II. LES ENQUÊTES TECHNIQUES APRÈS ACCIDENT OU INCIDENT DE TRANSPORT

Le titre II du projet de loi dont nous sommes saisis peut paraître, au premier abord, purement technique. Il transpose, en effet, aux secteurs des transports terrestres et maritimes, les règles relatives aux enquêtes techniques portant sur les accidents et les incidents d'aviation civile, fixées par la loi n° 99-243 du 29 mars 1999 2 ( * ) .

Il touche en réalité à un sujet auquel nos concitoyens sont très sensibles et auxquels divers évènements récents, qu'il s'agisse d'accidents ou d'attentats terroristes, ont rendu toute son actualité. La sécurité des transports est pour les voyageurs un légitime motif de préoccupation. Or, les enquêtes techniques apportent un « retour d'expérience » qui en font un puissant outil de prévention.

Le projet de loi se propose de remédier aux carences du régime juridique actuel des enquêtes techniques dans les domaines autres que le transport aérien. L'absence d'un statut législatif de l'enquête technique a, en effet, pu être une source de difficultés importantes, en particulier lorsqu'elle se déroulait simultanément à une enquête judiciaire. Il faut se féliciter, de ce point de vue, que ce texte soit enfin examiné par le Parlement. Il reprend, en effet, des travaux engagés par le précédent Gouvernement.

En France, le nombre de tués 3 ( * ) pour 1 milliard de voyageurs-kilomètres est de 0,5 pour l'aviation marchande, 0,07 pour le rail et 13,6 pour la circulation routière, ce qui confirme la plus grande dangerosité de la route. Le transport ferroviaire est de loin le plus sûr, suivi par le transport aérien. C'est pourtant dans ce dernier mode de transport qu'ont été le plus tôt formalisées, au niveau international, les enquêtes techniques après les accidents.

A. UN OUTIL IRREMPLAÇABLE DE LA POLITIQUE DE PRÉVENTION DES RISQUES D'ACCIDENTS

Les enquêtes techniques ont pour objectif d'émettre, sur la base de l'analyse des circonstances et des causes des accidents ou incidents, des recommandations de sécurité à l'adresse des constructeurs d'équipements, d'infrastructures, des exploitants, des personnes en charge de la conduite du matériel ou de leur formation. Elles apportent un retour d'expérience indispensable à l'évolution des équipements et de leurs conditions d'exploitation ainsi qu'à l'amélioration de la formation du personnel en charge de ces matériels.

Les enseignements tirés des accidents ont en effet joué, dans l'histoire des transports, un rôle primordial pour faire progresser la sécurité, c'est ainsi que les cloisons étanches ont été introduites dans les navires, par exemple, après le terrible naufrage du Titanic. Dans le secteur aérien, dès après la seconde guerre mondiale ont été mises en place des procédures harmonisées de recueil d'information et d'analyses en matière d'accidents d'avion.

1. Un processus né dans le secteur aérien

Dès 1944, la convention relative à l'aviation civile internationale a imposé le recours systématique, après tout accident, aux enquêtes techniques. Elle fut complétée, en 1951, par une « annexe 13 » qui tend à harmoniser les procédures.

Les enquêtes techniques sur les accidents aériens survenus sur le territoire français sont menées par le Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA), organisme crée en 1946, et placé en 1951 auprès de l'Inspection générale de l'aviation civile, au sein du ministère chargé de l'aviation civile. Pour accomplir sa mission, le BEA dispose de 80 personnes, dont trente-sept enquêteurs, treize assistants-enquêteurs, et un médecin-enquêteur. Les investigations sont menées par ces enquêteurs techniques en association, le cas échéant, avec des experts étrangers représentant l'Etat d'immatriculation ou l'Etat de construction de l'aéronef. En outre, le BEA s'appuie sur un réseau de personnels agréés de l'aviation civile, les « enquêteurs de première information ». Il peut faire appel, sous son autorité, à des personnels de la Direction générale de l'aviation civile, du Ministère de la Défense, de Météo France, d'industriels et de transporteurs.

Pour certains accidents, une commission d'enquête peut être instituée par arrêté ministériel, la dernière en date étant la commission d'enquête sur l'accident du Concorde à Gonesse le 25 juillet 2000.

Lorsque l'événement se produit à l'étranger et qu'il concerne une compagnie aérienne française ou un aéronef pour lequel la France est responsable de la navigabilité, ce qui est notamment le cas des Airbus, le BEA envoie un ou plusieurs représentants, qui sont associés à l'enquête. Des experts du constructeur et de l'exploitant de l'aéronef, et parfois des représentants des personnels, sont invités à participer aux travaux sous l'autorité du BEA. Le BEA rend publics les rapports sur les enquêtes techniques, qu'il s'agisse des rapports préliminaires ou définitifs, et émet des recommandations de sécurité, en cours d'enquête ou à la fin de l'enquête.

La loi précitée du 12 mars 1999 a donné une base légale à une pratique déjà ancienne, en introduisant dans le code de l'aviation civile un livre VII relatif aux enquêtes techniques, qui a défini leurs objectifs, le statut de l'organisme chargé des enquêtes, celui des enquêteurs, ainsi que la publicité donnée aux rapports issus des enquêtes techniques. Elle a ainsi consolidé un édifice qui reposait jusqu'alors sur des bases juridiques précaires.

Ce texte prévoit l'obligation d'une enquête technique pour tout accident ou incident aérien grave et confie cette enquête à un organisme permanent doté d'un statut garantissant son indépendance, conformément à une directive européenne en vigueur dans ce secteur 4 ( * ) .

Cette loi a attribué aux enquêteurs techniques des pouvoirs d'investigation étendus : accès au lieu de l'accident ou de l'incident, au contenu des enregistreurs de bord, prélèvements aux fins d'examen et d'analyse ou, le cas échéant, exploitation des constatations faites dans le cadre d'expertises judiciaires. Ils disposent, en outre, d'un droit à la communication de tous les éléments d'information nécessaires à l'enquête.

Tout en renforçant les pouvoirs des enquêteurs techniques, la loi a organisé, lorsqu'une procédure judiciaire est en cours, une coordination entre l'enquête technique et l'enquête judiciaire, destinée à préserver les prérogatives de l'autorité judiciaire tout en permettant à l'enquête technique de se dérouler.

Cette loi a, enfin, accru la publicité donnée aux rapports issus des enquêtes techniques. Jusqu'alors, seuls les accidents internationaux faisaient obligatoirement l'objet d'un rapport, qui n'était remis qu'aux services, entreprises ou personnes directement concernés, sauf lorsque le ministre décidait de sa publication. La loi a imposé à l'organisme permanent de procéder systématiquement à une enquête en cas d'accident ou d'incident grave, d'établir un rapport à l'issue de chaque enquête et de le rendre public. En outre, la loi a introduit, dans un souci de transparence, la possibilité pour le responsable de l'organisme permanent de communiquer des informations relatives à l'enquête avant la publication du rapport. Cette mesure permet de faire, avant la fin de l'enquête, des recommandations de sécurité destinées à prévenir des accidents. Elle donne également la possibilité de communiquer aux familles des victimes des informations sur les circonstances de l'accident et en particulier de mettre fin à certaines hypothèses que l'état d'avancement de l'enquête a pleinement démenties.

L'ensemble de ces dispositions est repris par le projet de loi, qui propose de les étendre aux domaines maritime et terrestre, pour lesquels des procédures d'enquêtes techniques existent, sans être parfaitement identiques.

* 2 JO du 30 mars 1999. Projet de loi dont votre Commission des Affaires économiques avait été saisie, voir le rapport n° 205 (Sénat 1998-1999), de votre rapporteur.

* 3 D'après un rapport de 1996 de l'Inspection générale des ponts et chaussées.

* 4 Directive 94/56/CE.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page