II. LE DISPOSITIF DU PROTOCOLE CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES

A. L'ÉLABORATION DU PROTOCOLE CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES

La lutte contre le trafic de femmes et d'enfants a été identifiée parmi les sujets susceptibles de faire l'objet d'un protocole additionnel spécifique dès le lancement du projet de convention contre la criminalité transnationale organisée, en décembre 1998.

C'est sur la base de deux projets déposés respectivement par les Etats-Unis et l'Argentine, qu'a été élaboré en moins de deux ans le texte du protocole contre la traite des personnes. Initialement limité à la traite des femmes et des enfants, son champ a ensuite été élargi à la traite des personnes en général, tout en préservant l'accent particulier mis sur celle, la plus répandue, dont sont victimes les femmes et les enfants.

La négociation a été marquée par de sensibles différences d'approches entre pays face au phénomène de la prostitution et de l'exploitation sexuelle , y compris entre pays membres de l'Union européenne. Un clivage important subsiste en effet selon la tradition juridique propre à chaque Etat.

Dans le régime juridique dit « prohibitionniste » (Etats-Unis, Chine, Etats du Golfe persique...), la prostitution, son organisation et son exploitation sont interdites et considérées comme des délits: prostituées, proxénètes et clients sont théoriquement tous susceptibles de poursuites.

Dans le régime dit « réglementariste » (Allemagne et, dans une moindre mesure, Pays-Bas 5 ( * ) , Grèce, Turquie...), la prostitution est considérée comme un « mal nécessaire » et son exercice est soumis à une réglementation administrative (mise en carte des prostituées, surveillance médicale, reconnaissance des maisons closes ou institution de quartiers réservés). D'un point de vue juridique, l'exploitation de la prostitution d'autrui n'est pas en tant que telle poursuivie. Sont seuls considérés comme répréhensibles les faits liés à la prostitution de mineures ou de personnes majeures non consentantes.

Enfin, dans le régime dit « abolitionniste » (France, Suède), l'objectif n'est pas l'abolition de la prostitution mais celle du régime réglementariste. L'exploitation de la prostitution -le proxénétisme - est incriminée, mais ni les personnes qui s'y livrent, ni leurs clients ne sont passibles de poursuites.

Ces différences marquées quant à l'approche de la question ont provoqué certaines difficultés lors des négociations. Par exemple, les Etats "réglementaristes" (Pays-Bas, Allemagne, Australie) voulaient introduire une distinction entre "prostitution volontaire" et "prostitution forcée", récusée par les pays de tradition abolitionniste (France, Belgique, Finlande, Norvège) auxquels se sont joints d'autres Etats parties à la convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui (Mexique, Philippines, pays africains francophones). C'est la conception abolitionniste qui a prévalu, avec l'introduction d'une clause affirmant le caractère inopérant du consentement de la victime à l'exploitation.

S'agissant des formes d'exploitation, un certain nombre d'Etats auraient souhaité les énumérer limitativement et les définir précisément. La formule retenue, à savoir une liste non limitative sans définition des termes, privilégie une conception large de la traite incluant, au minimum, les formes les plus répandues d'exploitation de la personne humaine.

En matière d'assistance et protection des victimes, les débats ont porté sur le caractère obligatoire ou facultatif des mesures préconisées. Si un consensus a finalement été obtenu sur l'approche optionnelle, certaines dispositions ont néanmoins été formulées de manière contraignante.

Enfin, le rapatriement des victimes de la traite a suscité un fort clivage, plus traditionnel, entre pays d'origine et pays de destination.

Le protocole contre la traite des personnes a été adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 15 novembre 2000, en même temps que la convention contre la criminalité transnationale organisée et le protocole contre le trafic de migrants.

A ce jour, le protocole contre la traite des personnes compte 101 signataires , dont 5 Etats parties : Bulgarie, Monaco, Nigeria, Yougoslavie et Pérou. Quarante ratifications sont requises pour son entrée en vigueur .

* 5 Aux Pays-Bas, une loi du 28 octobre 1999, dite " loi portant suppression de l'interdiction générale des établissements de prostitution " a supprimé l'infraction générale de proxénétisme (mais le proxénétisme par coercition et l'exploitation sexuelle des mineurs font l'objet d'une répression aggravée) et confié aux communes le contrôle de la prostitution. Dans ce système, les proxénètes, à condition de rester dans le cadre de la loi, sont considérés comme des " hommes d'affaires " comme les autres et les prostituées comme des " travailleuses du sexe " auxquelles des droits sociaux sont reconnus. Toutefois, le système ne s'applique qu'aux prostituées en règle au regard de la législation sur l'immigration.

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