Rapport n° 300 (2001-2002) de M. Jean-Guy BRANGER , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 15 mai 2002

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N° 300

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 21 février 2002

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 mai 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur :

- le projet de loi autorisant la ratification d'un accord entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord relatif à l'établissement d'une ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey ,

- et le projet de loi autorisant la ratification de l'accord relatif à la pêche dans la baie de Granville entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord (ensemble quatre échanges de notes),

Par M. Jean-Guy BRANGER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Xavier de Villepin, président ; MM. Michel Caldaguès, Guy Penne, André Dulait, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Jean-Paul Delevoye, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe François, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Henri Torre, André Vallet, Serge Vinçon.

Voir les numéros :

Sénat : 135 et 136 (2001-2002)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les îles dites « anglo-normandes » que sont Aurigny, Guernesey, Jersey et Sercq constituent une curiosité géopolitique car, bien que situées à une quinzaine de kilomètres des côtes françaises -en l'occurrence, la presqu'île du Cotentin-, et à environ 80 kilomètres au sud des côtes anglaises, elles constituent autant d'enclaves britanniques au sein des eaux françaises.

Pour autant, elles ne relèvent pas pleinement de la législation du Royaume-Uni et, en particulier, n'ont pas été engagées par l'adhésion de ce dernier à la Communauté européenne, en 1972.

A ces particularités politiques s'ajoute une caractéristique économique importante, constituée par la grande richesse halieutique de la baie de Granville où elles sont situées.

Ces éléments permettent d'apprécier le caractère très positif des deux accords conclus le 4 juillet 2000 entre la France et le Royaume-Uni, et qui clarifient le régime de la pêche dans la baie de Granville, tout en établissant une délimitation maritime entre la France et Jersey, qui n'avait jamais été tracée auparavant.


I. LE STATUT PARTICULIER DES ÎLES ANGLO-NORMANDES A LONGTEMPS FAIT OBSTACLE À UNE CLARIFICATION DES ZONES DE PÊCHE DANS LA BAIE DE GRANVILLE

A. LE STATUT DES ÎLES ANGLO-NORMANDES

Il faut remonter au XII e siècle pour comprendre l'origine de la dénomination et du statut des îles anglo-normandes.

Le roi Jean d'Angleterre succède alors, en 1199, à son frère Richard Coeur de Lion. Mais il est condamné par défaut, en 1202, par la cour des pairs de France, à la perte de ses fiefs français pour l'enlèvement d'Isabelle d'Angoulême. Privé de ses possessions continentales (Normandie, Anjou, Maine, Touraine et Poitou), il reçoit alors le surnom de « Jean Sans Terre ».

Les îles situées au large du Cotentin relevaient du duché de Normandie dont le roi avait été privé ; pour en garder la maîtrise, il les plaça alors sous la dépendance directe de la Couronne britannique, et leur octroya une constitution particulière en 1214.

Cette histoire spécifique produit des effets juridiques durables, puisque ces îles ont un statut original au sein du Commonwealth : la Reine d'Angleterre est en effet la gardienne des privilèges qui leur ont été accordés, et qui forment la coutume.

Ainsi, le tracé des eaux territoriales des îles anglo-normandes a-t-il été établi par un Order in Council du 23 septembre 1964, et les « Etats » de Guernesey et de Jersey ont-ils le droit de réglementer la pêche dans ces eaux, auxquelles la réglementation communautaire ne s'applique pas.

B. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT DE LA MER NE SONT PAS APPLICABLES À LA BAIE DE GRANVILLE SANS DES ADAPTATIONS

Du fait de la proximité des îles anglo-normandes des côtes françaises, les principes internationaux régissant le droit de la mer, et notamment ceux contenus dans la convention internationale signée en 1982 à Montego Bay, en Jamaïque, ne pouvaient être appliqués dans cette zone sans adaptation à ses spécificités géopolitiques.

Rappelons que la convention de 1982 est en réalité entrée en application en 1994, après une nouvelle négociation internationale relative aux grands fonds marins ; la France a, pour sa part, ratifié cette convention en 1996.

Ce texte fixe le statut juridique des espaces maritimes :

. les eaux intérieures désignent les eaux incluses entre le rivage et la mer territoriale ;

. la mer territoriale est l'espace marin compris entre les eaux intérieures et la zone économique exclusive ; sa largeur a été portée de 3 à 12 milles nautiques par la convention de 1982. La France avait anticipé cette extension, en portant à 12 milles ses eaux territoriales en 1971 ;

. la zone économique exclusive (ZEE) a été fixée par la convention de Montego Bay à 200 milles marins. La définition d'une telle zone répond à la volonté des Etats côtiers de contrôler les ressources halieutiques au-delà de la mer territoriale, et démontre l'importance économique croissante de ces ressources. La ZEE s'étend donc à 200 milles marins au-delà des eaux territoriales, soit 370 kilomètres de la côte. La liberté de navigation et de survol y est garantie pour les autres Etats. La France a, là encore, anticipé cette extension dès 1976 au large des côtes métropolitaines (à l'exception de la Méditerranée).

Relevons que notre pays dispose de la troisième ZEE dans le monde par l'étendue (10 millions de km²), essentiellement grâce à ses Territoires d'outre-mer.

C. DE NOMBREUX TEXTES ONT DÉJÀ ÉTÉ ÉLABORÉS SUR LES RELATIONS ENTRE LES ÎLES ANGLO-NORMANDES ET LA FRANCE, SANS ABOUTIR À UNE SOLUTION STABLE ET EXHAUSTIVE

Le premier accord franco-britannique portant sur les conditions de pêche dans la baie de Granville remonte à 1839. Il a longtemps suffi à garantir les pratiques respectives des différents pêcheurs, quel que soit leur pays d'origine. Mais le développement économique croissant de cette activité après la deuxième guerre mondiale a conduit à l'élaboration de nouveaux textes. Ainsi, un accord franco-britannique était conclu à Londres en 1951 sur les droits de pêche aux abords des îlots des Ecrehous et des Minquiers. Parallèlement, la Cour Internationale de Justice de La Haye rendait, en 1953 , à la demande des deux pays, un arbitrage sur la souveraineté de ces groupes d'îlots ; d'un commun accord, il avait été décidé que cet arbitrage aurait une portée de principe, mais n'affecterait pas les droits de pêche découlant de l'accord de 1951.

Par ailleurs, un échange de notes effectué entre les deux pays au mois de février 1965 précisait les droits d'usage des navires de pêche française dans les limites des zones de pêche britanniques.

L'ensemble de ces textes successifs établissait le principe de la détermination de zones exclusives de 3 milles marins autour des îles et le long de la côte française, ainsi que de l'existence d'une mer commune située entre ces zones.

Cependant, ce statut juridique définissant un régime d'accès aux eaux, les pêcheurs se trouvent confrontés dans leurs activités quotidiennes à des difficultés découlant de l'imprécision des limites territoriales et des droits de pêche.

Dans cette perspective, un premier accord, conclu à Guernesey entre la France et le Royaume-Uni le 10 juillet 1992 sur ces points, s'est révélé déséquilibré et inopérant. Cet accord autorisait les autorités du Bailliage de Guernesey à exercer des contrôles techniques en matière de pêche dans la zone des 12 milles nautiques autour des côtes de cette île. Ces « contrôles techniques » ont alors été interprétés par les autorités de Guernesey avec une excessive rigidité, aboutissant, sous ce couvert, à exclure de nombreux navires français des zones de pêche où ils avaient coutume d'opérer.

Plusieurs incidents s'en sont suivis , provoquant la saisie respective de chalutiers, l'envoi de navires de guerre britanniques puis français dans les parages de Guernesey, ainsi que de lourdes amendes infligées par les autorités de l'île à certains pêcheurs français. L'enjeu économique essentiel était constitué par la capture de homards dans des casiers placés trop près des côtes de Guernesey, selon les autorités de l'île, par des pêcheurs français.

Pour mettre un terme à une situation préjudiciable à toutes les parties impliquées, les autorités britanniques et françaises ont alors établi un « modus vivendi » défini par un échange de lettres du 16 août 1994.

Selon les précisions apportées par notre ministère des affaires étrangères, les deux pays convenaient ainsi « d'engager dans les meilleurs délais des conversations afin de parvenir à une position commune sur l'application de la conservation de la ressource halieutique dans la zone des 6 à 12 milles nautiques au sud, à l'ouest, et au nord du Bailliage de Guernesey et précisaient le régime de la pêche dans certaines zones. Ce « modus vivendi » était renouvelable par tacite reconduction tous les douze mois.

Malgré le non-renouvellement de ce « modus vivendi » par les Britanniques en novembre 1996, les conversations avec les autorités de Guernesey se sont poursuivies afin de redéfinir un régime de pêche procurant des avantages équivalents, jusqu'à leur interruption du fait de Guernesey en 1998. Cette situation n'est pas satisfaisante, mais les autorités françaises et britanniques ont choisi de concentrer leurs efforts sur les accords portant sur Jersey. Ceux-ci étaient cependant susceptibles d'affecter indirectement Guernesey.

C'est pourquoi les accords relatifs à la Baie de Granville signés le 4 juillet 2000, comportent un échange de notes qui a pour objet de préciser les conditions d'accès des navires guernesiais dans la baie de Granville et d'éviter que l'abrogation de textes antérieurs, notamment l'échange de notes du 24 février 1965, ne porte préjudice aux droits de pêche des navires français dans les eaux guernesiaises. Cet échange de notes comporte plusieurs séries de dispositions.

Il stipule que l'accord de juillet 2000 n'a pas pour effet d'étendre les droits des navires de pêche immatriculés dans les ports autres que ceux de Jersey ou en France. Il précise cependant que jusqu'à 30 navires basés à Guernesey seront autorisés à pêcher dans la partie de la baie de Granville qui est située dans les eaux territoriales jersiaises.

Ensuite il souligne que l'abrogation des accords antérieurs à l'accord du 4 juillet 2000 n'affecte pas les relations et les droits de pêche entre la France et Guernesey. A la demande des professionnels français, la déclaration unilatérale de la France constate qu'il découle de cette disposition que les ressortissants français pourront continuer de pêcher dans un secteur précis défini par l'échange de notes.

Enfin il prend note d'un double désaccord entre la France et le Royaume-Uni : d'une part les autorités françaises n'acceptent pas l'affirmation des autorités britanniques selon laquelle les pêcheurs guernesiais auraient des droits dans les eaux couvertes par le régime spécial en vigueur applicable dans la baie de Granville ; d'autre part, les autorités françaises n'acceptent pas l'affirmation des autorités britanniques selon laquelle les pêcheurs de Guernesey auraient des droits historiques dans les eaux qui entourent les Roches Douvres.

L'accord du 4 juillet devait être aussi neutre que possible s'agissant de Guernesey, qu'il s'agisse de l'accès des navires guernesiais dans la baie de Granville ou de l'accès des navires français dans les eaux de Guernesey » .

Ainsi, le maintien de l'accès coutumier des navires français aux abords de l'île de Guernesey n'a-t-il pas pu trouver, jusqu'à présent, de solution concrète satisfaisante.

Cet élément permet de souligner les apports marqués contenus dans l'accord signé à Jersey le 4 juillet 2000 sur la pêche dans la baie de Granville, qui règle la situation pour la partie de la baie ne relevant pas des abords de Guernesey.

II. LES ACCORDS DU 4 JUILLET 2000 DÉTERMINENT LA FRONTIÈRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET JERSEY, ET PRÉSERVENT LES DROITS COUTUMIERS D'ACCÈS DES PÊCHEURS FRANÇAIS AUX ABORDS DE CETTE ÎLE

A. UNE DÉLIMITATION MARITIME TARDIVE MAIS UTILE

La particularité du statut de Jersey, déjà analysée, ainsi que l'existence d'une limite de pêche déterminée en 1938 entre cette île et la France, se sont conjuguées pour différer une délimitation maritime dont ni la nécessité ni le tracé ne semblaient évidents.

Le besoin pressant d'un accord de pêche entre les deux autorités a poussé à combler, au cours de la même négociation, ce vide juridique.

Le ministère des affaires étrangères précise que : « Déterminer la souveraineté et la juridiction sous lesquelles les pêcheurs sont placés a d'importantes conséquences du fait du statut particulier de Jersey au regard du droit britannique et du droit communautaire, et des évolutions récentes du droit de la mer qui se traduisent par la reconnaissance de droits exclusifs au profit de cet Etat côtier dans la gestion et l'exploitation des ressources halieutiques situées dans les espaces maritimes relevant de sa juridiction.

La ligne de délimitation maritime retenue repose sur le principe de l'équidistance, qui est généralement applicable en matière de délimitation des eaux territoriales entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face (sauf circonstances géographiques particulières qui rendraient l'équidistance inéquitable).

Le calcul de l'équidistance était cependant rendu difficile par la présence à l'est, au sud et à l'ouest de Jersey d'un certain nombre d'archipels, d'îles et d'îlots auxquels la France et le Royaume-Uni n'entendaient pas initialement donner la même valeur pour la fixation de la frontière. Ainsi a été reconnu un plein effet pour le continent, Jersey et les Roches Douvres, un effet de 75 % aux îles Chausey et un demi-effet aux Minquiers et aux Ecrehous. Certains rochers isolés dont l'appartenance est incertaine n'ont pas été pris en considération. La solution ainsi retenue est satisfaisante pour la France.

La ligne de délimitation forme une vaste boucle qui va, à l'est, de l'extrémité sud de la ligne de délimitation des secteurs de pêche entre le Cotentin et Aurigny (Royaume-Uni) définie par l'accord franco-britannique du 10 juillet 1992, à l'extrêmité, à l'ouest de la ligne de délimitation entre les Roches Douvres (France) et Guernesey, définie également par l'accord du 10 juillet 1992. A l'est, la ligne de délimitation maritime descend vers le sud en contournant les Dirouilles et les Ecrehous, puis passe entre le plateau des Minquiers et les îles Chausey. Elle contourne ensuite le plateau des Minquiers par le sud, puis s'oriente vers le nord en remontant entre le plateau de Barnouic, puis le plateau des Roches Douvres d'une part et Jersey d'autre part.

La ligne de délimitation est constituée par quatorze points définis par des coordonnées géographiques exprimées dans le système de référence géodésique européen. 1 ( * ) »

B. DES ENJEUX ÉCONOMIQUES IMPORTANTS POUR LES POPULATIONS INTÉRESSÉES

1. Des ressources abondantes, mais très convoitées

La baie de Granville est caractérisée par une richesse et une diversité des ressources halieutiques, notamment grâce à sa faible profondeur et à l'hydrodynamisme entretenue par les marées. De plus, ses fonds permettent une activité de pêche s'étendant sur toute l'année. Mollusques et crustacés sont les plus abondants, auxquels s'ajoutent des espèces nobles de poissons.

Parmi les principaux mollusques exploités figurent les praires, les coquilles Saint-Jacques et les palourdes. Les crustacés les plus abondants sont les araignées de mer et les homards, et les principales espèces de poissons capturées sont les soles, les raies et les roussettes.

Le Ministère de l'Agriculture précise que :

« La production totale française dans la baie est d'environ 38.000 tonnes en 2001, dont 30.000 tonnes pour les navires normands et 8.000 tonnes pour les navires bretons. La production de pêche de Jersey, estimée à 3.000 tonnes, est constituée de crustacés (araignées, crabes, homards) et de poissons. Ainsi, plus de 9/10 èmes des captures dans la baie sont le fait de navires français.

Les quantités pêchées en baie de Granville et débarquées par les navires français par circonscription maritime (direction départementale des affaires maritimes) sont les suivantes (données 2001) :

Circonscription

Saint-Brieuc

Saint-Malo

Cherbourg

Production en tonnes

2.000

5.400

30.000

Type d'espèces

Mollusques

Crustacés

Poissons

% de production totale

65 %

5 %

30 %

La flotille française active dans la baie est essentiellement issue des ports relevant des directions départementales des affaires maritimes de la Manche (en particulier ports de Granville, Blainville, Carteret, Cherbourg), de l'Ile et Vilaine (port de Saint-Malo) et dans une moindre mesure, des Côtes d'Armor (ports de Paimpol et Saint-Brieuc). La présence de navires extérieurs à la baie et originaires du Calvados ou du Finistère est le plus souvent occasionnelle, à la faveur de certaines pêches saisonnières.

L'essentiel des navires impliqués dans la zone est fortement dépendant du golfe normand-breton, les navires de la côte Ouest du Cotentin étant particulièrement dépendants de la baie de Granville. En 2001, le nombre total de navires fréquentant la baie de Granville était d'environ 400 navires dont 120 navires bretons et 280 navires normands. 50 % de cette flotte est composée de petites unités de moins de 13 mètres. Entre 1990 et 2001, le nombre de navires fréquentant la zone a connu une légère diminution (environ 440 navires soit une réduction de 10 %) portant essentiellement sur des navires bretons. Cette flotille s'est réduite depuis trente ans du fait de la sortie de l'activité de pêche de nombreuses petites unités côtières, mais cette réduction a été compensée par une augmentation de la puissance globale de capture du fait du progrès technique.

La flotille jersiaise pêchant dans la zone de la baie de Granville est d'environ 25 unités. Jersey dispose de nombreuses petites unités pêchant dans ses eaux territoriales et ne fréquentant donc pas la « mer commune ». La flotille jersiaise a décru ces dernières années du fait de difficultés économiques et du non-renouvellement des marins partis en retraite. »

2. Les pêcheurs français ont mal ressenti les conséquences de l'accord de 1992 avec Guernesey

Les conséquences néfastes de cet accord, manifestement trop imprécis dan ses dispositions, ont été précédemment évoquées. Certes, la pêche est beaucoup plus importante pour l'économie de Guernesey que pour celle de Jersey, ce qui a contribué à l'intransigeance des négociateurs de la première, et à une plus grande souplesse des autorités de la seconde.

La partie française a, également, pris en compte les défauts de l'accord de 1992 pour éviter de les réitérer dans l'accord conclu en 2000 avec Jersey. Cependant, le Comité régional des pêches maritimes de Basse-Normandie a émis plusieurs réserves sur le contenu de cet accord 2 ( * ) . Il est néanmoins indéniable que ce texte est beaucoup plus précis et équilibré que le précédent, et qu'il préserve et stabilise globalement les droits coutumiers de nos pêcheurs.

C. LES DISPOSITIONS DE L'ACCORD DE PÊCHE DANS LA BAIE DE GRANVILLE PEUVENT ÊTRE CONSIDÉRÉES COMME SATISFAISANTES POUR LA FRANCE

Cet accord synthétise et clarifie l'ensemble des textes antérieurs qui régissaient la pêche dans cette baie. Le régime juridique de la baie de Granville -qui ne s'appliquait pas à Guernesey- a longtemps été établi sur la base d'une convention, déjà citée, conclue en 1839 entre la France et le Royaume-Uni et modifiée par de nombreux textes ultérieurs. Il reposait sur l'établissement de zones exclusives, de 3 milles nautiques, pour chacune des parties, et d'une mer commune située entre ces zones exclusives.

L'accord du 4 juillet 2000 reprend les grands principes de ce régime, mais en l'incluant, fait nouveau, dans un cadre général commun, et une zone géographique précisément tracée. Comme il a été précédemment exposé, la France et le Royaume-Uni ont clairement délimité à cette occasion les espaces maritimes placés sous leur souveraineté ou leur juridiction respectives : tel est l'objet de l'accord sur la délimitation maritime entre la France et Jersey.

La sécurité juridique des professionnels des deux parties ainsi assurée, l'accord sur la baie de Granville confirme la légitimité des pratiques coutumières des pêcheurs des deux pays, dont les français sont les plus nombreux et les plus dépendants de cette activité.

Le Ministère des Affaires étrangères détaille ainsi les éléments de l'accord :

« L'accord définit un secteur à cheval entre les eaux territoriales françaises et jersiaises (mer commune) dans lequel les pêcheurs ont accès à la ressource sur un pied d'égalité. Il garantit des accès réciproques dans les zones comprises dans les trois à six milles de chacune des parties. Il met également en place une gestion concertée de la pêche ainsi qu'une procédure d'arbitrage.

Ses éléments essentiels sont les suivants :

* Délimitation de la frontière maritime entre les côtes françaises au large de la Normandie et de la Bretagne, et les côtes jersiaises. Cette définition donne le cadre e la mer commune et offre une sécurité juridique aux activités de pêche ;

* Reconnaissance des droits historiques des pêcheurs français et jersiais ;

* Maintien des droits de pêche français sur le plateau des Ecréhous et sur le banc de l'Ecrevière au Nord-Est de Jersey ;

* Maintien du droit d'accès permanent des navires français sur le plateau des Minquiers ;

* Reconnaissance d'un régime particulier concernant l'accès à huit zones (zones notées A à F dans l'accord, zone de bulots, zone entre les points F ET E) qui sont situées, soit dans les 3 milles des eaux territoriales des eaux de Jersey, soit dans la bande des 3 à 6 milles des eaux territoriales jersiaises soit, enfin, dans la bande des 3 à 6 milles des eaux territoriales françaises ;

* Maintien des activités traditionnelles dans l'Etat de Sercq ;

* Délivrance par chaque Partie, pour ses ressortissants, de permis de pêche ou d'accès ;

* Adoption future, d'un commun accord, des règlements de pêche avec mise en place d'un mécanisme de suivi (commission administrative mixte, comité consultatif mixte) ; ainsi, une commission administrative mixte franco-jersiaise pourra prendre des décisions autonomes dans les domaines de conservation et de gestion de la ressource ;

* Fixation conventionnelle du montant maximum des amendes ;

* Mise en place d'une procédure de règlement des litiges. »

Les éléments les plus novateurs sont constitués par l'établissement d'une commission mixte chargée de la gestion des ressources halieutiques, ce qui en permettra une exploitation prudente et concertée. Alors que les scientifiques s'alarment du « pillage généralisé » de ces ressources 3 ( * ) , cet accord ménage donc l'avenir sur ce point.

Le règlement des litiges éventuels, ainsi que le montant des amendes auxquels ils pourraient conduire, se feront également de manière concertée, ce qui évitera la reproduction des conflits nés de l'accord de 1992 avec Guernesey. Enfin, l'accord évoque expressément la délivrance, par chaque Partie, de permis de pêche ou d'accès, clarifiant ainsi l'autorité responsable en la matière.

Les droits traditionnels des pêcheurs français sont ainsi préservés, et dotés d'un cadre juridique clair et précis.

Au total, ces deux accords sont précis et positifs pour les deux Parties signataires.

CONCLUSION

La baie de Granville, bien que très riche en ressources halieutiques, ne disposait, antérieurement aux deux accords du 4 juillet 2000, ni de délimitation maritime précise entre les eaux jersiaises et françaises, ni de régime juridique argumenté et exhaustif applicable aux pratiques de pêche des ressortissants des deux Parties.

Ces accords comblent ces lacunes de façon équilibrée, et préservent les pratiques traditionnelles de nos pêcheurs.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport lors de sa séance du 15 mai 2002.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin, président, a souhaité connaître les fondements juridiques qui permettent à ces îles anglo-normandes de ne pas être soumises à la réglementation de l'Union européenne, et s'est interrogé sur l'existence éventuelle d'autres territoires proches de la France qui seraient dans le même cas.

En réponse, M. Jean-Guy Branger, rapporteur, a rappelé que ces îles relevaient, il y a dix siècles, du duché de Normandie. Puis elles avaient été placées en 1214 par Jean Sans Terre, ancien duc de Normandie, sous la dépendance directe de la couronne britannique. Cette spécificité historique a été soigneusement préservée par le Royaume-Uni. A sa connaissance, il n'existait pas d'autres territoires se trouvant dans cette situation particulière.

M. Robert Del Picchia est intervenu pour rappeler que l'accord instaurant les modalités d'entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne prévoyait explicitement que ces îles ne seraient pas soumises à la réglementation communautaire.

La commission a alors adopté les deux projets de loi.

PROJET DE LOI -
DÉLIMITATION MARITIME

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée la ratification de l'accord entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à l'établissement d'une ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey, signé à Saint-Hélier le 4 juillet 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. 4 ( * )

PROJET DE LOI -
PÊCHE DANS LA BAIE DE GRANVILLE

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée la ratification de l'accord relatif à la pêche dans la baie de Granville entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (ensemble quatre échanges de notes), signé à Saint-Hélier le 4 juillet 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. 5 ( * )

ANNEXE N° 1 -
CARTE DE LA DÉLIMITATION MARITIME
ENTRE LA FRANCE ET JERSEY



ANNEXE N° 2 -
CARTE DES ZONES DE PÊCHE
DANS LA BAIE DE GRANVILLE


ANNEXE N° 3 -
ACCORDS DU 4 JUILLET 2000 :
REMARQUES DU COMITÉ RÉGIONAL DES PÊCHES MARITIMES DE BASSE-NORMANDIE

ANNEXE N° 4 -
ÉTUDE D'IMPACT6 ( * ) RÉALISÉE PAR LE GOUVERNEMENT SUR LE PROJET DE LOI N° 135

I. ÉTAT DE DROIT ET SITUATION DE FAIT EXISTANTS ET LEURS INSUFFISANCES

Il n'existait jusqu'à présent aucune ligne de délimitation précise entre les espaces maritimes français et jersiais dans la baie de Granville, à l'exception de deux limites aux fins du contrôle de la pêche entre la France et Guernesey instituées par l'accord sous forme d'échanges de lettres entre les Gouvernements français et britannique du 10 juillet 1992 relatif aux relations de voisinage concernant les activités des pêcheurs à proximité des îles anglo-normandes et de la côte française de la péninsule du Cotentin ainsi que la ligne dite « A-K » entre la France et Jersey instituée comme limite de pêche par l'article premier de la convention du 2 août 1938.

La délimitation fixée par l'accord signé le 4 juillet 2000 à Saint-Hélier détermine la frontière maritime entre la France et le Royaume-Uni dans la baie de Granville. Ce faisant, elle procure la sécurité juridique qui faisait jusqu'alors défaut aussi bien aux Etats qu'aux particuliers qui fréquentent ces eaux, à commencer par les pêcheurs des deux Etats.

II. BÉNÉFICES ESCOMPTÉS EN MATIÈRE

* d'emploi :

Impossible à quantifier, mais la fixation définitive de la frontière aura pour conséquence indirecte de favoriser le maintien des emplois des artisans pêcheurs.

* d'intérêt général :

La mer territoriale étant une zone sur laquelle « s'étend la souveraineté de l'Etat côtier » (convention des Nations-Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, article 2 § 1), il est de la première importance de connaître les limites de celles-ci.

* financière :

La fixation de limites maritimes entre Jersey et le continent permet de préciser clairement le champ d'application territoriale du statut dérogatoire des îles anglo-normandes en droit communautaire, puisque seules les dispositions commerciales du traité de Rome s'appliquent pour les produits agricoles et industriels, avec la mise en place du tarif extérieur commun, l'application des autres libertés (liberté de circulation des travailleurs et des capitaux en particulier) étant exclue.

* de simplification des formalités administratives :

La détermination d'une limite entre Jersey et le continent facilitera les contrôles maritimes en évitant les contestations liées au lieu où ils seront effectués. Cette limite, instituée par un accord qui sera publié puis déposé auprès du Secrétariat général des Nations unies, sera en outre opposable aux tiers.

* de complexité de l'ordonnancement juridique :

Cet accord comble un vide juridique. Il n'introduit aucune complexité nouvelle.

ANNEXE N° 5-
ÉTUDE D'IMPACT7 ( * ) RÉALISÉE PAR LE GOUVERNEMENT SUR LE PROJET DE LOI N° 136

I. - ÉTAT DE DROIT ET SITUATION DE FAITS EXISTANTS ET LEURS INSUFFISANCES

La situation juridique actuelle est héritée de la première moitié du XIX ème siècle et résulte d'une longue liste d'accords comprenant en particulier une convention franco-britannique du 2 août 1839 pour la délimitation des pêcheries sur les côtes respectives des deux pays et les textes qui l'ont complétée : le règlement du 24 mai 1843 sur les devoirs et obligations des pêcheurs dans les mers situées entre les côtes des deux pays, la déclaration du 20 décembre 1928 concernant les limites de la zone réservée à la pêche française dans la baie de Granville, l'accord du 30 janvier 1951 concernant les droits de pêche dans les parages des Echéhous et des Minquiers, l'échange de notes du 10 avril 1964 précisant, par rapport à la Convention sur la pêche ouverte à la signature à Londres du 9 mars au 10 avril 1964, le statut de certains accords antérieurs relatifs à la pêche, ainsi qu'un échange de notes du 24 février 1965 relatif aux droits d'usage des navires de pêche français dans les limites des zones de pêche britanniques.

Du fait de cette ancienneté, mais aussi d'une rédaction initiale assez lâche, le système juridique issu de ces textes manque de clarté et d'exhaustivité, en particulier en ce qui concerne son champ d'application géographique, mais aussi en ce qui concerne son champ d'application matériel (absence de permis). La sédimentation des accords n'ajoute rien à la clarté de l'ensemble.

En outre, l'évolution du droit de la mer, consacrée par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de Montego Bay du 10 décembre 1982, a amené les Etats à exercer leur souveraineté sur une mer territoriale élargie à 12 milles marins et leur a donné la possibilité d'exercer leur juridiction sur une zone économique exclusive de 200 milles marins, les activités de pêche étant dans les deux cas réservées aux ressortissants de l'Etat côtier.

Dans ces conditions, la proposition faite par le Royaume-Uni au nom de Jersey de rechercher un accord sur la pêche dans la baie de Granville constituait une opportunité pour la France de pouvoir garantir le maintien des droits d'accès de ses ressortissants dan un cadre modernisé et écartait ainsi toute démarche unilatérale qui aurait pu conduire à terme à l'exclusion des pêcheurs français des eaux jersiaises.


II. - BÉNÉFICES ESCOMPTÉS EN MATIÈRE

* d'emploi :

La préservation de la ressource halieutique conjuguée au maintien des droits de pêche devrait permettre, à tout le moins, de préserver le niveau de l'emploi dans le secteur des petits métiers de la pêche de l'ouest de la presqu'île du Cotentin, particulièrement fragile et étroitement dépendant des zones de pêche situées dans les eaux jersiaises.

* d'intérêt général :

L'ancien système, largement obsolète, ne permettait pas de faire face à l'accroissement de l'effort de pêche, y compris de la part de flotilles extérieures à la zone. Aussi, afin de lutter contre la diminution consécutive des stocks, le nouveau système prévoit que la Commission administrative mixte franco-jersiaise peut prendre d'un commun accord des deux délégations des décisions autonomes et ceci dans des domaines étendus, notamment en matière de gestion et de conservation de la ressource (existence de permis et détermination de l'effort de pêche). Les décisions unilatérales ne seront possibles que dans quelques hypothèses soigneusement définies et assorties en tout état de cause de garanties, notamment juridictionnelles.

Un suivi scientifique de la ressource est également assuré et les modalités d'accès à cette zone de pêche ainsi que les différents types de pêche font l'objet d'une réglementation concertée.

Une gestion durable de la ressource halieutique est ainsi rendue possible.

* d'incidences financières :

Sans objet.

* de simplification des formalités administratives :

Un système d'information réciproque des autorités des deux Parties et d'échange de données concernant les droits de pêche sera mis en place pour assurer le bon fonctionnement de l'accord.

Un système harmonisé de sanctions sera adopté afin que les professionnels encourent désormais des sanctions de même niveau pour des infractions identiques, alors qu'auparavant des écarts importants existaient.

* de complexité de l'ordonnancement juridique :

Cet accord se substitue à un corpus important de texte complexes dont la superposition nuisait à la bonne compréhension. De ce fait, son adoption représente une simplification notable de l'ordonnancement juridique dans le domaine des pêches.

* 1 On trouvera une carte récapitulative de cette délimitation en Annexe n° 3.

* 2 On trouvera le document récapitulant ces réserves en Annexe n° 5.

* 3 Voir Annexe n° 6.

* 4 Voir le texte annexé au document Sénat n° 135 (2001-2002).

* 5 Voir le texte annexé au document Sénat n° 136 (2001-2002)

* 6 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.

* 7 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.

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