Rapport n° 200 (2001-2002) de M. André ROUVIÈRE , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 31 janvier 2002

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N° 200

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 janvier 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée ,

Par M. André ROUVIÈRE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Xavier de Villepin, président ; MM. Michel Caldaguès, Guy Penne, André Dulait, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Jean-Paul Delevoye, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe François, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Henri Torre, André Vallet, Serge Vinçon.

Voir le numéro :

Sénat : 117 (2001-2002)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser la ratification de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adoptée à New York le 15 novembre 2000.

Egalement connue sous le nom de « convention de Palerme », en référence à la ville hautement symbolique dans laquelle elle a été ouverte à la signature au mois de décembre 2000, cette convention se situe dans la lignée des nombreux instruments juridiques internationaux adoptés depuis une quinzaine d'années en vue de lutter contre les diverses formes d'activités criminelles.

Aujourd'hui signée par 140 Etats, la convention de Palerme est avant tout un texte de droit pénal, centré sur la répression des activités criminelles transnationales et sur l'amélioration de la coopération judiciaire. Son ambition est d'aller au-delà des instruments existants qui visent souvent une activité spécifique ou ne possèdent qu'une portée régionale, afin de couvrir la lutte contre l'ensemble des activités criminelles, dès lors qu'elles présentent un caractère transnational et organisé.

Votre rapporteur exposera tout d'abord en quoi la convention de Palerme est apparue nécessaire alors qu'il existait déjà de multiples instruments existants. Il en présentera ensuite le dispositif, avant d'évoquer son articulation avec la législation française et les efforts conduits au plan européen.

I. UN INSTRUMENT GLOBAL DE LUTTE CONTRE LE CRIME ORGANISÉ QUI VIENT COMPLÉTER UN ARSENAL JURIDIQUE DÉJÀ IMPORTANT

Depuis une quinzaine d'années, nous assistons à un fort développement des instruments juridiques internationaux relatifs à la lutte contre les activités criminelles. Certains textes ont une portée universelle, comme les conventions contre le trafic illicite des stupéfiants ou contre le terrorisme. D'autres ont été adoptés dans le cadre d'organisations régionales comme, par exemple, les conventions européennes sur le blanchiment ou sur l'extradition, ou encore la convention de l'OCDE contre la corruption d'agents publics dans les transactions commerciales internationales.

Ce foisonnement de textes est bien entendu lié à l'évolution des activités criminelles. Il est devenu banal de constater que celles-ci profitent à plein des facilités nouvelles offertes à la circulation des personnes, des biens, des capitaux ou de l'information, grâce à l'ouverture des frontières et aux progrès des communications, alors qu'à l'inverse, de multiples obstacles subsistent pour conduire avec efficacité la répression de ces activités.

La convention de Palerme s'ajoute donc à un ensemble déjà important et complexe, mais elle se distingue des différents textes existants par son approche globale couvrant l'ensemble des activités criminelles menées par des groupes organisés.

A. UN ENSEMBLE DÉJÀ IMPORTANT D'INSTRUMENTS INTERNATIONAUX RELATIFS A LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ

Depuis la fin des années 1980, la communauté internationale a élaboré et adopté, dans le cadre de différentes enceintes mondiales, régionales ou sous-régionales, de nombreux instruments de droit pénal , plus ou moins contraignants selon qu'il s'agit de conventions, de résolutions ou de recommandations.

S'agissant des conventions internationales , qui, par leur caractère contraignant, constituent de loin les moyens les plus opérants pour améliorer la lutte contre la criminalité, elles portent jusqu'à présent sur des domaines spécifiques visant la lutte contre certaines activités délictueuses , que celles-ci soient ou non menées par des organisations criminelles. Aucune de ces conventions ne visait la criminalité transnationale organisée en tant que telle.

Les principales conventions sont les suivantes :

- la convention des Nations unies du 19 décembre 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes ;

- la convention du Conseil de l'Europe du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime ;

- la convention de l'Union européenne du 26 juillet 1995 relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, et ses deux protocoles de 1996 et 1997 (non encore en vigueur) ;

- la convention de l'Union européenne du 26 mai 1996 relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union (non encore en vigueur) ;

- la convention interaméricaine contre la corruption du 29 mars 1996 ;

- la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, faite à Paris le 17 décembre 1997 ;

- la convention pénale du Conseil de l'Europe du 27 janvier 1999 sur la corruption (non encore en vigueur) ;

- la convention du Conseil de l'Europe du 23 novembre 2001 sur la cybercriminalité du (non encore en vigueur).

Ces différents instruments ont notamment pour objet de donner une définition internationalement reconnue de certains comportements criminels et de leurs éléments constitutifs, et d'obliger les Etats parties à les ériger en infractions pénales. Ils opèrent ainsi un rapprochement des législations pénales indispensable au développement de la coopération judiciaire pénale.

En matière de coopération judiciaire pénale, et outre les dispositions figurant dans les textes précités, plusieurs instruments spécifiques ont été élaborés dans le cadre du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne pour permettre aux Etats de coopérer plus efficacement dans la lutte contre la criminalité :

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 (Conseil de l'Europe) et son protocole additionnel de 1975 ;

- la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 (Conseil de l'Europe) et son protocole additionnel de 1978 ;

- la convention relative à la procédure simplifiée d'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne du 10 mars 1995 (non encore en vigueur) ;

- la convention relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne du 27 septembre 1996 (non encore en vigueur) ;

- la convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne du 29 mai 2000 et son protocole du 16 octobre 2001 (non encore en vigueur).

B. L'APPORT DE LA CONVENTION DE PALERME

L'idée d'un instrument international global contre la criminalité transnationale organisée a été lancée pour la première fois en 1994 dans la Déclaration de Naples, à l'occasion de la Conférence ministérielle mondiale sur la criminalité transnationale organisée. En 1996, la Pologne a présenté un projet de convention, qui a été examiné par la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale lors de sa session d'avril 1997. Le 9 décembre 1998, l'Assemblée générale adoptait la Résolution 53/111 créant un comité intergouvernemental spécial à composition non limitée chargé "d'élaborer une convention internationale pour tous les aspects de la lutte contre la criminalité transnationale organisée" ainsi que, s'il y a lieu, "des instruments internationaux de lutte contre le trafic de femmes et d'enfants, la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, et le trafic et le transport illicites de migrants, y compris par voie maritime." Son secrétariat était assuré par le Centre pour la prévention internationale du crime des Nations Unies (CPIC) qui siège à Vienne.

La France a joué un rôle très actif dans les négociations, en particulier dans les derniers mois sa Présidence de l'Union européenne. La convention a fait dès le début des négociations l'objet d'une coordination entre les Etats membres de l'Union européenne. Le 29 mars 1999, la Conseil a adopté une position commune sur la convention. La Commission a obtenu un mandat de négociation pour certaines dispositions relevant au moins partiellement de la compétence communautaire (article sur les mesures de lutte contre le blanchiment), ce qui fait de la convention un accord mixte. Des dispositions particulières ont été introduites dans l'instrument pour permettre à la Communauté d'y adhérer.

Les négociations ont été menées à bien dans un délai particulièrement rapide pour ce type de texte, puisque les travaux, entamés en janvier 1999, ont été achevés en juillet 2000 pour la convention (10 sessions de négociations de 15 jours).

Alors que les autres instruments internationaux traitant de la criminalité transnationale organisée sont des instruments ciblés ou thématiques, visant des activités délictueuses spécifiques telles que le trafic de stupéfiants ou le blanchiment, la convention de Palerme cherche à appréhender et réprimer la criminalité transnationale organisée de manière globale , dans l'ensemble de ses activités délictueuses grâce, notamment, à la généralisation de certaines infractions, telles que la participation à un groupe criminel organisé, et au renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale. Le texte de certaines de ses dispositions s'est inspiré de la rédaction des instruments antérieurs. A titre d'exemple, la définition du blanchiment est très largement inspirée des conventions des 1988 sur le trafic de stupéfiants et de 1990 sur le blanchiment. Mais il s'agit bien d'un outil complet et universel de lutte contre les organisations criminelles.

Ont également été adoptés en même temps que la convention deux protocoles :

- l'un visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants,

- et l'autre portant sur le trafic illicite de migrants par terre, air et mer.

Ces deux textes ont fait l'objet d'un examen séparé par notre commission.

En revanche, en raison de divergences entre les parties à la négociation, l'élaboration du protocole contre la fabrication et le trafic illicite d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, est restée en suspens durant plusieurs mois. Ce protocole a été adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 31 mai 2001 mais n'est pour l'instant signé que par 25 pays.

II. LE DISPOSITIF DE LA CONVENTION DE PALERME

La convention de Palerme est essentiellement un texte de droit pénal international visant à harmoniser les incriminations pénales des différents Etats parties et à faciliter l'entraide judiciaire pénale et les procédures d'extradition.

A. LES INCRIMINATIONS RETENUES PAR LA CONVENTION

A la différence des textes existants qui visent des activités délictueuses spécifiques telles que le trafic de stupéfiants ou le blanchiment, la convention de Palerme appréhende la criminalité transnationale organisée de manière globale, dans l'ensemble de ses activités délictueuses.

L'article 2 comporte une série de définitions, notamment celle de groupe criminel organisé, désignant « un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel ».

Cette définition du groupe criminel organisé ne retient aucun mobile politique et l' exigence du but lucratif permet de dissocier l'activité de groupes de type mafieux et celle relevant de groupes terroristes, qui relèvent d'autres instruments internationaux spécifiques, en particulier la convention des Nations unies contre le financement du terrorisme, adoptée à l'initiative de la France et ratifiée par notre pays le 28 novembre 2001.

Cependant, les dispositions de la convention de Palerme peuvent ponctuellement s'appliquer à certaines activités délictueuses menées par des organisations terroristes, dès lors que celles-ci répondent aux conditions définies par l'instrument. Il en va ainsi, par exemple, des trafics illicites auxquels se livrent des organisations terroristes en vue de financer leurs activités ou des actes de terrorisme.

La définition du caractère transnational des infractions (article 3) est relativement large et permet de couvrir un vaste éventail d'activités criminelles. En effet, sont considérées comme transnationales les infractions commises dans plus d'un Etat, mais également celles commises dans un seul Etat lorsqu'elles ont été préparées, ou planifiées, conduites ou contrôlées dans un autre Etat, lorsqu'elles ont produit un effet substantiel dans un autre Etat, ou plus simplement lorsqu'elles impliquent un groupe criminel organisé qui se livre à des activités criminelles dans un autre Etat.

L'objet premier de la convention est de garantir que chaque Etat-partie disposera dans son droit pénal des moyens de réprimer les principales infractions de nature transnationale impliquant un groupe criminel organisé. Ces infractions principales recouvrent quatre types d'incriminations qui font l'objet d'une définition précise et internationalement reconnue, ce qui facilitera les poursuites :

- la participation à un groupe criminel organisé (article 5) -ce qui correspond en droit français à l'association de malfaiteurs-, la nature criminelle de cette activité étant caractérisée dès lors que l'infraction commise ou projetée est passible, en droit interne, d'au moins 4 ans d'emprisonnement,

- le blanchiment du produit du crime (article 6), l'infraction de blanchiment déjà prévue par les textes sur le trafic de drogue étant étendue à toutes les activités criminelles visées par la convention,

- la corruption active ou passive des agents publics nationaux (article 7),

- et l' entrave au bon fonctionnement de la justice (article 23), qui couvre notamment les pressions sur les témoins, les autorités judiciaires et les services de police.

Pour ces quatre catégories d'infractions, les Etats-parties doivent également prévoir les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des personnes morales (article 10).

B. LA COOPÉRATION JUDICIAIRE

Un deuxième volet de la convention concerne la coopération judiciaire . Plusieurs articles portent sur l'entraide judiciaire, y compris dans les enquêtes concernant les personnes morales, l'extradition et la coopération en matière de saisie et de confiscation des instruments et des produits du crime. Ces dispositions s'inspirent des instruments multilatéraux déjà existants, mais comportent aussi des innovations . Par exemple, pour lever certains obstacles rencontrés dans la répression de la criminalité financière, les Etats-parties ne pourront refuser une demande d'entraide ou d'extradition au motif que l'infraction touche à des questions fiscales. Par ailleurs, l' inopposabilité du secret bancaire à une demande d'entraide, déjà prévue en matière de trafic de stupéfiants, est étendue à toutes les activités criminelles transnationales. Ces mesures devraient permettre d'obtenir une coopération judiciaire efficace, y compris dans les relations entre Etats n'ayant pas conclu de convention bilatérale d'extradition ou d'entraide judiciaire.

C. LES AUTRES DISPOSITIONS

La convention comporte diverses dispositions incitatives, en particulier l'article 7, relatif aux mesures de lutte contre le blanchiment d'argent, l'article 9, relatif aux mesures contre la corruption et les articles 12, 13 et 14 relatifs aux confiscations et saisies.

Divers articles portent également sur le renforcement de la coopération internationale au moyen d'échanges d'informations (article 27), d'actions de formation (article 29), d'enquêtes conjointes (article 19) ou encore de techniques d'enquêtes spéciales telles que les livraisons surveillées ou la surveillance électronique (article 20).

Un dispositif particulier est prévu pour l'assistance technique aux pays qui auront des difficultés à mettre en oeuvre la convention. Un compte sera établi dans le cadre d'un mécanisme de financement existant au sein des Nations unies. Il sera abondé par les contributions volontaires des Etats parties (article 30).

Par ailleurs, l'article 32 prévoit un mécanisme de suivi de la convention, selon une formule assez souple, au demeurant classique, de Conférence des Etats parties. Cette Conférence sera notamment chargée d'effectuer régulièrement le bilan de la mise en oeuvre du texte et de formuler des recommandations.

En application de l'article 38, la convention entrera en vigueur 90 jours après le dépôt du quarantième instrument de ratification .

La convention compte aujourd'hui 140 signataires, dont les 15 pays de l'Union européenne et la Communauté européenne en tant que telle et tous les autres pays européens, y compris d'Europe centrale et orientale, ainsi que tous les pays de l'OCDE.

Parmi les non signataires, on trouve essentiellement des pays d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie (Inde, Iran, Irak, Corée du Nord, Jordanie, Bahrein, Emirats Arabes Unis, Oman, Qatar, Somalie, Tchad, Gabon, Guinée, Liberia, Centrafrique, Djibouti, Kenya notamment).

A ce jour, 7 pays ont ratifié la convention (Monaco, Nigeria, Yougoslavie, Pologne, Bulgarie, Lettonie et Pérou).

III. LA CONVENTION, LA LÉGISLATION FRANÇAISE ET LE DROIT EUROPÉEN

A. LA LÉGISLATION FRANÇAISE AU REGARD DE LA CONVENTION

La législation française prévoit la plupart des incriminations que la convention oblige à introduire dans le droit pénal des Etats parties.

En ce qui concerne la participation à un groupe criminel organisé (article 5), elle correspond à l'incrimination de l' association de malfaiteurs prévue par l'article 450-1 du code pénal.

Depuis la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, l'association de malfaiteurs en droit interne est applicable à la préparation d'un crime ou d'un délit puni d'une peine d'au moins 5 ans d'emprisonnement (article 450-1 du code pénal).

Rappelons qu'au sens de la convention, l'incrimination de la participation à un groupe criminel organisé suppose que l'objectif poursuivi soit de commettre une «infraction grave», définie comme une infraction punie d'une peine privative de liberté dont le maximum ne doit pas être inférieur à 4 ans ou d'une peine plus lourde.

Dès lors, notre droit pénal est conforme aux exigences de la convention.

S'agissant du blanchiment d'argent (article 6), la définition qu'en donne la convention de Palerme, très largement inspirée de la convention de 1990 du Conseil de l'Europe, est compatible avec les articles 324-1 (blanchiment) et 321-1 (recel) du code pénal. Il convient de préciser qu'en droit interne, le recel et le blanchiment s'appliquent au produit de tout crime ou délit, ce qui satisfait à l'article 6 § 2.

En matière de corruption (article 8), les éléments constitutifs des infractions de corruption active et corruption passive d'agents publics nationaux définis par la convention de Palerme correspondent aux délits prévus par les articles 433-1 1°, 432-11 1° et 434-9 du code pénal et n'appellent pas d'adaptation du droit interne.

Le code pénal ne prévoit pas les infractions de corruption active et passive d'agents publics étrangers et de fonctionnaires internationaux prévues par le paragraphe 2, sauf pour ce qui concerne la corruption active d'agents publics étrangers dans le cadre des transactions commerciales et la corruption de fonctionnaires communautaires ou de fonctionnaires des autres Etats membres de l'Union européenne.

Mais ce paragraphe 2 de la convention n'est pas contraignant. Le gouvernement a précisé à votre rapporteur qu'il jugeait prématuré de s'engager dans une modification du droit positif alors que vient de s'ouvrir, sous l'égide de l'ONU, la négociation d'une convention générale de lutte contre la corruption.

Enfin, les éléments constitutifs de l'infraction d' entrave au bon fonctionnement de la justice (article 23) correspondent déjà à des incriminations prévues en droit interne, essentiellement la subornation de témoins (art. 434-15 du code pénal) ou d'experts (art. 434-21 du code pénal) et les menaces et actes d'intimidation à l'égard des personnels exerçant une fonction publique (art. 433-3 alinéa 2 du code pénal). Elles n'appellent pas d'adaptation du droit interne.

D'autres dispositions de la Convention, bien que rédigées en termes très généraux ou non contraignants, pourraient justifier une modification de notre droit interne, principalement en ce qui concerne la protection des témoins et des collaborateurs de justice. Il faut d'ailleurs préciser sur ce point que la loi relative à la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 prévoit un dispositif de protection des témoins (articles 706-58 à 706-62 du code de procédure pénale), qui se conforme aux exigences de la jurisprudence européenne relative au respect de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et dont les grands traits sont :

- un statut juridique de l'anonymat défini par des règles de procédure pénale précises et spécifiant un certain niveau de gravité (infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement);

- un critère de protection lié au «danger pour la vie ou l'intégrité physique de la personne, des membres de sa familles ou de ses proches» ;

- l'audition d'un témoin sous couvert d'anonymat est autorisée par le juge des libertés et de la détention, saisi par une requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction ;

- la possibilité d'une confrontation de la personne mise en examen ou renvoyée devant la juridiction de jugement avec le témoin, par l'intermédiaire d'un procédé technique permettant l'audition à distance qui préserve l'anonymat et la sécurité du témoin ou de la victime (vidéo masquée) ;

- l'exigence de ne pas retenir le témoignage anonyme comme élément déterminant de la déclaration de culpabilité ;

- la création du délit (article 706-59 du code pénal) de révélation de l'identité ou de l'adresse d'un témoin ayant bénéficié des dispositions sur l'anonymat de la déposition.

B. LA CONVENTION ET LE DROIT EUROPÉEN

Les instruments adoptés ou en préparation au sein de l'Union européenne sont parfaitement compatibles avec les engagements internationaux souscrits dans le cadre des Nations unies, qu'ils viennent en réalité prolonger. Ils permettent donc, non seulement de répondre aux prescriptions de la convention mais, surtout, d'aller encore plus loin.

Dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée, l'Union européenne a adopté un plan d'action détaillé le 28 avril 1997. Il vise, d'une part à l'élaboration et à l'amélioration des instruments conventionnels existants, d'autre part au renforcement de la coopération opérationnelle entre les Etats membres, notamment par la mise en oeuvre de dispositifs de coordination et de centralisation au sein de chaque Etat membre.

Depuis, les travaux de l'Union européenne se sont considérablement développés.

Dans le domaine de l'harmonisation des incriminations et des sanctions pénales plusieurs instruments ont été adoptés (décision cadre du Conseil du 29 mai 2000 visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l'euro ; décision cadre du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre des procédures pénales ; décision cadre du Conseil du 28 mai 2001 concernant la lutte contre la fraude et la contrefaçon des moyens de paiement autres que les espèces ; décision-cadre du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime - instruments auxquels s'ajoute l'Action Commune du 21 décembre 1998 relative à l'incrimination de la participation à une organisation criminelle, adoptée antérieurement).

D'autres sont en cours de négociation (projets de directive et de décision cadre renforçant le cadre pénal pour la prévention de l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers ; projet de décision cadre relative à la lutte contre la traite des êtres humains ; projet de décision cadre relative à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie ; projet de décision cadre relative à la protection de l'environnement par le droit pénal ; projet de décision cadre sur les infractions en matière de stupéfiants).

Dans le domaine de la coopération judiciaire pénale , les instruments adoptés au sein de l'Union européenne vont très au-delà des dispositions contenues dans les instruments des Nations unies. Il en va ainsi de la convention relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne du 27 septembre 1996 et la convention relative à la procédure simplifiée d'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne du 10 mars 1995, de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 29 mai 2000, et son protocole du 16 octobre 2001. Un palier supplémentaire sera franchi avec les instruments adoptés ou en cours de négociation relatifs à la mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle qui visent à substituer aux mécanismes traditionnels de coopération, l'exécution directe des décisions judiciaires prononcées dans un autre Etat membre (projet de décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres qui vise à remplacer le mécanisme lourd et complexe de l'extradition ; projet de décision cadre sur la reconnaissance mutuelle des décisions portant condamnation à une peine d'amende ; projet de décision cadre portant reconnaissance mutuelle des décisions en matière de gel des avoirs).

Enfin, plusieurs instruments ou projet d'instruments permettent le renforcement de la coopération opérationnelle entre les Etats membres (projet de décision-cadre sur les équipes communes d'enquête - qui fait l'objet d'un accord politique - ; développement progressif des compétences d'Europol ; mise en place de la «Task Force» des chefs de police).

Il en va de même en ce qui concerne la coopération judiciaire, avec la mise en place du Réseau Judiciaire Européen, puis de l'unité provisoire pro-Eurojust (Décision du Conseil du 14 décembre 2000). La mise en place de l'unité définitive Eurojust devrait s'opérer prochainement par l'adoption du projet de Décision du Conseil pour lequel un accord politique a été enregistré. Cette unité de coopération judiciaire sera chargée contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites, d'apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée et de contribuer à simplifier l'exécution des commissions rogatoires.

La conclusion de ces instruments répond au souhait affiché de la convention de Palerme d'encourager, notamment par des accords multilatéraux, le développement de moyens de coopération judiciaire plus poussés.

CONCLUSION

La convention de Palerme a été signée par 140 Etats mais ratifiée par 7 Etats seulement, alors que son entrée en vigueur est subordonnée à 40 ratifications au minimum.

La France a été parmi les tout premiers pays à signer cette convention qui n'entraîne pas, pour notre pays, d'obligations nouvelles. En effet, notre législation pénale est déjà pleinement conforme aux dispositions du texte et prévoit notamment les diverses incriminations énoncées par la convention. La démarche préconisée par la convention est également pleinement cohérente avec les efforts accomplis au sein de l'Union européenne. Au-delà de cette dernière, l'intérêt de la convention de Palerme est donc surtout d'amener d'autres Etats à harmoniser leurs législations pénales et à renforcer leur coopération judiciaire avec des Etats tiers.

En soulignant l'entrée en vigueur rapide de cette convention, votre commission des affaires étrangère et de la défense vous demande d'adopter le projet de loi autorisant sa ratification.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du 31 janvier 2002.

A la suite de l'exposé du rapporteur, la commission a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi autorisant la ratification de la convention contre la criminalité transnationale organisée.

PROJET DE LOI

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée la ratification de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adoptée à New York le 15 novembre 2000 et signée par la France le 12 décembre 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. 1 ( * )

ANNEXE -
ÉTUDE D'IMPACT2 ( * )

- Etat du droit et situation de fait et leurs insuffisances :

Le phénomène de la criminalité organisée a été radicalement modifié par la mondialisation. La criminalité organisée a non seulement changé d'ampleur mais aussi de nature, en devenant l'un des vecteurs les plus menaçants pour la stabilité d'un grand nombre d'Etats. Les groupes criminels organisés, auparavant très marqués par leurs origines (spécialisation criminelle, base culturelle, ethnique, etc.) connaissent aujourd'hui une diversification de leurs activités, une uniformisation de leurs structures et recourent à des moyens techniques de plus en plus sophistiqués. Ils prospèrent en profitant au mieux des vides et des contradictions qui résultent des disparités normatives entre les Etats.

La communauté internationale avait jusqu'à présent élaboré des conventions internationales ou régionales spécifiques, afin de mieux lutter contre certaines activités délictueuses des organisations criminelles : convention de 1988 des Nations unies contre le trafic illicite des stupéfiants et substances psychotropes, convention du Conseil de l'Europe de 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime. En matière de coopération judiciaire internationale, plusieurs instruments spécifiques ont été élaborés dans le cadre du Conseil de l'Europe (conventions d'extradition de 1957 et d'entraide judiciaire de 1959).

La convention contre la criminalité transnationale organisée représente un outil complet et universel de lutte contre les organisations criminelles qui permettra des avancées significatives dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale et du rapprochement des législations.

- Bénéfices escomptés en matière :

- d'emploi :

L'impact de cette convention sur l'emploi est difficilement quantifiable.

- financière :

Certaines dispositions pourraient avoir des incidences financières, tels les articles 12 à 14 relatifs à la saisie et à la confiscation des avoirs criminels, les articles 24 et 25 sur la protection des témoins et des victimes, ou l'article 30 sur l'assistance technique. Le dispositif d'assistance technique prévoit la mise en place d'un compte spécifique des Nations unies, abondé par des contributions volontaires des Etats parties affectées à l'aide aux pays en développement et en transition, afin qu'ils soient en mesure d'appliquer la convention. Cette disposition est complétée par l'article 32, qui institue un mécanisme de suivi sous la forme d'une Conférence des Parties.

Le fonds du Centre des Nations unies pour la prévention internationale du crime reçoit à titre transitoire, et jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention, les contributions visant à financer des actions de promotion de la convention et d'appui à sa transposition en droit interne. C'est dans ce cadre que le ministère des Affaires étrangères finance actuellement un projet d'aide à la ratification de la convention dont le montant s'élève à 1,5 million de francs.

- d'intérêt général :

Cette convention vise à améliorer la prévention et la répression de la criminalité organisée dans ses formes les plus diverses. A ce titre, elle contribue au maintien de l'ordre et de la sécurité publics.

- en matière de simplification des formalités administratives :

néant.

- en matière de complexité de l'ordonnancement juridique :

La convention oblige les Etats partie à introduire dans leur droit pénal plusieurs infractions précisément définies : la participation à un groupe criminel organisé, le blanchiment d'argent, la corruption et l'entrave au bon fonctionnement de la justice.

Les incriminations correspondantes existent déjà en droit interne mais, s'agissant de la participation à un groupe criminel organisé, les éléments constitutifs diffèrent de l'infraction d'association de malfaiteurs et justifieront une modification du code pénal.

D'autres dispositions de la convention entraîneront une adaptation de notre droit interne, principalement en ce qui concerne la protection des témoins et des collaborateurs de justice. En effet, notre droit interne ne prévoit pas de dispositif institutionnalisé de protection des témoins et des collaborateurs de justice, même si ponctuellement des actions en ce sens peuvent être entreprises. La mise en oeuvre intégrale des dispositions de la convention pourrait également entraîner des modifications du droit positif en ce qui concerne le recours aux équipes conjointes et aux techniques spéciales d'enquête.

Les dispositions de la convention en matière de coopération judiciaire pénale (entraide judiciaire et extradition), compatibles avec le droit positif, devraient permettre d'obtenir une coopération judiciaire efficace y compris dans les relations avec des Etats qui n'ont conclu aucun accord spécifique d'entraide judiciaire ou d'extradition avec la France.

* 1 Voir le texte annexé au document Sénat n° 117 (2001-2002).

* 2 Texte transmis par la Gouvernement pour l'information des parlementaires.

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