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Rapport n° 144 (2006-2007) de M. André VANTOMME , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 10 janvier 2007

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N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 janvier 2007

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à une coopération en matière de destruction des stocks d' armes chimiques en Fédération de Russie ,

Par M. André VANTOMME,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Voir le numéro :

Sénat : 87 (2006-2007)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet a pour objet d'autoriser l'approbation d'un accord signé à Moscou, le 14 février 2006, entre la France et la Russie et relatif à une coopération en matière de destruction des stocks d'armes chimiques en Fédération de Russie.

Cet accord s'inscrit dans une double perspective : d'une part, l'obligation dans laquelle se trouve la Russie, Etat partie à la Convention d'interdiction des armes chimiques du 13 janvier 1993, de détruire son stock d'armes chimiques, le plus important au monde ; d'autre part, la coopération internationale mise en place notamment dans le cadre du G8, pour contribuer à la politique de désarmement et de lutte contre la prolifération en Russie dans les domaines nucléaire, radiologique, biologique et chimique.

La France est partie prenante à ce « partenariat mondial du G8 contre la prolifération des armes de destruction massive ». A ce titre, elle a identifié plusieurs projets de coopération avec la Russie, l'accord signé le 14 février 2006 portant pour sa part exclusivement sur les actions liées à la destruction des armes chimiques russes.

Votre rapporteur évoquera rapidement la problématique du désarmement chimique en Russie, avant de présenter le dispositif de l'accord du 14 février 2006 et les autres actions menées par la France avec la Russie dans le domaine de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

I. LA RUSSIE ET LE DÉSARMEMENT CHIMIQUE

Premier détenteur au monde d'armes chimiques, la Russie est désormais engagée, avec l'aide de la communauté internationale, dans le processus de destruction de son stock pour se conformer aux obligations de la convention de 1993 sur l'interdiction des armes chimiques.

A. LES ARMES CHIMIQUES ET LA CONVENTION D'INTERDICTION DE 1993

1. L'emploi des armes chimiques dans les conflits et leur typologie

L'usage de substances chimiques dans les conflits est un fait ancien bien avéré. Dès l'Antiquité gréco-romaine, des engins incendiaires et des gaz sulfureux (poussés par le vent) sont utilisés pour attaquer des cités assiégées. Parmi ces substances, on peut noter le célèbre « feu grégeois » (substance incendiaire et toxique) qui a été, pendant cinq siècles, l'arme secrète de Byzance contre les Turcs.

De premières tentatives pour établir un encadrement international de l'emploi des armes chimiques sont effectuées à la fin du XIX ème siècle, lors de la conférence de La Haye de 1899, au cours de laquelle les nations européennes s'engagent à limiter « l'emploi de projectiles ayant pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ». La deuxième conférence, tenue en 1907, élargit le champ de ces limitations à l'emploi de poisons ou d'armes empoisonnées.

Mais c'est surtout après la première guerre mondiale que progresse l'idée d'interdire l'usage d'armes chimiques dans les conflits. En effet, la fin de la guerre a marqué une escalade dangereuse dans l'usage de produits chimiques toxiques répandus par voie terrestre (munitions diverses et obus d'artillerie) et par voie aérienne (bombes et épandage de substances chimiques). Certains spécialistes estiment ainsi que, si le conflit s'était prolongé, il se serait transformé en véritable guerre chimique.

C'est en réaction à cette situation et à ces dangers qu'a été signé, le 17 juin 1925, à Genève, le protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques . Cependant, la plupart des Etats signataires se réservent le droit de recourir à ces moyens en cas de légitime défense.

L'entre-deux-guerres a été marqué par la recherche et le développement de nouveaux agents toxiques, notamment le sarin, le soman et le tabun. On a constaté aussi des cas d'utilisation de gaz de combat lors de la campagne italienne en Ethiopie et pendant la guerre du Japon contre la Chine. Heureusement, pendant la deuxième guerre mondiale, les armes chimiques n'ont pas été utilisées par les grandes puissances belligérantes, ce qui aurait causé une vraie catastrophe humaine et écologique, étant donné la puissance meurtrière des nouveaux gaz et les quantités disponibles.

Pendant la guerre froide, de nouvelles substances, notamment les gaz innervants de type VX, et les armes binaires font leur apparition. On a constaté, dans les conflits de cette période, en Asie (Corée et Vietnam), en Afrique (Angola et Afrique du Sud) et au Moyen-Orient (Iran-Irak), l'usage fréquent de substances chimiques toxiques. On peut souligner parmi celles-ci l'agent orange (défoliant industriel) utilisé au Vietnam, et le gaz moutarde utilisé par les Irakiens contre les Iraniens.

Plus récemment, un nouveau danger se fait jour : l'usage d'armes et de substances chimiques toxiques par des groupes terroristes. Ce fut le cas au Japon le 20 mars 1995, où une attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo a fait onze morts et plus de 5 500 blessés.

La typologie des armes chimiques distingue plusieurs types de gaz de combat :

- les vésicants . Ils se présentent sous la forme de liquides épais qui peuvent agir non seulement par inhalation lorsqu'ils sont vaporisés, mais aussi sur la peau, dont ils détruisent les cellules. S'ils atteignent l'appareil respiratoire ils causent la mort par asphyxie. La substance vésicante la plus célèbre est l'ypérite ou gaz moutarde, du nom de l'attaque allemande d'Ypres en 1915 ;

- les suffocants , qui sont des liquides plus volatiles que les vésicants (chlore, phosgène...). Agissant exclusivement par inhalation, ils provoquent un oedème du poumon et l'asphyxie ;

- les hémotoxiques (chlorure de cyanogène, acide cyanhydrique), qui détruisent les globules et ont pour effet secondaire un empoisonnement par l'arsenic. Cet agent était utilisé par les nazis dans les chambres à gaz.

- les neurotoxiques (agents G, parmi lesquels le sarin, le tabun et le soman ; agents V, parmi lesquels le VX) provoquent la paralysie des muscles, notamment respiratoires. Ils sont dérivés d'ingrédients entrant dans la fabrication des insecticides, des engrais et de certains colorants.

Il convient également de préciser que la frontière est ténue entre armes chimiques et armes biologiques en ce qui concerne les toxines. A la différence des armes chimiques traditionnelles, fabriquées artificiellement, les toxines sont sécrétées par reproduction naturelle d'agents vivants et peuvent être ensuite dispersées par vecteur chimique. Dispersées sous forme d'aérosol, comme le gaz de combat, les toxines de guerre ont des effets létaux considérables. Les armes chimiques à toxines sont principalement constituées par le charbon, les toxines botuliniques et les entérotoxines du staphylocoque B. L'anthrax, ou bacille de charbon, cause la mort par septicémie. L'infection peut être d'origine pulmonaire, digestive ou cutanée. L'épidémie locale de charbon observée en 1979, à proximité de l'usine chimique soviétique de Sverdlovsk paraît attester la collusion entre armes chimiques et armes biologiques.

La prolifération des armes chimiques a été facilitée par deux facteurs.

D'une part, les gaz de combat les moins élaborés (chlore ou gaz moutarde) se trouvent à la portée d'industries chimiques élémentaires. D'autre part, en raison de la dualité civilo-militaire des composants de ces substances toxiques, les armes chimiques peuvent être fabriquées par des usines de pesticides, de colorants, de produits pharmaceutiques ou d'engrais : la dualité des composants de ces substances a donc pu encourager, sous couvert d'échanges commerciaux, la prolifération chimique.

Ainsi, les mêmes produits peuvent-ils servir à la fabrication de gaz de combat et à celle de la bière. De même figure parmi les composants du tristement célèbre gaz moutarde une substance entrant dans la composition de l'encre des stylos billes.

La dualité de substances entrant dans la composition des gaz de combat contribue à expliquer, sans toutefois le justifier, le rôle du commerce international dans la prolifération chimique, du moins jusqu'à l'entrée en vigueur d'instruments internationaux contraignants à travers la convention sur les armes chimiques du 13 janvier 1993.

2. La convention sur l'interdiction des armes chimiques de 1993

La convention d'interdiction des armes chimiques est entrée en vigueur le 29 avril 1997, quatre ans après son ouverture à signature, six mois après l'intervention de la 60 ème ratification, conformément aux conditions d'entrée en vigueur.

Cette convention interdit aux États parties la fabrication, l'acquisition, la détention, le transfert et l'emploi des armes chimiques. Elle leur impose une obligation de destruction des stocks existants dans un délai de dix ans suivant son entrée en vigueur . Elle instaure des mécanismes de vérification fondés sur des déclarations nationales et des procédures d'inspection.

Elle est aujourd'hui ratifiée par 180 États . On ne compte que 9 États non signataires, dont l'Égypte, l'Irak, le Liban, la Syrie et la Corée du Nord. On compte également 6 États qui ont signé mais pas ratifié la convention, notamment Israël.

Cette convention est un texte unique dans le domaine du désarmement : elle est en effet la seule convention internationale organisant à la fois l'éradication totale d'une catégorie entière d'armes de destruction massive, les armes chimiques, et un système contraignant de vérification cherchant à renforcer la non-prolifération.

La convention a créé un organisme pour contrôler sa mise en oeuvre, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), dont le siège est situé à La Haye, aux Pays-Bas. L'OIAC est chargée non seulement de la vérification du respect des dispositions de la convention, mais aussi d'assurer une assistance en cas d'agression ou d'accident dans un État partie avec des armes chimiques.

L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques « exécute les activités de vérification » prévues par la convention. Cette vérification s'effectue essentiellement par un système de déclarations et un régime d'inspections assez complet.

Dans les 30 jours qui suivent l'entrée en vigueur de la convention à son égard, l'État partie doit déclarer à l'OIAC les armes chimiques dont il est le propriétaire ou le détenteur, leur emplacement, la quantité globale et l'inventaire détaillé, ainsi que toute arme chimique présente sur son territoire, dont un autre État est le propriétaire.

Ces déclarations s'étendent aux transferts directs ou indirects d'armes chimiques, aux armes anciennes et abandonnées et aux installations (y compris celles dont il a été le propriétaire par le passé, à partir du 1 er janvier 1946). Les États présentent aussi un plan général (national) de destruction des armes chimiques et, en ce qui concerne les installations, de destruction, fermeture et conversion.

Les inspections ont lieu sur place pour vérifier la conformité des déclarations et pour garantir que les activités exercées au sein des États parties qui relèvent du domaine des substances chimiques respectent les dispositions de la convention. En cas de doute, soulevé par des États parties ou relevé par l'OIAC, des inspections par mise en demeure peuvent avoir lieu. Les inspections sont complétées par une surveillance au moyen d'instruments installés sur place. L'OIAC procède aussi à des investigations dans les cas où une utilisation éventuelle d'armes chimiques a été signalée.

Les installations de production de substances chimiques à des fins non interdites par la convention sont aussi soumises à des inspections mais dans un cadre plus souple, selon le tableau dans lequel se trouvent les substances chimiques produites.

B. LA MISE EN oeUVRE DE LA DESTRUCTION DE L'ARSENAL CHIMIQUE RUSSE

L'Union soviétique avait développé un impressionnant arsenal d'armes chimiques, ainsi que des armes biologiques. S'agissant des armes chimiques, on estime qu'environ le tiers des systèmes d'armes soviétiques étaient conçus pour les mettre en oeuvre, qu'il s'agisse de missiles, de bombes d'aviation ou de munitions d'artillerie. En ce qui concerne les armes biologiques, elles connurent un développement inégalé dans le monde dans le cadre du complexe militaro-industriel « Biopreparat » maintenu et amplifié, sous couvert d'activités civiles, au lendemain même de la signature du protocole de 1972 sur l'interdiction des armes bactériologiques.

L' arsenal chimique proprement dit, hérité de l'Union soviétique, représentait, au moment de la conclusion de la convention de 1993 sur l'interdiction des armes chimiques, 40 000 tonnes d'agents chimiques , soit les deux tiers de stocks mondiaux .

Dès l'origine de la convention pour l'interdiction des armes chimiques, la question de la destruction des stocks apparaissait un point d'achoppement pour la Russie, non pour des motifs politiques ou stratégiques, mais simplement en raison du coût représenté par des opérations extrêmement lourdes et complexes.

En effet, la destruction des armes chimiques doit avoir lieu dans des installations hautement spécialisées. Elle nécessite des investissements dans des techniques de pointe, afin de réduire au minimum le risque pour la population et l'environnement à chaque étape du transport et de la destruction des munitions, ainsi que durant le déplacement et la destruction des agents chimiques.

Il existe deux techniques principales de destruction des agents chimiques : l'incinération directe et la neutralisation au moyen de diverses réactions chimiques. Chaque État partie à la convention de 1993 peut choisir la technique de destruction qu'il souhaite appliquer, à condition que la destruction soit conforme à des normes strictes de protection de l'environnement, qu'elle soit complète et irréversible et que l'aménagement de l'installation permette une vérification appropriée.

Pour la Russie, qui possède le plus vaste arsenal d'armes chimiques au monde, le coût de la destruction des stocks a été estimé à 11 milliards de dollars.

Ces armes et les produits associés sont entreposés dans sept sites sur lesquels doivent être construits autant d'unités de destruction. Cinq de ces sites sont des entrepôts d'agents neurotoxiques , tels que le sarin, le soman et l'agent VX et représentent, à eux seuls, environ 80 % de l'arsenal global de la Russie. Deux autres sites abritent des agents vésicants, tels que l'ypérite et le mélange lewisite/ypérite.

Trois des sept usines de destruction prévues (Gorny, Kambarka et Maradykovo) ont été mises en activité. La quatrième, située à Shchuch'ye en Sibérie occidentale et sur laquelle porte la coopération avec la France, devrait entrer en service en 2008, et les trois dernières (Kizner, Potchep et Leonidovka) ultérieurement.

Aux termes de la convention d'interdiction, les États parties disposent normalement de 10 ans pour détruire leurs stocks, un délai supplémentaire de 5 ans maximum pouvant être accordé. La Russie , tout comme d'ailleurs les Etats-Unis, a obtenu de repousser à 2012 l'achèvement de la destruction .

A l'automne 2006, la Russie n'avait détruit que 7 % de ses armes chimiques. La mise en route de deux usines supplémentaires en 2006 devrait permettre d'atteindre les 20 % en 2007.

Dans la mise en oeuvre de son programme de destruction, la Russie a obtenu une importante assistance internationale provenant de plus d'une quinzaine de pays. La Russie a fait valoir qu'elle ne pouvait mener à bien seule le programme de destruction dans les délais impartis, d'autant qu'elle doit faire face à bien d'autres charges liées à la restructuration de son complexe militaro-industriel.

Pour leur part, les pays occidentaux ont estimé que cette assistance était justifiée pour éviter les risques de détournement d'une partie des stocks, par exemple à des fins de trafics avec d'autres Etats ou par des organisations terroristes.

Cette assistance internationale s'insère dans le cadre du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive , lancé par le G8 lors du sommet de Kananaskis en 2002 dans le prolongement de programmes américains mis en oeuvre à la fin de la guerre froide. Ce partenariat mondial, auquel se sont joints des pays non membres du G8 comme les pays scandinaves, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou la Corée du Sud, couvre bien d'autres aspects que le désarmement chimique, notamment l'élimination des matières fissiles militaires russes en excédent, le renforcement de la sécurité des installations abritant des matières ou sources radioactives ou encore la reconversion des scientifiques issus des anciens laboratoires de mise au point d'armes biologiques ou chimiques.

C'est dans ce cadre du partenariat mondial qu'a été conclu l'accord de coopération avec la France signé le 14 février 2006.

II. LA COOPÉRATION FRANCO-RUSSE DANS LE DOMAINE DU DÉSARMEMENT ET DE LA LUTTE CONTRE LA PROLIFÉRATION

L'accord, signé à Moscou le 14 février 2006, porte spécifiquement sur la destruction des armes chimiques en Russie et ne constitue qu'un des volets de la coopération franco-russe en matière de lutte contre la prolifération.

A. L'ACCORD DU 14 FÉVRIER 2006 SUR LE DÉSARMEMENT CHIMIQUE

L'accord signé entre la Russie et la France le 14 février 2006 est un accord-cadre destiné à définir les conditions de l'assistance française à des projets de coopération pour la destruction d'armes chimiques en Russie. Il est prévu que les projets eux-mêmes et les conditions de leur réalisation feront l'objet d' accords d'application (article 1 er ), des États tiers pouvant également apporter leur concours en participant financièrement aux projets de coopération sur la base d'accords distincts (article 2).

L'accord prévoit que la coopération franco-russe sera mise en oeuvre par le Commissariat à l'énergie atomique et l'Agence fédérale russe de l'industrie (article 3). Le choix du CEA s'imposait dans la mesure où il assure déjà le pilotage de l'ensemble des projets de coopération en matière de non-prolifération, dont l'essentiel touche au domaine nucléaire. Les projets mis en oeuvre dans le cadre de l'accord seront supervisés par une ou plusieurs entreprises désignées, pour chaque projet, par le CEA en concertation avec l'Agence fédérale russe de l'industrie, et chargées d'organiser les travaux des entrepreneurs et d'exercer la surveillance de leur exécution. Il est en revanche stipulé qu'en dehors de la mission générale d'organisation et de surveillance, les travaux concrets sur les chantiers seront confiés à des sous-traitants russes (article 4).

L'accord comporte toute une série de dispositions destinées à faciliter la coopération sur le plan des procédures administratives, en matière d'octroi des visas (article 5), de délivrance des permis, licences ou autorisations douanières (article 6), ou encore d'exemption de droits de douanes, impôts et taxes sur l'assistance française (article 10). Il exonère également les représentants officiels français de la mise en jeu de leur responsabilité civile, sauf en cas de mauvaise conduite volontaire ou de négligence grossière (article 13).

Enfin, pour garantir la bonne utilisation des moyens mis à la disposition de la coopération, la partie française pourra vérifier l'emploi des moyens financiers , des équipements et autres moyens qu'elle fournit à titre gracieux (article 7).

Dans l'immédiat, le premier projet qui pourrait être mis en oeuvre dans le domaine chimique concerne une coopération sur l'usine de destruction de Shchuch'ye , en Sibérie occidentale. L'arsenal entreposé sur ce site comprend plus de 5 000 tonnes d'agents neurotoxiques, soit environ 14 % de l'arsenal total de la Russie. Ceux-ci sont contenus dans près de 2 millions de munitions et obus d'artillerie de petits calibres, ce qui les rend facilement transportables et donc plus sensibles du point de vue de la prolifération.

Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada sont les principaux partenaires de la Russie pour la construction de l'usine de Shchuch'ye. La contribution française porterait sur la surveillance environnementale du site, qui est un élément majeur pour le contrôle de la sécurité de fonctionnement de l'usine. Il s'agira d'assurer le suivi environnemental, c'est-à-dire la détection d'éventuelles pollutions dans l'air, dans l'eau et dans le sol, et de mettre en place un système de gestion des incidents. Le coût du projet pour la France pourrait s'établir à 6 millions d'euros.

B. LA CONTRIBUTION FRANÇAISE AU PARTENARIAT MONDIAL DU G8

Au-delà de ce premier projet identifié, l'accord du 14 février 2006 pourra servir de cadre à d'autres projets de coopération portant sur la destruction des armes chimiques russes.

Dans ce domaine, la coopération franco-russe est aujourd'hui très limitée, notamment si on la compare à la contribution de l'Allemagne.

La France s'est en effet concentrée sur le domaine nucléaire , où elle mène plusieurs programmes importants.

Il s'agit tout d'abord d'un programme d'assainissement et de décontamination de la base navale de Gremikha dans la péninsule de Kola. Cette ancienne base, à demi désaffectée depuis 15 ans, était utilisée principalement pour la maintenance des sous-marins d'attaque de la flotte soviétique. Elle se trouve actuellement dans un état qui constitue une menace pour l'environnement et présente, par ailleurs, un risque de détournement des matières nucléaires qui y sont entreposées dans des conditions de sécurité peu satisfaisantes. Le programme de réhabilitation de la base doit conduire, à terme, à la fermeture du site, une fois traités tous les produits radioactifs qui y sont actuellement et opérées les opérations de décontamination. A cet effet, l'assistance française porte sur la reprise des coeurs nucléaires des sous-marins, des combustibles irradiés et des déchets radioactifs solides et liquides. Elle portera également sur l'assainissement du site. Dans un premier temps, un état des lieux radiologique et technologique est prévu. La France s'est engagée à financer l'étude de faisabilité, puis elle déterminera la part des travaux de réalisation qui seront pris en charge, en accord avec les autres donateurs que sont l'Union Européenne (programme TACIS) et la BERD (Northern Dimension Environmental Partnership), ainsi que potentiellement l'Italie. A la fin 2005, 5,1 millions d'euros avaient déjà été engagés par la France sur Gremikha, l'ensemble de la contribution française pouvant s'élever à 40 millions d'euros.

Un deuxième axe de coopération touche à la sûreté nucléaire , le renforcement de celle-ci contribuant aussi à limiter les risques de prolifération et à améliorer la sécurité des matières nucléaires. Le principal projet porte sur la modernisation des systèmes de sûreté de la centrale nucléaire de Kalinine. Le montant de l'investissement français a été évalué à 30 millions d'euros sur cinq ans.

La France travaille également sur un projet de rénovation de l'incinérateur de déchets nucléaires solides situé sur le chantier naval de Severodvinsk, près d'Archangelsk, la remise en service de cette installation arrêtée depuis plus de 10 ans devant permettre de supprimer l'un des goulets d'étranglement freinant les opérations de démantèlement.

Un autre projet porte sur le démantèlement des générateurs thermoélectriques RTG, afin de permettre l'entreposage sûr et définitif des sources radioactives qui alimentent les balises de navigation russes dans des zones isolées, en particulier dans le Grand Nord. Ces sources doivent être remplacées par des sources d'énergie alternatives, solaires ou éoliennes, ne présentant aucun risque de détournement.

Enfin, l'une des principales contributions françaises au partenariat mondial du G8 dans le domaine nucléaire s'effectue dans le cadre du Multilateral Plutonium Disposition Group (MPDG), groupe de travail créé en 2002 pour définir les conditions de réalisation du programme d'élimination du plutonium militaire russe . Les Etats-Unis et la Fédération de Russie ont conclu, en septembre 2000, un accord déclarant en excès des besoins de défense 34 tonnes de plutonium militaire de part et d'autre, cet accord prévoyant la destruction de ces stocks de plutonium en Russie et aux Etats-Unis sur une durée de quinze ans. Le volet russe de ce programme doit faire l'objet d'un financement international et la France a annoncé son intention d'y participer à hauteur de 70 millions d'euros. L'élimination du plutonium s'effectuera par transformation en combustible MOX (mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium), destiné à être brûlé dans des centrales nucléaires civiles aux Etats-Unis et en Russie. Ce choix technique repose sur la mise en oeuvre de la technologie française de conversion du plutonium et de fabrication du MOX, détenue par AREVA. Il faut rappeler que dans un cadre bilatéral franco-russe, les programmes AIDA 1 à partir de 1992, puis AIDA-MOX 2 à partir de 1998, ont permis de conduire des études de faisabilité pour l'installation en Russie d'unités de conversion du plutonium militaire russe en combustible MOX destiné aux centrales nucléaires civiles russes.

Enfin, l'un des volets de la coopération française porte sur le domaine biologique , principalement dans le cadre du Centre international des sciences et de la technologie de Moscou. Il s'agit de lutter contre la menace bioterroriste en mettant en place un programme de réemploi des scientifiques et en privilégiant un partenariat direct entre les laboratoires français et russes. Ces collaborations scientifiques débouchent sur des actions concrètes préparant le développement de nouvelles molécules thérapeutiques et de nouveaux outils de diagnostic et de surveillance environnementale. Une coopération dans le domaine de l'assurance qualité a également été décidée. Une évaluation conjointe des centres russes Vektor (Novosibirsk) et Obolensk est envisagée pour permettre la sécurisation d'installations de conservation de souches pathogènes et assurer la conformité de ces installations aux normes internationales.

Globalement, la France avait pris l'engagement en 2002 de consacrer, sur 10 ans, 750 millions d'euros aux actions du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive. A l'heure actuelle, les projets identifiés portent sur environ 200 millions d'euros, mais seule une petite partie des fonds a été engagée, compte tenu du temps nécessaire à la réalisation des études de faisabilité et à la finalisation des arrangements pratiques avec la partie russe. Pour une large part, la coopération française s'est, pour l'instant, concrétisée par des actions d'expertise qui ne se traduisent pas nécessairement en dotations financières conséquentes. Il importe par ailleurs de veiller à la pertinence des projets sélectionnés au regard des objectifs du partenariat mondial.

CONCLUSION

La coopération franco-russe dans le domaine du désarmement chimique s'insère dans une action beaucoup plus large de la communauté internationale qui paraît indispensable pour garantir la destruction des stocks dans des délais raisonnables et, en tout état de cause, avant l'échéance de 2012, fixée dans le cadre de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques.

La mise en oeuvre de l'accord du 14 février 2006 permettra d'entretenir la dynamique du désarmement chimique entrepris en Fédération de Russie. Au-delà des différents projets mis en place dans le cadre du partenariat mondial du G8, une attention particulière mérite également d'être portée aux milliers de scientifiques et de techniciens qui étaient employés au sein du complexe militaro-industriel dans le domaine des armements nucléaires, chimiques et biologiques. La consolidation et le financement des régimes de désarmement doit s'accompagner de mesures visant à éviter la diffusion des technologies et à permettre la reconversion vers des activités civiles.

Au regard de l'ampleur des besoins, la participation financière française peut paraître modeste, mais il est également nécessaire que notre pays s'assure de la pertinence des opérations et des conditions d'affectation des fonds. Cette transparence ne pourra que nous encourager à poursuivre notre action.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose d'adopter le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Russie relatif à une coopération en matière de destruction des stocks d'armes chimiques en Fédération de Russie.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 10 janvier 2007 sous la présidence de M. Serge Vinçon, président, la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du présent projet de loi.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. André Dulait a évoqué la situation des Etats issus de l'ex-URSS au regard des stocks d'armes de destruction massive.

M. Philippe Nogrix s'est demandé si, compte tenu de la situation financière actuelle de la Russie, l'aide internationale pour la destruction d'armes issues de l'Union soviétique était bien justifiée.

Mme Hélène Luc s'est inquiétée du report à 2012 obtenu par les Etats-Unis et la Russie pour détruire leurs stocks d'armes chimiques. Elle a souligné l'urgence de l'élimination de ces armes et estimé que l'assistance internationale était, à ce titre, justifiée.

M. Yves Pozzo di Borgo a jugé nécessaire de multiplier les solidarités concrètes entre les pays occidentaux et la Russie, afin d'arrimer celle-ci à l'Europe. Il a estimé que les coopérations comme celles permises par l'accord allaient en ce sens.

M. Serge Vinçon, président, a estimé que la communauté internationale avait un intérêt majeur à l'élimination des armes de destruction massive héritées de l'Union soviétique, compte tenu du risque représenté par la prolifération.

A la suite de ces interventions, M. André Vantomme, rapporteur, a lui aussi souligné que l'assistance financière internationale était justifiée par la nécessité de réduire les risques de prolifération inhérents aux stocks d'armes de destruction massive détenus par la Russie. Il a précisé que la France faisait preuve de sélectivité et veillait à ce que son assistance financière porte sur des projets bien identifiés et bénéficie de toutes les garanties de suivi.

La commission a ensuite adopté le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Russie relatif à une coopération en matière de destruction des stocks d'armes chimiques en Fédération de Russie et proposé qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.

PROJET DE LOI

Texte proposé par le Gouvernement

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à une coopération en matière de destruction des stocks d'armes chimiques en Fédération de Russie, signé à Moscou le 14 février 2006 et dont le texte est annexé à la présente loi 1 ( * ) .

ANNEXE - FICHE D'ÉVALUATION JURIDIQUE

L'accord franco-russe sur la destruction d'armes chimiques en Fédération de Russie s'insère dans le cadre général du droit régissant les armes chimiques. Il n'a cependant, du fait de sa portée limitée, pas d'impact sur le droit communautaire et national.

I. ETAT DU DROIT EXISTANT

- Convention d'interdiction des armes chimiques (CIAC )

La convention d'interdiction des armes chimiques (CIAC), signée et ratifiée par la France le 2 mars 1995, constitue la norme internationale majeure de désarmement et de non-prolifération des armes chimiques.

La France a procédé à la mise en oeuvre de la CIAC après avoir adopté la législation de transposition requise (loi n° 98-467 du 7 juin 1998).

La Russie est Etat partie à la CIAC et c'est à ce titre qu'elle est contrainte de détruire ses stocks d'armes chimiques avant 2012.

- Accord franco-russe dans le domaine nucléaire

Pour réaliser les objectifs fixés par le Partenariat mondial du G8 en matière de prolifération nucléaire, l'accord multilatéral MNEPR (Programme multilatéral environnemental dans le domaine nucléaire en Fédération de Russie), signé le 21 mai 2003 à Stockholm, a établi un cadre juridique multilatéral général pour les projets liés au nucléaire menés par des pays occidentaux en Russie du nord-ouest. Il est assorti d'un protocole concernant les actions en justice, les procédures judiciaires et l'indemnisation, qui vise à régler les problèmes de responsabilité résultant des activités entreprises dans ce contexte.

Cet accord multilatéral a été complété par un accord d'application entre la France et la Russie, signé le 14 février 2006.

II. EFFETS DE L'ACCORD SUR L'ORDONNANCEMENT JURIDIQUE

L'accord n'entraîne aucune modification du droit national.

Il permet de mettre en place le cadre juridique nécessaire à la coopération franco-russe dans le domaine de la destruction des stocks d'armes chimiques russes. Il constitue un préalable indispensable à la mise en oeuvre de cette coopération en fournissant toutes les garanties nécessaires, notamment quant à l'utilisation des fonds mobilisés, et à la protection des intervenants français (responsabilité civile, exemptions fiscales, délivrance des visas, etc.).

* 1 Voir le texte annexé au document Sénat n° 87 (2006-2007)

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