N° 129

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 décembre 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (1), comportant le texte de la commission, sur la proposition de résolution européenne de Mme Fabienne KELLER, présentée au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 quater du Règlement , sur le marché des quotas de CO 2 et le mécanisme d' inclusion carbone aux frontières ,

Par M. Jean BIZET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Gérard César, Gérard Cornu, Pierre Hérisson, Daniel Raoul, Mme Odette Herviaux, MM. Marcel Deneux, Daniel Marsin, Gérard Le Cam , vice-présidents ; M. Dominique Braye, Mme Élisabeth Lamure, MM. Bruno Sido, Thierry Repentin, Paul Raoult, Daniel Soulage, Bruno Retailleau , secrétaires ; MM. Pierre André, Serge Andreoni, Gérard Bailly, Michel Bécot, Joël Billard, Claude Biwer, Jean Bizet, Yannick Botrel, Martial Bourquin, Jean Boyer, Jean-Pierre Caffet, Yves Chastan, Alain Chatillon, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Marc Daunis, Denis Detcheverry, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fauconnier, François Fortassin, Alain Fouché, Francis Grignon, Didier Guillaume, Michel Houel, Alain Houpert, Mme Christiane Hummel, M. Benoît Huré, Mme Bariza Khiari, MM. Daniel Laurent, Jean-François Le Grand, Philippe Leroy, Claude Lise, Roger Madec, Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Jacques Muller, Robert Navarro, Louis Nègre, Mmes Renée Nicoux, Jacqueline Panis, MM. Jean-Marc Pastor, Georges Patient, François Patriat, Philippe Paul, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Marcel Rainaud, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Mireille Schurch, Esther Sittler, Odette Terrade, MM. Michel Teston, Robert Tropeano, Raymond Vall.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

98 (2009-2010)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 17 novembre dernier, une proposition de résolution européenne 1 ( * ) portant sur le marché des quotas de CO 2 et le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières a été déposée au Sénat par Mme Fabienne Keller au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du règlement.

Cette proposition de résolution a été renvoyée à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire qui, le 24 novembre 2009, a chargé votre rapporteur de l'examiner au fond.

Le présent rapport présente donc les observations de votre rapporteur sur les différents aspects abordés par la proposition de résolution de notre collègue , à savoir, d'une part, le fonctionnement du marché des quotas de CO 2 et ses perspectives d'évolution, et, d'autre part, l'éventualité et les conditions de la mise en oeuvre d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières.

Cette proposition de résolution s'inspire largement des conclusions de l'excellent rapport d'information 2 ( * ) fait par Mme Fabienne Keller au nom de la commission des finances, adoptées à l'issue des travaux d'un groupe de travail sur la fiscalité environnementale, sur l'instauration d'une contribution « climat-énergie », le fonctionnement et la régulation des marchés de quotas de CO 2 .

La proposition de résolution aborde d'abord la réforme programmée du marché des quotas de CO 2 à compter de 2013 , suite à l'adoption par l'Union européenne, dans le cadre de la présidence française, du paquet « énergie-climat » en décembre 2008.

En effet, la directive du 23 avril 2009 3 ( * ) améliorant et étendant le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre va profondément changer les règles de fonctionnement du marché des permis d'émissions pour la période 2013-2020, l'objectif visé étant une baisse de 21 % des émissions en 2020 par rapport à 2005. Le principal changement sera le passage progressif du principe d'attribution gratuite des quotas de CO 2 à celui de mise aux enchères.

Dans cette perspective, la proposition de résolution préconise d'axer l'organisation de ces enchères autour d'une plateforme européenne permettant de déterminer un prix unique d'adjudication. Cela n'empêcherait pas que le produit des enchères soit intégralement reversé aux États membres, au prorata des quotas qui leur sont alloués.

La proposition de résolution préconise également de réglementer et encadrer le marché secondaire des quotas de CO 2 , ce qui implique le passage par une chambre de compensation ainsi que sa surveillance par une autorité européenne, ou à défaut par des autorités nationales existantes, telles que l'Autorité des marchés financiers pour la France.

La proposition aborde ensuite la perspective de la mise en place d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne souvent désigné de « taxe carbone aux frontières ». Il s'agit là d'un vrai sujet d'interrogation, qui se situe au carrefour d'enjeux économiques et écologiques forts, dans un contexte de crise économique pesant sur le niveau d'activité et sur l'emploi de nos concitoyens.

En effet, dans le cas où la totalité des quotas d'émission de GES serait mise aux enchères, de nombreux secteurs d'activités se retrouveraient exposés à une concurrence déloyale de la part de pays tiers qui ne s'imposeraient pas de telles contraintes environnementales. Dès lors, les Etats membres s'exposeraient à des risques de « fuites de carbone » dommageables économiquement et socialement pour l'Union européenne, écologiquement pour la planète.

C'est pourquoi la proposition de résolution envisage l'éventualité de l'instauration d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières. Il convient de ne pas sous estimer les difficultés, tant diplomatiques que techniques, que peut soulever la création d'un tel instrument. Le succès de sa mise en place repose à la fois sur une exacte appréhension des rapports de force au niveau international, et au sein même de l'Union européenne, ainsi que sur une bonne conception des modalités pratiques de son déploiement.

En définitive, votre rapporteur forme des voeux pour que cette contribution du Sénat au débat sur le changement climatique puisse orienter et appuyer les positions défendues par les autorités françaises, et plus largement par l'Union européenne, dans le cadre des négociations qui se dérouleront lors de la 15 ème conférence des Nations Unies sur le changement climatique à Copenhague du 7 au 18 décembre 2009.

I. AMÉLIORER LE MARCHÉ DES QUOTAS DE CO2 EST UN IMPÉRATIF ÉCOLOGIQUE ET ÉCONOMIQUE

A. UN MARCHÉ À CARACTÈRE ENCORE EXPÉRIMENTAL

1. Les principes du marché de quotas de CO2

Les pays parties au Protocole de Kyoto ont pris des engagements contraignants en termes de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour ce qui la concerne, l'Union européenne s'est engagée à réduire de 8 % ses émissions globales de GES par rapport à 1990. Afin de remplir cette obligation, ses États membres ont mis en place un système communautaire d'échange de quotas de gaz à effet de serre (SCEQE) à l'usage de leurs sites industriels les plus émetteurs de GES. Dans sa première phase, le SCEQE n'a pas concerné tous les GES, mais seulement le dioxyde de carbone (CO 2 ).

Dans le cadre du SCEQE, chaque État membre détermine, en liaison avec la Commission européenne, un niveau global d'émissions de CO 2 compatible avec l'objectif auquel il a souscrit en ratifiant le protocole de Kyoto. Il lui revient ensuite de répartir ce montant global en « quotas » de CO 2 , c'est-à-dire en autorisations d'émissions de CO 2 , entre les installations industrielles situées sur son territoire et entrant dans le champ du dispositif. Cette répartition par les États membres fait l'objet d'autant de plans nationaux d'allocation des quotas (PNAQ).

Jusqu'à présent, les quotas sont attribués gratuitement aux exploitants, en fonction des émissions générées au cours des années précédentes, dites « émissions historiques », diminuées d'un taux d'effort. L'exploitant qui a consommé tous ses quotas de CO 2 doit racheter, sur le marché secondaire, des quantités supplémentaires auprès d'autres opérateurs disposant d'un excédent. Dans l'hypothèse où il demeurerait en déficit de quotas, il doit s'acquitter de pénalités financières non libératoires.

Par construction, le SCEQE vise à permettre d'atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES au meilleur coût économique possible. En effet, tout exploitant industriel entrant dans le champ du dispositif se trouve incité à investir dans les technologies moins émettrices de CO 2 , s'il souhaite éviter de recourir au marché secondaire des quotas ou d'être pénalisé. Les exploitants pour lesquels le coût de la réduction des émissions est inférieur au coût des quotas réaliseront les investissements nécessaires, et seront conduits à céder une partie de leurs droits d'émissions aux exploitants pour lesquels ce coût est supérieur. De tels échanges peuvent se faire de gré à gré ou bien sur des places de marché.

LA DIRECTIVE DE 2003 SUR LE SYSTÈME COMMUNAUTAIRE
D'ÉCHANGE DE QUOTAS D'ÉMISSIONS

La directive 2003/87/CE du Parlement et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (GES) dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil a mis en place un système d'échange de quotas d'émission de GES afin de favoriser leur réduction dans des conditions efficaces et performantes.

A partir du 1 er janvier 2005, toute installation réalisant une des activités reprises à l'annexe I de la directive (activités dans le secteur de l'énergie, la production et transformation des métaux ferreux, l'industrie minérale et la fabrication de pâte à papier, de papier et de carton) et émettant les GES spécifiés en relation avec cette activité doit posséder une autorisation délivrée à cet effet. Chaque Etat membre élabore ainsi un plan national d'allocation des quotas : les plans correspondant à la première période de trois ans établie par la directive (1 er janvier 2005 - 1 er janvier 2008) devaient être publiés au plus tard le 31 mars 2004 et ceux correspondant aux périodes ultérieures de cinq ans doivent être publiés au moins 18 mois avant le début de la période.

En vertu de la directive, au moins 95 % des quotas de la première période de trois ans devaient être octroyés gratuitement aux installations. Pour la période de cinq ans débutant le 1 er janvier 2008, les États membres devaient distribuer 90 % des quotas de manière gratuite.

La première phase du SCEQE (de 2005 à 2007) a permis d'établir un libre échange des quotas d'émission dans toute l'Union européenne, de mettre en place l'infrastructure nécessaire en matière de surveillance, de déclaration et de vérification. Le SCEQE est devenu, au niveau mondial, le plus grand marché du carbone et représente aujourd'hui 67 % en volume et 81 % en valeur du marché mondial du carbone.

La directive 2004/101/CE du 27 octobre 2004 a modifié la directive de 2003 au titre des mécanismes de projet du protocole de Kyoto. Elle approfondit le lien entre ce dernier et le SCEQE en le rendant compatible avec les mécanismes dits « de projet » : la mise en oeuvre conjointe (MOC) et le mécanisme de développement propre (MDP). De cette manière, les exploitants peuvent utiliser ces deux mécanismes dans le cadre du SCEQE pour s'acquitter de leurs obligations. Les crédits résultants de projets de MOC sont appelés « unités de réduction des émissions » (URE), tandis que les crédits résultant de projets du MDP sont appelés « réduction d'émissions certifiées » (REC). Aujourd'hui, 147 pays sont liés au SCEQE à travers ces projets.

Source : Commission européenne.

2. La répartition par pays et par secteur d'activité

La mise en place du SCEQE a été découpée en deux phases : une première période de trois ans 2005-2007, destinée à étalonner la méthode de calcul et à ajuster les quotas alloués pour la période suivante de cinq années 2008-2012. Environ 120 000 sites industriels sont concernés en Europe, dont 10 % en France.

Au niveau de l'ensemble de l'Union européenne, 2,058 milliards de tonnes de CO 2 par an ont été alloués sur la première période et 1,859 milliard sur la deuxième période, soit une diminution de près de 9 % entre les deux périodes.

Pour la France, l'enveloppe annuelle s'élève à 156,5 millions de tonnes de CO 2 pour la période 2005-2007, et à 132,4 millions de tonnes pour la période 2008-2012.

Le SCEQE a été traduit en droit interne par l'ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004, dont les dispositions sont codifiées aux articles L. 229-5 à L. 229-19 du code de l'environnement, et par le décret n° 2007-979 du 15 mai 2007 portant plan national d'allocation des quotas (PNAQ ) pour la période 2008-2012.

Le PNAQ 2008-2012 concerne près de 11 000 installations. La distribution des quotas est relativement concentrée, puisque 10 % des installations se voient attribués 75 % des quotas. Les installations assujetties doivent restituer chaque année, le 30 avril, aux pouvoirs publics un nombre de quotas, qui représentent chacun une tonne de CO 2 , correspondant à leurs émissions. Les quotas sont inscrits électroniquement dans un registre national qui retrace les mouvements de quotas sur les comptes des opérateurs participant au marché. La tenue de ce registre est assurée par la Caisse des dépôts et consignations pour le compte de l'État.

Les trois secteurs les plus importants en termes de quotas de CO 2 sont ceux de l'acier (20,59 % du total), de l'électricité (20,48 %) et du ciment (12,32 %).

A l'enveloppe annuelle de 124,96 millions de tonnes de CO 2 pour les installations existantes, s'ajoutent une réserve 2,74 millions pour les nouveaux entrants et une enveloppe de 4,72 millions correspondant à une légère extension du champ du PNAQ 2008-2012 par rapport au PNAQ 2005-2007, soit au total 132,4 millions de tonnes.

RÉPARTITION DES QUOTAS PAR SECTEUR
DANS LE CADRE DU PNAQ 2008-2012

Source : PNAQ II.

3. Le développement du marché secondaire

Le marché européen d'échanges des quotas de CO 2 s'est beaucoup développé depuis sa création en 2005. Le volume d'échanges constaté en 2008 s'élevait à environ 2,8 milliards de tonnes, soit dix fois plus que le volume d'échanges de 2005. Ce montant est désormais supérieur à celui des allocations primaires de quotas par les États, ce qui est l'indice d'une liquidité suffisante. Le cours actuel de la tonne de CO 2 est de l'ordre de 13 euros, contre 25 euros il y a un an.

Bien qu'ils puissent se faire de gré à gré, les échanges passent de plus en plus souvent par des plateformes spécialisées . Deux places ont ainsi émergé :

- BlueNext , basé à Paris, et orienté vers les échanges de quotas au comptant ;

- ICE-ECX , basé à Londres, et davantage orienté vers les produits dérivés des quotas, en particulier les ventes à terme et les options.

La présente proposition de résolution estime que « néanmoins, ce marché présente des faiblesses importantes. Il souffre en particulier d'une absence de régulation et d'un cadre normatif très léger. Il en résulte notamment une forte volatilité des cours des quotas, au comptant ou à terme, et des risques de fraude » .

* 1 Proposition de résolution européenne n° 98 (2009-2010).

* 2 Rapport d'information n° 543 (2008-2009), intitulé « En attendant la taxe carbone... Enjeux et outils de la réduction des émissions de CO 2 ».

* 3 Directive 2009/29/CE modifiant la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté.

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