N° 3382

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

N° 67

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 13 novembre 2001

Annexe au procès-verbal de la séance
du 13 novembre 2001

Document mis en distribution le
19 novembre 2001

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE (1) CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins ,

PAR M. ALAIN VIDALIES,
Député.

PAR M. JEAN-JACQUES HYEST,
Sénateur.

( 1) Cette commission est composée de : M. Bernard Roman , député, président ; M., René Garrec, sénateur, vice-président ; M. Alain Vidalies, député, M. Jean-Jacques Hyest, sénateur, rapporteurs.

Membres titulaires : Mme Christine Lazerges, MM. Patrick Delnatte, Emile Blessig, Georges Hage, Jean-Pierre Michel, députés ; MM. Patrice Gélard, Lucien Lanier, Paul Girod, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, sénateurs.

Membres suppléants : Mmes Danielle Bousquet, Laurence Dumont, MM. Jean-Yves Caullet, Jean-Pierre Blazy, Mmes Nicole Feidt, Nicole Catala, M. Claude Goasguen, députés ; M. Laurent Béteille, Mme Dinah Derycke, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Georges Othily, Henri de Richemont, Bernard Saugey, sénateurs.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : Première lecture : 2867, 2910 et T.A. 638

Deuxième lecture : 3170 , 3201 et T.A. 698

Sénat : Première lecture : 211 , 224 , 378 et T.A. 119 (2000-2001)

Deuxième lecture : 422 (2000-2001), 40 et T.A. 13 (2001-2002)

Donations et successions.

MESDAMES, MESSIEURS,

La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral s'est réunie, le 13 novembre 2001, à l'Assemblée nationale.

Elle a tout d'abord procédé à la nomination de son bureau qui a été ainsi constitué :

--  M. Bernard Roman, député, président ;

--  M. René Garrec, sénateur, vice-président.

La Commission a ensuite désigné M. Alain Vidalies, député, et M. Jean-Jacques Hyest, sénateur, respectivement rapporteurs pour l'Assemblée nationale et le Sénat.

Puis elle a procédé à l'examen des dispositions restant en discussion.

Présentant, tout d'abord, celles relatives aux droits successoraux du conjoint survivant, M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat , a rappelé le souhait des sénateurs de laisser au conjoint la possibilité d'opter entre des droits en propriété ou en usufruit, dès lors que les enfants appelés à la succession sont tous issus des deux époux, ainsi que leur volonté de revaloriser les droits du conjoint survivant sans écarter, pour autant, la famille par le sang, notamment lorsqu'aucun descendant n'est appelé à la succession en concours avec le conjoint du défunt. En effet, faisant observer que, dans cette hypothèse, des biens, par exemple des terres, pourraient passer aux frères et soeurs du conjoint qui en aurait hérité de son époux et échapper ainsi à la famille qui les détenait initialement, il a indiqué aux membres de la commission qu'il leur serait soumis une proposition de rédaction de nature à éviter une telle situation. Evoquant ensuite les divergences des deux assemblées sur l'assiette des droits successoraux conférés au conjoint survivant, il a relevé que la solution retenue par l'Assemblée nationale, prévoyant que ces droits s'exercent sur la succession, avait suscité des réserves de la part des praticiens et justifié ainsi que le Sénat, après avoir proposé, en première lecture, de ne permettre au conjoint d'exercer ses droits que sur les biens existant au décès, ait décidé, en deuxième lecture, que les droits en propriété du conjoint seraient calculés en distinguant masses de calcul et d'exercice, comme le prévoit actuellement l'article 767 du code civil pour le calcul de l'usufruit légal du conjoint. De même, il a précisé qu'un accord entre les deux assemblées restait encore à trouver sur l'opportunité d'établir une réserve au profit du conjoint survivant, sur les conditions d'exercice du droit au logement viager dont il peut bénéficier ainsi que sur le droit à pension alimentaire qui peut lui être ouvert, l'Assemblée nationale ayant prévu, sur ce dernier point, que le conjoint en bénéficie dès lors que ses conditions de vie se trouvent gravement amoindries, la succession pouvant cependant en être déchargée dans certaines conditions, tandis que le Sénat, pour sa part, refusant cette dernière disposition, décidait que ce droit à pension ne serait ouvert au conjoint que s'il se trouve dans le besoin.

Abordant ensuite les autres aspects de la proposition de loi, M. Jean-Jacques Hyest a souligné l'accord des deux assemblées sur les dispositions tendant à aligner les droits successoraux des enfants adultérins sur ceux des enfants naturels, mais noté une divergence sur leurs conditions d'application aux successions ouvertes. S'agissant de l'ampleur de la réforme à apporter au droit des successions à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, il a rappelé que l'Assemblée nationale n'avait pas souhaité y faire figurer, ainsi que le Sénat l'avait décidé en première lecture, les dispositions des projets de loi déposés en 1988, 1991 et 1995, et indiqué que le Sénat, en deuxième lecture, s'était donc limité à une réécriture des trois premiers chapitres du titre premier du livre troisième du code civil. Enfin, il a évoqué les dispositions tendant à modifier le code des assurances et de la mutualité sur les conditions de couverture du suicide, ainsi que celles tendant à supprimer le plafonnement des pensions de réversion perçues par les veufs de femmes fonctionnaires, estimant que, pour être légitime, cette dernière disposition pourrait trouver sa place dans un autre texte.

Rappelant que la place faite au conjoint survivant dans le droit successoral français était très en retrait par rapport aux législations applicables dans les pays voisins et observant que la revalorisation de ses droits, bien que très généralement considérée comme nécessaire, n'avait pu être réalisée tant qu'elle était restée incluse dans des projets de réforme globale du droit des successions, M. Alain Vidalies, rapporteur pour l'Assemblée nationale , a souligné que la présente proposition de loi tendait, de façon pragmatique, à revaloriser les droits du conjoint survivant. Après avoir rappelé que les dispositions actuelles du code civil faisaient primer les liens du sang, tout en laissant à chacun la liberté de consentir des libéralités au profit de son conjoint, il a indiqué que les règles de dévolution successorales légales, pour n'être que supplétives, étaient aujourd'hui souvent perçues comme injustes par l'opinion publique. Tout en relevant que 80 % des Français prennent des dispositions en faveur de leur conjoint, il a jugé nécessaire une modification de la loi, rappelant que, en tout état de cause, elle s'applique en cas de décès accidentel de l'un des époux, ou lorsque le couple, souvent doté d'un patrimoine limité, n'a pris aucune disposition spécifique et ignore la rigueur des règles successorales légales applicables au conjoint survivant. Constatant que le souci de revaloriser les droits de celui-ci était commun au Sénat et à l'Assemblée nationale, il a souligné la cohérence des positions défendues par chacune des deux assemblées et s'est félicité que le Sénat n'ait pas rétabli, en deuxième lecture, toutes les dispositions tendant à réformer le droit des successions, mais seulement certaines d'entre elles. Puis il a proposé à la Commission que la discussion s'engage en retenant comme base de codification le texte adopté par le Sénat en deuxième lecture.

La Commission a adopté l' article 1 er (réorganisation du chapitre 3 du titre 1 er du livre III du code civil) dans la rédaction du Sénat.

A l' article 2 (droits successoraux du conjoint survivant), le rapporteur pour l'Assemblée nationale a rappelé que les députés avaient écarté la possibilité d'option entre la pleine propriété et l'usufruit, en raison de la complexité de gestion de l'usufruit et des difficultés qu'il y a à en sortir. Il a néanmoins reconnu que la possibilité, offerte par le texte du Sénat, de choisir l'usufruit en présence d'enfants issus des deux époux pouvait se révéler intéressante dans un certain nombre de situations, notamment lorsque des petites entreprises font partie du patrimoine transmissible. Il s'est donc déclaré favorable à la rédaction proposée par le Sénat à l'article 757, sous réserve d'une modification rédactionnelle consistant à préciser que l'option est écartée lorsque « un ou plusieurs enfants » ne sont pas issus des deux époux. En réponse à Mme Nicole Catala, qui s'interrogeait sur la portée de l'expression « enfants issus des deux époux », le rapporteur pour le Sénat a précisé que celle-ci visait les cas, de plus en plus fréquents, où les couples ont des enfants avant de se marier. Soulignant que cette notion n'était pas définie dans le code civil, si ce n'est de manière indirecte par l'actuel article 767, le rapporteur pour l'Assemblée nationale a tenu à préciser que l'expression « biens existants » figurant à l'article 757 recouvrait les biens non grevés de libéralités. La Commission a alors adopté le paragraphe I de l'article 2 et les articles 756 et 757 dans la rédaction du Sénat, sous réserve de la modification rédactionnelle proposée par le rapporteur pour l'Assemblée nationale.

Abordant la place des ascendants privilégiés et ordinaires ainsi que celle des collatéraux privilégiés dans l'ordre successoral, évoquée aux articles 757-1 à 758, M. Alain Vidalies a rappelé que l'Assemblée nationale avait souhaité placer le conjoint survivant avant ceux-ci, ce dernier recueillant la moitié des biens lorsque le défunt laisse ses père et mère, et les trois quarts lorsque le père ou la mère est prédécédé, alors que le Sénat avait limité, dans tous les cas, la part du conjoint survivant à la moitié des biens. Après avoir observé que l'Assemblée nationale avait écarté de la succession les ascendants ordinaires, il a souligné qu'elle leur avait, en contrepartie, accordé une créance d'aliments contre la succession du prédécédé. Il a néanmoins reconnu que le texte proposé par l'Assemblée nationale pouvait soulever certaines difficultés pour les biens entrés dans le patrimoine du prédécédé par donation ou par héritage et a donc proposé d'opérer une distinction entre ces biens et ceux acquis par le couple. Présentant la nouvelle rédaction proposée pour les articles 757-1 à 757-3, il a indiqué que, par dérogation aux dispositions de l'article 757-2, qui rappellent qu'en l'absence d'enfant et de parents du défunt le conjoint survivant recueille toute la succession, les biens que le défunt aurait reçus de ses parents prédécédés par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession seraient dévolus pour moitié aux frères et soeurs du défunt ou à leurs descendants, à condition que ceux-ci soient eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l'origine de la transmission. Il a, enfin, précisé que le nouvel article 758 reprenait les dispositions du texte adopté par l'Assemblée nationale sur la créance d'aliments au bénéfice des ascendants ordinaires du défunt.

Après avoir observé que les deux assemblées avaient pour objectif de renforcer les droits du conjoint survivant, le rapporteur pour le Sénat a indiqué que les sénateurs souhaitaient, avant tout, que les biens transmis par héritage ou donation n'échappent pas totalement à la famille du prédécédé, en l'absence d'ascendant ou de descendant, ce que permettrait effectivement la rédaction proposée par le rapporteur pour l'Assemblée nationale.

Mme Nicole Catala a exprimé sa préférence pour le texte adopté par le Sénat, estimant nécessaire de maintenir les dispositions qui permettent aux frères et soeurs du défunt de bénéficier de la part qui serait échue aux parents s'ils avaient survécu. Elle a souligné l'importance des liens du sang, considérant qu'il était souhaitable que le patrimoine reçu par héritage ou donation reste dans la famille. Elle a ajouté que, dans un certain nombre de cas, le conjoint survivant risquait de ne pas avoir les moyens nécessaires pour entretenir correctement les biens de famille reçus de son époux prédécédé. Tout en reconnaissant que le dispositif proposé par le rapporteur pour l'Assemblée nationale pour l'article 757-3 présentait une certaine logique, elle a jugé que sa mise en oeuvre soulèverait de nombreuses difficultés pratiques.

M. Robert Badinter a observé qu'il était extrêmement rare, en présence de biens de famille substantiels, qu'aucun testament n'ait été rédigé. Il a estimé qu'il ne fallait pas avoir une vision idéaliste de la famille, celle-ci étant aujourd'hui de plus en plus éclatée, avec des frères et soeurs qui ne s'entendent pas forcément, et a considéré que dans le « rang normal de présomption d'amour », les frères et soeurs venaient en dernier.

En réponse à une question de M. Robert Badinter et de M. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur pour le Sénat a indiqué que les biens de famille restaient dans la lignée, comme le précisait l'expression « frères et soeurs descendant du ou des parents décédés à l'origine de la transmission ».

M. Pierre Fauchon a estimé légitime qu'un patrimoine, fruit d'économies réalisées sur plusieurs générations, ne soit pas livré aux aléas du mariage - parfois des mariages - et reste dans la famille à défaut de descendance, tout en indiquant que, dans un esprit de conciliation, il se rallierait à la solution proposée par le rapporteur pour l'Assemblée nationale. La Commission a alors adopté la nouvelle rédaction proposée par ce dernier pour les articles 757-1 à 758, ainsi que les articles 758-1 à 758-4, relatifs aux modalités du droit d'option du conjoint survivant, dans le texte du Sénat.

Evoquant l'article 758-5 relatif à l'assiette des droits en propriété recueillis par le conjoint survivant, le rapporteur pour l'Assemblée nationale a rappelé que, alors que les députés n'avaient donné aucune précision sur cette assiette, le Sénat avait, fort opportunément, distingué la masse de calcul de la masse d'exercice de ces droits. Il s'est donc déclaré favorable à la rédaction adoptée par le Sénat, qui permet d'accroître les droits du conjoint survivant, sous réserve d'une modification de numérotation pour coordination et d'un ajout qui permette de préciser que le conjoint survivant fait bien partie des successibles qui doivent rapporter les biens reçus par acte entre vifs ou par acte testamentaire pour la définition de la masse de calcul. Mmes Nicole Catala et Christine Lazerges ayant souligné les risques de confusion provoqués par cette dernière précision qui ne figure pas dans d'autres dispositions du code civil et qu'elles ont jugée inutile, M. Alain Vidalies y a renoncé, avant de rappeler le principe général selon lequel les libéralités s'imputent sur la part légale des héritiers.

La Commission a alors adopté l'article 758-5 dans le texte du Sénat, sous réserve de la modification de numérotation pour coordination et d'une amélioration rédactionnelle proposée par M. Bernard Roman, président. Puis elle a adopté l'article 2 ainsi rédigé.

A l' article 2 bis ( conditions de conversion de l'usufruit du conjoint ), la Commission a adopté le texte du Sénat, en supprimant toutefois la référence à la clause du régime matrimonial, le rapporteur pour l'Assemblée nationale ayant fait valoir que cette référence était inopportune dans les dispositions sur les successions.

A l' article 3 ( droit au logement ), le rapporteur pour l'Assemblée nationale a indiqué que la Commission devait choisir entre un droit au logement irréfragable, mais aménageable et susceptible de donner lieu à une récompense, comme le propose le Sénat, et un droit au logement systématique, sauf volonté contraire du défunt exprimée dans un testament par acte public, solution proposée par l'Assemblée nationale. Il a observé que le problème du droit au logement était une question compliquée, la logique de l'affection, qui s'oppose à celle du sang, supposant une certaine liberté de choix, qui ne doit pas cependant pouvoir s'exercer dans n'importe quelles conditions. Il a fait valoir que la solution proposée par l'Assemblée nationale permettrait d'éviter un certain nombre de contentieux, puisqu'elle ne prévoit pas expressément la possibilité d'octroyer au conjoint un logement de substitution adapté à ses besoins, ni une récompense de la succession lorsque l'importance du logement dépasse les besoins effectifs de celui-ci, mais permet simplement à l'époux prédécédé de prendre, par un acte solennel, les dispositions qui lui semblent les plus adaptées. Tout en soulignant que très peu de personnes utiliseront la possibilité, ouverte par le texte de l'Assemblée nationale, de priver leur conjoint de son droit au logement, il a estimé souhaitable de ne pas mettre en place un système trop rigide qui, comme la prestation compensatoire, se révélerait à l'usage inadapté et source de discrimination. Bien qu'il ait estimé que tous les arguments étaient recevables, il a jugé que la solution proposée par l'Assemblée nationale était finalement la mieux adaptée, car la plus complète.

Le rapporteur pour le Sénat a indiqué que, tout en souhaitant faire du droit au logement un droit intangible, les sénateurs s'étaient rendu compte des difficultés soulevées par une telle disposition et avaient donc proposé un certain nombre d'aménagements. A ce stade de la navette, il s'est, néanmoins, déclaré favorable à la solution proposée par l'Assemblée nationale, estimant qu'elle avait le mérite de la simplicité et permettrait de limiter les contentieux.

Mme Nicole Catala a exprimé sa préférence pour le texte adopté par les sénateurs, estimant qu'il était plus protecteur pour le conjoint survivant. Rappelant que le patrimoine immobilier moyen des successions était de 600 000 F, elle a fait valoir qu'un conjoint survivant pourrait se retrouver avec seulement 150 000 F, s'il ne pouvait choisir l'usufruit des biens, en raison de l'existence d'enfants non communs aux deux époux, et était, en outre, privé par le défunt de son droit au logement. Elle a estimé souhaitable, à tout le moins, que l'acte par lequel le défunt prive son conjoint de son droit au logement lui soit communiqué.

Après avoir fait valoir que le texte proposé par le Sénat ne prévoyait qu'une exception limitée à l'absence de récompense, puisque celle-ci n'est due que lorsque l'importance du logement dépasse de manière manifestement excessive les besoins effectifs du conjoint survivant, M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé nécessaire d'harmoniser ces dispositions sur le droit viager au logement avec l'article 763 relatif au droit temporaire au logement. Il s'est également interrogé sur la nécessité d'exiger un acte authentique pour priver le conjoint de ce droit, estimant que le défunt pouvait changer d'avis au dernier moment. Il a proposé d'établir une distinction selon la situation familiale du conjoint survivant, le droit au logement étant irréfragable en présence d'enfants issus des deux époux et ne pouvant être aménagé que lorsque tous les enfants ne sont pas issus du même lit.

Après avoir rappelé que le droit au logement temporaire, prévu par l'article 763, avait été fixé à une année parce que cette durée correspondait à la période de deuil, Mme Christine Lazerges a estimé que l'exigence d'un acte authentique était plus protectrice des droits du conjoint survivant. Rappelant que l'objectif de la réforme était d'accroître les droits du conjoint survivant, M. Patrick Delnatte a exprimé sa préférence pour le texte proposé par le Sénat. Après avoir également rappelé la volonté commune des deux assemblées d'améliorer la protection des droits du conjoint survivant, M. Robert Badinter a estimé que celle-ci ne serait pas assurée si l'on ouvrait la possibilité au défunt de révoquer clandestinement le droit au logement de son conjoint. Tout en reconnaissant la complexité de la rédaction proposée par le Sénat, il l'a jugée préférable, car plus protectrice. Mme Nicole Borvo a également souhaité le maintien d'un droit intangible au logement.

Le rapporteur pour l'Assemblée nationale s'est étonné que le texte du Sénat soit considéré comme plus protecteur des droits du conjoint survivant que celui de l'Assemblée. Il a observé que, si les sénateurs n'avaient pas prévu la possibilité de priver le conjoint de ce droit, ils en avaient, en revanche, fondamentalement changé la nature, en autorisant le défunt à décider, de manière discrétionnaire, l'octroi d'un logement de substitution, ajoutant que la référence aux besoins effectifs du conjoint survivant pour la détermination de la récompense était une notion subjective, qui risquait de susciter un contentieux important. Il a donc estimé que la seule solution pour assurer une réelle protection des droits du conjoint survivant serait de retenir la rédaction de l'Assemblée nationale et de supprimer, en outre, toute possibilité d'écarter le droit au logement. Evoquant la possibilité, prévue par le texte du Sénat, de louer le logement lorsque ce dernier n'est plus adapté à l'état de santé du conjoint survivant, il a tenu à préciser que cette possibilité devait être indépendante des ressources du conjoint, la référence aux « ressources nécessaires à de nouvelles conditions d'hébergement » ne devant pas être considérée comme une condition de la location.

Le rapporteur pour le Sénat a rappelé que, en tout état de cause, dans la nouvelle rédaction proposée par le rapporteur pour l'Assemblée nationale, le défunt pourrait, par simple testament, priver le conjoint survivant de son droit au logement, puisqu'il ne s'agirait pas d'une disposition d'ordre public. Il a, par ailleurs, estimé que la question de la récompense soulevait de nombreuses difficultés.

Mme Nicole Catala a estimé que les propositions du Sénat formaient un ensemble cohérent qui permettrait d'assurer au conjoint survivant un logement approprié à ses besoins. Après avoir estimé que le droit irréfragable au logement était nécessaire pour éviter que les enfants du couple n'exigent la vente de l'habitation principale, M. Patrice Gélard a rappelé que le conjoint survivant pourrait toujours refuser ce droit au logement. Observant que le conjoint survivant n'avait pas toujours les moyens d'entretenir l'habitation principale, ce qui risque de conduire à une dégradation du patrimoine familial, il a estimé préférable de retenir le texte du Sénat, qui permettrait de mieux prendre en compte les différentes situations.

M. René Garrec, vice-président, a noté que les textes des deux assemblées contenaient des éléments de souplesse et qu'il convenait d'en conserver pour éviter les conséquences négatives que pourrait soulever un droit au logement trop rigide. M. Robert Badinter a proposé que l'on retienne le texte du Sénat en remplaçant la référence à l'état de santé du conjoint pour la location du logement par un renvoi, plus général, à sa situation, qui permette d'inclure d'autres cas dans lesquels la location de l'habitation principale peut devenir nécessaire. Il a également proposé de reprendre la suggestion de M. Michel Dreyfus-Schmidt ne permettant au défunt de s'opposer au droit au logement par un acte authentique qu'en présence d'enfants issus de lits différents.

Le rapporteur pour le Sénat a estimé que la solution la plus simple, pour n'oublier aucun cas particulier, était de retenir le texte de l'Assemblée nationale, observant que la volonté contraire du défunt ne se traduirait pas obligatoirement par la privation du droit au logement, mais pourrait également consister en de simples aménagements. Après avoir rappelé que, pendant de nombreuses années, la référence à la jeune veuve avait bloqué toute réforme du droit des successions, le rapporteur pour l'Assemblée nationale a souhaité que la Commission s'affranchisse de cette référence et adopte un texte cohérent. Il a estimé que l'énumération des aménagements du droit au logement proposée par le Sénat n'était pas satisfaisante, puisqu'elle risquerait de laisser subsister des situations contestables, et s'est prononcé, une nouvelle fois, en faveur du texte de l'Assemblée nationale, quitte à limiter la possibilité de remettre en cause le droit au logement aux seules successions dans lesquelles tous les enfants ne sont pas issus des deux époux.

Mme Christine Lazerges a également proposé que cette possibilité soit limitée à ces derniers cas. M. Patrice Gélard s'est interrogé sur la solution à retenir en cas d'absence de vie commune. Tout en se déclarant prêt à s'y rallier, le rapporteur pour le Sénat a estimé que la possibilité de priver le conjoint survivant de son droit au logement uniquement en présence d'enfants issus de différents lits était inutile et incohérente avec le reste du texte. Il a rappelé que, en présence d'enfants issus des deux époux, le conjoint survivant pouvait opter pour l'usufruit de la totalité des biens existants, et donc de l'habitation principale. Le rapporteur pour l'Assemblée nationale a également considéré que cette restriction aux seules successions mettant en présence des enfants qui ne sont pas issus des deux époux était inutile, en raison de la possibilité d'option pour l'usufruit dont dispose le conjoint survivant lorsque les enfants sont issus du même lit. Il a, par ailleurs, une nouvelle fois réfuté l'argument selon lequel le texte du Sénat était plus protecteur des droits du conjoint survivant. M. René Garrec, vice-président, s'est prononcé en faveur du texte de l'Assemblée nationale, en retenant la rédaction du Sénat, telle que modifiée par la proposition de M. Robert Badinter, sur la possibilité de louer le logement.

Mme Nicole Catala a suggéré de faire référence à la volonté distincte du défunt, plutôt qu'à la volonté contraire, afin de faire apparaître clairement que le défunt pourrait également aménager le droit au logement du conjoint survivant, et non pas seulement l'en priver. Mme Christine Lazerges, à l'opposé, a jugé essentiel de maintenir la notion de volonté contraire. M. Robert Badinter a renouvelé son opposition à une disposition générale permettant de priver le conjoint de son droit au logement, estimant préférable de limiter cette possibilité aux successions concernant des enfants issus de lits différents. M. Bernard Roman, président, a observé que, à l'issue des deux lectures, les deux assemblées avaient manifesté leur volonté d'introduire une certaine souplesse dans le droit au logement, même si elles n'étaient pas d'accord sur ses modalités pratiques. M. Laurent Béteille a souhaité que le défunt ne puisse pas priver le conjoint de son droit à l'habitation, mais puisse simplement prévoir un logement mieux adapté à ses besoins. Mme Nicole Catala a proposé que, en présence d'enfants qui ne sont pas issus des deux époux, le défunt puisse prévoir la jouissance d'un autre logement que l'habitation principale. M. Michel Dreyfus-Schmidt a souligné que cette possibilité ne pouvait s'appliquer aux patrimoines composés d'un seul logement.

Mme Christine Lazerges et M. Robert Badinter se sont demandé comment concilier la privation du droit au logement éventuellement décidée par le défunt et le choix de l'usufruit qui peut être fait par le conjoint lorsque tous les enfants sont issus des deux époux. M. Alain Vidalies a alors rappelé que le défunt pouvait également priver par testament le conjoint de la jouissance de l'usufruit ou aménager celui-ci. M. Bernard Roman, président, a fait observer que le rôle du notaire, en présence d'un époux qui souhaiterait priver son conjoint du droit au logement, serait d'appeler son attention sur la possibilité qu'aura éventuellement le conjoint d'opter pour l'usufruit, sauf dispositions testamentaires contraires. Le rapporteur pour le Sénat a rappelé que le droit au logement était un droit subsidiaire et précisé que le fait que le conjoint survivant en soit privé ne l'empêcherait pas de bénéficier de l'usufruit de l'habitation principale, si tel était son choix, sauf si le défunt l'avait également expressément privé de cet usufruit. Tout en soulignant qu'une telle démarche serait sans doute exceptionnelle et ne concernerait que des cas marginaux, il a jugé nécessaire de maintenir une telle possibilité.

La Commission a alors adopté l'article 763 dans le texte du Sénat. A l'article 764, elle a adopté la rédaction de l'Assemblée nationale pour les trois premiers alinéas et celle du Sénat pour le dernier, en remplaçant toutefois la référence à l'état de santé du conjoint par un renvoi à sa situation, comme le proposait M. Robert Badinter. Elle a ensuite supprimé l'article 765, a adopté , pour l'article 765-1, une rédaction de compromis, écartant toute référence à une récompense de la succession et a procédé, par coordination, à une renumérotation des articles, avant d'adopter l'article 3 ainsi rédigé.

La Commission a adopté l'article 3 bis ( couverture du risque décès en cas de suicide par les contrats d'assurance ) dans le texte du Sénat, tout en le modifiant sur proposition du rapporteur pour le Sénat, afin de prévoir que l'assurance en cas de décès doit couvrir, dès la souscription, les contrats d'assurance de groupe contractés pour garantir le remboursement d'un prêt destiné à financer l'acquisition du logement principal de l'assuré, dans la limite d'un plafond qui sera défini par décret.

A l'article 3 ter AA ( couverture du risque décès en cas de suicide par les contrats d'assurance gérés par les mutuelles ) , introduit par le Sénat en deuxième lecture, la Commission a également adopté une modification proposée par le rapporteur pour le Sénat, afin que l'assurance en cas de décès couvre, dès leur souscription, les opérations collectives obligatoires des mutuelles et unions, contractées pour garantir le remboursement d'un prêt destiné à financer l'acquisition du logement principal de l'assuré, dans la limite d'un plafond défini par décret.

La Commission a ensuite examiné un amendement de réécriture de l'article 4 (devoir de secours à l'égard du conjoint survivant ) présenté par le rapporteur pour l'Assemblée nationale. M. Alain Vidalies a précisé que l'article 4, qui réaménage le droit de créance dont bénéficie le conjoint survivant sur la succession en application de l'article 207-1 du code civil, faisait l'objet de plusieurs points de désaccord. Il a rappelé que les deux chambres s'opposaient notamment sur la formulation de l'état de nécessité dans lequel doit se trouver l'époux survivant pour avoir droit à une pension alimentaire, sur l'introduction d'une clause d'ingratitude permettant au juge, à la demande de l'héritier, de libérer la succession de la charge de la pension, lorsque le conjoint a gravement manqué à ses obligations envers le défunt et, enfin, sur la codification des dispositions prévues, le Sénat ayant proposé d'abroger l'article 207-1 du code civil pour transférer ces dispositions à l'article 767, dans la partie du code civil consacrée aux successions. Le rapporteur pour l'Assemblée nationale a proposé de maintenir les dispositions consacrées au droit à pension du conjoint survivant dans l'article 767 du code civil, tout en reprenant les modalités d'exercice de ce droit prévues à l'article 207-1, et de garder, par ailleurs, la référence à la notion d'état de besoin, conformément au souhait du Sénat. Il a ajouté qu'il souhaitait également conserver la clause d'ingratitude introduite par l'Assemblée nationale en première lecture, dans un article 767-1, puisqu'une telle clause existe en matière de libéralités.

M. Michel Dreyfus Schmidt s'est interrogé sur l'utilité d'introduire une clause d'ingratitude, observant que le juge pouvait déjà refuser le versement d'une pension alimentaire à la demande des héritiers. M. Robert Badinter a fait, par ailleurs, observer qu'une telle disposition risquait de provoquer des procès post mortem sur la vie conjugale, ce qui n'était guère souhaitable et peu compatible avec l'esprit de la réforme en cours du divorce, qui tend précisément à supprimer la notion de faute des époux. M. Alain Vidalies ayant accepté de supprimer la clause d'ingratitude, la Commission a adopté son amendement donnant une nouvelle rédaction à l'article 4.

Elle a ensuite adopté les articles 5 ( attribution préférentielle de la propriété du logement au conjoint survivant ) et 5 bis (coordination) dans la rédaction du Sénat et l'article 6 (réserve au profit du conjoint survivant) dans celle de l'Assemblée nationale, les rapporteurs ayant considéré que l'attribution d'une réserve au profit du conjoint survivant sur un quart des biens du défunt, en l'absence de descendants ou d'ascendants, constituait un compromis acceptable.

Puis, la Commission a adopté l' article 8 ( coordinations ) dans la version du Sénat, modifiée à l'initiative du rapporteur de l'Assemblée nationale pour ajuster les références citées, ainsi que les articles 9 ( suppression des discriminations successorales applicables aux enfants adultérins ) et 9 bis B ( ouverture des successions, titre universel et saisine) .

A l'article 9 bis C ( des qualités requises pour succéder ) introduit par le Sénat, la Commission a adopté un amendement du rapporteur pour l'Assemblée nationale, afin d'ajouter à la liste des personnes indignes de succéder, celles qui ont volontairement donné la mort au défunt, tenté de la lui donner ou qui lui ont porté des coups ayant entraîné sa mort, et contre lesquelles l'action publique n'a pas pu être exercée ou s'est éteinte en raison de leur décès.

A l' article 9 bis D (de la preuve de la qualité d'héritier ), introduit par le Sénat, la Commission a également adopté un amendement de nature rédactionnelle du rapporteur pour l'Assemblée nationale.

Elle a ensuite supprimé l' article 9 bis Z2 (pacte sur succession future ) introduit par le Sénat. Après avoir adopté l' article 9 bis Z3 ( coordination ) dans la rédaction du Sénat, la Commission a ensuite supprimé l' article 9 quinquies ( harmonisation du montant des pensions de réversion des veufs et veuves de fonctionnaires ), les rapporteurs ayant souligné que ces dispositions méritaient davantage de réflexion et pourraient être réintroduites dans un autre cadre.

Puis, la Commission a adopté l' article 10 (entrée en vigueur de la loi ) dans la rédaction du Sénat en retenant les modifications proposées par le rapporteur pour l'Assemblée nationale tendant, d'une part, à enlever la référence à l'article 9 quinquies précédemment supprimé et, d'autre part, à prévoir que les dispositions relatives à la suppression des discriminations touchant les enfants naturels et adultérins s'appliqueront aux successions déjà ouvertes lors de la publication de la loi qui n'ont pas encore donné lieu à partage avant cette date, sans retenir les cas de liquidation ou de partage partiel afin de ne pas restreindre la portée de ces dispositions. Elle a également adopté l' article 10 bis (application outre-mer ) dans la version du Sénat.

Elle a ensuite adopté le titre de la proposition de loi dans la version du Sénat.

Puis la Commission a adopté l'ensemble du texte ainsi modifié.

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En conséquence, la Commission mixte paritaire vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte reproduit à la suite du tableau comparatif figurant ci-après.

TABLEAU COMPARATIF

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