3. Un constat préoccupant : le déficit des sols en matières organiques

La dégradation de la qualité de la ressource en eau est avérée. Mais après l'air, puis l'eau, d'autres défis, d'autres menaces apparaissent. La prise de conscience de la dégradation de la qualité des sols est récente, mais le constat est aujourd'hui établi : les sols manquent de plus en plus de matière organique.

La matière organique constitue en moyenne de 5 à 10 % du sol (la plus grande partie du sol étant les particules minérales). Cette matière organique est composée d'humus (70 % à 90 %) et d'une fraction active issue de la décomposition des débris végétaux, notamment sous l'action des micro-organismes vivants. La matière organique libère les composés minéraux issus des débris végétaux.

La matière organique a trois fonctions dans le sol. Elle constitue une ressource pour la nutrition des plantes (carbone, azote, phosphore et sels minéraux), elle augmente la capacité de rétention d'eau, et elle stabilise la structure du sol. Un déficit de matière organique est aisément repérable par la formation d'une « croûte de battance », suivie de ravine, éléments précurseurs d'une érosion des sols.

Ce phénomène est préoccupant à deux titres. En premier lieu, il favorise le ruissellement des eaux de pluies. Un sol labouré est trente fois plus perméable qu'un sol rendu imperméable par une croûte de battance. L'infiltration, qui est de l'ordre de 30 millimètres par heure pour un sol labouré n'est plus que de un millimètre par heure. Ce ruissellement qui aboutit aux rivières entraîne une augmentation de la turbidité de l'eau. Beaucoup de responsables ont ainsi relevé l'augmentation générale de la turbidité des eaux brutes. Or, cette turbidité est statistiquement associée à des risques de contamination microbienne et réduit l'efficacité des traitements d'eau. Même si les études sont encore balbutiantes, il existe vraisemblablement un lien entre dégradation de la qualité du sol et dégradation de la qualité de l'eau.

En second lieu, lorsque les conditions s'y prêtent, le sol devenu instable peut être emporté par les ruissellements. Les coulées de boues sont évidemment dues aux événements pluvieux de type torrentiel, mais peuvent être aussi le signe d'une érosion des sols. Entre 1985 et 1995, près de 6.000 communes ont été affectées par une coulée boueuse.

Le déficit de matière organique est avéré lorsque la proportion de matière organique est inférieure à 2 % du sol. Si toutes les régions de France sont touchées par cette diminution, les situations de carence de matière organique se retrouvent dans trois régions principales : le grand Sud-ouest, au-dessous d'une diagonale comprise entre Bordeaux et Béziers, le couloir rhodanien, et la région des grandes cultures qui couvre le bassin parisien et la région Centre.

Ce phénomène se retrouve aussi dans les départements d'outre mer. L'évolution de l'activité agricole avec l'abandon de l'élevage au profit des grandes cultures fruitières a entraîné une diminution des apports de matière organique. Au cours de cette mission, il a même été évoqué une situation où un exploitant agricole s'était trouvé obligé d' importer de la matière organique de métropole et d'Amérique du Sud !

Une augmentation de 10 % de la matière organique dans les sols déficitaires nécessiterait un apport annuel de matière organique compris entre 3,7 et 5,5 millions de tonnes. Ce besoin n'est pas couvert aujourd'hui par les apports de matière organique, ainsi qu'il est indiqué dans le tableau suivant :

Besoin en matières organiques :
entre 3,7 et 5,5 millions de tonnes de matières organiques humides

Disponibilité de matières organiques :

200.000 tonnes d'amendements industriels
250.000 tonnes de composts végétaux
400.000 tonnes de composts urbains
150.000 tonnes de composts de boues d'épuration

Total : 1 million de tonnes

Source : communication INRA/Vivendi/ONYX/ORVAL - Assises nationales des déchets d'Agen - septembre 2002

Les besoins sont donc largement supérieurs aux disponibilités actuelles et cette évolution ne peut se poursuivre sans dommage grave. Il s'agit d'un défi agricole et environnemental.

Tout comme la loi sur l'eau de 1992 avait déclaré l'eau patrimoine de la nation, il paraît nécessaire aujourd'hui de qualifier à son tour le sol, patrimoine de la nation. Ce patrimoine doit être préservé.

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