'institue, le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme dispose également de la même faculté.

b) Le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme

Créé par une loi du 15 février 1993, cet organisme est placé auprès du Premier ministre et dispose de la personnalité juridique. A l'article 2, la loi lui assigne la mission générale " de promouvoir l'égalité des chances et de combattre toute forme de distinction, d'exclusion, de restriction ou de préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance, l'origine ou la nationalité ".

Pour cela, la loi autorise le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme :

" 1. à effectuer toutes les études et recherches nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;

2. à adresser des avis et recommandations aux pouvoirs publics en vue de l'amélioration de la réglementation en application de l'article 2 de la présente loi ;

3. à adresser des recommandations aux pouvoirs publics et aux personnes et institutions privées sur la base des résultats des études et des recherches visées sous le 1° ;

4. à aider, dans les limites de sa mission définie à l'article 2, toute personne sollicitant une consultation sur l'étendue de ses droits et obligations. Cette aide permet au bénéficiaire d'obtenir des informations et des conseils sur les moyens de faire valoir ses droits ;

5. à ester en justice dans tous les litiges auxquels pourrait donner lieu l'application de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie ou l'application de la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des être humains et de la pornographie enfantine ;

6. à assurer, dans le cadre de ses missions, un soutien et une guidance à des institutions, organisations et dispensateurs d'assistance juridique ;

7. à produire et fournir toute information et toute documentation utiles dans le cadre de sa mission ;

8. à accomplir toute autre mission confiée par tout pouvoir public ".

Le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme aide donc les victimes de discriminations de façon directe :

- en leur fournissant informations et conseils ;

- en se constituant partie civile . En pratique, il ne le fait que dans les affaires particulièrement graves ou considérées comme exemplaires.

Par ailleurs, le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme établit un rapport annuel, qu'il soumet au Premier ministre et que ce dernier transmet aux assemblées parlementaires.

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

DANEMARK

La Constitution ne comporte aucune disposition prohibant explicitement la discrimination. Par ailleurs, la loi sur l'interdiction de la discrimination raciale, adoptée dès 1971 ( 28 ( * ) ) , vise le refus de fournir une prestation dans le cadre d'une activité économique ou d'intérêt général, mais ne sanctionne pas le refus d'embauche, et la Commission pour l'égalité ethnique, instituée en 1993, ne dispose d'aucun pouvoir de décision.

Jusqu'à l'entrée en vigueur, le 1 er juillet 1996, de la loi du 12 juin 1996 portant interdiction de toute discrimination sur le marché du travail (document n° 3), il n'existait donc aucune norme permettant de lutter efficacement contre de telles discriminations.

1) LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES EXPLICITEMENT INTERDITES PAR LA LOI

D'après l' article premier de la loi du 12 juin 1996, " toute différence de traitement, directe ou indirecte, fondée sur la race, la couleur de la peau, la religion, l'opinion politique, l'orientation sexuelle, ou sur l'origine nationale, sociale ou ethnique " constitue une discrimination.

Les articles 2 et 4 précisent les règles que tout employeur doit respecter, à l'égard de ses salariés et de ses salariés potentiels. Ces dispositions prohibent :

- toute discrimination lors d'une embauche, d'un licenciement, d'une mutation ou d'une promotion ;

- toute discrimination relative aux conditions de travail ou aux salaires ;

- la recherche de renseignements, au moment de l'embauche ou ultérieurement, sur la race, la couleur de la peau, la religion, l'opinion politique, l'orientation sexuelle, ou sur l'origine nationale, sociale ou ethnique.

Les articles 3 et 5 énoncent les interdictions qui s'imposent non seulement à l'employeur, mais également à des tiers . Ils prohibent toute discrimination :

- dans le cadre de la formation professionnelle, que celle-ci se déroule ou non à l'initiative de l'employeur ;

- dans une offre d'emploi.

Par ailleurs, tous les organismes qui délivrent les autorisations ou qui fixent les règles pour l'établissement des travailleurs indépendants ne peuvent pas se prévaloir de l'un des motifs énumérés à l'article premier de la loi pour empêcher ces derniers d'exercer leur activité.

2) LES SANCTIONS DE CES INTERDICTIONS

Lorsqu'une discrimination salariale est établie, la victime est en droit d'exiger la différence entre son salaire et celui de son (ses) collègue(s).

De façon générale, toute discrimination entraîne une réparation des préjudices , les tribunaux appliquant les règles de droit commun pour calculer le montant de l'indemnité.

Cependant, lorsque l'interdiction d'une offre d'emploi discriminatoire est transgressée et qu'il est impossible d'identifier les victimes d'une telle mesure, l'auteur de l'infraction doit payer une amende .

3) LES PROCÉDURES SPÉCIFIQUES PERMETTANT AUX VICTIMES DE FAIRE VALOIR LEURS DROITS

Lorsqu'un salarié estime être victime d'une discrimination salariale , c'est à l' employeur qu'il appartient de prouver que la différence de salaire est justifiée.

Dans tous les autres cas, les victimes de discriminations doivent utiliser les règles de droit commun. Leur difficulté à établir la discrimination explique par exemple qu'il ait fallu attendre le début de l'année 1999 pour voir un tribunal attribuer une compensation financière à un homosexuel qui avait été licencié.

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

ESPAGNE

L'article 14 de la Constitution pose le principe général de l'interdiction de toute discrimination : " Les Espagnols sont égaux devant la loi ; ils ne peuvent faire l'objet d'aucune discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d'opinion ou pour n'importe quelle autre raison ou circonstance personnelle ou sociale. "

En outre, le droit du travail comporte plusieurs dispositions destinées à protéger les salariés contre les discriminations . Elles sont essentiellement contenues dans la loi portant statut des salariés, ainsi que dans la loi sur les infractions et sanctions en matière sociale.

1) LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES EXPLICITEMENT INTERDITES PAR LA LOI

A l'article 4-2-c, la loi portant statut des salariés énonce le droit de ces derniers à ne pas subir de discrimination, ni lors du recrutement, ni ultérieurement, pour des raisons liées au sexe, à l'état civil, à l'âge, à la race, au statut social, aux croyances religieuses, aux idées politiques, à l'appartenance syndicale ou à la langue.

La loi interdit également toute discrimination fondée sur un handicap physique, mental ou sensoriel, dans la mesure où l'intéressé est en mesure d'occuper le poste à pourvoir.

La loi ne distingue pas les discriminations directes des discriminations indirectes, mais les tribunaux considèrent que tout traitement apparemment équitable, mais qui, dans la réalité, engendre des différences entre les personnes constitue une discrimination.

L'article 96-12 de la même loi qualifie d' infractions très graves les décisions unilatérales de l'employeur qui comportent des discriminations , et ce quel que soit le fondement de la discrimination. Toutefois, cet article autorise les discriminations favorables liées à l'âge du salarié, ce qui permet, d'une part, de faciliter l'insertion des jeunes dans le monde du travail et, d'autre part, d'octroyer des avantages aux salariés les plus âgés.

L'article 28 de la loi sur les infractions et sanctions en matière sociale vise les offres d'emploi. Il qualifie d'infraction très grave la mention, dans toute offre d'emploi, de conditions susceptibles de limiter l'accès à l'emploi pour des raisons liées au sexe, à l'état civil, à l'âge, à la race, au statut social, aux croyances religieuses, aux opinions politiques, à l'appartenance syndicale ou à la langue.

2) LES SANCTIONS DE CES INTERDICTIONS

L'article 17-1 de la loi portant statut des salariés frappe de nullité toutes les dispositions discriminatoires contenues dans une convention collective, dans un contrat individuel ou dans une décision unilatérale de l'employeur. Cette disposition, qui s'applique quel que soit le motif de la discrimination (âge, sexe, origine...), autorise cependant l'octroi d'avantages liés à l'âge.

Les infractions très graves , qu'elles soient définies par la loi portant statut des salariés ou par la loi sur les infractions et sanctions en matière sociale, sont sanctionnées par une amende dont le montant varie entre 500 000 et 15 000 000 pesetas (c'est-à-dire entre 20 000 et 600 000 FRF).

Le nouveau code pénal érige en délit certaines infractions aux droits des salariés , parmi lesquels l'interdiction de toute discrimination. A l'article 314, il prévoit que les auteurs d'une grave discrimination dans le travail, qu'il s'agisse d'un emploi public ou privé, sont passibles d'une peine de prison comprise entre six mois et deux ans, ou d'une amende de six à douze mois ( 29 ( * ) ) lorsque la discrimination est fondée sur " l'idéologie, la religion ou les croyances, l'appartenance à une ethnie, à une race ou à une nation, l'orientation sexuelle, la situation familiale, la maladie ou le handicap physique ".

Par ailleurs, l'article 14 du nouveau code pénal dispose que, de manière générale, la volonté de discrimination constitue une circonstance aggravante .

3) LES PROCÉDURES SPÉCIFIQUES PERMETTANT AUX VICTIMES DE FAIRE VALOIR LEURS DROITS

a) Les recours particuliers

Le principe constitutionnel d'interdiction de toute discrimination jouit d'un niveau de protection très élevé, l'article 53-2 de la Constitution énonçant : " Tout citoyen pourra demander la protection des libertés et des droits reconnus à l'article 14 et à la section première du chapitre II [du titre premier] devant les tribunaux ordinaires par une action fondée sur les principes de priorité et de la procédure sommaire et, le cas échéant, par le recours individuel d'amparo ( 30 ( * ) ) devant le Tribunal constitutionnel (...) ".

Ainsi, la victime d'une discrimination a non seulement la possibilité de soumettre son affaire très rapidement aux juridictions ordinaires, mais elle peut également, lorsque tous les recours judiciaires ont été épuisés, saisir le Tribunal constitutionnel dans les vingt jours qui suivent la notification du dernier jugement rendu.

En revanche, si la Constitution inclut la liberté d'entreprise (qui implique notamment la liberté contractuelle, laquelle peut être en contradiction avec le principe de non-discrimination) parmi les droits et devoirs fondamentaux, elle lui accorde un niveau de protection moins élevé. En effet, la liberté d'entreprise figure à la section II du chapitre II du titre premier et ne relève donc pas de l'article 53-2.

b) L'action en justice des syndicats

La loi sur la procédure devant les tribunaux du travail permet aux syndicats d'agir en justice pour y défendre leurs propres intérêts. Elle leur permet aussi d'agir au nom de leurs membres et de défendre leurs droits individuels . La loi présume même l'accord de ces derniers pour être représentés par les syndicats. Cette règle s'applique de façon générale à toutes les procédures devant les tribunaux du travail. Elle n'est pas propre aux affaires de discrimination.

c) L'aménagement des règles de preuve

En règle générale, le Tribunal constitutionnel admet que l'existence de la discrimination doit être prouvée par la victime, mais qu'il appartient à l'autre partie de justifier le motif de la discrimination.

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

GRANDE-BRETAGNE

Après avoir, en 1975, adopté la loi sur la discrimination sexuelle, la Grande-Bretagne ( 31 ( * ) ) a légiféré sur les discriminations raciales en 1976 ( 32 ( * ) ) , puis sur les discriminations fondées sur le handicap en 1995.

Chacune de ces deux lois interdit toute discrimination dans certains domaines de la vie publique, parmi lesquels l'emploi. Chacune de ces lois crée également une commission ad hoc chargée de promouvoir l'égalité et d'aider les victimes de discriminations. Dans le texte qui suit, seule la loi de 1976 sur les relations entre les races (document n° 4), qui a été modifiée à plusieurs reprises, est analysée.

Les autres discriminations ne font l'objet d'aucun texte. En particulier, ni la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ni la discrimination religieuse ne sont illégales . Cependant, la Chambre des lords a admis, en 1983, que les Sikhs constituaient à la fois un groupe ethnique et religieux. Par conséquent, la loi de 1976 peut être utilisée dans certains cas de discrimination religieuse . Elle l'est actuellement seulement pour les juifs et les sikhs, mais pas pour les musulmans.

1) LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES EXPLICITEMENT INTERDITES PAR LA LOI

La discrimination est définie à l'article premier de la loi de 1976 : " (1) Dans tous les cas où l'une des dispositions de la loi s'applique, il y a discrimination envers une personne lorsque quelqu'un,

" (a) pour des motifs raciaux, traite cette personne de manière moins favorable qu'il ne traite ou traiterait d'autres personnes ; ou

" (b) impose à cette personne une exigence ou une condition qu'il impose ou imposerait également à des individus n'appartenant pas au groupe racial de cette personne, mais

" (i) qui est telle que le nombre d'individus du même groupe racial que l'intéressé susceptibles de pouvoir s'y conformer est considérablement moins élevé que le nombre d'individus n'appartenant pas à ce groupe racial susceptibles de pouvoir s'y conformer ; et

" (ii) dont il ne peut avancer de justification indépendamment de la couleur, de la race, de la nationalité ou des origines ethniques ou nationales de la personne à laquelle il l'impose ; et

" (iii) qui porte préjudice à cette personne parce qu'elle ne peut s'y conformer.

" (2) Aux fins de la présente loi, on considère que le fait de pratiquer la discrimination raciale envers un individu consiste à le traiter de manière moins favorable que les autres. ".

Cette définition englobe donc les deux formes de discrimination directe et indirecte , l'alinéa 1a se rapportant à la première forme et l'alinéa 1b à la seconde.

Les principales expressions utilisées à l'article premier sont définies à l'article 3, qui précise que, de façon générale :

" l'expression "motifs raciaux" désigne tout motif fondé sur la couleur, la race, la nationalité ou l'origine ethnique ou nationale ;

" l'expression "groupe racial" désigne un groupe de personnes qui se définit par la couleur, la race, la nationalité ou l'origine ethnique ou nationale (...) ".

La deuxième partie de la loi de 1976 traite de la discrimination raciale dans le domaine de l'emploi.

Elle se subdivise en trois sous-parties applicables respectivement aux employeurs, aux autres acteurs du marché du travail (syndicats, organismes de formation professionnelle...) et aux forces de police.

S'agissant des employeurs , la loi leur interdit expressément de pratiquer toute discrimination raciale, aussi bien à l'égard des candidats à un emploi qu'envers leurs salariés. Cette interdiction s'applique  :

- à la formulation des offres d'emploi ;

- à la détermination des conditions à remplir pour pouvoir un poste ;

- au choix d'un candidat pour un poste donné ;

- à l'organisation du travail ;

- à l'accès des salariés à une promotion, à une mutation, à une formation ou à tout autre avantage ;

- à la procédure de licenciement.

La loi précise également que toute discrimination raciale de la part des syndicats, des organismes de formation professionnelle, des bureaux de placement, des organismes, publics ou privés, qui octroient les autorisations ou les titres nécessaires à l'exercice de certains métiers ou de certaines professions est interdite.

2) LES SANCTIONS DE CES INTERDICTIONS

La loi de 1976 ne crée pas d'infraction spécifique. Les plaintes en matière de discrimination raciale sont donc soumises aux juridictions du travail qui peuvent :

- rendre un jugement déclaratif des droits du plaignant ;

- enjoindre à l'employeur de pallier ou de limiter les conséquences de son acte discriminatoire ;

- exiger de l'employeur qu'il indemnise la victime. Le préjudice moral peut être indemnisé même si le préjudice réel ne l'est pas.

Ces trois types de réparation peuvent être accordés de façon séparée ou conjointe.

Depuis une modification apportée en 1994, le montant des dommages-intérêts n'est plus plafonné . Dans son dernier rapport d'activité disponible, celui de 1998, la Commission pour l'égalité raciale indique que, dans les litiges relatifs à l'emploi, le montant moyen des dommages-intérêts octroyés s'élève à 11 482 £ (soit environ 120 000 FRF). Cette moyenne cache une dispersion importante, car les montants supérieurs à 100 000 £ ne sont plus exceptionnels.

Cependant, l'article 57 de la loi de 1976 pose une restriction importante à l'octroi de dommages-intérêts : la discrimination indirecte ne peut pas donner lieu à dommages-intérêts si l'accusé réussit à démontrer aux juges qu'il n'avait pas l'intention de pratiquer un acte discriminatoire lorsqu'il a pris la mesure contestée.

3) LES PROCÉDURES SPÉCIFIQUES PERMETTANT AUX VICTIMES DE FAIRE VALOIR LEURS DROITS

a) L'aménagement des règles de preuve

Les tribunaux se montrent en général assez indulgents envers les victimes lorsque celles-ci parviennent à montrer que l'accusé a établi une distinction entre des personnes appartenant à des groupes raciaux différents. Il appartient alors à l'accusé de convaincre le tribunal de sa bonne foi.

De plus, l'article 65 de la loi de 1976 prévoit une procédure particulière qui facilite l'obtention des preuves : il permet au ministère de l'Intérieur d'établir des formulaires permettant à la victime d'interroger la partie qui est assignée et à cette dernière de répondre. Les questions et les réponses constituent des preuves pour toutes les procédures entamées dans le cadre de la loi de 1976.

b) La Commission pour l'égalité raciale

Constituée en vertu de l'article 43 de la loi de 1976, la commission comporte entre huit et quinze membres nommés par le ministre de l'Intérieur. Elle a son siège à Londres, mais dispose de plusieurs antennes régionales (une en Ecosse, une au Pays de Galles et trois en Angleterre). Elle employait 217 personnes à la fin de l'année 1998.

La loi lui a assigné la mission suivante :

- oeuvrer pour l'élimination de la discrimination raciale ;

- promouvoir l'égalité des chances et les bonnes relations entre personnes appartenant à des groupes raciaux différents ;

- veiller à l'application de la loi et présenter des propositions de réforme.

Pour remplir cette mission, la commission dispose des pouvoirs suivants :

- accorder son soutien, notamment financier, aux organismes qui poursuivent le même but qu'elle ( 33 ( * ) ) ;

- effectuer des recherches et mener des actions pédagogiques ;

- rédiger des codes de bonne conduite, en particulier dans le domaine de l'emploi ;

- mener des enquêtes, la loi prévoyant une procédure spécifique à cet égard ;

- adresser des recommandations aux auteurs, potentiels ou réels, de discriminations, ainsi qu'au ministre compétent ;

- saisir elle-même la justice, mais seulement lorsque certaines des infractions à la loi de 1976 sont constatées ;

- apporter son aide aux victimes de discriminations raciales.

En ce qui concerne ce dernier point, qui constitue la seule forme d' aide directe aux victimes, la loi autorise la commission à fournir " toute forme d'assistance qu'elle juge appropriée ", et en particulier :

- à donner des conseils aux victimes ;

- à tenter d'obtenir un règlement extrajudiciaire des litiges ;

- à faire en sorte que les victimes soient conseillées ou représentées par un avocat.

Dans son dernier rapport annuel disponible, celui de 1998, la commission indique avoir reçu 1 657 demandes d'aide, les deux tiers de ces demandes se rapportant à des problèmes survenus sur les lieux de travail.

Les autres moyens d'action de la commission constituent des aides indirectes aux victimes de discriminations. En matière d'emploi, les codes de bonne conduite et les enquêtes représentent les plus importantes.

Le code de bonne conduite relatif à l'emploi (document n° 5) est l'un des sept codes que la commission a élaborés. Il a été modifié plusieurs fois. Dépourvu de tout caractère obligatoire, il comporte les indications que les employeurs, les syndicats, ainsi que tous les autres acteurs du marché du travail, doivent respecter pour se conformer aux prescriptions de la loi de 1976, et notamment pour éviter toute pratique discriminatoire indirecte.

La commission ne peut mener ses enquêtes que lorsqu'elle suspecte des pratiques discriminatoires. De plus, elle doit prévenir les établissements concernés de l'ouverture de l'enquête et en fixer le cadre. La commission n'utilise cette procédure qu'en dernier ressort. Elle dispose de larges pouvoirs : inspection sur pièces et sur place, convocation de témoins... Lorsque la commission conclut à l'existence d'un cas de discrimination, elle adresse à l'auteur de cette dernière une mise en demeure, valable pendant cinq ans et contenant les différentes mesures qui doivent être prises pour faire cesser les infractions à la loi de 1976. Lorsque l'auteur de la discrimination ignore ces instructions, la commission peut obtenir des tribunaux un jugement enjoignant à l'employeur fautif de se mettre en règle dans des délais très courts. Les mises en demeure de la commission sont susceptibles d'appel devant les tribunaux de droit commun ou devant les juridictions du travail, selon la nature des actes qu'elles visent.

La commission peut saisir directement la justice dans deux cas seulement :

- lorsqu'elle a connaissance d'une offre d'emploi discriminatoire ;

- dans les cas où une personne a fait pression sur une autre ou lui a donné des instructions pour que cette dernière se comporte de façon discriminatoire.

La commission peut alors demander au tribunal d'enjoindre à l'auteur de la discrimination de se mettre en conformité avec la loi. Dans ces deux hypothèses, la commission est la seule à pouvoir intenter une action.

* *

*

En juin 1998, la Chambre des lords a adopté une proposition de loi tendant à interdire, sur les lieux de travail, toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Le texte a été rejeté par la Chambre des communes.

L'année suivante, le gouvernement a indiqué que, à défaut de législation, il convenait d'établir un code de bonne conduite. Plusieurs administrations ont donc entrepris sa rédaction.

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

PAYS-BAS

L'article premier de la Constitution pose le principe général de l'interdiction de toute discrimination : " Tous ceux qui se trouvent aux Pays-Bas sont, dans des cas égaux, traités de façon égale. Nulle discrimination n'est permise, qu'elle se fonde sur la religion, les convictions, les opinions politiques, la race, le sexe ou tout autre motif. "

L'article 90 quater du code pénal, et surtout la loi du 2 mars 1994 sur l'égalité de traitement (document n° 6), entrée en vigueur le 1 er septembre 1994, développent le principe énoncé à l'article premier de la Constitution En effet, ils définissent les pratiques discriminatoires interdites et appliquent le principe de non-discrimination à tous les domaines de la vie sociale.

La loi de 1994 a également institué la Commission pour l'égalité de traitement , qui enquête dans les affaires de discrimination. Elle peut offrir sa médiation, voire entamer une procédure judiciaire.

1) LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES EXPLICITEMENT INTERDITES PAR LA LOI

L'article 90 quater du code pénal définit la discrimination comme " toute forme de distinction, d'exclusion, de restriction ou de préférence dont l'objet ou l'effet est de réduire à néant ou de limiter la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice sur un pied d'égalité des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social ou culturel ou dans tout autre domaine de la vie sociale. "

La loi du 2 mars 1994 a pour objet la lutte contre toute discrimination, directe ou indirecte, fondée sur la religion, les convictions personnelles, les opinions politiques, la race, le sexe, la nationalité, l'orientation sexuelle ou l'état civil.

Dans le domaine de l'emploi, elle interdit toute discrimination :

- lors de la conclusion ou de la rupture d'un contrat de travail ;

- pour l'avancement ;

- dans les conditions de travail ;

- au moment de décider de l'admission d'une personne à une formation, que celle-ci se déroule avant l'embauche ou en cours d'emploi.

La loi interdit également que l'accès à une profession indépendante et l'exercice d'une telle profession puissent être refusés.

2) LES SANCTIONS DE CES INTERDICTIONS

La loi sur l'égalité de traitement frappe de nullité toutes les décisions mettant fin à un contrat de travail qui ont été prises sur le fondement d'une discrimination. Les ruptures du contrat de travail fondées sur le fait que le salarié a tenté de se prévaloir des dispositions législatives le protégeant contre les discriminations sont également nulles.

L'article 1-3 de la loi sur les conventions collectives énonce que toute disposition obligeant l'employeur à embaucher ou à ne pas embaucher des personnes d'une race particulière, d'une religion ou d'une conviction philosophique ou politique donnée, ou les membres d'une association déterminée est nulle de plein droit.

Le code pénal considère comme un délit , punissable d'une peine de prison pouvant atteindre six mois ou d'une amende d'au plus 10 000 florins (c'est-à-dire environ 30 000 francs) toute personne qui, dans un cadre professionnel, se rend coupable d'une discrimination raciale intentionnelle .

Il considère comme une contravention , punissable d'une peine de prison d'au plus deux mois et d'une amende d'au plus 10 000 florins, toute personne qui, dans un cadre professionnel, se rend coupable d'une discrimination fondée sur la race, la religion, les convictions personnelles, le sexe ou l'orientation sexuelle.

L'article 162 du code civil prévoit que l'auteur d'un acte dommageable doit réparer le préjudice en résultant. Or, la jurisprudence a établi à plusieurs reprises que la discrimination raciale constituait un préjudice et que la victime avait droit à des dommages-intérêts . Cette procédure, qui permet d'éviter l'enquête de police, est peu utilisée, car la victime paie les frais de justice si elle perd son procès.

3) LES PROCÉDURES SPÉCIFIQUES PERMETTANT AUX VICTIMES DE FAIRE VALOIR LEURS DROITS

a) L'aménagement des règles de preuve

Si le code de procédure civile établit que la charge de la preuve incombe au demandeur, les tribunaux peuvent renverser la charge de la preuve pour des raisons d'équité. Ils le font parfois lorsque la victime apporte suffisamment d'éléments.

b) La Commission pour l'égalité de traitement

La Commission pour l'égalité de traitement est un organisme indépendant, institué par la loi de 1994. Elle comprend neuf membres nommés par le ministre de la Justice en accord avec quatre autres ministres (les quatre ministres chargés de l'intérieur, des affaires sociales, de l'enseignement et de la santé publique) et dispose d'un secrétariat dont les membres sont également nommés par le ministre de la Justice.

La commission enquête sur les affaires de discrimination , que la discrimination soit fondée sur la loi de 1994, sur la loi de 1980 relative à l'égalité de traitement entre hommes et femmes, ou sur les dispositions du code civil relatives à l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

Un règlement du 29 juin 1994 détermine la procédure applicable devant la commission (document n° 7). Celle-ci agit de son propre chef ou en réponse à des demandes écrites que peuvent lui présenter non seulement les personnes directement intéressées (victimes, auteurs potentiels de discriminations avant de prendre une mesure, instances ayant à prendre une décision dans une affaire de discrimination), mais aussi :

- les comités d'entreprise ;

- les associations et les fondations dont l'objet est la lutte contre les discriminations.

Lorsqu'elle estime la demande fondée, la commission mène une enquête. Elle peut exiger, des parties à l'affaire ou de tiers, des explications écrites ou orales et a accès à tous les locaux, à l'exception des appartements. Avant de rendre ses conclusions définitives, la commission convoque les parties à une audience afin de leur donner l'occasion de s'exprimer. Cette audience est publique.

La commission transmet ensuite ses conclusions au demandeur, à la victime s'il s'agit d'une autre personne, et à l'auteur, prétendu ou réel, de la discrimination. Bien que ces conclusions n'aient aucune force exécutoire, elles sont généralement suivies. La commission peut aussi adresser des recommandations à l'auteur de la discrimination. Elle peut également communiquer ses conclusions aux ministères intéressés ainsi qu'aux organisations syndicales et patronales concernées.

La durée totale de traitement d'une plainte par la commission dépasse en moyenne six mois.

La commission peut agir en justice pour obtenir l'annulation, l'interdiction, ou la réparation financière d'une mesure discriminatoire. Dans son dernier rapport annuel disponible, celui de 1998, la commission indiquait ne pas avoir encore utilisé cette faculté.

Chaque année, la commission établit un rapport annuel qui est rendu public.

* *

*

En pratique, il semble que la plupart des plaintes en matière de discrimination , dans la mesure où elles ne présentent aucun caractère exemplaire, soient traitées à l'amiable : la victime prend contact avec une association de lutte contre les discriminations, qui mène son enquête et tente une médiation avec l'entreprise auteur de la discrimination, la plupart des entreprises ayant institué des commissions compétentes pour régler ces affaires.

De plus, après la signature par le gouvernement et par les syndicats, en 1992, d'un protocole condamnant la discrimination raciale, de nombreux codes de bonne conduite ont été établis par les employeurs. Ainsi, en 1996, le conseil municipal d'Amsterdam a élaboré le sien, qui s'applique à tous les services municipaux et à leurs employés.

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL

LISTE DES TEXTES ANALYSES

Document n° 1

Belgique - Loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, modifiée par les lois du 12 avril 1994 et du 7 mai 1999

Document n° 2

Belgique - Loi du 15 février 1993 créant le Centre pour l'égalité de chances et la lutte contre le racisme

Document n° 3

Danemark - Loi du 12 juin 1996 portant interdiction de toute discrimination sur le marché du travail (langue originale)

Document n° 4

Grande-Bretagne - Loi de 1976 sur les relations entre les races (langue originale)

Document n° 5

Grande-Bretagne - Code de bonne conduite élaboré par la Commission pour l'égalité raciale et relatif à l'emploi (langue originale)

Document n° 6

Pays-Bas - Loi du 2 mars 1994 sur l'égalité de traitement (langue originale)

Document n° 7

Pays-Bas - Règlement du 29 juillet 1994 sur la procédure applicable devant la Commission pour l'égalité de traitement (langue originale)

* 1 Voir notamment le rapport n° 125 du Sénat (2000-2001) fait au nom de la commission des Affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Alain Gournac, Jean Arthuis, Pierre Laffitte, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance économique, M. Alain Gournac, rapporteur.

* 2 Voir annexe n° 2, p. 63.

* 3 Voir annexe n° 1, p. 61.

* 4 Projet de loi de modernisation sociale, document n° 2415 de l'Assemblée nationale (24 mai 2000).

* 5 Voir par exemple le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme pour 1997.

* 6 " Les cahiers de France moderne sur l'immigration ", 1998.

* 7 Voir notamment le rapport n° 100 du Sénat (1998-1999) du 9 décembre 1998 au nom de la commission des Affaires sociales sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Michel Barnier sur la communication de la commission : proposition de lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres pour 1999 (n° E-1171), et sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Guy Fischer, Mmes Nicole Borvo, Marcie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécard, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Robert Bret, Michel Duffour, Thierry Foucaud, Gérard Le Cam, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade sur la communication de la commission : proposition de lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres pour 1999 (n° E-1171), par M. Louis Souvet, sénateur, p. 25.

* 8 Voir annexe n° 3, p. 69.

* 9 Voir annexe n° 2, p. 63.

* 10 Voir annexe n° 1, p. 61.

* 11 Voir annexe n° 2, art. 8 de la directive du 29 juin 2000, p. 65.

* 12 Voir encadré ci-après.

* 13 Voir à cet égard le rapport n° 2809 de l'Assemblée nationale fait au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale sur le projet de loi de modernisation sociale, titre II, " Travail, emploi et formation professionnelle ", M. Gérard Terrier, rapporteur, p. 81.

* 14 Voir encadré p. 15.

* 15 Voir annexe n° 2, p. 63.

* 16 Voir annexe n° 1, p. 61.

* 17 JO débats AN - 1 ère séance du 12 octobre 2000, p. 6787.

* 18 JO débats AN - 1 ère séance du 12 octobre 2000, p. 6788.

* 19 Ibidem.

* 20 L'article 13 du traité d'Amsterdam précise que : " le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vu de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ".

* 21 JO débats - AN - 1 ère séance du 12 octobre 2000, p. 6793.

* 22 JO débats AN - 1 ère séance du 12 octobre 2000, p. 6796.

* 23 Projet de loi de modernisation sociale, document n° 2415 de l'Assemblée nationale, 24 mai 2000, p. 119.

* 24 Voir rapport n° 2809 de l'Assemblée nationale fait au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi de modernisation sociale, titre II " Travail, emploi et formation professionnelle ", par M. Gérard Terrier, rapporteur, p. 83.

* 25 JO débats AN - 1 ère séance du 12 octobre 2000, p. 6799.

* 26 Rapport n° 2809 de l'Assemblée nationale, fait au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, sur le projet de loi de modernisation sociale, titre premier, " Santé solidarité, sécurité sociale ", M. Philippe Nauche, rapporteur, p. 94.

* 27 JO débats AN - 1 ère saance du 12 octobre 2000, p. 6799.

* (28) La loi de 1971 concernait uniquement la discrimination raciale ; elle a été modifiée en 1987 pour prendre en compte l'orientation sexuelle.

* (29) Le nouveau code pénal dispose que, en règle générale et sauf prescription contraire, le système des jours-amendes s'applique lorsque la peine consiste en une amende.

* (30) Le recours individuel d'" amparo " (c'est-à-dire de protection) permet aux particuliers, lorsqu'un acte juridique viole l'un de leurs droits fondamentaux, de saisir le Tribunal constitutionnel après épuisement des voies de recours ordinaires.

* (31) L'Irlande du Nord a adopté en 1976 la loi sur l'équité dans l'emploi, qui interdit la discrimination dans l'emploi du fait des croyances religieuses ou des opinions politiques. Elle a ensuite, en 1997, adopté une loi interdisant les discriminations raciales.

* (32) La loi de 1976 est la troisième loi sur les discriminations raciales. Elle fait suite à celle de 1965, dont le champ d'application était très limité, et à celle de 1968, qui s'appliquait déjà sur les lieux de travail.

* (33) Il s'agit essentiellement de la centaine de comités locaux pour la lutte contre le racisme.

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