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Rapport n° 500 (2009-2010) de M. Jean BIZET , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 26 mai 2010

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N° 500

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 mai 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) contenant le texte d'une proposition de résolution européenne sur la proposition de résolution européenne, présentée par Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY, MM. David ASSOULINE, Robert BADINTER, Mmes Maryvonne BLONDIN, Bernadette BOURZAI, Marie-Christine BLANDIN, Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Jean-Luc FICHET, Bernard FRIMAT, Jean-Noël GUÉRINI, Mmes Bariza KHIARI, Claudine LEPAGE, Gisèle PRINTZ, MM. Jean Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, M. Jean Marc TODESCHINI, Mme Dominique VOYNET, MM. Serge LAGAUCHE, Gérard MIQUEL, Jacques MULLER, Robert NAVARRO et Yves DAUDIGNY en application de l'article 73 quinquies du Règlement sur la proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union européenne, de l'accord modifiant pour la deuxième fois l'accord de partenariat entre les États d' Afrique , des Caraïbes et du Pacifique , d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres , d'autre part, signé à Cotonou le 23 juin 2000 et révisé une première fois à Luxembourg le 25 juin 2005 (E 5295),

Par M. Jean BIZET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour , vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange , secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca, M. Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

452 (2009-2010)

La proposition de résolution déposée par Mme Boumediene-Thiery et ses collègues porte sur l'accord modifiant pour la deuxième fois l'Accord de Cotonou.

L'Accord de Cotonou a été signé le 23 juin 2000 entre l'Union européenne et les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Cet accord a été conclu pour vingt ans, mais il a été prévu qu'il serait révisé tous les cinq ans. Il a fait l'objet d'une première révision en 2005 et le texte qui nous occupe aujourd'hui concerne la deuxième révision de cet accord.

L'Accord de Cotonou vise essentiellement à faciliter l'intégration des pays ACP dans l'économie mondiale. En ce sens, il cherche à libéraliser les échanges, mais il prévoit aussi des mesures concernant la lutte contre la pauvreté, la participation des acteurs économiques, sociaux et associatifs locaux ainsi qu'un dialogue politique entre l'Union européenne et les pays ACP.

La révision de 2010 comporte un certain nombre d'avancées qui portent :

- sur la reconnaissance de la dynamique de l'intégration régionale dans les régions ACP ;

- sur l'intégration de nouveaux défis communs comme la lutte contre le changement climatique ;

- sur les synergies entre les accords de partenariat économique et les institutions du partenariat de Cotonou ;

- sur l'implication des parlements nationaux des pays ACP, des collectivités locales, de la société civile et du secteur privé dans le partenariat avec l'Union européenne ;

- enfin, sur la prise en compte des principes de l'efficacité de l'aide et de la cohérence des politiques de développement.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui porte sur le dialogue politique et plus précisément sur la question du respect des droits de l'homme.

Il n'est pas étonnant que notre collègue Alima Boumediene-Thiery ait voulu porter cette question devant nous. Déjà, en juillet 2008, lorsque la commission des affaires européennes avait évoqué la politique européenne de voisinage, elle était intervenue à ce sujet pour regretter que l'on néglige trop souvent les dispositions relatives au respect des droits de l'homme qui figurent systématiquement dans les accords d'association ou de partenariat conclus par l'Union européenne.

La proposition de résolution « regrette l'absence de mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet de révision de l'Accord de Cotonou » .


La notion d'identité de genre

La notion d'identité de genre repose sur une distinction entre la notion de sexe et celle de genre. La notion de sexe renvoie à la différence biologique entre les femmes et les hommes. La notion de genre intègre les aspects sociaux de la différence des genres sans se limiter à l'élément biologique (l'identité de genre est déterminée par l'expérience intime et personnelle qu'a chaque personne de son propre genre, qu'elle corresponde ou non à son sexe de naissance).

Dans la plupart des cas, l'identité de genre d'une personne correspond à sa définition juridique (homme ou femme). Toutefois, les personnes transgenre construisent une identité de genre qui ne correspond pas à leur définition juridique.

Il est utile de rappeler tout d'abord la chronologie et le déroulement des négociations entre l'Union européenne et les pays ACP.

Le mandat de négociation, qui constitue la feuille de route pour la Commission européenne, a été adopté par le Conseil en février 2009. Les négociations ont été ouvertes officiellement en mai 2009 et elles ont duré jusqu'à mars 2010. Elles ont été conclues le 19 mars 2010.

La question de la non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle, qui figure à l'article 8-4 de l'accord, a été l'un des points difficiles dans la négociation. Il a d'ailleurs fait l'objet de débats entre l'Union et les pays ACP jusqu'aux dernières séances qui ont précédé la conclusion de l'accord.

La Commission européenne a proposé de reprendre dans l'accord les dispositions qui figurent dans la charte des droits fondamentaux et qui mentionnent explicitement « l'orientation sexuelle » . Mais elle s'est heurtée à une opposition résolue des pays ACP qui ont considéré que la mention de « l'orientation sexuelle » était inacceptable pour eux.

À la suite de longues négociations, un compromis a été trouvé qui consistait à introduire le concept de « discrimination pour quelque raison que ce soit » et d'énumérer ces raisons parmi lesquelles la discrimination en raison du sexe. Il s'agit en fait d'une reprise de l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

La Commission a alors envisagé que l'Union européenne fasse une déclaration unilatérale pour interpréter les termes de ce compromis. Cette déclaration aurait précisé que le texte retenu couvrait toutes les formes de discrimination, y compris les discriminations en raison de l'orientation sexuelle. Tous les États membres de l'Union ont appuyé cette proposition de la Commission.

Toutefois, il est rapidement apparu que si l'Union européenne faisait cette déclaration, la partie ACP ferait une contre-déclaration donnant sa propre interprétation.

Fallait-il s'engager dans cette voie ? Sans doute pas car s'il y avait eu deux déclarations contraires pour expliciter le sens d'une disposition, cela aurait abouti en réalité à neutraliser complètement la disposition elle-même. De plus, on risquait ainsi d'encourager les États ACP à formuler des déclarations unilatérales sur d'autres points de l'accord.

On peut regretter l'issue des négociations et le texte final de l'accord. On ne peut en tout cas pas reprocher à la Commission ni aux États membres de ne pas avoir tenté d'inclure le principe de la non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle dans le projet de révision.

Au cours du débat qui s'est engagé au sein de la commission des affaires européennes, il est apparu un sentiment général pour regretter qu'il n'ait pas été possible d'aller plus loin. En revanche, la commission a estimé que, compte tenu de ces éléments de chronologie, les deux derniers alinéas de la proposition de résolution n'étaient plus en situation.

L'avant-dernier alinéa de la proposition de résolution « invite la Commission à parvenir à un compromis tendant à l'insertion d'une mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet d'Accord de Cotonou révisé » . Or, il est aujourd'hui trop tard pour une telle invite. C'est au moment où a été déposé le mandat de négociation qu'une telle invitation aurait trouvé sa place. Mais il n'est pas question aujourd'hui de rouvrir les négociations qui ont été conclues en mars dernier.

De même, le dernier alinéa de la proposition de résolution « demande au Gouvernement français de défendre une telle position en vue de la signature prochaine de cet accord » . Là encore, il est désormais trop tard pour formuler une telle demande. Au demeurant, il est indéniable que le Gouvernement français a répondu par avance à l'attente des auteurs de la proposition. Comme l'ensemble des États membres et comme la Commission européenne, il a défendu cette position tout au long des négociations.

En conséquence, sur proposition du rapporteur, la commission des affaires européennes a supprimé les deux derniers alinéas de la proposition de résolution et leur a substitué un alinéa invitant la Commission européenne et le Gouvernement à obtenir l'insertion d'une mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre lors de la prochaine révision de l'Accord de Cotonou qui devrait intervenir en 2015.

La commission des affaires européennes a alors adopté la proposition de résolution ainsi modifiée :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la Convention européenne des droits de l'homme,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu les articles 6 et 7 du traité sur l'Union européenne (TUE) et l'article 19 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu l'Accord de partenariat entre les membres du groupes des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, signé à Cotonou le 3 juin 2000 (l'Accord de Cotonou) et les dispositions de cet accord relatives aux droits de l'homme, notamment l'article 9 ;

Vu la Proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union européenne, de l'accord modifiant pour la deuxième fois l'accord de partenariat entre les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, signé à Cotonou le 23 juin 2000 et révisé une première fois à Luxembourg le 25 juin 2005 (E 5295) ;

Considérant la déclaration commune faite le 18 décembre 2008 par 66 États, à l'Assemblée générale des Nations Unies, qui condamne les violations des droits de l'homme fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre, telles que les assassinats, les actes de torture, les arrestations arbitraires et la privation des droits économiques, sociaux et culturels, dont le droit à la santé ;

Considérant que les instruments internationaux et européens de protection des droits de l'Homme garantissent à toute personne la jouissance des droits et libertés reconnus, sans aucune distinction fondée notamment sur l'orientation sexuelle, le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ;

Considérant que le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre constitue un principe fondamental indissociable du respect des droits de l'Homme, dont il est une des composantes ;

Considérant que les États membres de l'Union européenne ainsi que les États signataires de l'Accord de Cotonou ont entendu, à travers l'article 9 de l'accord susvisé, conditionner le maintien de la coopération entre l'Union européenne et les États ACP au respect des droits de l'Homme, des principes démocratiques et de l'État de droit ;

Considérant que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres sont sujettes, dans une majorité d'États africains parties à l'Accord de Cotonou, à l'homophobie, à la transphobie et à d'autres formes de violence physique et verbale, et de discriminations ayant pour conséquence leur criminalisation ainsi que leur exclusion sociale en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ;

Considérant qu'un tel traitement constitue une violation des principes directeurs énoncés dans l'article 9 de l'Accord de Cotonou ;

Considérant qu'aucune valeur culturelle, traditionnelle ou religieuse ne saurait être opposée par les États au respect du principe universel de l'interdiction de toute discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre ;

Considérant que la révision de l'Accord de Cotonou constitue une opportunité pour rappeler aux parties signataires leur obligation de respecter les droits de l'Homme, et notamment le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou l'identité de genre ;

Considérant que la révision de l'Accord de Cotonou devrait conduire également à l'insertion, dans l'accord révisé, d'une clause de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, afin de rappeler les États parties à leurs obligations ;

Considérant qu'à défaut d'une mention explicite du principe de l'interdiction de toute discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre ou d'un non respect effectif de ce principe, la violation des principes directeurs de l'Accord serait engagée, justifiant ainsi une procédure de suspension de l'Accord ;

1. Rappelle le principe selon lequel tout partenariat avec l'Union européenne doit être lié au respect des libertés et droits fondamentaux tels que définis par la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union européenne ;

2. Regrette l'absence de mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet de révision de l'Accord de Cotonou ;

3. Estime qu'une telle mention est rendue nécessaire par la criminalisation croissante de l'homosexualité dans de nombreux États africains signataires dudit accord ;

4. Juge indispensable de rappeler les États parties à leur obligation de respect des Droits de l'Homme tels que découlant de l'article 9 de l'accord ;

5. Estime que le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle réelle ou supposée ou de l'identité de genre découle des principes visés à l'article 9 de l'Accord de Cotonou et qu'en conséquence, il est nécessaire que les États parties à cet accord soient tenus de mettre un terme aux discriminations subies par les personnes homosexuelles et transgenres ;

6. Invite les États parties à l'Accord de Cotonou à respecter le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, en dépénalisant l'homosexualité et en garantissant la pleine jouissance des droits de l'Homme des personnes homosexuelles ou transgenres ;

7. Invite la Commission européenne et le Gouvernement, lors de la prochaine révision de l'Accord de Cotonou qui interviendra en 2015, à obtenir l'insertion d'une mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet d'Accord de Cotonou révisé.

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