N° 18

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi de M. Michel DREYFUS-SCHMIDT et des membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, relative aux droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants ,

Par M. André LARDEUX,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi, André Vézinhet.

Voir le numéro :

Sénat : 483 (2005-2006)

Famille.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Depuis le début des années 1990, le nombre des divorces s'établit en moyenne à 120.000 par an. Parmi eux, 70.000 impliquent des enfants mineurs. Au total en France, chaque année, 120.000 enfants sont concernés par le divorce de leurs parents auxquels il convient d'ajouter ceux touchés par la séparation de leurs parents concubins.

Mettant en avant la nécessité d'assurer des relations équitables des enfants avec leurs deux parents et de renforcer l'exercice en commun de la parentalité malgré la séparation du couple, la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a reconnu officiellement la possibilité, pour les parents divorcés ou séparés, d'organiser une résidence alternée de leurs enfants. La même possibilité peut être décidée par le juge aux affaires familiales, à titre provisoire ou définitif, lorsque les parents ne parviennent pas à s'entendre sur la garde des enfants.

Dans le cadre de la résidence alternée, l'enfant partage son temps entre le domicile de ses deux parents, selon une périodicité variable d'une famille à l'autre. Il s'agit le plus souvent d'une alternance hebdomadaire (dans 80 % des cas), mais chaque couple peut s'entendre sur des modalités différentes (une quinzaine sur deux, alternance infra hebdomadaire, partage du temps sur une période plus longue selon un planning arrêté en commun).

Quatre ans et demi après l'entrée en vigueur de la loi, on constate que la résidence alternée reste un choix minoritaire : la résidence des enfants est encore fixée, dans 90 % des cas, de façon exclusive chez l'un ou l'autre parent (chez la mère, dans les trois quarts des cas ; chez le père, dans 15 % des cas). La résidence alternée ne concerne donc que 10 % des familles avec enfants confrontées à un divorce ou à une séparation.

Plusieurs raisons expliquent le faible recours des parents et des juges à ce mode d'organisation de la résidence des enfants :

- la résidence alternée est d'abord contestée dans son principe même par de nombreux spécialistes de l'enfance, qui mettent en avant le besoin de stabilité et de repères des enfants et dénoncent ce mode d'organisation comme néfaste sur le plan psychologique, notamment pour le très jeune enfant ;

- il s'agit ensuite d'un mode d'organisation contraignant et souvent coûteux pour les parents : il suppose en effet une collaboration constante entre eux, parfois difficile à réaliser en cas de séparation très conflictuelle. Il impose également aux parents de continuer de vivre à proximité, notamment pour préserver la scolarisation de l'enfant. Il nécessite enfin que les deux ex-conjoints disposent d'un logement suffisamment grand.

*

L'une des conditions pour la mise en place d'une résidence alternée réside dans la possibilité pour les parents de s'entendre ou, au moins, de respecter une répartition équitable des charges liées à l'entretien de l'enfant.

Le choix d'une résidence alternée se traduit en effet, dans la grande majorité des cas (70 %), par une absence de pension alimentaire, le juge estimant que la résidence alternée entraîne, de fait, un partage des charges d'entretien de l'enfant. En contrepartie, la convention homologuée par le juge ou la décision judiciaire, lorsqu'elles prévoient une résidence alternée, précisent la répartition des charges matérielles et financières liées à la présence de l'enfant.

Pour opérer cette répartition, les parents, ou le cas échéant le juge, tiennent compte des avantages, fiscaux et sociaux, qui viennent atténuer ces charges.

Pour ce qui concerne les avantages fiscaux , la plus grande liberté est désormais possible : en effet, depuis la loi de finances rectificative n° 2002-1576 du 30 décembre 2002, les parents peuvent opter pour un partage des parts fiscales relatives aux enfants à charge pour le calcul du quotient familial en cas de résidence alternée. Le nombre de parts est alors fixé à 0,25 pour les deux premiers enfants et 0,5 pour les suivants.

Mais bien que ce soit possible, les parents préfèrent encore majoritairement l'attribution exclusive des parts à l'un des deux membres du couple, l'une des variantes fréquentes consistant à alterner chaque année celui des deux parents qui bénéfice de cet avantage.

Répartition des bénéficiaires des parts fiscales

Attribution exclusive à l'un des deux parents

64,5 %

- dont attribution à la mère

25,2 %

- dont attribution au père

26,2 %

- dont alternance annuelle

13,1 %

Partage des parts fiscales

35,5 %

Source : Ministère de la justice, DACS, Cellule Études et Recherches,
enquête « Résidence des enfants », octobre 2003

Pour ce qui concerne les prestations familiales , l'article L. 513-1 du code de l'action sociale et des familles et, plus précisément, l'article R. 513-1 du même code pris pour son application, imposent aux parents de désigner parmi eux un allocataire unique. Dans près de 70 % des cas, c'est la mère qui perçoit les prestations, soit parce que les parents en ont décidé ainsi, soit parce qu'à défaut d'accord, les caisses d'allocations familiales continuent de verser les prestations à celui des deux conjoints qui était allocataire avant la séparation, c'est-à-dire là encore, dans la majorité des cas, à la mère.

*

C'est dans ce contexte que s'inscrit la présente proposition de loi qui vise, sur le modèle déjà adopté pour les avantages fiscaux, à autoriser un partage des prestations familiales entre les deux parents en cas de résidence alternée : dans la mesure où les parents assument conjointement la « charge effective et permanente de l'enfant » au sens du code de la sécurité sociale, ses auteurs considèrent en effet que tous les deux doivent pouvoir bénéficier des prestations familiales.

A l'appui de leur proposition, ils citent un avis de la Cour de cassation en date du 26 juin 2006 1 ( * ) , rendu sur la requête du tribunal des affaires de sécurité sociale du Mans dans une instance opposant un père à la caisse d'allocations familiales, qui précise que :

« 1° En cas de divorce, de séparation de droit ou de fait des époux ou de cessation de la vie commune des concubins et lorsque les parents exercent conjointement l'autorité parentale et bénéficient d'un droit de résidence alternée sur leur enfant qui est mis en oeuvre de manière effective et équivalente, l'un et l'autre des parents doivent être considérés comme assumant la charge effective et permanente de leur enfant au sens de l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale.

« 2° Il n'entre pas dans la compétence du juge aux affaires familiales de décider au bénéfice de quel parent doit être attribué le droit aux prestations familiales, cette compétence relevant du tribunal des affaires de sécurité sociale en vertu de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale. Il peut néanmoins constater l'accord des parents sur la désignation de l'allocataire ou l'attribution à l'un ou l'autre des parents du droit aux prestations familiales au moment où il statue.

« 3° La règle de l'unicité de l'allocataire prévue à l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale ne s'oppose pas à ce que, lorsque la charge effective et permanente de l'enfant est partagée de manière égale entre les parents, en raison de la résidence alternée et de l'autorité parentale conjointe, le droit aux prestations familiales soit reconnu alternativement à chacun des parents en fonction de leur situation respective et des règles particulières à chaque prestation. »

En conséquence, les auteurs de la proposition de loi suggèrent d'autoriser le partage des prestations familiales , selon le mécanisme suivant : en cas de résidence alternée, les prestations familiales (article premier) et, plus particulièrement, les allocations familiales (article 2) seront divisées en deux parts égales entre les parents, sauf disposition contraire de la convention, homologuée par le juge, par laquelle ils décident de la résidence alternée et règlent les modalités d'exercice de l'autorité parentale ou mention contraire du juge aux affaires familiales dans sa décision imposant la résidence alternée.

*

Tout comme les auteurs de la proposition de loi, votre commission estime que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Elle ne peut en effet que constater que le droit de la sécurité sociale n'a pas tiré les conséquences de l'évolution du droit de la famille et que le vide juridique en matière d'attribution des prestations familiales en cas de résidence alternée constitue une forme de rupture d'égalité vis-à-vis de parents qui, bien qu'assumant la charge effective de leur enfant, ne peuvent se voir reconnaître les droits attachés à cette qualité.

Votre commission rejoint donc les conclusions de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits de l'enfant qui préconisait d'adapter le régime des prestations familiales à la garde alternée 2 ( * ) .

Mais elle estime que la présente proposition n'apporte pas une réponse appropriée à ce problème. En effet, la rédaction proposée va bien au-delà des dispositions de l'avis de la Cour de cassation :

- la Cour précise d'abord que les parents ne peuvent être considérés comme assumant conjointement la charge effective et permanente de l'enfant que dans les cas où la résidence alternée est « effective et équivalente » et elle en conclut que le partage des prestations est envisageable lorsque la charge de l'enfant est partagée « de manière égale » entre les parents. On peut donc en déduire qu' a contrario , quand la répartition du temps de résidence de l'enfant entre les deux parents est déséquilibrée, il n'y a pas lieu de partager le droit aux prestations ;

- par ailleurs, même dans les cas où le partage est envisageable, c'est-à-dire lorsque la charge effective de l'enfant est répartie de façon égale entre les parents, elle y met des limites : le partage ne peut se faire qu' « en fonction de la situation des parents et des règles particulières à chaque prestation » .

Or, la présente proposition de loi est en contradiction avec ces deux principes : elle vise indistinctement toutes les prestations familiales et impose leur partage systématique en deux parts égales , sans aucune référence à la situation particulière des parents et aux spécificités de chaque prestation ; d'autre part, elle organise ce partage en deux parts égales sans aucune référence au temps réellement passé par les enfants au domicile de chacun de leurs parents.

Autant votre commission est en accord avec les principes développés par la Cour de cassation, autant elle ne peut donner son aval à la solution, excessivement simpliste, proposée par la présente proposition de loi, de diviser en deux le montant de toutes les prestations familiales dues au titre des enfants en résidence alternée, et ce, pour deux raisons :

- il est d'abord essentiel de prendre en compte le caractère effectif et égal de la résidence alternée : comment, en effet, envisager de diviser en deux des prestations si les parents ne contribuent pas à égalité à l'entretien de l'enfant ? Or, la résidence alternée n'entraîne pas nécessairement un partage égalitaire du temps passé par l'enfant au domicile de chacun de ses parents. Par ailleurs, force est de reconnaître que même en cas de résidence alternée égalitaire, les frais relatifs à l'entretien quotidien de l'enfant (habillement, fournitures scolaires...) sont, la plupart du temps, assumés par l'un des deux parents, le plus souvent la mère. Il faudrait donc soit prévoir, a minima , un partage au prorata du temps de présence, soit limiter - sur le modèle prévu pour les avantages fiscaux - la possibilité de partage aux cas de résidence alternée égalitaire ;

- il est ensuite indispensable d'adapter les règles de partage aux différentes prestations et à la situation des parents : en effet, hormis pour les allocations familiales, leur attribution dépend toujours de critères relatifs à la situation des parents ou à leurs ressources.


Les prestations familiales

L'article L. 511-1 du code de la sécurité sociale fixe à neuf le nombre des prestations familiales légales. Ces prestations sont les suivantes :

1°) la prestation d'accueil du jeune enfant ;

2°) les allocations familiales ;

3°) le complément familial ;

4°) l'allocation de logement ;

5°) l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ;

6°) l'allocation de soutien familial ;

7°) l'allocation de rentrée scolaire ;

8°) l'allocation de parent isolé et les primes forfaitaires d'intéressement à la reprise d'activité qui y sont rattachées ;

9°) l'allocation journalière de présence parentale.

Ainsi, il serait singulier de partager l'allocation de parent isolé ou l'allocation de soutien familial entre les parents, sans vérifier que chacun d'eux remplit effectivement la condition d'isolement exigée pour leur bénéfice.

De même, le partage des prestations sous conditions de ressources soulève de nombreuses difficultés : il nécessite la définition de règles particulières pour l'appréciation des ressources pour toutes les prestations soumises à une telle condition car, dans la majorité des cas, les ressources des deux parents ne seront pas équivalentes et n'ouvriront pas forcément droit aux mêmes prestations ou, à défaut, pas d'un même montant. Pour déterminer le droit à telle ou telle prestation, quelles ressources les caisses d'allocations familiales devront-elles retenir : l'addition des ressources des deux parents, même si ceux-ci sont séparés ? Les ressources de l'un ou de l'autre ? Mais alors, comment choisir celui des deux dont on retiendra les ressources ?

Un problème supplémentaire se pose pour l'allocation de logement familial, puisque son attribution est non seulement soumise à une condition de ressources mais dépend également de critères liés au logement lui-même. Or, par définition, des parents séparés n'occupent pas le même logement.

*

En conclusion, si votre commission reconnaît qu'une solution doit être apportée au vide juridique créé, pour l'attribution des prestations familiales, par le développement de la résidence alternée, elle plaide pour une solution adaptée à chaque prestation.

C'est d'ailleurs la démarche adoptée par le Gouvernement : au printemps dernier, il a mis en place un groupe de travail, rassemblant notamment la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), les associations familiales, le Médiateur de la République, des représentants de la direction de la sécurité sociale, de la direction de la législation fiscale, du ministère de la justice ainsi que des magistrats et des avocats, dont la mission est, d'une part, d'étudier les prestations familiales pouvant facilement faire l'objet d'un partage entre des parents séparés, d'autre part, d'expertiser les différentes alternatives de partage et d'identifier les difficultés juridiques et de gestion par les caisses d'allocations familiales en proposant des règles de partage équitables et neutres.

Grâce à ces travaux, il est d'ores et déjà possible d'avancer une solution pour le partage des allocations familiales, ce que propose d'ailleurs le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. La rédaction retenue par ce texte est bien plus satisfaisante car elle fait référence à une mise en oeuvre effective de la résidence alternée et respecte le choix des parents pour l'une ou l'autre solution (allocataire unique ou partage des prestations). Elle permettrait en outre, grâce au décret en conseil d'Etat auquel elle renvoie, de préciser les modalités de répartition des parts ouvrant droit au bénéfice des allocations, notamment dans le cas des familles recomposées.

Pour les autres prestations, le groupe de travail poursuit ses réflexions et, dans ces conditions, il serait prématuré de poser le principe d'un partage de toutes les prestations.

Pour toutes ces raisons, votre commission vous propose de rejeter cette proposition de loi.

* 1 Avis n° 006 0005 du 26 juin 2006.

* 2 « L'enfant d'abord : 100 propositions pour placer l'intérêt de l'enfant au coeur du droit de la famille », rapport n° 2832 de Valérie Pécresse, députée, au nom de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits de l'enfant, février 2006.

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