Rapport n° 535 (2009-2010) de M. Charles GUENÉ , fait au nom de la commission des finances, déposé le 9 juin 2010

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N° 535

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juin 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi de M. Yvon COLLIN et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen relative à la taxation de certaines transactions financières ,

Par M. Charles GUENÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

285 (2009-2010)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Notre collègue Yvon Collin et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen ont déposé, le 11 février 2010, une proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières.

Elle sera discutée en séance publique le 23 juin 2010 dans le cadre de la séance mensuelle réservée aux initiatives des groupes politiques d'opposition ou minoritaires, aux termes des dispositions de l'alinéa 4 de l'article 48 de la Constitution.

Les auteurs de la proposition de loi entendent ainsi réagir à de « profonds dysfonctionnements et des pratiques contestables » de notre système financier que la crise a contribué à révéler.

Pour mettre un terme « à certaines dérives liées aux transactions pratiquées sur les marchés financiers », ils estiment nécessaire d'instaurer « une taxation spécifique sur lesdites transactions afin de ne plus inciter à la spéculation financière ». Ils proposent donc la mise en oeuvre effective de la taxe dite « Tobin », du nom de son promoteur originel, pour laquelle la France « doit pouvoir montrer l'exemple ».

Les auteurs rappellent les initiatives internationales pour construire une régulation efficace, en particulier les sommets du G 20 qui ont suivi la crise.

De nombreux instruments ont ainsi pu être évoqués, dont une taxe sur les transactions financières, pour répondre aux défis posés par la crise - maîtrise des risques, renforcement de la résilience du système financier, meilleure supervision, lutte contre les paradis fiscaux et bancaires.

Votre rapporteur souligne toutefois que, à ce jour, aucun accord n'a été trouvé dans les instances internationales sur la possibilité d'établir une taxe globale frappant le secteur financier.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

La présente proposition de loi tend à modifier et à mettre effectivement en oeuvre l'article 235 ter ZD du code général des impôts qui institue une taxe sur les transactions sur devises. Ce dispositif, introduit par l'article 88 de la loi de finances pour 2002, a créé en droit français la « taxe Tobin ». Il convient toutefois de noter un point fondamental : aux termes du IV de l'article 235 ter ZD, ses dispositions prendront effet « à la date à laquelle les Etats membres de la Communauté européenne auront dû achever l'intégration dans leur droit interne des mesures arrêtées par le Conseil prévoyant l'instauration, dans l'ensemble des Etats membres, d'une taxe sur les transactions sur devises ».

La proposition de loi vise notamment à supprimer cet alinéa pour que la taxe Tobin s'applique en France, quand bien même nos partenaires européens ne l'ont pas mise en pratique.

L'article 235 ter ZD avait été adopté à l'initiative de la commission des finances de l'Assemblée nationale, dont le président, M. Henri Emmanuelli, avait alors souligné le caractère « conditionnel » et « symbolique ». Une telle taxe doit en effet être universelle , ou à tout le moins être mise en place en Europe, aux Etats-Unis et au Japon, pour être efficace .

Votre rapporteur estime que l'instauration d'une taxe Tobin dans notre seul pays serait, en premier lieu, inopérante au regard des objectifs poursuivis. La crise a révélé le besoin de réguler le système financier mais seules des solutions internationales permettront de résoudre des problèmes globaux . Par ailleurs, ce nouveau prélèvement pourrait se révéler, dans son principe même, dommageable pour l'économie française.

Votre commission des finances a déjà eu l'occasion d'affirmer, à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2010 et de la première loi de finances rectificative pour 2010, que l'évolution du modèle économique des banques, gravement mis en cause lors de la crise, repose notamment sur la réglementation des fonds propres. Une taxation du secteur financier pourrait utilement venir en complément de ces mesures, pour autant que le bon équilibre puisse être trouvé entre la stabilité des établissements de crédit et le financement de l'économie.

I. L'IDÉE D'UNE TAXATION DU SECTEUR FINANCIER CONNAÎT UN REGAIN D'INTÉRÊT EN PÉRIODE DE CRISE

De nombreuses initiatives sont apparues, depuis plus d'un an, pour taxer le secteur financier. Elles sont, pour la plupart, inspirées par la volonté qu'il prenne « une juste part dans la relance et le développement de l'économie », comme le souligne le Parlement européen dans une résolution adoptée le 10 mars 2010. En effet, grâce aux interventions déterminées des Etats, les banques ont pu renouer avec les profits en 2009 mais, aussi, avec des pratiques de rémunération qualifiées « d'obscènes » par le Président Barack Obama.

Les opinions publiques ont dès lors eu le sentiment d'avoir contribué au rétablissement du secteur financier sans que celui-ci ne participe aujourd'hui au redressement des finances publiques et de l'activité économique.

Toutefois, le foisonnement de propositions a introduit une certaine confusion sur la portée des taxes envisagées et, tout particulièrement, sur leurs objectifs, selon qu'elles s'inscrivent dans une logique punitive, préventive ou de « rendement » .

Avant d'analyser plus en profondeur la présente proposition de loi, votre rapporteur souhaite dresser un panorama du contexte national et international dans lequel elle s'inscrit.

A. EN DÉPIT D'UN CONTEXTE FAVORABLE, LA NÉGOCIATION D'UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES BUTE SUR DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES

1. La taxe Tobin a été abandonnée comme instrument de lutte contre la spéculation

a) La taxe Tobin avait pour but initial de redonner de l'autonomie aux politiques monétaires

La taxe Tobin est considérée comme la première idée de taxe sur les transactions financières (TTF). L'économiste et prix Nobel (1981) James Tobin avait initialement conçu, en 1972, une taxe sur les transactions de change dans le cadre d'un système monétaire international où le régime de change devient flexible et où les capitaux circulent librement. Une telle taxe avait alors pour objet de rendre de l'autonomie aux politiques monétaires .

En effet, l'économiste Robert Mundell 1 ( * ) a montré qu'il existe une incompatibilité entre trois objectifs de politique économique : la flexibilité du taux du change, la libre circulation des capitaux et l'autonomie de la politique monétaire. Seuls deux d'entre eux peuvent être poursuivis en même temps.

Dans ce contexte, une taxe frappant, à un taux très faible, les transactions sur le marché des changes a pour vertu, en introduisant « un grain de sable dans la mécanique bien huilée des marchés », selon l'expression de Tobin, de limiter très modérément les flux de capitaux et, par conséquent, de permettre à la politique monétaire de jouer plus efficacement son rôle.

Dans son acception initiale, une telle taxe n'a cependant plus lieu d'être puisque la politique monétaire se concentre désormais sur un objectif prioritaire, voire unique, qui est la stabilité des prix.

b) La taxe Tobin est apparue inopérante comme instrument de lutte contre la spéculation

Au cours des années 1990, la taxe Tobin a connu une nouvelle fortune dans la théorie économique en tant qu'instrument de lutte contre la spéculation car elle a pour effet mécanique de renchérir les flux de court terme . A chaque transaction de change, l'investisseur doit s'acquitter d'un montant faible. S'il procède à un placement de long terme, la taxe est quasi-indolore. En revanche, si le même capital subit de nombreux mouvements à court terme, alors son propriétaire doit, à chaque fois, payer la taxe. Par conséquent, plus un capital est mobile, plus il est taxé et ses déplacements récurrents coûtent cher.

Si les opérations de court terme sont assimilées à de la spéculation, alors, effectivement, la taxe Tobin permet de la limiter. Mais la réalité économique et financière infirme en grande partie cette analyse dès lors que « les capitaux n'ont pas besoin d'être placés durablement pour couvrir des opérations économiques réelles 2 ( * ) ». En d'autres termes, les transactions de court terme ne peuvent pas être systématiquement amalgamées à une forme de spéculation.

De surcroît, comme le rappelait, à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2002, Florence Parly, alors secrétaire d'Etat au budget, « la différence observable entre une légitime couverture en devises sur une vente à terme et une obscure spéculation est infime » 3 ( * ) .

Dès lors, faute de pouvoir identifier précisément la spéculation, la taxe Tobin est contrainte de frapper avec la même force tant les opérations liées au commerce international que celles motivées par le seul appât du gain .

Par ailleurs, l'analyse économique montre qu'elle a pour effet de diminuer le nombre de transactions sur le marché. Elle agit sur sa taille et, par conséquent, sur sa liquidité. Or « il n'existe pas de lien empiriquement démontré entre la liquidité d'un marché et sa stabilité » 4 ( * ) . Au contraire, plus un marché est liquide, plus un grand nombre d'acteurs est présent, et plus il est en mesure d'absorber des chocs.

En réduisant le nombre de transactions et la liquidité des marchés financiers, la taxe Tobin pourrait accroître l'ampleur de la variation des prix et leur instabilité . Jean-Pierre Landau illustre cette idée en rappelant que « le jet d'une pierre dans un grand lac produit des remous invisibles ; dans une petite mare, il provoque des vagues de grande ampleur » . 5 ( * ) La taxe pourrait donc se révéler plus dangereuse que profitable.

Pour l'ensemble de ces raisons, la taxe Tobin ne semble pas être une option crédible pour lutter contre la spéculation et stabiliser ainsi le système financier global .

Ses défenseurs ont toutefois montré qu'une telle taxe permettrait de lever des ressources considérables qui seraient affectées à l'aide au développement. Il s'agit du « double dividende » dont les auteurs de la proposition de loi rappellent le mécanisme dans l'exposé des motifs : « cette nouvelle forme de taxation internationale présenterait donc deux avantages : freiner la spéculation et favoriser le développement ».

Votre rapporteur a montré qu'il n'est guère possible d'atteindre le premier objectif. En revanche, l'intérêt du second demeure intact et fait actuellement l'objet de négociations internationales .

2. Les négociations internationales cherchent à définir une taxe sur les transactions financières dont l'unique finalité serait le financement des biens publics mondiaux

a) A l'opposé d'une taxe Tobin, la taxe sur les transactions financières se veut désormais une « taxe de rendement »

L'ancien ministre Philippe Douste-Blazy, conseiller spécial du Secrétaire général de l'ONU sur les financements innovants pour le développement, écrit, dans un rapport publié en décembre 2009, que la TTF a conceptuellement succédé à la taxe Tobin . Les deux sont quasi-identiques en termes d'assiette et de modalités de recouvrement, mais se distinguent par leur taux et leur finalité .

Ainsi, le taux de la taxe Tobin, même faible, doit être suffisamment élevé pour influencer le comportement des marchés financiers, mais celui de la TTF doit, au contraire, être encore plus faible pour, justement, ne pas perturber le fonctionnement des marchés.

La possibilité d'établir une TTF s'inscrit par ailleurs désormais dans le cadre de la recherche de « financements innovants pour le développement » .

La France prend ainsi une part très active et assure le secrétariat permanent du « Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement », plate-forme réunissant cinquante-neuf pays, institutions internationales et organisations non gouvernementales, qui vise à promouvoir les réflexions sur la mise en place de mécanismes de financements innovants pour le développement.

Notre pays participe notamment, au sein du Groupe pilote, au groupe de travail sur les transactions financières internationales qui réunit onze Etats 6 ( * ) . Elle soutient la création d'une « Contribution solidaire internationale » qui prendrait la forme d'une taxe de 0,005 % sur les transactions financières dont le produit permettrait de financer les besoins alimentaires, la santé ou bien encore la lutte contre le changement climatique . Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a rencontré le Secrétaire général de l'ONU, le 7 décembre 2009, pour lui présenter cette initiative 7 ( * ) .

Bernard Kouchner et Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, avaient auparavant précisé, dans une tribune publiée dans Le Monde , le 2 décembre 2009, qu'il « ne s'agit pas de proposer la mise en place d'une taxe Tobin , dont l'objectif premier était de réguler un marché des changes trop erratique. Non, il s'agit de financer le développement, sans perturber les transactions financières. Une taxe de 5 centimes sur 1.000 euros serait indolore mais pas sans conséquence pour le monde en développement : car même à un seuil aussi peu significatif, les recettes escomptées pourraient représenter jusqu'à 35 milliards d'euros ».

Le taux retenu - dix fois moins élevé que celui de la proposition de loi - montre que le projet français se distingue clairement de la taxe Tobin . En effet, la taxe n'a pas pour but de modifier le comportement des marchés financiers ou de provoquer une distorsion dans leur fonctionnement. L'association d'un taux très faible et d'une assiette large - mondiale et sur l'ensemble des transactions financières - permet d'obtenir un rendement maximal.

b) Une forte contrainte d'universalité qui pourrait être levée

Dans un monde où les capitaux sont totalement mobiles, une TTF doit être universelle . A défaut, les transactions s'exileront immanquablement vers des places financières qui n'appliquent pas la taxe avec pour conséquence mécanique une concentration des risques.

Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait ainsi déclaré, en 1999, en réponse à une question du député Jean-Claude Lefort : « l'idée ne vaut que si elle était appliquée partout, faute de quoi elle serait inefficace » 8 ( * ) .

Une forte contrainte d'universalité pèse donc sur une TTF. Elle devrait, au minimum, être établie concomitamment dans l'Union européenne, aux États-Unis et au Japon .

Il existe aujourd'hui une réelle volonté politique au niveau international qui constitue une opportunité pour instaurer une TTF. Par exemple, Angela Merkel, Chancelière de la République fédérale d'Allemagne, s'y est déclarée favorable. Pour autant, les Etats-Unis demeurent incertains sur la position qu'ils entendent arrêter . Un refus de leur part signifierait probablement l'abandon du projet ou, à tout le moins, relativiserait fortement son efficacité.

c) Des obstacles techniques doivent encore être surmontés

Au-delà d'un accord de principe au niveau international, les modalités techniques de mise en oeuvre d'une TTF ne manqueront pas de susciter d'âpres négociations. Il s'agit en effet de fixer son taux, son assiette, son lieu de recouvrement, son gestionnaire et son affectation.

Votre rapporteur ne souhaite pas détailler plus avant chacun de ces éléments. Il note cependant que l'assiette soulève les problèmes les plus critiques. En effet, avec le développement de l'ingénierie financière et, surtout, sa complexité croissante, il existe des milliers d'opérations financières qui, par nature, pourraient donner lieu à taxation. Or il semble très difficile de les lister et même d'en avoir une idée exhaustive.

Plus encore, il est à craindre que l'apparition incessante de nouveaux produits financiers conduise une partie des transactions à être exonérées de la taxe. Un imposant travail technique doit encore être effectué par les autorités nationales, même si aucun obstacle n'apparaît, à ce stade, dirimant . Cette contrainte ne fait que renforcer l'obligation d'adopter une TTF au niveau multilatéral.

d) Une taxe sur les transactions financières peut-elle influencer le système financier ?

La TTF poursuit un but unique : lever des ressources pour le développement. Pour autant, il apparaît légitime de s'interroger sur les effets potentiels qu'elle pourrait avoir sur les marchés financiers.

Ainsi, dans sa résolution du 10 mars 2010 citée plus haut, le Parlement européen invite la Commission à lui présenter un rapport sur une taxe sur les transactions financières qui « contribuerait à couvrir les coûts engendrés par la crise ». Le document devra particulièrement s'attacher à explorer ses avantages et ses inconvénients en étudiant « les comportements d'évasion fiscale, la fuite de capitaux ou les offres de services en délocalisation », ainsi qu'à examiner « la mesure dans laquelle une taxe sur les transactions financières contribuerait à la stabilisation des marchés financiers par son impact sur l'excès des négociations à court terme ou la spéculation et sur la transparence » .

Les précautions prises par le Parlement européen tendent à montrer que les effets d'une taxe sur les transactions financières sur la stabilité et le comportement des marchés sont encore mal appréhendés .

Si le taux de la TTF est suffisamment faible, elle ne devrait pas entraîner d'externalités, qu'elles soient positives ou négatives.

Il est, en revanche, possible de prévoir qu'une partie du produit de la TTF soit versé à un fonds de résolution qui, pour sa part, aurait vocation à participer à la régulation et à la stabilisation financières internationales. Une telle solution conduirait cependant à lever moins de ressources pour le développement.

C'est pourquoi, dès lors que les pouvoirs publics poursuivent deux objectifs, il semble plus opportun qu'ils disposent de deux outils distincts et clairement identifiés . Une taxe sur les institutions financières est ainsi envisagée au niveau global.

B. UNE TAXATION SUR LES INSTITUTIONS FINANCIÈRES APPARAÎT PLUS AVANCÉE

1. Le G 20 étudie activement la possibilité de mettre en place une taxe globale sur les banques

La crise a donné une nouvelle visibilité à un projet de taxe, globale ou non, sur les établissements financiers. Le sommet du G 20 de Pittsburgh, en septembre 2009, a ainsi chargé le FMI de « préparer [...] un rapport sur les différentes options selon lesquelles le secteur financier pourrait assurer une contribution juste et substantielle aux ressources nécessaires à la reprise ».

L'esprit qui anime une telle demande diffère toutefois de celui qui préside à l'instauration d'une TTF puisqu'il vise, avant tout, à prévenir les crises bancaires et à traiter la question de l'aléa moral afin de limiter le sauvetage des établissements financiers au détriment des contribuables . Jusqu'à présent, une TTF n'a pas été proposée par le G 20.

Le FMI a remis son rapport en avril 2010. Son directeur général, Dominique Strauss-Kahn, a précisé que son but n'était pas de mettre en oeuvre « la simpliste taxe Tobin [...] mais d'obtenir un financement spécial de la part du secteur financier ».

Il a ainsi proposé la création de deux taxes. La première, assise sur le bilan des établissements de crédit, a vocation à assurer la stabilité financière en cas de nouvelle crise du secteur bancaire . Elle couvre le risque systémique et serait affectée à un fonds international puisqu'il s'agit de financer un bien public mondial. La seconde porte sur les profits des banques et serait versée au budget des Etats en vue de compenser le coût pour les finances publiques du sauvetage du secteur financier .

Les pays du G 20, réunis à Washington les 22 et 23 avril 2010 au niveau des ministres des finances (dit « G 20 Finances »), n'ont pas pu s'accorder sur la définition d'une taxe globale. En effet, si les Etats-Unis et l'Union européenne soutiennent le principe d'une telle taxe, le Canada, l'Inde, le Brésil et Singapour y sont fermement opposés . Ils ne souhaitent pas imposer leurs établissements financiers alors que ceux-ci ont eu un comportement vertueux et n'ont pas pris part aux excès à l'origine de la crise.

Le communiqué final du « G 20 Finances » qui s'est tenu le 4 et 5 juin 2010 à Busan en Corée du Sud, rappelle que « le secteur financier devrait contribuer de manière juste et substantielle à la couverture des charges liées aux interventions publiques permettant de restaurer le système bancaire ou pour financer des résolutions. À cette fin, tout en reconnaissant qu'il existe un ensemble d'instruments possibles, nous sommes convenus d'élaborer des principes reflétant la nécessité de protéger les contribuables, de réduire les risques du système financier, de protéger les flux de crédit dans les bonnes et les mauvaises périodes, en tenant compte des circonstances et des options de chaque pays, ainsi qu'en favorisant des conditions de concurrence équitables ».

Le G 20 devrait arrêter plus précisément sa position à l'occasion du Sommet de Toronto qui se réunira le 26 juin prochain. Le FMI devrait alors remettre son rapport final sur cette question.

2. La Commission européenne propose des taxes nationales qui alimenteraient des fonds de résolution nationaux

Michel Barnier, commissaire européen en charge du marché intérieur et des services, a indiqué, lors de la présentation d'une communication sur les « fonds de résolution des défaillances bancaires » 9 ( * ) , que la Commission s'oriente vers la « mise en place d'un cadre général de prévention et de gestion des crises en complément des mesures de régulation, afin de réduire la probabilité, la gravité et le coût des futures crises ». Il juge que « la logique la plus pragmatique aujourd'hui, c'est d'avoir des fonds nationaux liés aux superviseurs et aux Etats, alimentés par les banques, avec une coordination et un cadre européen ».

La Commission retient donc le principe du « pollueur-payeur » . Les banques verseraient ainsi une contribution alimentant un fonds, mis en place au niveau national, de prévention, d'assainissement et de restructuration, appelé « fonds de résolution ».

Michel Barnier souligne néanmoins qu'un tel fonds « ne sera pas utilisé pour renflouer ou pour secourir une banque. Mais uniquement pour s'assurer qu'une faillite bancaire serait gérée de manière ordonnée et sans déstabiliser l'ensemble du système financier ». Les différents fonds nationaux seraient interconnectés entre eux, notamment en vue d'intervenir lors de défaillances d'établissements transnationaux.

Pour la Commission, le financement des fonds doit répondre à deux impératifs : « obtenir les ressources nécessaires en prenant en compte les modalités de leur emploi (c'est-à-dire la probabilité et le coût de la résolution des défaillances) ; encourager un comportement approprié, atténuant le risque de résolution ».

La communication donne des détails plus techniques sur les éléments sur lesquels pourraient être assis la contribution. Pour autant, la variable finalement retenue n'est pas encore arrêtée. La Commission sera également attentive à éviter les distorsions de concurrence entre les Etats membres et devrait, à cette fin, proposer un texte à l'automne 2010.

3. Les propositions nationales

a) En France
(1) Deux nouvelles taxes qui n'ont pas vocation à stabiliser le secteur financier

La France a d'ores et déjà institué deux nouvelles taxes frappant le secteur financier . La première permet de financer la supervision. La seconde, exceptionnelle, porte sur les bonus des opérateurs de marché. Elles sont donc limitées dans leur champ et dans leurs effets au regard de l'objectif de stabilité de la sphère financière .

L'article 6 de la loi de finances pour 2010, codifié à l'article L. 612-20 du code monétaire et financier, a tout d'abord institué une « contribution pour frais de contrôle » au profit de la Banque de France, destinée à assurer le financement de la tâche de supervision du secteur bancaire et assurantiel assumée par l'Autorité de contrôle prudentiel.

Comme le rappelle notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, dans son rapport sur la loi de finances pour 2010, « cette contribution n'est pas en soi une innovation majeure et il importe de ne pas en exagérer la portée, puisqu'elle constitue avant tout un alignement justifié sur le régime de financement d'autres autorités de supervision françaises ou étrangères . [...] Le budget de l'AMF est ainsi financé par des contributions et droits fixes acquittés par les professionnels qu'elle contrôle ».

Par ailleurs, l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 2010 du 9 mars 2010 a créé une taxe exceptionnelle acquittée par les établissements de crédit et les entreprises d'investissement sur la part variable des rémunérations octroyées, en 2009, à leurs opérateurs de marché. Cette taxe procède effectivement d'une contribution du secteur financier aux finances publiques mais ne constitue pas un outil durable de stabilisation.

(2) Le rapport Lepetit suggère une taxe sur les externalités négatives des activités systémiques

En décembre 2009, Christine Lagarde avait demandé à Jean-François Lepetit, ancien président du Conseil national de la comptabilité, un rapport sur le risque systémique. Celui-ci a été remis le 14 avril 2010.

Il propose notamment de créer une taxe destinée à réduire les externalités négatives des activités systémiques. A l'instar de la Commission européenne, il analyse en détail les différentes assiettes possibles pour cibler au mieux les activités porteuses de risques. Ainsi, pour éviter d'acquitter la taxe, les banques auraient plus intérêt à réduire leurs activités risquées .

Le rapport souligne cependant que l'efficacité de la taxe est subordonnée à une double universalité : elle doit s'appliquer à toutes les institutions financières, régulées ou non ; elle doit être mondiale. Sur ce dernier point, il convient en particulier que sa finalité, son assiette et son taux soient définis dans les enceintes internationales.

Sur l'ensemble de ces propositions, le rapport Lepetit concorde avec les propositions de la Commission européenne.

En revanche, il précise que la taxe doit être « sans contrepartie », dès lors qu'elle ne vise qu'à réduire les externalités négatives et, par conséquent, « elle doit être affectée au budget de l'Etat. En particulier, il ne s'agit pas d'un mécanisme d'assurance. L'abondement d'un fonds de résolution signalerait au contraire le droit des contributeurs à bénéficier d'une intervention en cas de difficulté ».

Le Gouvernement français, suivi en cela par le Gouvernement britannique, a effectivement confirmé qu'il souhaitait qu'une telle taxe abonde le budget général.

De même, dans son rapport de mai 2010 sur les concours publics aux établissements de crédit, la Cour des comptes rappelle que la France doit préférer « un prélèvement visant à réduire les comportements risqués plutôt qu'à compenser un éventuel coût pour les finances publiques ». Elle estime que son produit devrait être affecté au budget général : « pour que l'Etat conserve une marge de manoeuvre lorsqu'il doit choisir de soutenir ou non un secteur et que le secteur bancaire n'ait pas l'impression de bénéficier d'une garantie automatique d'intervention en cas de difficultés, le comportement de l'Etat doit demeurer, au moins pour partie, imprévisible ».

Quelle affectation permet le mieux de réduire l'aléa moral ? Force est de constater qu'il est particulièrement difficile de répondre à cette question. Dans le cadre d'un fonds de résolution, les pouvoirs publics assument le fait qu'ils seront amenés à intervenir. Pour autant, ils cantonnent leur action au simple démantèlement de l'institution en difficulté. Néanmoins, quitte à intervenir, peut-être seront-ils tentés de la sauver.

Dans le cas d'une affectation au budget de l'Etat, celui-ci demeure plus libre. En théorie du moins, car la crise récente a montré que les Etats sont systématiquement et massivement intervenus pour soutenir leur secteur bancaire, compte tenu du risque systémique et des retombées potentiellement catastrophiques pour l'économie. Or quelle que soit l'affectation de la taxe, l'Etat devra toujours gérer la problématique du risque systémique.

A ce jour, la question de l'aléa moral n'est pas résolue de façon satisfaisante. Christine Lagarde a récemment annoncé qu'une taxe sur les banques pourrait être mise en place, en France, d'ici la fin de l'année 2010. Un travail politique sur le principe et la finalité de la taxe doit encore être conduit, notamment au sein de l'Union européenne. Par ailleurs, plusieurs chantiers techniques, en particulier celui de la définition de l'assiette, apparaissent toujours assez largement en friche.

(3) La proposition de votre commission des finances

Enfin, à l'initiative de la commission des finances du Sénat, une dernière piste est à l'étude. Aux termes du XIII de l'article 6 de la loi de finances pour 2010, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport « sur les modalités de mise en oeuvre d'une taxe ou prime d'assurance systémique à laquelle seraient assujettis les établissements financiers et selon une hypothèse de rendement constant des prélèvements sur le secteur financier ». Ce rapport devra, en principe, être remis le 30 juin 2010, au plus tard. Le rapport Lepetit répond déjà, en grande partie, aux interrogations de la commission : définition d'une taxe systémique et de ses assiettes possibles ; avantages et inconvénients au regard d'autres instruments de régulation ; modalités d'utilisation de son produit.

En revanche, le rapport Lepetit ne dit rien sur la possibilité de substituer une taxe sur les risques systémiques à la taxe sur les salaires, sans équivalent dans l'Union européenne, qui pèse principalement sur le secteur financier français . Votre commission des finances voit deux avantages à cette permutation. D'une part, elle permettrait de rendre un impôt « plus intelligent » en le faisant peser sur les activités les plus risquées et non sur la masse salariale. La pression fiscale augmenterait ainsi en fonction des risques pris et non avec le nombre d'embauches réalisées par l'établissement de crédit. D'autre part, en l'absence d'une croissance significative des risques, la charge fiscale serait maintenue à l'identique pour les banques de sorte que le financement de l'économie ne serait pas perturbé.

b) En Allemagne

L'Allemagne a annoncé son intention de créer une taxe spéciale sur les banques applicable à partir de septembre 2010 . Wolfgang Schaüble, ministre fédéral des finances, estime que « les banques devront prendre leurs responsabilités et contribuer à alimenter un fonds de stabilité destiné à faire face aux crises à venir ».

La contribution frappera les banques en fonction de leur degré d'exposition aux risques, de leur taille et de leur connexion à d'autres établissements . Son produit sera affecté à la SoFFin 10 ( * ) , l'Agence fédérale de stabilisation des marchés financiers, créée, à l'instar de la Société de financement de l'économie française (SFEF) et de la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE) en France, pour gérer les conséquences de la crise sur la sphère financière allemande.

Les fonds recueillis serviront au démantèlement ordonné d'une banque en situation de faillite . Là encore, l'objectif n'est pas de financer le sauvetage d'une banque mais de cantonner le risque systémique d'une faillite.

c) Aux Etats-Unis

Le 14 janvier 2010, en réaction aux bonus qualifiés d'« obscènes » versés par les établissements de Wall Street à leurs collaborateurs, le Président Obama a annoncé son intention de créer une « taxe de responsabilité sur la crise financière » dont le produit doit permettre de rembourser les pertes du programme de soutien aux banques.

Selon le Trésor américain, le programme fédéral de soutien aux banques, intitulé TARP ( Troubled Asset Relief Program ), connaîtra une perte nette de 117 milliards de dollars (pour 700 milliards de dollars engagés initialement et 364 milliards de dollars effectivement dépensés).

La « taxe de responsabilité » a pour but de récupérer l'intégralité de ces 117 milliards de dollars sur les douze prochaines années . A première vue, la taxe apparaît paradoxale puisque les pertes du programme TARP proviennent pour l'essentiel des plans de soutien à l'assureur AIG, aux spécialistes du crédit hypothécaire, Freddie Mac et Fannie Mae , et à l'industrie automobile.

L'administration américaine considère toutefois que la responsabilité principale de la crise incombe aux banques . Elles sont, surtout, redevenues solvables, comme l'atteste la distribution de bonus élevés .

En l'état actuel, le projet vise à imposer, au taux de 0,15 %, les dettes, hors capital Tier One et hors les fonds couverts par la garantie fédérale des dépôts ( Federal Deposit Insurance Corporation ). L'assiette exacte sera arrêtée ou, tout du moins, contrôlée par le régulateur bancaire.

Il convient de souligner que la taxe porte sur la partie du bilan qui comprend les instruments financiers les plus risqués. Dans un sens, elle pourrait s'apparenter à une « taxe systémique » . Le poids de la taxe sera d'autant plus lourd que la banque sera exposée à la dette. Les promoteurs de la réforme font ainsi valoir qu'elle incite les banques à revoir leurs pratiques en termes de gestion des risques et à diminuer le levier de leur bilan.

Environ cinquante établissements, dont quinze filiales de groupes étrangers, seraient concernés. Les fonds mutuels, les hedge funds , les spécialistes du crédit hypothécaire ainsi que les constructeurs automobiles seraient exonérés.

Le Congrès des Etats-Unis doit désormais concrétiser l'annonce du Président Obama, mais, à ce jour, il n'a pas inclus cette proposition dans la loi de régulation financière qu'il examine actuellement.

4. L'appréciation critique des banques centrales

Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, s'est déclaré défavorable à l'affectation de la taxe à un fonds de résolution des crises ou au budget de l'Etat. Il juge, en effet, que « si, dans son principe, l'idée semble plutôt séduisante [...] la valeur ajoutée d'une taxe par rapport à la réglementation prudentielle reste à démontrer. [...] Surtout, l'affectation de la taxe à un fonds de résolution des crises ou au budget général ne permet pas aux autorités publiques de supprimer » l'aléa moral. « Nous devons absolument éviter les situations dans lesquelles le paiement de taxes ou de prélèvements est considéré de facto comme une police d'assurance-renflouement » 11 ( * ) .

Il juge, de même que Jean-Claude Trichet, Président de la Banque centrale européenne, qu'une taxe sur les institutions financières n'est pas prioritaire au regard de l'objectif de renforcement des fonds propres .

II. L'INSTAURATION UNILATÉRALE D'UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES APPARAÎT DONC INOPPORTUNE

A. LA FRANCE NE SAURAIT AVOIR RAISON TOUTE SEULE

A plusieurs reprises, votre commission des finances a eu l'occasion d'exprimer son opposition à l'instauration unilatérale d'une taxe Tobin, dont la présente proposition de loi reprend l'idée .

En particulier, à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2002, lors de la lecture au Sénat, elle avait proposé de supprimer les dispositions instaurant l'article 235 ter ZD. L'Assemblée nationale avait alors souhaité adopter la taxe Tobin pour des raisons « symboliques ». Par son exemplarité, la France devait poser un premier jalon pour une adoption internationale concertée de la taxe Tobin.

Près de dix années plus tard, force est de constater qu'aucun autre pays n'a voté un dispositif similaire, même à titre conditionnel. Comme l'indiquait très justement notre collègue Jean-Jacques Jégou, lors des débats à l'Assemblée nationale, « nous savons qu'il ne sert à rien de délibérer tout seul ».

De surcroît, l'adoption de la présente proposition de loi serait très dommageable à l'attractivité de la place de Paris et pourrait conduire à la délocalisation d'une partie de ses activités.

En tout état de cause, la taxe Tobin ne peut être adoptée qu'à un niveau global sans quoi elle serait inapplicable . Sur le fond, son efficacité en tant qu'instrument de lutte contre la spéculation prête à débat .

C'est pourquoi, il semble préférable de lui substituer une taxe sur les transactions financières dont le taux serait infinitésimal et qui n'aurait pas vocation à influencer les marchés financiers . Elle permettrait alors de lever des fonds importants pour le financement des biens publics mondiaux.

Les buts poursuivis par la présente proposition de loi peuvent toutefois être atteints par d'autres moyens . En particulier, la taxation des institutions bancaires semble plus adéquate pour réguler et stabiliser le secteur financier. A ce titre, la commission des finances avait demandé un rapport étudiant la possibilité de remplacer la taxe sur les salaires par une taxe assise sur les éléments les plus risqués du bilan bancaire. La charge fiscale augmenterait ainsi en fonction des risques pris et non des embauches réalisées par l'établissement de crédit.

B. LES MESURES FISCALES DOIVENT RELEVER DÉSORMAIS DU DOMAINE EXCLUSIF DES LOIS DE FINANCES

En conformité avec les principes dégagés lors de la Conférence sur les déficits qui s'est tenue le 20 mai 2010, la commission des finances du Sénat a décidé d'appliquer la règle selon laquelle les questions fiscales doivent être examinées en loi de finances . Par là, elle ne fait qu'anticiper les futures dispositions constitutionnelles qui réserveront la matière fiscale aux seules lois de finances.

Il importe que le Parlement puisse toujours avoir une visibilité globale des engagements de l'Etat en termes de recettes et de dépenses. En effet, la fiscalité se prête, par nature, à la création de niches fiscales, que le Gouvernement et le Parlement entendent réduire drastiquement.

L'initiative parlementaire ne serait pas restreinte mais se verrait imposer une contrainte vertueuse sur le chemin du retour à l'équilibre de nos comptes publics .

* *

*

Votre rapporteur comprend certes la volonté qui anime les auteurs de la présente proposition de loi. Les transactions financières bénéficient pleinement des effets de la globalisation tout en échappant, en grande partie, à l'impôt. Dès lors, le secteur financier ne pourra demeurer éternellement un passager clandestin de la mondialisation et ne jamais participer au financement des charges communes.

Toutefois, pour les raisons invoquées précédemment, votre commission des finances ne peut que s'opposer à l'adoption unilatérale de la taxe Tobin et donc à l'objet de la présente proposition de loi . En effet, il convient de ne pas anticiper le résultat des réflexions et des négociations en cours dans les instances internationales, auxquelles notre pays participe activement aux côtés de ses principaux partenaires.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission n'est donc pas favorable à l'adoption de la présente proposition de loi. Cependant, elle a décidé de ne pas la rejeter, ni de la modifier afin que la discussion en séance publique porte sur le texte originel rédigé par ses auteurs, conformément aux dispositions de l'article 42 de la Constitution et de l'article 42-6 du Règlement du Sénat.

EXAMEN DES ARTICLES

ARTICLE 1ER - Modification des dispositions relatives à la taxe sur les transactions sur devises

Commentaire : cet article tend à modifier les dispositions de l'article 235 ter ZD du code général des impôts pour, d'une part, fixer les taux applicables à la taxe sur les transactions sur devises et, d'autre part, supprimer sa condition d'entrée en vigueur liée à l'adoption d'une taxe identique par tous les Etats membres de l'Union européenne.

I. LE DROIT EXISTANT

L'article 235 ter ZD du code général des impôts a été introduit par l'article 88 de la loi de finances pour 2002 créant ainsi une taxe sur les transactions sur devises.

Aux termes du I de cet article, « les transactions sur devises, au comptant ou à terme, sont soumises à une taxe assise sur leur montant brut ». Le même I précise les transactions qui en sont exonérées (acquisitions ou livraisons intra-communautaires, exportations ou importations effectives de biens et services, investissements directs, opérations de change effectuées par les personnes physiques) et les redevables de la taxe (établissements de crédit, entreprises d'investissement, Caisse des dépôts et consignations, etc., à l'exclusion de la Banque de France et du Trésor).

Le II dispose que la taxe est établie, liquidée et recouvrée « sous les mêmes garanties et sanctions » que le prélèvement sur les produits de placements à revenu fixe.

Le III établit que le taux de la taxe ne peut excéder 0,1 % du montant des transactions visées au I. Le taux définitif est fixé par un décret en Conseil d'Etat, qui, à ce jour, n'a toujours pas été publié, compte tenu de la condition prévue au IV .

Le IV dispose, en effet, que le décret mentionné ci-dessus « prend effet à la date à laquelle les Etats membres de la Communauté européenne auront dû achever l'intégration dans leur droit interne des mesures arrêtées par le Conseil prévoyant l'instauration, dans l'ensemble des Etats membres, d'une taxe sur les transactions sur devises et, au plus tôt, le 1 er janvier 2003 ».

La taxe sur les transactions sur devises est donc une taxe conditionnelle à un double titre . En premier lieu, son taux n'est pas fixé . En second lieu, une fois qu'il sera déterminé, il faudra encore attendre que les vingt-six autres Etats de l'Union européenne votent une taxe similaire .

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article tend à abroger la double conditionnalité existant actuellement.

Aux termes du du présent article, le taux de la taxe « est fixé à 0,05 % à compter du 1 er janvier 2011 » . Les dispositions de la proposition de loi introduisent également une innovation qui n'existe pas actuellement dans l'article 235 ter ZD puisque le taux de base peut être majoré dans deux cas .

Lorsque la transaction a lieu avec des « Etats classés par l'organisation de coopération et développement économiques dans la liste des pays s'étant engagés à mettre en place les normes fiscales de transparence et d'échange sans les avoir mises en place », le taux est majoré à 0,1 %.

Lorsque la transaction a lieu avec des « Etats classés par l'organisation de coopération et développement économiques dans la liste des pays ne s'étant pas engagés à mettre en place les normes fiscales de transparence et d'échange », le taux est majoré à 0,5 %.

Il s'agit, en l'espèce, de renchérir le coût des transactions sur devises ayant lieu avec des paradis fiscaux . L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s'est effectivement engagée dans un travail approfondi de lutte contre les paradis fiscaux et tient à jour une liste des Etats et territoires non coopératifs qui ne mettent pas en oeuvre la « norme fiscale internationale » établie par l'OCDE qui comporte « l'obligation d'échanger des renseignements sur demande dans tous les domaines relevant de la fiscalité en vue d'appliquer et de mettre en oeuvre la législation fiscale nationale ». Dans les faits, les juridictions ainsi identifiées sont invitées à signer des conventions d'assistance administrative avec les Etats membres de l'OCDE permettant d'assurer la transparence fiscale.

En fait, l'OCDE établit trois listes. La liste noire comprend les Etats dit non coopératifs qui n'ont pas signé de convention. La liste grise recense les Etats qui ont signé une convention sans la mettre en oeuvre. Enfin, la liste blanche répertorie les Etats qui ont signé une convention et l'ont effectivement mise en oeuvre.

La présente proposition de loi vise donc la liste grise (taux majoré à 0,1 %) et la liste noire (taux majoré à 0,5 %).

Le sixième alinéa du présent article dispose également que « le taux applicable est modifié en loi de finances à chaque publication des listes » par l'OCDE.

Enfin, aux termes du 2° du présent article, le IV de l'article 235 ter ZD du code général des impôts est abrogé . Les auteurs de la proposition de loi suppriment ainsi la seconde condition de l'entrée en vigueur de la taxe sur les transactions sur devises, à savoir son adoption concomitante par tous les Etats membres de l'Union européenne.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteur réitère le raisonnement tenu dans l'exposé général . Il est inopportun d'établir unilatéralement une telle taxe . Elle pourrait d'ailleurs se révéler contraire à nos engagements communautaires, en particulier le respect de la libre circulation des capitaux.

La fixation d'un taux différencié selon que les transactions mettent en jeu ou non un paradis fiscal n'apparaît guère plus opérante. En effet, il serait très simple de contourner cette contrainte dès lors que seule la France mettrait en place un tel dispositif.

Par ailleurs, la référence aux listes grise et noire de l'OCDE apparaît moins opportune depuis que la France a établi sa propre liste dans le cadre du renforcement de l'arsenal fiscal contre les paradis fiscaux introduit par l'article 22 de la loi de finances rectificative pour 2009 du 30 décembre 2009. Les sommes en provenance ou à destination de ces territoires subissent une fiscalité très sensiblement alourdie, qu'elle s'applique à des personnes physiques (revenu, patrimoine) ou morales.

Ce dispositif, très complet, répond donc aux attentes des auteurs de la proposition de loi et permet de sanctionner de manière non équivoque les paradis fiscaux . Il sera pleinement en vigueur à compter du 1 er janvier 2011 et il importe, d'ici là, de le laisser vivre. Votre commission des finances avait manifesté son intention, à l'occasion de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2009, de rester très attentive à l'application de cet article.

Décision de la commission : conformément à la décision de principe présentée dans l'exposé général, votre commission n'a pas supprimé ou modifié cet article afin que la discussion en séance publique porte sur le texte de la proposition de loi. Elle vous propose cependant de ne pas l'adopter.

ARTICLE 2 - Affectation du produit de la taxe sur les transactions sur devises

Commentaire : le présent article tend à affecter le produit de la taxe sur les transactions sur devises pour moitié à des activités non bancaires et non financières soutenant en priorité la création d'emplois, la recherche et l'innovation et pour moitié au fonds de réserve des retraites.

I. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le premier alinéa du présent article tend à affecter la moitié du produit de la taxe sur les transactions sur devises « aux établissements publics ou privés qui financent les investissements créateurs d'emplois des entreprises, leurs actions de recherche et d'innovation , ainsi que les domaines de leur activité présentant un intérêt national, et l'autre moitié au fonds de réserve des retraites ».

Le second alinéa précise toutefois que « l'affectation des sommes [...] ne peut être effectuée au profit des entreprises publiques ou privées dans lesquelles un établissement bancaire ou financier est actionnaire , sauf s'il ne dispose pas de minorité de blocage ».

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

En ce qui concerne l'affectation du produit de la taxe à des actions de recherche et d'innovation, le présent article n'est pas conforme aux dispositions de l'article 16 de la loi organique relative aux lois de finances qui prévoient que « certaines recettes peuvent être directement affectées à certaines dépenses. Ces affectations prennent la forme de budgets annexes, de comptes spéciaux ou de procédures comptables particulières au sein du budget général, d'un budget annexe ou d'un compte spécial ». Or seule une loi de finances peut mettre en oeuvre de telles procédures ou créer un budget annexe ou un compte spécial.

De surcroît, compte tenu de la position exprimée dans le commentaire de l'article 1 er , votre rapporteur est également défavorable au présent article .

Il n'est, par ailleurs, pas possible d'évaluer le produit de la taxe telle qu'elle résulte des dispositions de l'article 1 er de la présente proposition de loi.

Décision de la commission : conformément à la décision de principe présentée dans l'exposé général, votre commission n'a pas supprimé ou modifié cet article afin que la discussion en séance publique porte sur le texte de la proposition de loi. Elle vous propose cependant de ne pas l'adopter.

ARTICLE 3 - Gage

Le présent article prévoit de gager, par la traditionnelle majoration des droits sur les tabacs, les conséquences financières éventuelles de la proposition de loi pour le budget de l'Etat.

Décision de la commission : conformément à la décision de principe présentée dans l'exposé général, votre commission n'a pas supprimé ou modifié cet article afin que la discussion en séance publique porte sur le texte de la proposition de loi. Elle vous propose cependant de ne pas l'adopter.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 9 juin, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Charles Guené sur la proposition de loi n° 285 (2009-2010) relative à la taxation de certaines transactions financières.

M. Charles Guené , rapporteur . - Si je suis conduit à proposer le rejet du texte en séance publique, j'estime que cette proposition de loi arrive à point nommé pour donner au Sénat l'occasion de débattre de questions importantes qui sont à l'ordre du jour dans les instances internationales. Nombres d'initiatives ont en effet été prises dans le sens d'une taxation du secteur financier.

M. Collin, dans cette proposition de loi, entend rendre effective en droit français la taxe Tobin sur les transactions financières, et ce, afin de ne pas favoriser la spéculation. L'article 235 ter ZD du code général des impôts prévoit déjà une taxation des transactions sur devises, introduite par l'Assemblée nationale dans la loi de finances pour 2002. Mais deux conditions ont été posées qui la rendent inapplicable et essentiellement symbolique. Le taux plafond a été établi à 0,1%, un décret en Conseil d'Etat devant fixer, dans cette limite, le taux définitif. Le décret n'a jamais été publié, car l'entrée en vigueur était subordonnée à l'adoption d'une taxe similaire dans les autres pays de l'Union européenne. La proposition de loi lève ces deux conditions, en fixant des taux et en supprimant l'exigence de réciprocité. Elle s'éloigne de la vocation initiale de la taxe que le prix Nobel d'économie James Tobin formulait, en 1972, ainsi : « un peu de sable dans la mécanique bien huilée de la finance internationale ».

Aujourd'hui, le but est de limiter la spéculation financière : la taxe sur les transactions financières est-elle un instrument efficace pour y parvenir ? Elle renchérit les flux de court terme, mais toutes les opérations à court terme ne sont pas spéculatives. Nombre d'entre elles sont adossées à des opérations économiques réelles ! La secrétaire d'Etat au budget en 2001, Florence Parly, soulignait la légitimité de la couverture en devises pour les ventes à terme, couverture qui ressemble beaucoup aux ventes spéculatives. Certains économistes estiment même que la taxe Tobin pourrait accroître l'instabilité des marchés, en réduisant leur liquidité.

La proposition de loi de M. Collin rencontre deux écueils. La taxe doit être globale, sans quoi elle serait dommageable pour l'attractivité de la place de Paris. La définition de l'assiette, du reste, est difficile car l'imagination de l'ingénierie financière est sans limite.

La France soutient néanmoins le principe d'une taxe sur les transactions financières et le Parlement européen a voté une résolution le 10 mars 2010 en ce sens : mais la taxe, pour être opérationnelle, doit être créée au niveau international. Mme Lagarde nous a indiqué que la France participait au « Groupe pilote sur les financements innovants » qui comprend cinquante-neuf Etats, organisations internationales et ONG et qui étudie une telle taxe. Le projet français n'a pas pour objet de lutter contre la spéculation. Mme Lagarde et M. Kouchner, dans une tribune publiée par Le Monde , ont expliqué qu'il s'agissait de financer le développement sans perturber les marchés financiers. Le taux est dix fois moins élevé que celui prévu dans la proposition de loi.

Non que la France renonce à lutter contre la spéculation financière ! Elle plaide en faveur d'un renforcement des fonds propres des institutions financières, dans le sens voulu par le comité de Bâle, qui entend, avec « Bâle III », fixer un nouveau cadre prudentiel. Elle étudie la possibilité d'une taxe sur les banques, sur le modèle pollueur-payeur. Le produit d'une telle taxe pourrait alimenter un fonds de résolution, mobilisé pour démanteler en bon ordre les établissements en faillite afin d'éviter des conséquences systémiques, ou bien être affecté au budget général. Le FMI estime que la taxe doit être mondiale, l'Union européenne, européenne, et l'Allemagne, nationale. M. Barnier a présenté un projet pour l'Europe : des fonds de résolution nationaux, alimentés par une taxe nationale mais de même assiette et même taux dans tous les États membres. L'Allemagne, à partir de septembre, appliquera une taxe qui sera affectée à l'Agence fédérale de stabilisation des marchés financiers et le G 20 de Toronto, le 26 juin, doit étudier un nouveau rapport du FMI sur ce thème.

Notre pays a déjà mis en place une contribution pour frais de contrôle, en loi de finances pour 2010, afin de financer la supervision du secteur ; et une taxe exceptionnelle sur les bonus versés aux traders en 2009 - qui n'est naturellement pas un outil durable de stabilisation. La France soutient, d'une part, un projet de taxe dont le produit serait affecté au budget général, d'autre part, la mise en place d'outils de résolution. Le projet du Gouvernement est encore en préparation. La commission des finances a proposé une taxe sur les banques en substitution de la taxe sur les salaires, afin de prévenir les risques systémiques. Mieux vaut prévenir que guérir ! Les banques consentent un gros effort de recapitalisation. Nous devons veiller à ne pas alourdir leurs charges ni à perturber le financement de l'économie. Nous attendons le rapport du Gouvernement sur ce point pour le 30 juin. Je partage la préoccupation de M. Collin mais la proposition de loi ne saurait être votée par le Sénat, car elle n'atteint pas l'objectif qu'elle se fixe. Il ne faut pas pénaliser la place de Paris.

Le 23 juin, le débat en séance publique sera l'occasion de faire le point avec le Gouvernement sur ce sujet. Par ailleurs, la proposition de loi prévoit de porter le taux de la taxe sur les transactions sur devises à 0,1% pour les transactions avec les pays de la liste grise de l'OCDE et 0,5% avec les pays de la liste noire. Ce mécanisme n'apparaît toutefois pas nécessaire. L'article 22 de la loi de finances rectificative de décembre 2010 nous a en effet dotés d'un dispositif exhaustif de lutte contre les paradis fiscaux. Enfin, à la dernière Conférence des déficits, il a été décidé que les questions fiscales relèveront exclusivement des lois de finances. Avant même l'adoption de la loi constitutionnelle en ce sens, appliquons la règle en faveur de laquelle nous avons toujours milité.

Je suis donc défavorable à la proposition de loi mais je suggère à la commission de ni la rejeter ni la modifier. Nous discuterons ainsi en séance publique du texte rédigé par notre collègue. Je vous proposerai alors de rejeter chaque article l'un après l'autre.

M. Jean Arthuis , président . - Le 23 juin nous nous interrogerons sur les mécanismes susceptibles de freiner la spéculation et d'alimenter le budget de l'État - et indirectement celui de l'aide publique au développement.

M. François Fortassin . - Quand on ne peut plus distinguer les arguments des arguties, il y a un problème... Je comprends toutes les bonnes raisons techniques de ne pas adopter ce texte. Mais il faudrait avoir la volonté politique d'ouvrir une brèche !

M. Jean Arthuis , président . - Ce serait se tirer une balle dans le pied... Plusieurs milliers d'emplois seraient menacés.

M. François Fortassin . - Vous ne voulez pas trop d'impôts pour ne pas nuire à l'investissement ; mais nous avons des déficits à combler !

M. Jean Arthuis , président . - Une hausse de l'impôt n'accroît pas forcément les recettes. L'assiette, en l'occurrence, est très volatile et se déplace à la vitesse de la lumière. La numérisation a changé la donne. Et voyez certains footballeurs, fiscalement domiciliés hors de France.

M. François Fortassin . - Il n'y a qu'à leur interdire de porter le maillot de l'équipe de France.

M. Jean-Jacques Jégou . - Je partage l'état d'esprit du rapporteur. Il ne faut pas créer une taxe hors des lois de finances. Je ne verserai pas de larmes sur le sort des banquiers. Reconnaissons cependant qu'ils exercent une profession, certes peu appréciée de nos concitoyens, mais indispensable à l'économie. Si nous voulons leur appliquer une nouvelle taxe, le plus simple est d'en discuter avec eux : préfèrent-ils une taxe sur les salaires ? Un assujettissement à la TVA ? Pour la moralisation, pour la prévention des crises, Bâle II impose un doublement des fonds propres. Cela pose des problèmes aux établissements. Et l'Union européenne va leur demander une participation et des réserves... Faisons le point avec les banquiers.

M. Charles Guené , rapporteur . - Il y a trois jours, en Corée du Sud, les Canadiens et les pays asiatiques ont souligné que nos problèmes leur étaient totalement étrangers et que leurs banques allaient bien. Il faut faire attention aux règles supplémentaires - je songe à Bâle III - demandées par les Américains parce qu'ils se sont réveillés tardivement. Leur économie, en outre, repose aux trois quarts sur les financements par les marchés, pour un quart seulement sur les circuits bancaires : soit le contraire de ce qui se passe chez nous. Mieux vaut renforcer la supervision que les règles.

M. Jean Arthuis , président . - Le « G24 », composé de douze députés et douze sénateurs, a rencontré le président de la Fédération Bancaire Française. Celui-ci a évoqué un corps de règles pesantes et il s'est inquiété des nouvelles règles. Mais je pense, comme le gouverneur de la Banque de France, qu'un renforcement des fonds propres est toujours une bonne chose.

Au mois de septembre nous aurons à débattre d'un projet de loi de régulation bancaire et financière. Nous avons demandé un rapport au Gouvernement, qui nous sera remis avant le 30 juin, sur la suppression de la taxe sur les salaires, laquelle accélère les délocalisations vers la Grande-Bretagne ou ailleurs. Elle serait remplacée par une taxe sur le secteur : puisque l'assurance du risque systémique, on l'a vu récemment aux Etats-Unis avec AIG, est à la charge de l'État, cela justifie une prime, fonction de l'ampleur des risques. La suppression de la taxe sur les salaires dans le secteur de la santé signifierait un gain pour la Sécurité sociale et réduirait le coût administratif. Il n'y aurait pas de perte pour l'État, au contraire. Quant au monde associatif, il reçoit essentiellement des subventions. Bref, la suppression de cette taxe n'aurait pas de répercussions dommageables.

Enfin, j'y insiste : n'attendons pas pour appliquer la règle que nous appelons de nos voeux : la création d'une taxe ne doit intervenir qu'en loi de finances.

M. François Marc . - La proposition de loi de M. Collin est méritoire. Elle vient à point. Faut-il, alors que l'anxiété et l'angoisse dominent les esprits, attendre une loi de finances dans six mois ? Pourquoi s'interdire d'adresser à nos concitoyens les signaux nécessaires ? Sur le fond, il est difficile d'aller seul à la bataille, j'en conviens. Mais l'Allemagne a pris seule l'initiative d'interdire les ventes à découvert. Mme Lagarde a critiqué cette démarche isolée, mais, trois semaines plus tard, notre pays s'y est rallié, puisque l'on apprend que « Paris et Berlin pressent la Commission européenne d'interdire les ventes à découvert ». Discutons de la rédaction de cette proposition de loi, pour réduire les taux, pour définir la destination des fonds. Amendons le texte.

En Suède, la prostitution n'est pas taxée, ce sont les clients qui le sont, et très lourdement. Mais il ne suffit pas de taxer les spéculateurs, les banques, pour mettre fin à la spéculation. Ne pas agir sur les flux, mais sur les banques suffira-t-il pour assainir la spéculation ? Adopter la proposition de loi ne nuirait pas à l'image du Sénat, contrairement à ce que certains pensent.

M. Roland du Luart . - M. Collin est visionnaire... Florence Parly, il y dix ans, estimait que l'idée de taxe Tobin n'était pas réaliste si elle n'était pas appliquée au niveau mondial. Il faut donc commencer par faire évoluer la position européenne - et ne pas fragiliser la place de Paris. Quant à doubler d'un coup les fonds propres, cela ne serait pas raisonnable, le crédit se contracterait encore plus.

M. Jean Arthuis , président . - Mais en payant moins de bonus, les banques pourraient affecter leurs résultats au renforcement des fonds propres et au financement de l'économie.

M. Joël Bourdin . - Je ne peux m'associer à cette proposition, car il ne me semble pas logique de créer ainsi une taxe dans une proposition de loi. A chaque discussion, dans l'hémicycle, nous créons une taxe ! J'en ai vu passer deux nouvelles dans la loi de modernisation de l'agriculture !

M. Jean Arthuis , président . - Le gouverneur de la Banque de France nous a dit hier que l'interdiction envisagée par l'Allemagne et la France serait sans effet sur la spéculation car les opérations peuvent se dénouer à l'étranger. Le signal fort est plutôt la signature d'un même document par le président de la République et la chancelière allemande, non comme en 2001 le vote d'un texte inapplicable, qui ne pourrait être opérationnel que si le monde entier faisait de même.

M. François Marc . - C'était l'abondance alors, aujourd'hui c'est la crise.

M. Charles Guené , rapporteur . - Cette loi mérite un débat, mais d'autres discussions sont en cours au niveau international, nous ne pouvons aller plus loin. Je vous rappelle qu'à l'époque, Mme Bricq avait dénoncé un texte inapplicable et inefficace.

La commission a décidé de ne pas adopter de texte afin que la discussion en séance publique porte sur le texte de la proposition de loi. Elle a également décidé de demander au Sénat de ne pas adopter les articles de la proposition de loi et de rejeter celle-ci.

* 1 Robert Mundell, The Monetary Dynamics of International Adjustement under Fixed and Flexible Exchange Rates , Quarterly Journal of Economics, vol. 74, 1960.

* 2 Olivier Storch, « La taxe Tobin, revue de la pensée magique », note n° 4, Fondation Robert Schuman, 2002.

* 3 Loi de finances pour 2002, compte-rendu intégral de l'Assemblée nationale, 3 e séance du 19 novembre 2001.

* 4 Olivier Storch, ibid.

* 5 Jean-Pierre Landau, « Institutions et marchés financiers : quelles responsabilités ? », in Crise mondiale et marchés financiers, Les Cahiers français, n° 289, avril 1999, La Documentation française.

* 6 L'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Brésil, le Chili, l'Espagne, la France, le Japon, la Norvège, le Royaume-Uni et le Sénégal.

* 7 Cf. compte-rendu de l'audition de Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, le 26 mai 2010, par la commission des finances et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

* 8 Journal officiel du 1 er mars 1999.

* 9 Communication de la Commission COM (2010) 254 du 26 mai 2010.

* 10 Sonderfonds Finanzmarktstabilisierung

* 11 Cf. également l'audition de Christian Noyer par la commission des finances le 8 juin 2010.

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