EXAMEN DES ARTICLES
TITRE IER
RENFORCER LA SUPERVISION DES ACTEURS ET DES MARCHÉS FINANCIERS

CHAPITRE IER

CRÉATION D'UN CONSEIL DE RÉGULATION FINANCIÈRE ET DU RISQUE SYSTÉMIQUE

ARTICLE 1er
(Art. L. 631-2, L. 631-2-1 [nouveau] et L. 631-2-2 [nouveau] du code monétaire et financier)

Création d'un conseil de régulation financière et du risque systémique

Commentaire : le présent article propose de créer le conseil de régulation financière et du risque systémique qui remplacerait l'actuel collège des autorités de contrôle des entreprises du secteur financier (CACES). Le nouvel organe aura pour vocation de conseiller le ministre de l'économie en matière de prévention et de gestion du risque systémique dans le secteur financier.

I. UN CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LA NÉCESSITÉ DE SUPERVISER PLUS EFFICACEMENT LE RISQUE SYSTÉMIQUE

A. LA RÉGULATION FINANCIÈRE N'A PAS INTÉGRÉ, JUSQU'À PRÉSENT, DE COMPOSANTE MACROPRUDENTIELLE

Le « rapport Larosière » 40 ( * ) , publié le 25 février 2009, a mis clairement en évidence le fait que la surveillance du système financier s'est trop longtemps contentée d'une supervision individuelle des établissements sans prendre en compte le fait que « le système dans son ensemble puisse être exposé à des risques communs ». Or la faillite de Lehman Brothers , en septembre 2008, a cruellement rappelé aux acteurs économiques qu'ils entretiennent un réseau étroit de relations et d'interdépendance et qu'ils sont donc exposés, à des degrés divers, au risque systémique 41 ( * ) .

En conséquence, il est désormais jugé nécessaire de bâtir la nouvelle régulation financière sur deux piliers : la surveillance microprudentielle d'une part et la surveillance macroprudentielle d'autre part.

Comme le rappelle le rapport Larosière, tandis que la principale finalité de la surveillance microprudentielle est de contrôler « la situation d'un établissement financier donné et de limiter ses difficultés [...] . L'objectif de la surveillance macroprudentielle est de limiter les difficultés du système financier dans son ensemble afin de protéger l'économie générale des pertes importantes en termes de produit réel. [...] L'analyse macroprudentielle doit accorder une attention particulière aux chocs communs ou corrélés et aux chocs touchant les parties du système financier déclenchant des effets contagieux par entraînement ou par rétroaction ».

La Banque de France 42 ( * ) estime toutefois que « les deux approches restent complémentaires et ne peuvent être envisagées séparément » puisqu'elles ont vocation à interagir. De même, le « rapport Lepetit » 43 ( * ) sur le risque systémique, publié en avril 2010, rappelle que « les approches micro et macro-économique de la supervision procèdent de logiques, de méthodes, d'outils de supervision différents ». Ainsi, « la supervision macroprudentielle du risque systémique procède d'une logique top-down et s'intéresse aux externalités négatives générées par l'agrégation des comportements individuels , dans et hors du champ de la régulation microprudentielle, dans un contexte macroéconomique donné . La supervision systémique ne cherche donc pas à infléchir directement les comportements individuels des institutions financières mais à infléchir les règles du jeu qui permettent le développement de ces comportements individuels ».

B. LA SURVEILLANCE MACROPRUDENTIELLE FAIT DÉSORMAIS PARTIE INTÉGRANTE DES RÉFORMES DE LA RÉGULATION FINANCIÈRE

1. L'Union européenne s'apprête à installer un Comité européen du risque systémique

A la suite de la publication du rapport Larosière, la Commission européenne a formalisé, en septembre 2009, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil « relatif à la surveillance macroprudentielle du système financier dans l'Union européenne et instituant un Comité européen du risque systémique », le CERS 44 ( * ) . Celui-ci est adossé à la Banque centrale européenne (BCE) qui assure son secrétariat, conformément aux préconisations du rapport Larosière 45 ( * ) . Il comprend le président et un vice président de la BCE, les gouverneurs des banques centrales nationales, un membre de la Commission européenne, les présidents des trois futures autorités européennes de régulation (sur les marchés financiers, les banques et les assurances). Un membre des autorités nationales de surveillance ainsi que le président du Comité économique et financier seront observateurs. Pour chaque Etat membre, un représentant des autorités nationales de surveillance compétentes pourra siéger au CERS sans disposer d'un droit de vote.

Dans l'esprit de ses promoteurs initiaux, le CERS n'a pas de pouvoirs contraignants . Il agit plutôt comme un organe d'influence et de réputation. Ainsi, le rapport Larosière estime que « sa mission sera de former des jugements et de faire des recommandations sur la politique macroprudentielle, d'émettre des avertissements sur les risques, de comparer les observations sur les évolutions macroéconomiques et prudentielles et de donner des orientations sur ces questions. »

Il est ainsi chargé de recueillir et d'analyser les informations pertinentes, de classer les risques systémiques par degré de priorité, d'émettre des alertes lorsque ces risques systémiques sont jugés importants et, éventuellement, de formuler des recommandations concernant les mesures correctives à prendre pour faire face aux risques identifiés, voire d'émettre une alerte, éventuellement confidentielle, à l'adresse du Conseil lorsqu'il estime qu'il existe une situation d'urgence.

A l'issue du récent compromis entre le Parlement européen et le Conseil, le président de la BCE sera le président du CERS durant les cinq premières années. Une clause de révision est prévue dans trois ans afin d'étudier l'évolution du dispositif. Ce point a été âprement discuté car le Royaume-Uni qui ne fait pas partie de la zone euro, s'opposait à une présidence par le président de la BCE.

Si le Parlement européen n'a pas obtenu de se voir transmettre toutes les alertes du CERS, dont certaines ne seront pas publiées, le président et les vice-présidents de la Commission des affaires économiques seront informés des réunions confidentielles.

2. La réforme de la régulation financière américaine comprend la mise en place d'un Conseil de supervision de la stabilité financière

Le Conseil de supervision de la stabilité financière ( Financial Stability Oversight Council - FSOC ) a été créé par le Wall Street Reform and Consumer Protection Act of 2010 récemment adopté par le Congrès américain. Il est présidé par le Secrétaire au Trésor et comprend les représentants des différentes autorités de régulation. Il se réunit au moins une fois par trimestre.

Il a pour mission d'identifier les risques pesant sur la stabilité financière des Etats-Unis et de répondre aux situations d'urgence qui la menaceraient. Globalement, la définition de ses missions recouvre celles du CERS.

Toutefois, le Conseil est également doté du pouvoir d'imposer qu'une compagnie financière, nationale ou étrangère, relève de la supervision de la Réserve fédérale (Fed) , la banque centrale américaine, et soit ainsi soumise aux règles prudentielles en vigueur pour les entreprises bancaires qu'elle supervise habituellement.

Il peut aussi décider la faillite ordonnée d'un établissement qui est ensuite conduite par la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) , l'Agence fédérale de garantie des dépôts.

II. LE MANDAT DU COLLÈGE DES AUTORITÉS DE CONTRÔLE DES ENTREPRISES DU SECTEUR FINANCIER EST TROP LIMITÉ POUR LUI PERMETTRE D'ASSURER UN SUIVI EFFICACE DES RISQUES SYSTÉMIQUES

Le présent article crée un Conseil de régulation financière et du risque systémique (COREFRIS) et traduit ainsi les préconisations du rapport Larosière en droit national sur la mise en oeuvre d'une régulation macroprudentielle .

Il existe aujourd'hui un collège des autorités de contrôle des entreprises du secteur financier (le CACES). Sous la présidence du ministre de l'économie, il a vocation à améliorer les échanges d'informations entre ses membres, c'est-à-dire le gouverneur de la Banque de France, président de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ou leurs représentants, sur « les groupes financiers ayant à la fois des activités de crédit, d'investissement ou d'assurance ainsi que d'évoquer toute question d'intérêt commun relative à la coordination du contrôle desdits groupes ».

Créé par l'article 60 de la loi n° 99-532 du 25 juin 1999 relative à l'épargne et à la sécurité financière, aujourd'hui codifié à l'article L. 631-2 du code monétaire et financier, le CACES avait initialement une perspective transsectorielle mais limitée aux seuls conglomérats financiers, c'est-à-dire aux institutions jugées, a priori , systémiques selon l'axiome « too big to fail ». Or les événements récents ont montré que l'étude du risque systémique doit englober une perspective plus large, qui ne soit pas uniquement liée à la taille des acteurs du secteur financier.

Par ailleurs, les dispositions du code monétaire et financier relatives à la surveillance des conglomérats financiers 46 ( * ) , y compris les groupes transeuropéens, contribuent à rendre le CACES assez largement inutile.

Le CACES a d'ores et déjà une activité très réduite, voire inexistante. Dans son rapport public annuel pour 2009, la Cour des comptes note que « le CACES n'a pas connu une activité très soutenue ces dernières années, même s'il a eu à connaître des premiers exercices de gestion de crise en 2007 et 2008 ». Il a pourtant une obligation légale de se réunir trois fois par an.

De fait, il a perdu une partie de sa raison d'être depuis la rationalisation des autorités de régulation dont le nombre a été drastiquement diminué depuis 1999 47 ( * ) . Les membres du CACES se réunissent donc essentiellement sur une base bilatérale.

Dès lors, la finalité du CACES doit être revue en profondeur. C'est l'objet du présent article qui, sous l'apparence d'un changement de dénomination, propose, en réalité, un accroissement des missions du CACES plutôt que sa suppression pure et simple.

III. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : LE COREFRIS SE SUBSTITUE AU CACES AVEC DES MISSIONS ÉLARGIES

La section 2 du chapitre 1 er du titre III du livre VI du code monétaire et financier comprend un article unique L. 631-2 qui régit l'organisation, la composition et les missions du CACES.

Cette section et cet article sont entièrement réécrits par les alinéas 1 à 4 du présent article et s'intitule désormais « Conseil de régulation financière et du risque systémique ». Celui-ci est composé du gouverneur de la Banque de France, président de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), assisté du vice-président de cette autorité spécialiste du secteur des assurances, du président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et du président de l'Autorité des normes comptables (ANC) ou de leurs représentants . Le Conseil est présidé par le ministre chargé de l'économie ou son représentant .

Le Conseil se réunit « au minimum » deux fois par an et « en tant que de besoin » .

Les alinéas 5 à 8 du présent article introduisent un nouvel article L. 631-2-1 qui définit les compétences du COREFRIS :

- il veille à la coopération et à l'échange d'informations entre les institutions que ses membres représentent ;

- il examine les analyses de la situation du secteur et des marchés financiers et il évalue les risques systémiques qu'ils comportent, compte tenu des avis du comité européen des risques systémiques ;

- il facilite la coopération et la synthèse des travaux d'élaboration des normes internationales et européennes applicables au secteur financier et peut émettre tout avis ou position qu'il estime nécessaire.

Les alinéas 9 et 10 créent un nouvel article L. 631-2-2 qui dispose que le COREFRIS peut, dans l'accomplissement de ses missions, « entendre des représentants des établissements de crédit, des entreprises d'investissement, des entreprises d'assurance, des mutuelles et des institutions de prévoyance ».

Il prévoit également la remise d'un rapport annuel au Parlement .

IV. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, la commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté deux amendements rédactionnels et a supprimé le II de l'article qui disposait que les mots « collège des autorités de contrôle des entreprises du secteur financier » étaient remplacés par « conseil de régulation financière et du risque systémique » dans tous les « textes législatifs et réglementaires en vigueur ». Cette disposition est apparue sans utilité puisque seul l'article L. 631-2, réécrit par le présent article, mentionnait le CACES.

En séance publique, à l'initiative du rapporteur, l'Assemblée nationale a adopté deux amendements, ayant reçu un avis favorable du Gouvernement, tendant à renforcer l'information du Parlement sur les risques systémiques . Ainsi, les présidents et rapporteurs généraux des deux commissions des finances siègent au COREFRIS ( deuxième phrase de l'alinéa 4 ). De même, celui-ci remet annuellement un rapport d'activité au Parlement ( alinéa 10 ).

V. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

A l'occasion de son rapport sur la crise financière et la régulation des marchés 48 ( * ) , votre rapporteur notait déjà que « si les objectifs de détection et de prévention du risque systémique sont relativement consensuels, des incertitudes et difficultés surgissent inévitablement sur le terrain méthodologique ». Le rapport Lepetit considère également que « le contenu de la supervision systémique reste trop imprécis ». Les dispositions du présent article n'échappent pas à la critique. S'il faut se réjouir de la création du COREFRIS, nul ne sait véritablement quels seront ses outils et sa méthodologie .

De fait, tout ou presque reste à inventer en matière de prévention et de gestion du risque systémique , même si de nombreux travaux académiques ont été publiés depuis 2008. Le Conseil de stabilité financière au niveau international, le futur Comité européen du risque systémique, les autorités nationales seront confrontés à la nécessité d'élaborer un corpus théorique, notamment la définition du « risque systémique », et, in fine , de créer leur nouveau métier.

Dès lors, il semble indispensable que le COREFRIS soit doté d'une structure légère d'expertise ou, à tout le moins, qu'il puisse solliciter les compétences des agents de l'ACP et de l'AMF. En effet, celui-ci ne peut se contenter, comme le CACES auparavant, d'être un simple lieu de dialogue et d'échanges, au risque de devenir une coquille vide ou purement formelle. D'après les informations transmises par la Gouvernement à votre rapporteur, la direction générale du Trésor, en lien avec la Banque de France et l'AMF, devrait effectuer un travail de coordination interne et de secrétariat.

Votre rapporteur se félicite par ailleurs que la France ait fait le choix d'un organe souple qui ne dispose pas de pouvoirs propres. Il revient en effet aux autorités microprudentielles, investies de véritables prérogatives, de tirer les conséquences concrètes, notamment auprès d'acteurs financiers identifiés, des avis et recommandations du COREFRIS. Elles disposent pour ce faire d'un arsenal étendu de mesures qui est, par ailleurs, renforcé par le présent projet de loi. Une délimitation fonctionnelle claire est ainsi établie entre les différentes instances et constitue un élément important pour la bonne coopération de tous les acteurs.

Votre commission a adopté un amendement afin que trois personnalités qualifiées indépendantes, notamment universitaires, choisies en raison de leurs compétences dans les domaines monétaire, financier ou économique, siègent au sein du Conseil . En effet, une telle structure d'analyse doit se nourrir d'une diversité de points de vue. Les personnalités qualifiées seront nommées par le ministre de l'économie pour une durée de cinq ans.

Par ailleurs, votre commission a supprimé la présence des parlementaires au sein du COREFRIS. Celui-ci a en effet une compétence de coordination des positions de la France dans les différentes instances économiques et financières internationales (Comité de Bâle, Conseil de stabilité financière, Fonds monétaire international, etc.). Or la compétence diplomatique relève du domaine du pouvoir exécutif . Au regard du principe de la séparation des pouvoirs, il n'est pas apparu souhaitable que des parlementaires siègent au COREFRIS.

Il semble également nécessaire de préciser que le rapport remis au Parlement est un rapport public afin qu'il soit largement diffusé, à l'image du rapport « Cartographie des risques et tendances sur les marchés financiers et pour l'épargne », publié depuis quatre ans par l'AMF. Votre commission a adopté un amendement en ce sens .

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi rédigé.


* 40 Rapport du groupe de haut niveau sur la supervision financière dans l'Union européenne, présidé par Jacques de Larosière et remis à la Commission européenne le 25 février 2009.

* 41 Le rapport de Jean-François Lepetit sur le risque systémique ( cf. infra ) définit le risque systémique comme « un risque de dégradation brutale de la stabilité financière, provoqué par une rupture dans le fonctionnement des services financiers et répercuté sur l'économie réelle ».

* 42 Banque de France, « De la crise financière à la crise économique » , Documents et débats, n° 3, janvier 2010.

* 43 Rapport de Jean-François Lepetit sur le risque systémique remis à Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, en avril 2010.

* 44 Cette proposition de règlement fait partie du « paquet supervision » élaboré par la Commission européen et comprenant, outre la présent proposition, trois propositions de règlement instaurant respectivement une Autorité européenne des marchés financiers, une Autorité bancaire européenne, une Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, appelées à fonctionner à partir de 2011 et disposant de la personnalité morale.

* 45 Une proposition, partie intégrante du « paquet supervision », de décision du Conseil confiant à la BCE des missions spécifiques relatives au fonctionnement du CERS est ainsi en cours d'examen.

* 46 Art. L. 633-1 à L. 633-15 du code monétaire et financier.

* 47 L'AMF est née de la fusion, en 2003, de la Commission des opérations de bourse et du Conseil des marchés financiers. La fusion de la Commission bancaire et de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) a donné naissance, depuis janvier 2010, à l'ACP.

* 48 Philippe Marini, « 57 propositions pour un nouvel ordre financier mondial » , rapport d'information n° 59 (2009-2010).

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