C. L'EAU AU DOMICILE

1. Quand la méfiance s'installe

a) Les Français et l'eau

En 1950, la moitié des Français n'avaient pas « l'eau courante » comme on disait alors. La quasi totalité de la population est aujourd'hui desservie par une eau potable, traitée, distribuée et consommée... à toutes autres choses que la boisson qui ne représente que 1 % de l'eau potable distribuée (73 ( * )).

Ainsi, les Français, dans leur grande majorité, apprécient l'eau du robinet... mais surtout pour les autres usages que la boisson. Les Français, dans leur grande majorité, apprécient l'eau du robinet...mais ils boivent de plus en plus d'eau en bouteille...

Il est clair que les Français se détournent de l'eau du robinet. Les enquêtes d'opinion montrent qu'ils apprécient toujours à une très large majorité l'eau du robinet, ils sont satisfaits, confiants, mais que les réactions de méfiance, les critiques sur le calcaire ou le goût, et surtout le basculement vers la consommation d'eau en bouteille progressent. Ainsi, non seulement, il n'y a que 1 % de la consommation d'eau totale qui soit utilisée pour la boisson mais cette part se réduit chaque année un peu plus !...

Une part de cette évolution vient de la perception de la dégradation de la qualité de la ressource. Celle ci est avérée, même si elle est le plus souvent localisée. Mais la médiatisation donne immédiatement un retentissement national à des contaminations locales, et chacun se sent concerné. Par ailleurs, en raison d'une certaine ignorance, compréhensible, sur l'efficacité des traitements d'eau, l'opinion a tendance à assimiler dégradation de la ressource en eau, à dégradation de l'eau distribuée. Ces deux phénomènes ont généré une certaine appréhension sur la qualité de l'eau distribuée.

Cette évolution s'est produite dans un contexte déjà fragilisé par quelques crises sanitaires. « L'eau ne figure pas spontanément parmi les peurs alimentaires des Français. Ces derniers attendent néanmoins une information sur la qualité de l'eau, même s'ils demeurent plutôt incrédules. Les messages des pouvoirs publics leur paraissent suspects (...) Les enquêtes qualitatives d'opinion montrent que deux courants se distinguent : les « méfiants » et les « fatalistes ». Les méfiants suspectent tout ce qui attaque la nature « l'anti-naturalité ». La confiance dans la capacité de traitement des eaux n'entame pas leur regret d'un monde perdu. Les fatalistes suspectent tout discours officiel. Surtout depuis l'accident de Tchernobyl et l'affaire du sang contaminé, qui ont révélé l'importance et la permanence des mensonges d'État. Désormais, rien ne pourra les rassurer »... (Extrait de l'audition de Mme Monique Chotard, directrice du Centre d'information sur l'eau, 13 mars 2002).

La demande était latente, n'attendant qu'à être satisfaite. Le marché y a répondu par une offre de produits destinés avant tout à rassurer : les traitements d'eau à domicile et les eaux minérales.

b) Les menaces contentieuses

Plusieurs millions de personnes consomment chaque année une eau qui ne répond pas strictement aux critères réglementaires de consommation. On considérait jusqu'à présent que si l'eau n'était pas conforme, cela ne signifiait pas qu'elle n'était pas potable. Ce qui est parfaitement exact (à commencer par les eaux minérales qui ne sont pas non plus conformes aux normes de consommation). Les Français acceptaient cette marge d'incertitude d'autant plus facilement qu'elle était supposée transitoire. La situation s'est renversée. Le dépassement des valeurs réglementaires ne veut certes pas dire que l'eau n'est pas potable mais signifie quand même qu'elle n'est pas conforme. Ce qui est tout aussi exact. Ce qui était accepté comme une part de risque acceptable sert aujourd'hui à fonder des contentieux .

Cette tendance ne fait qu'émerger. Mais les exigences et la sociologie de la population évoluent ; les peurs et l'aversion aux risques augmentent. Il est probable que les distributions d'eau non conformes génèrent d'avantage de contentieux, dès lors que les dépassements sont permanents, que les évolutions sont connues, et n'ont pas entraîné de réaction adaptée de la part des autorités nationales ou locales pour les faire cesser. La jurisprudence est encore rare mais bien établie. La condamnation de la collectivité (ou de la société concessionnaire) est quasi systématique (Bretagne, Drôme...), générant des réparations calculées sur un barème simple fondé sur trois paramètres : le besoin en eau (2 litres par jour) multiplié par le prix de l'eau de source en bouteille multiplié par le nombre de jours de distribution de l'eau non conforme.

Sur ces bases, ce coût devient vite très important. En Guadeloupe, l'Etat a imposé la fermeture d'un captage, pour excès de teneurs en pesticides, avant mise en place d'un système de traitement par charbon actif (6 millions d'euros payés par le maître d'ouvrage). Dans l'attente de cet équipement, la population concernée (10.000 personnes) a été desservie en eau en bouteille soit un coût de 250.000 euros. Dans ce département, l'équipement et les bouteilles ont été cofinancées par la région, l'Etat, et les fonds structurels européens. « Est-ce à l'Union européenne de financer les bouteilles d'eau de source ? ». La parade à la dégradation de la ressource conduit rapidement à des situations inextricables et ubuesques !

Le débat sur les responsabilités est à peine engagé. Qui est responsable ; le concessionnaire, la collectivité locale, l'Etat ? Dores et déjà, le jugement du tribunal administratif de Rennes du 2 mai 2001 reconnaissant que la responsabilité de l'Etat était engagée pour la mauvaise qualité de l'eau distribuée par un concessionnaire est une étape cruciale dans ce débat.

Il serait navrant que seule la menace de contentieux et de condamnations parvienne à mobiliser suffisamment l'Etat et les collectivités responsables dans cette lutte nécessaire contre la dégradation de la qualité de la ressource.

* (73) Annexe 73 - Les Français et l'eau.

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