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Rapport n° 252 (2002-2003) de M. Pierre FAUCHON , fait au nom de la commission des lois, déposé le 8 avril 2003

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N° 252

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 avril 2003

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur sa proposition de résolution présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du Règlement, sur les projets d'accords entre l'Union européenne et les États - Unis d'Amérique en matière d'extradition et d'entraide judiciaire ,

Par M. Pierre FAUCHON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. René Garrec, président ; M. Patrice Gélard, Mme Michèle André, MM. Pierre Fauchon, José Balarello, Robert Bret, Georges Othily, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Schosteck, Laurent Béteille, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, MM. Charles Ceccaldi-Raynaud, Christian Cointat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Michel Dreyfus-Schmidt, Gaston Flosse, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Daniel Hoeffel, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Jacques Larché, Jean-René Lecerf, Gérard Longuet, Mme Josiane Mathon, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Josselin de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich, Jean-Paul Virapoullé, François Zocchetto.

Voir le numéro :

Sénat : 230 (2002-2003)

Union européenne .

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 9 avril sous la présidence de M. René Garrec, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Pierre Fauchon, la proposition de résolution n°230, présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur les projets d'accords entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique en matière d'extradition et d'entraide judiciaire (E 2210).

Le rapporteur a souligné que la négociation des projets d'accords avait été entamée à la suite des attentats terroristes survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001. Il a précisé que les projets d'accords contenaient des stipulations utiles, certaines d'entre elles méritant néanmoins d'être précisées.

Il a toutefois estimé que la conclusion de ces accords par la seule Union européenne, solution aujourd'hui envisagée par le service juridique du Conseil de l'Union européenne, soulèverait des difficultés sérieuses . Elle empêcherait toute ratification de ces accords par la France et donc toute approbation par le Parlement. Elle compromettrait la sécurité juridique des décisions à prendre en application de ces accords.

Sur proposition de son rapporteur, la commission a adopté une proposition de résolution tendant à :

- souligner que le nécessaire renforcement de la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-unis d'Amérique doit prendre en compte le processus d'édification de l'espace judiciaire européen ;

- soutenir la volonté du Gouvernement de ménager la possibilité de faire prévaloir le mandat d'arrêt européen sur les demandes d'extradition présentées par des pays tiers ;

- s'interroger sur la possibilité de conclure de tels accords au nom de l'Union européenne seule, au regard des compétences qui lui sont actuellement attribuées par les traités ;

- souhaiter que les accords soient soumis à un débat et à un vote du Parlement conditionnant leur approbation ;

- observer que seule la conclusion des accords au nom de l'Union européenne et de ses Etats membres permettrait de répondre à ces préoccupations .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat a été saisi, en application de l'article 88-4 de la Constitution, de deux projets d'accords entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique en matière d'extradition et d'entraide judiciaire.

La négociation de ces accords est étroitement liée aux attentats terroristes qui ont frappé les Etats-Unis le 11 septembre 2001.

Lors d'une réunion extraordinaire du Conseil européen, tenue le 21 septembre 2001, les chefs d'Etat et de Gouvernement des pays membres de l'Union européenne ont exprimé leur solidarité avec les Etats-Unis et ont fait de la lutte contre le terrorisme un objectif prioritaire de l'Union. Le 19 octobre 2001, lors d'une nouvelle réunion du Conseil européen tenue à Gand, ils ont décidé de mettre en oeuvre un plan d'action contre le terrorisme et d'examiner avec les autorités américaines les propositions de coopération présentées par le président des Etats-Unis dans une lettre du 16 octobre 2001.

Des négociations ont alors été entamées en vue de la conclusion d'un accord sur la coopération judiciaire et l'extradition.

Ces négociations sont aujourd'hui pratiquement achevées.

Lors d'une réunion du Conseil des ministres de la justice et des affaires intérieures tenue les 27 et 28 février derniers, les représentants des Etats membres ont décidé de suspendre les négociations pour donner à chacun « le temps d'examiner les différents aspects de ces textes » et de manière à associer les parlements nationaux, l'objectif étant qu'une décision soit prise lors de la prochaine réunion des ministres de la justice prévue le 8 mai prochain.

Le Gouvernement a alors soumis les projets d'accord à l'Assemblée nationale et au Sénat au titre de l'article 88-4 de la Constitution (texte E 2210), qui leur permet d'adopter des résolutions sur les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne.

Le 1 er avril dernier, la délégation pour l'Union européenne du Sénat a adopté à l'unanimité, sur proposition de votre rapporteur, une proposition de résolution, qui a été renvoyée à votre commission des lois.

Compte tenu de l'importance du sujet et de la nécessité d'une prise de position très rapide du Parlement, votre commission a décidé d'examiner sans attendre cette proposition de résolution.

Les projets d'accords sur l'entraide judiciaire et l'extradition négociés avec les Etats-Unis contiennent des dispositions utiles et méritent à ce titre d'être approuvés. La procédure envisagée pour la conclusion de ces accords est cependant beaucoup plus contestable. Elle pourrait porter sérieusement atteinte aux prérogatives du Parlement français et compromettre la sécurité juridique des décisions à prendre en application de ces accords.

I. DES PROJETS D'ACCORDS UTILES

Les accords en cours de négociation avec les Etats-Unis n'ont pas vocation à remplacer les accords bilatéraux existant entre les Etats-Unis et la plupart des Etats membres en matière d'entraide judiciaire.

L'article 3 de chacun des deux projets d'accords définit en effet leur champ d'application par rapport aux traités bilatéraux conclus par les Etats-membres. Tantôt, les projets d'accords ont vocation à s'appliquer en lieu et place des traités bilatéraux, tantôt ils ne sont destinés à s'appliquer qu'en l'absence de dispositions dans les traités bilatéraux.

Les textes proposés contiennent des stipulations utiles et novatrices. Certaines sont cependant plus contestables. Il convient surtout de remarquer que ces accords avec les Etats-Unis vont parfois au-delà de la coopération que les Etats membres ont établie entre eux, ce qui est pour le moins paradoxal.

A. DES STIPULATIONS BIENVENUES

La France est déjà liée aux Etats-Unis par deux accords bilatéraux d'extradition et d'entraide judiciaire pénale, respectivement signés en 1996 et 1998.

La mise en oeuvre de ces accords est facilitée par la présence d'un magistrat de liaison français à Washington et d'un magistrat de liaison américain à Paris. Certains Etats membres de l'Union européenne n'ont cependant pas conclu de tels accords avec les Etats-Unis, en sorte que les accords en cours de négociations représenteront pour eux une réelle valeur ajoutée.

1. Le projet d'accord d'entraide judiciaire

Le projet d'accord sur l'entraide judiciaire comporte plusieurs stipulations novatrices :

- l'article 4 renforce la coopération judiciaire en ce qui concerne la recherche d'informations bancaires . Ainsi, le respect du secret bancaire ne pourra plus constituer un motif de refus d'assistance. Jusqu'il y a peu, les Etats-Unis ne disposaient pas d'un système de recensement des comptes bancaires. Le « Patriot Act », adopté peu après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, prévoit la centralisation des renseignements bancaires ;

- l'article 5 permet la création d' équipes communes d'enquête , qui pourront opérer sur les territoires des Etats-Unis et de chacun des Etats membres de l'Union européenne, afin de faciliter les enquêtes et les poursuites pénales concernant les Etats-Unis et un ou plusieurs Etats membres ;

- l'article 6 impose aux parties contractantes de prendre les mesures nécessaires pour recourir à la technologie de la visioconférence entre les Etats-Unis et chaque Etat membre pour recueillir le témoignage d'une personne ou d'un expert situé dans un Etat requis ;

- l'article 7 prévoit que les demandes d'entraide judiciaire et les communications qui s'y rapportent pourront être transmises par des moyens de communications rapides tels que la télécopie ou le courrier électronique , la confirmation formelle devant suivre si elle est demandée par l'Etat requis. L'Etat requis pourrait répondre en utilisant les mêmes moyens de communications rapides.

2. Le projet d'accord d'extradition

Le projet d'accord d'extradition tend à simplifier la transmission et l'authentification des demandes d'extradition, des documents à l'appui de celles-ci et des demandes d'arrestation provisoire . Ainsi, les demandes d'arrestation provisoire pourront être directement transmises par le ministère de la justice de l'Etat requérant au ministère de la justice de l'Etat requis.

Le projet d'accord tend également à étendre le champ d'application de l'extradition en ce qui concerne les Etats membres de l'Union européenne qui avaient conclu avec les Etats-Unis des accords d'extradition n'autorisant l'extradition que pour une liste déterminée d'infractions pénales.

Enfin, le projet d'accord prévoit, pour les Etats qui n'auraient pas prévu un tel dispositif dans leurs accords bilatéraux avec les Etats-Unis, une procédure d'extradition simplifiée en cas de consentement de la personne recherchée.

B. DES INTERROGATIONS LEVÉES, DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES

Si certaines interrogations soulevées par les projets d'accords ont pu être levées au cours des négociations, des difficultés n'en persistent pas moins, qui justifieraient des modifications de ces projets.

1. Des interrogations levées au cours des négociations

a) La peine de mort aux Etats-Unis

Trente-huit des cinquante Etats des Etats-Unis prévoient la peine de mort pour les crimes les plus graves. Il était donc important que les accords d'entraide judiciaire et d'extradition prévoient des garanties satisfaisantes sur cette question.

En France, en matière d'extradition, les jurisprudences administrative et judiciaire interdisent l'extradition si la personne extradée risque l'application de la peine capitale. Le Conseil d'Etat et la Cour de cassation admettent cependant que l'extradition soit accordée si « la partie requérante donne des assurances suffisantes que la peine de mort encourue ne sera pas prononcée ou ne sera pas exécutée » 1 ( * ) .

Le projet d'accord sur l'extradition donne satisfaction à ces exigences. L'article 13 est en effet ainsi rédigé : « lorsque l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée est punissable de la peine de mort aux termes de la loi de l'Etat requérant et ne l'est pas aux termes de la loi de l'Etat requis, l'Etat requis peut accorder l'extradition à condition que la peine de mort ne soit pas prononcée à l'encontre de la personne recherchée ou, si, pour des raisons de procédure, cette condition ne peut être respectée par l'Etat requérant, à condition que la peine de mort, si elle est prononcée, ne soit pas exécutée. Si l'Etat requérant accepte l'extradition sous réserve des conditions énoncées dans le présent paragraphe, il respecte ces conditions. Si l'Etat requérant n'accepte pas les conditions, l'extradition peut être refusée . »

En ce qui concerne le projet d'accord d'entraide judiciaire, les Etats membres de l'Union européenne souhaitaient obtenir des garanties, afin que la transmission d'informations ne soit pas utilisée aux fins de condamner une personne à la peine capitale.

L'article 9 du projet d'accord, qui énumère les usages que pourra faire l'Etat requérant des preuves ou informations reçues de l'Etat requis, permet à ce dernier « d'imposer des conditions supplémentaires dans une affaire donnée lorsqu'il ne pourrait pas, en l'absence de ces conditions, donner suite à la demande d'entraide examinée ».

Les projets d'accords garantissent donc que les Etats membres de l'Union européenne pourront s'opposer à une extradition si la personne concernée risque la peine capitale aux Etats-Unis.

b) La « probable clause »

Aux Etats-Unis, lorsqu'un procureur souhaite procéder à des investigations attentatoires à la liberté individuelle, il doit obtenir préalablement l'accord d'un juge et lui montrer des éléments précis laissant à penser qu'une infraction a pu être commise par la personne concernée.

Cette clause est également applicable en cas de demande d'entraide judiciaire et suscite parfois des difficultés, dans mesure où elle est inconnue dans notre pays.

L'article 11 du projet d'accord d'entraide judiciaire prévoit que, si nécessaire, les parties contractantes se consultent pour permettre une utilisation aussi efficace que possible de l'accord, y compris pour favoriser le règlement de tout différend concernant son interprétation ou son application.

Ce mécanisme de consultation devrait faciliter la résolution des difficultés soulevées par la « probable clause ».

c) la priorité aux demandes d'extradition émises par la cour pénale internationale

Les Etats-Unis, qui n'ont pas ratifié le traité de Rome sur la Cour pénale internationale, étaient très réticents à l'idée d'admettre une priorité pour les demandes d'extradition émises par cette Cour.

Néanmoins, une note insérée à l'article 10 du projet d'accord d'extradition, relatif aux demandes d'extradition présentées par plusieurs Etats, prévoit qu'un échange de notes diplomatiques expliquera que cet article 10 ne remet pas en cause les obligations des Etats parties au traité sur la Cour pénale internationale.

2. Des difficultés en suspens

Le projet d'accord d'extradition soulève encore certaines difficultés, notamment pour la France, en ce qui concerne l'existence de juridictions d'exception aux Etats-Unis et l'absence de priorité donnée au mandat d'arrêt européen.

a) Les juridictions d'exception américaines

Le Gouvernement français a émis une réserve sur le projet d'accord d'extradition, dans la mesure où il ne permet pas de refuser l'extradition dans le cas où une personne risque d'être jugée par une juridiction d'exception .

L'article 16 du projet d'accord d'extradition prévoit que « le présent accord est sans préjudice de la possibilité reconnue à l'Etat requis par un traité d'extradition bilatéral en vigueur entre les Etats-Unis d'Amérique et un Etat membre d'invoquer des motifs de refus se rapportant à une question non régie par le présent accord ».

Ainsi, l'accord d'extradition conclu par la France avec les Etats-Unis continuera à s'appliquer pour toutes les questions qui ne sont pas abordées par le projet d'accord. Néanmoins, cet accord ne fait aucune référence aux juridictions d'exception, qui ont été créées après sa conclusion.

Par un « Military Order » du 13 novembre 2001, le président des Etats-Unis a institué des tribunaux militaires, compétents pour juger toute personne qui n'aurait pas la nationalité américaine et serait impliquée dans des affaires de terrorisme international menaçant les Etats-Unis ou leurs ressortissants. Ces tribunaux, composés de militaires, fonctionnent selon des règles de procédure largement dérogatoires au droit commun et ils peuvent prononcer des condamnations à mort.

Le fonctionnement de ces tribunaux peut susciter des interrogations au regard des principes relatifs au procès équitable posés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or, le projet d'accord d'extradition prévoit seulement que si « les principes constitutionnels de l'Etat requis sont de nature à faire obstacle à l'exécution de son obligation d'extradition et que ni le présent accord ni le traité bilatéral applicable ne permettent de résoudre la question, l'Etat requis et l'Etat requérant procèdent à des consultations ».

Une telle stipulation paraît insuffisante.

La proposition de résolution soumise à votre commission des Lois indique dans ces conditions que le Sénat « partage (...) le souci du Gouvernement d'inclure une référence aux droits fondamentaux parmi les motifs de refus d'extradition ».

Votre commission approuve cette demande. Il est en effet souhaitable que le respect des droits fondamentaux puisse constituer un motif de refus d'extradition.

b) L'absence de prise en compte de l'espace judiciaire européen

La difficulté la plus sérieuse que posent les projets d'accords avec les Etats-Unis est l'absence de prise en compte de la construction d'un espace judiciaire européen .

L'article 10§2 du projet d'accord d'extradition assimile le mandat d'arrêt européen à une demande d'extradition. Dans ces conditions, en cas de demande concurrente des Etats-Unis d'une part, d'un Etat membre de l'Union européenne sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen d'autre part, l'Etat requis devrait se référer aux critères énumérés par l'article 10 du projet d'accord d'extradition pour déterminer à quel Etat la personne sera remise.

Il est vrai que la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen ne prévoit pas elle-même de système de priorité du mandat d'arrêt européen sur toute autre demande.

Toutefois, établir une équivalence entre un mandat d'arrêt européen et une demande d'extradition dans des accords avec des pays tiers pourrait interdire à l'avenir une évolution des instruments relatifs au mandat d'arrêt européen destinée précisément à prévoir une priorité de cet instrument sur les autres demandes.

Le gouvernement français souhaite donc que l'assimilation du mandat d'arrêt européen à une demande d'extradition soit retirée du projet d'accord. Aucune solution n'a jusqu'à présent pu être trouvée.

Les Etats-Unis ont accepté l'insertion d'une clause de réexamen au plus tard cinq ans après l'entrée en vigueur de l'accord, mais celle-ci n'implique en aucune façon que les Etats-Unis renoncent, lors de ce réexamen, à l'assimilation du mandat d'arrêt européen à une demande d'extradition.

Ainsi, la rédaction du projet d'accord risque d'interdire à l'avenir la mise en place d'une priorité du mandat d'arrêt européen, sur les demandes d'extradition.

Or, le mandat d'arrêt européen est d'une autre nature que l'extradition, même s'il ne correspond pas encore à un mandat comparable à ceux qui existent au sein de chaque Etat et qui sont exécutoires par eux-mêmes. Il ne saurait donc être assimilé à une demande d'extradition.

D'une manière générale, les projets d'accords donnent parfois la paradoxale impression d'être en avance sur la construction de l'espace judiciaire européen. Ils prévoient par exemple la mise en place d'équipes communes d'enquête quand celles-ci ne sont toujours pas une réalité entre Etats membres de l'Union européenne.

Le nécessaire renforcement de la coopération judiciaire entre l'Europe et les Etats-Unis ne saurait se faire au détriment de la construction d'un authentique « espace judiciaire européen ».

La proposition de résolution soumise à votre commission des Lois tend donc à souligner que le Sénat :

- considère que le nécessaire renforcement de la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique ne doit pas se faire dans la méconnaissance du processus d'édification de l'espace judiciaire européen, garantie d'un partenariat euro-américain efficace dans la lutte contre la criminalité internationale, en particulier le terrorisme ;

- soutient, sous cette réserve et en l'état, la volonté du Gouvernement de ménager la possibilité de faire prévaloir le mandat d'arrêt européen sur les demandes d'extradition présentées par des pays tiers, afin de ne pas contredire l'idée même d'unification de l'espace judiciaire européen.

Votre commission approuve sans réserve ces observations.

II. UNE PROCÉDURE DE CONCLUSION DES ACCORDS CONTESTABLE ET LOURDE DE CONSÉQUENCES

Si le contenu des projets d'accords d'entraide judiciaire et d'extradition avec les Etats-Unis ne soulève plus qu'un nombre limité de difficultés, il n'en est pas de même de la procédure envisagée pour la conclusion de ces accords.

A. UNE PROCÉDURE CONTESTABLE

Les projets d'accords avec les Etats-Unis ont été négociés sur la base de l'article 24 du traité sur l'Union européenne.

Cet article, introduit par le traité d'Amsterdam et modifié par le traité de Nice, s'applique aux dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ainsi qu'à la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

Il dispose, dans son premier alinéa, que : « lorsqu'il est nécessaire de conclure un accord avec un ou plusieurs Etats ou organisations internationales en application du présent titre, le Conseil peut autoriser la présidence, assistée, le cas échéant, par la Commission, à engager des négociations à cet effet. De tels accords sont conclus par le Conseil sur recommandation de la présidence ».

Le deuxième alinéa prévoit que : « le Conseil statue à l'unanimité lorsque l'accord porte sur une question pour laquelle l'unanimité est requise pour l'adoption de décisions internes ».

Enfin, l'alinéa 5 dispose que : « aucun accord ne lie un Etat membre dont le représentant au sein du Conseil déclare qu'il doit se conformer à ses propres règles constitutionnelles ; les autres membres du Conseil peuvent convenir que l'accord est néanmoins applicable à tire provisoire ».

La rédaction de l'article 24 du traité sur l'Union européenne est ambiguë, dans la mesure où elle ne précise pas si les accords sont conclus au nom de l'Union européenne, des Etats membres, ou encore de l'Union européenne et des Etats membres.

Dans un avis rendu le 19 décembre 2002, le service juridique du Conseil de l'Union européenne a estimé que tout accord conclu en application de l'article 24 du traité sur l'Union européenne était conclu au nom de la seule Union, et non au nom des Etats membres. Ainsi, l'Union européenne serait la seule partie contractante, avec les Etats-Unis, à ces accords .

Une telle interprétation est contestable :

- en premier lieu, elle revient à reconnaître à l'Union européenne une personnalité juridique qu'aucun texte ne lui attribue expressément. Si les traités prévoient que « la Communauté a la personnalité juridique », rien n'est prévu pour l'Union européenne. Un groupe de travail a été chargé, au sein de la Convention européenne, de formuler des propositions sur cette question et a suggéré de reconnaître expressément une personnalité juridique à l'Union européenne. Une telle proposition montre que l'Union n'est pas à ce jour dotée de la personnalité juridique. En tout état de cause, la question est fortement débattue comme le montre l'exposé des motifs de la proposition de résolution soumise à votre commission ;

- en second lieu, l'interprétation juridique de l'article 24 du traité sur l'Union européenne faite par le service juridique du Conseil de l'Union revient à reconnaître à l'Union européenne une compétence externe pour négocier et conclure des accords internationaux en des matières qui relèvent pourtant de la compétence des Etats membres en vertu des traités .

Comme l'indique la proposition de résolution , « considérer que ces accords peuvent être conclus au nom de l'Union seule ne revient-il pas à reconnaître implicitement à l'Union une compétence exclusive pour négocier et signer des accords dans toutes les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, ainsi que de la coopération policière et judiciaire pénale ?

« Or, comment imaginer que, dans ces domaines, les Etats membres ne puissent plus conduire individuellement des accords internationaux, notamment sur un plan bilatéral ?

« Et, comment expliquer que la conclusion d'accords internationaux sur ces matières serait facilitée, alors même que, sur le plan interne, l'établissement d'une politique étrangère et de sécurité commune, de même que la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice ne sont restés que de belles et de stériles fictions du traité ?

« Ne serait-il pas paradoxal, si l'on prend le cas des présents accords, que les Etats membres s'accordent à mettre en place immédiatement des équipes communes d'enquête et à faciliter l'extradition avec les autorités américaines, sans que ces mesures ne nécessitent théoriquement une ratification préalable et une transposition dans les législations nationales, alors même que ces instruments ne sont toujours pas en vigueur au sein de l'Union ?

« Il y a là une contradiction majeure car l'Europe est prête à accorder à des pays tiers ce qu'elle se refuse à elle-même ».

Ajoutons qu'une déclaration annexée au traité d'Amsterdam exclut expressément tout transfert de compétences dans le cadre des accords passés sur le fondement de l'article 24 du traité sur l'Union européenne puisqu'elle dispose que « les dispositions des articles J.14 et K.10 (devenus les articles 24 et 38) ainsi que tout accord qui en résulte n'impliquent aucun transfert de compétences des Etats membres vers l'Union européenne ».

Il semble pourtant que les gouvernements des Etats membres aient décidé d'accepter la lecture de l'article 24 du traité sur l'Union européenne adoptée par le service juridique du Conseil.

B. DES CONSÉQUENCES SÉRIEUSES POUR LES DROITS DU PARLEMENT FRANÇAIS

Pour la plupart des Etats membres, le choix d'une conclusion des accords d'entraide et d'extradition par la seule Union européenne n'empêchera pas une ratification par les parlements nationaux.

L'article 24 du traité sur l'Union européenne prévoit en effet que « aucun accord ne lie un Etat membre dont le représentant au sein du Conseil déclare qu'il doit se conformer à ses propres règles constitutionnelles ».

Il semble que la plupart des Etats membres envisagent de soumettre la conclusion de ces accords par l'Union à une approbation préalable de leur Parlement.

Ainsi, en Allemagne, le Parlement devrait être consulté avant la conclusion de ces accords et, postérieurement à la signature par l'Union, le Gouvernement envisage d'engager une procédure de ratification. Les autorités allemandes devraient donc faire usage des dispositions de l'article 24 § 5 du traité.

L'Espagne, l'Italie, l'Autriche et le Portugal envisagent également de procéder à une ratification formelle de ces deux accords, postérieurement à leur signature, et donc de faire usage de ces dispositions.

Au Royaume-Uni et en Suède, la question se pose de manière différente car, en raison du modèle dualiste, tout texte européen doit être introduit dans le droit interne par une loi, ce qui implique nécessairement une intervention du Parlement.

Seule la Belgique exclut a priori une ratification formelle de ces accords, mais son Gouvernement étudie actuellement les modalités juridiques permettant au Parlement de consentir à ces accords. Il est vrai que l'organisation constitutionnelle de ce pays rend extrêmement compliquée toute procédure de ratification.

En France, il semble qu'une procédure d'autorisation ou ratification par le Parlement ne puisse être envisagée, les représentants de l'Exécutif considérant que les dispositions de la Constitution relatives aux traités et accords internationaux ne s'appliquent qu'aux traités et accords auxquels la France est partie.

Dans ces conditions, la conclusion par la seule Union européenne des accords d'entraide judiciaire et d'extradition avec les Etats-Unis empêcherait qu'une procédure de ratification soit conduite .

Une telle situation serait particulièrement grave, puisqu'elle empêcherait la France d'utiliser la faculté que lui offre l'article 24 du traité de l'Union européenne. Or, il semble que la conformité à la Constitution de l'article 24 du traité sur l'Union européenne n'a été admise qu'à cause de la possibilité pour chaque Etat de recourir à ses propres règles constitutionnelles.

Dans ses commentaires sur la décision du Conseil constitutionnel relative au traité d'Amsterdam, M. Jean-Eric Schoettl, conseiller d'Etat, secrétaire général du Conseil constitutionnel, écrit à propos de l'article 24 :

« Cette habilitation demeure sans incidence sur l'exercice de la souveraineté nationale dès lors qu'il est précisé qu'aucun accord ne lie un Etat membre dont le représentant au sein du Conseil déclare qu'il doit se conformer à ses propres règles constitutionnelles. Autrement dit, la France pourra recourir à la procédure constitutionnelle de ratification parlementaire et le Conseil constitutionnel pourra ainsi, le cas échéant, être saisi » 2 ( * ) .

Manifestement, l'hypothèse d'une conclusion d'accords par la seule Union européenne n'avait pas été envisagée et fait obstacle à la possibilité pour la France de recourir à ses règles constitutionnelles.

Cette difficulté pourrait remettre en cause l'effectivité des accords. Une personne pourrait en effet invoquer l'irrégularité de la procédure de ratification à l'appui d'un recours dirigé contre un décret d'extradition. Le Conseil d'Etat accepte en effet, depuis 1998, de contrôler la régularité de la procédure de ratification ou d'approbation des traités et accords contentieux au regard de l'article 53 de la Constitution.

C. UNE SEULE SOLUTION : LA CONCLUSION DES ACCORDS AU NOM DES ÉTATS MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE

Compte tenu de l'importance des projets d'accords, il paraît difficilement concevable que leur conclusion ne soit pas précédée par un débat et par un vote du Parlement conditionnant leur approbation.

La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 26 mars dernier dispose que l'Assemblée nationale :

« - estime que la France devrait invoquer la nécessité de se conformer « à ses propres règles constitutionnelles » prévue à l'article 24 du traité sur l'Union européenne, et soumettre ces projets d'accords au Parlement au titre de l'article 53 de la Constitution, si cette procédure est juridiquement envisageable ;

« - demande qu'à défaut, une réflexion soit engagée afin de définir de nouvelles modalités d'intervention du Parlement français préalablement à l'adoption de ces accords, notamment par une modification de l'article 88-4 de la Constitution conférant au Parlement, dans les matières relevant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, le pouvoir d'établir des mandats de négociation impératifs ».

Il paraît désormais acquis que la procédure de l'article 53 de la Constitution ne pourra être appliquée si les accords sont conclus au nom de la seule Union européenne. La proposition d'attribution au Parlement du pouvoir d'établir des mandats de négociation impératifs laisse entière la question posée par les projets d'accords en passe d'être conclus avec les Etats-Unis.

La proposition de résolution soumise à votre commission des lois à l'initiative de la délégation pour l'Union européenne du Sénat affirme pour sa part que le Sénat :

« - s'interroge (...) au regard des compétences attribuées actuellement à l'Union par les traités, sur la possibilité de conclure de tels accords au nom de l'Union seule ;

« - estime, compte tenu de l'importance politique et du caractère sensible du domaine concerné par ces accords, qu'ils doivent être soumis à un débat et à un vote du Parlement conditionnant leur approbation :

« - considère que la conclusion de ces accords au nom de l'Union européenne et des Etats membres permettrait seule de répondre à ces deux préoccupations ».

Votre commission partage ces appréciations. Seule une conclusion des accords par l'Union et les Etats membres pourrait permettre à la France de recourir à la procédure de ratification prévue par l'article 53 de la Constitution et éviter qu'un précédent soit créé sur un sujet essentiel 3 ( * ) .

Il existe un risque réel que les accords d'entraide et d'extradition soient remis en cause à l'occasion de contentieux futurs s'ils sont conclus au nom de la seule Union et que toute procédure de ratification est de ce fait écartée dans notre pays.

Par ailleurs, il apparaît hautement souhaitable, dans un contexte international troublé, que le Parlement français puisse marquer, en autorisant la ratification des accords, la volonté de notre pays de consolider sa coopération avec les Etats-Unis en matière d'entraide judiciaire et d'extradition.

D'une manière générale, votre commission, comme la délégation pour l'Union européenne, estime nécessaire que le Gouvernement n'accepte plus le recours à l'article 24 du traité sur l'Union européenne pour la conclusion d'accords politiques, dans la mesure où cette procédure ne correspond pas à l'état actuel des traités et ne garantit pas les conditions nécessaires de sécurité juridique.

*

* *

Au bénéfice de ces observations, votre commission a approuvé, sous réserve d'une modification rédactionnelle, la proposition de résolution dans sa rédaction issue des travaux de la délégation pour l'Union européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

(texte adopté par la commission
en application de l'article 73 bis du règlement du sénat)

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les projets d'accords entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique en matière d'extradition et d'entraide judiciaire (texte E 2210),

1. Considère que le nécessaire renforcement de la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique doit prendre en compte le processus d'édification de l'espace judiciaire européen, garantie d'un partenariat euro-américain efficace dans la lutte contre la criminalité internationale, en particulier le terrorisme ;

2. Soutient, sous cette réserve et en l'état, la volonté du Gouvernement de ménager la possibilité de faire prévaloir le mandat d'arrêt européen sur les demandes d'extradition présentées par des pays tiers, afin de ne pas contredire l'idée même d'unification de l'espace judiciaire européen ;

3. Partage également le souci du Gouvernement d'inclure une référence aux droits fondamentaux parmi les motifs de refus d'extradition ;

4. S'interroge, cependant, au regard des compétences attribuées actuellement à l'Union par les traités, sur la possibilité de conclure de tels accords au nom de l'Union seule ;

5. Estime, compte tenu de l'importance politique et du caractère sensible du domaine concerné par ces accords, qu'ils doivent être soumis à un débat et à un vote du Parlement conditionnant leur approbation ;

6. Considère que la conclusion de ces accords au nom de l'Union européenne et des Etats membres permettrait seule de répondre à ces deux préoccupations.

* 1 CE, 1993, Mme Aylor.

* 2 AJDA, 20 février 1998

* 3 Deux accords internationaux avec la République fédérale de Yougoslavie et la Macédoine, relatifs aux activités de la Mission de surveillance de l'Union européenne, ont été conclus en 2001 par l'Union européenne seule sur la base de l'article 24 du traité sur l'Union européenne. Un échange de lettres entre l'Union européenne et le Liban en matière de lutte contre le terrorisme a également été conclu par la seule Union. Ces documents sont d'une importance bien moindre que les projets d'accords avec les Etats Unis. En ce qui concerne les accords avec la Yougoslavie et la Macédoine, la compétence des Etats membres n'était pas en cause, puisqu'il s'agissait du statut et du fonctionnement de la mission de surveillance de l'Union européenne.

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