EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en première lecture du projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages, déjà examiné par l'Assemblée nationale le 22 mars 2006.

Ce texte poursuit deux objectifs :

- lutter plus efficacement contre la fraude au mariage, devenue l'un des moyens privilégiés de contourner la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers ainsi que les règles d'acquisition de la nationalité française (chapitre Ier) ;

- rendre plus effectif tout en le simplifiant le contrôle de la validité des actes de l'état civil étrangers (chapitre II).

Touchant au droit des personnes, ces deux objectifs doivent se concilier avec le respect de la vie privée et de la liberté du mariage, d'une part, et la présomption de régularité des actes d'état civil étrangers « établis dans les formes usitées localement », d'autre part.

Ces phénomènes ont récemment été étudiés par la commission d'enquête sénatoriale sur l'immigration clandestine 1 ( * ) . En outre, le dispositif proposé par le présent projet de loi doit également se comprendre en relation avec les récentes lois n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs et n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration.

I. RENFORCER LA LUTTE CONTRE LES MARIAGES SIMULÉS

A. UN PHENOMENE EN FORTE AUGMENTATION

La circulaire du 2 mai 2005 relative à la lutte contre les mariages simulés ou arrangés qualifie de simulé tout mariage qui ne repose pas sur une volonté libre et éclairée de vouloir se prendre pour mari et femme, qu'il ait été conclu exclusivement à des fins migratoires ou pour obtenir un avantage professionnel, social, fiscal ou successoral. Cette notion recouvre les mariages de complaisance (contraires à l'article 146 du code civil en l'absence de consentement), mais aussi les mariages forcés (contraires à l'article 180 du code civil du fait d'un vice du consentement).

Certes, il serait caricatural d'assimiler mariages binationaux et mariages simulés. L'importance du phénomène de mondialisation, l'arrivée à l'âge du mariage de la population française issue de l'immigration parmi laquelle certains souhaitant se marier avec un ressortissant du pays d'origine de leurs parents, expliquent largement ce phénomène.

Néanmoins, la coïncidence de ce phénomène avec le renforcement des contrôles de l'immigration et l'intérêt comparatif accru du mariage binational n'apparaît pas totalement fortuite.

Petites précisions lexicales

- Les mariages binationaux sont des mariages entre des ressortissants Français et des étrangers, ressortissants ou non de l'Union européenne.

- Les mariages transcrits sont les mariages célébrés à l'étranger devant l'officier de l'état civil local, et ensuite enregistrés à l'état civil français par la représentation diplomatique ou consulaire française territorialement compétente.

- Les mariages célébrés par l'officier de l'état civil consulaire sont dits «  dressés » et non transcrits. Dans la plupart des pays, l'officier de l'état civil consulaire ne peut célébrer le mariage que si les conjoints sont tous deux Français. 345 mariages ont été dressés par les consuls français en 2004.

1. L'augmentation concomitante des mariages binationaux, notamment avec des ressortissants de pays à forte pression migratoire, et des annulations de mariages

? De 1999 à 2003, le nombre des mariages célébrés en France entre des Français et des ressortissants étrangers a progressé de 62 %. En 2005, ils représentaient 50.000 des 275.000 mariages célébrés en France.

Par ailleurs, les mariages célébrés à l'étranger ont plus que doublé en dix ans, passant de 20.607 en 1994 à 44.727 en 2004. La quasi-totalité de ces mariages étaient des mariages binationaux.

Par conséquent, 95.000 des 320.000 mariages célébrés chaque année sont mixtes .

Cette progression est particulièrement importante pour certains pays, dans lesquels la pression migratoire est par ailleurs très forte (Maghreb, Turquie, Afrique subsaharienne francophone). Ces pays regroupent 60 % de ces mariages et connaissent les progressions les plus rapides (+ 123,6 % pour la Tunisie en seulement cinq ans, + 187 % pour le Cameroun). Ainsi, en dix ans, le nombre de mariages de Français avec un ressortissant d'un pays du Maghreb célébrés à l'étranger a triplé pour s'établir à près de 19.000 en 2004.

Évolution du nombre de mariages transcrits sur la période de 1999 à 2004
et évaluation de la part de mariages binationaux en 2004

1999

2004

Évolution

Évaluation
de la part des mariages binationaux
(année 2004)

Algérie

3.645

7.840

+ 115 %

100 %

Maroc

3.702

7.831

+ 111,5 %

100 %

Tunisie

1.416

3.166

+ 123,6 %

100 %

Ensemble Maghreb

8.763

18.837

+ 115 %

Turquie

1.961

2.727

+ 39 %

100 %

États-unis

2.755

2.385

+ 2,9 %

74 %

Suisse

2.330

1.577

- 32,3 %

92 %

Royaume-Uni

1.323

1.191

- 10 %

95 %

Sénégal

774

1.033

+ 33,5 %

99 %

Allemagne

1.386

1.002

- 27,7 %

97 %

Madagascar

462

948

+ 105 %

99 %

Espagne

739

821

+ 11,1 %

94 %

Canada

824

672

- 18,4 %

89 %

Belgique

1.110

629

- 43,3 %

89 %

Israël

550

619

+ 12,5 %

95 %

Italie

718

614

- 14,5 %

87 %

Cameroun

210

603

+ 187 %

98 %

Île Maurice

323

537

+ 66 %

64 %

Vietnam

416

504

+ 21 %

99 %

Côte d'Ivoire

281

479

+ 62,9 %

98 %

Brésil

223

368

+ 65 %

97 %

Mali

172

339

+ 97 %

99 %

Portugal

330

333

+ 1 %

98 %

Mexique

193

331

+ 71,5 %

99 %

Chine

221

313

+ 41,6 %

95 %

Inde

566

297

- 47,5 %

92 %

Liban

311

292

- 6,1 %

97 %

Cambodge

102

262

+ 157 %

98 %

Thaïlande

96

250

+ 160 %

99 %

Luxembourg

236

225

- 4,7 %

79 %

Argentine

80

222

+ 177 %

99 %

Ensemble du Monde

32.269

44.405

+ 37,6 %

Source : Service central d'état civil

Ces statistiques sous-estiment le phénomène puisqu'elles ne prennent pas en compte les mariages à l'étranger dont les intéressés ne demandent pas la transcription (par exemple lorsque le conjoint est un ressortissant communautaire et ne sollicite donc pas de titre de séjour ou la nationalité française).

? Entre 1995 et 2004, le nombre des annulations de mariages est passé de 449 à 786, soit une augmentation de 75 %. En 2004, les tribunaux ont prononcé l'annulation du mariage dans 73,6 % des dossiers dont ils ont été saisis.

Évolution du nombre d'annulations de mariages de 1995 à 2004
(base 100 en 1995)

Source : Répertoire général civil

Les mariages annulés

Année
du jugement

Nombre
de mariages
annulés

Taux
d'annulation

1995

449

81,2

1996

520

82,9

1997

563

81,1

1998

430

81,4

1999

484

85,1

2000

545

79,0

2001

536

75,4

2002

520

74,3

2003

679

73,7

2004

786

73,6

Lecture : en 1995, 449 mariages ont été annulés par le TGI ; la part des mariages annulés sur l'ensemble des demandes d'annulation terminées au fond est de 81,2 %.

Source : Répertoire général civil

2. Des conséquences migratoires importantes

? Jusqu'à la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, le mariage d'un étranger avec un Français présentait de nombreux avantages en matière de droit de la nationalité et du séjour des étrangers en France :

- s'agissant du droit à un titre de séjour, l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyait la délivrance de droit de la carte de résident à l'étranger marié depuis au moins deux ans avec un ressortissant français, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française, que le mariage, s'il a été célébré à l'étranger, ait été transcrit à l'état civil français, et que la présence de l'étranger ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;

- s'agissant du droit à l'acquisition de la nationalité , les articles 21-2 à 21-4 du code civil permettaient à un étranger marié à un ressortissant français d'obtenir la nationalité française par simple déclaration après au moins deux ans de mariage (trois ans si le conjoint étranger n'avait pas résidé de manière ininterrompue pendant au moins un an en France), à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé au moment de la déclaration et que le conjoint étranger justifie d'une connaissance suffisante de la langue française.

Le Gouvernement pouvait cependant s'opposer pendant un an par décret en Conseil d'État à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger, « pour indignité ou défaut d'assimilation, autre que linguistique » . Le ministère public pouvait encore contester la déclaration enregistrée dans le délai d'un an si les conditions légales n'étaient pas satisfaites, et dans le délai de deux ans à compter de la découverte d'un mensonge ou d'une fraude, la cessation de la communauté de vie dans les douze mois suivant l'enregistrement constituant une présomption de fraude.

? Du fait de ces dispositions, le mariage avec un Français est devenu la première source d'immigration légale en France .

50 % des titres de séjour sont aujourd'hui délivrés à des ressortissants étrangers conjoints de Français. Selon le rapport au Parlement sur les orientations de la politique d'immigration, en 2004, sur 75.753 personnes devenues françaises par déclaration de nationalité, 34.440 le sont devenues à raison du mariage, contre 19.493 en 1994, soit une augmentation de 77 %.

L'Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Portugal représentent près de la moitié des naturalisés par déclaration.

Évolution du nombre d'acquisitions de la nationalité française
à raison du mariage entre 1999 et 2004 pour les 14 nationalités
pour lesquelles les accédants sont les plus nombreux

Année
1999

Année
2003

Année
2004

Évolution 1999/2004

Évolution 2003/2004

Algérie

4.638

6.153

7.389

+ 59,3 %

+ 20,1 %

Maroc

3.375

5.156

5.832

+ 72,8 %

+ 13,1 %

Tunisie

1.102

1.708

1.949

+ 76,8 %

+ 14, 1 %

Portugal

1.304

1.045

1.076

- 17,5 %

+ 3 %

Madagascar

751

903

1.026

+ 36,6 %

+ 13,6 %

Cameroun

506

776

871

+ 72,1 %

+ 12,2 %

Sénégal

522

708

789

+ 51,1 %

+ 11,4 %

Turquie

357

637

748

+ 109,5 %

+ 17,4 %

Côte d'Ivoire

443

616

706

+ 59,4 %

+ 14,6 %

Etats-Unis

357

443

575

+ 61,1 %

+ 29,8 %

Russie

400

533

564

+ 41 %

+ 5,8 %

Suisse

880

662

489

- 44,4 %

- 26,1 %

Liban

420

413

431

+ 2,6 %

+ 4,3 %

Pologne

439

460

405

- 7,7 %

- 12 %

Ensemble du Monde

24.091

29.608

33.131

+ 37,5 %

+ 11,9 %

Source : Sous-Direction des naturalisations du ministère de l'Emploi de la cohésion sociale et du logement.

* 1 « Immigration clandestine : une réalité inacceptable, une réponse ferme, humaine et juste » ; commission d'enquête sur l'immigration clandestine, Rapport du Sénat n° 300 (2005-2006), M. Georges Othily, président, M. François-Noël Buffet, rapporteur.

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