ARTICLE 2 quinquies A (nouveau)
(Art. L. 621-14-1 [nouveau] du code monétaire et financier)

Création d'un pouvoir de transaction de l'Autorité des marchés financiers

Commentaire : le présent article additionnel, adopté à l'initiative de votre rapporteur, propose d'introduire une procédure de « composition administrative » dans l'arsenal répressif de l'Autorité des marchés financiers. La transaction, à laquelle les abus de marché ne seraient pas éligibles, serait proposée par le collège et homologuée par la commission des sanctions.

I. LA PROCÉDURE DE TRANSACTION N'EST PAS UNE NOUVEAUTÉ

La création d'un pouvoir de transaction au profit de l'Autorité des marchés financiers (AMF), évoquée peu après la mise en place de l'Autorité en 2003 et défendue par votre rapporteur dès 2004 80 ( * ) , présente un certain nombre d'avantages sans pour autant compromettre la sécurité des marchés et des investisseurs. Des travaux académiques 81 ( * ) et ministériels avaient d'ailleurs été engagés en 2004 et 2005, notamment par le ministère de l'économie, le ministère de la justice et l'AMF, sans toutefois qu'un texte consensuel ait pu être rédigé.

A. LES MÉCANISMES TRANSACTIONNELS EN DROIT FRANÇAIS DE LA CONCURRENCE

Indépendamment des mécanismes alternatifs de règlement des conflits en droit civil, parmi lesquels figure la transaction extra-juridictionnelle régie par les articles 2044 à 2058 du code civil, cette procédure n'est pas nouvelle et divers mécanismes transactionnels sont appliqués dans un domaine aussi important que la régulation de la concurrence .

L'article 5 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, reconnaît en effet aux autorités nationales de la concurrence le pouvoir d'ordonner la cessation d'une infraction, d'ordonner des mesures provisoires, d'accepter des engagements et d'infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.

Ces mécanismes se déclinent en quatre procédures :

- la procédure d'engagements , par laquelle les entreprises proposent elles-mêmes à l'Autorité de la concurrence des solutions avant que ne s'ouvre la procédure contentieuse. Ces propositions sont soumises à un « test de marché » puis examinées par le collège, qui peut les accepter et clore le dossier si elles sont jugés crédibles, vérifiables et adaptées. Sept procédures ont ainsi été mises en oeuvre en 2008 et trois en 2009 ;

- la non-contestation des griefs (III de l'article L. 464-2 du code de commerce), sorte de « plaider coupable » assimilé à une transaction . Le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié, mais lorsque l'entreprise s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir, l'Autorité de la concurrence peut en tenir compte et prévoir un taux de réfaction plus élevé. Six procédures ont été engagées en 2008 comme en 2009 ;

- la transaction proposée par le ministre chargé de l'économie et non par l'Autorité de la concurrence (article L. 464-9 du même code), le cas échéant à la suite d'une injonction. Cette procédure est exposée infra ;

- et le « programme de clémence » (IV de l'article L. 464-2), qui permet de détecter plus aisément les cartels, par nature occultes. Dix-huit demandes de clémence ont été déposées en 2008 et cinq en 2009.

Introduite dès la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 pour compléter l'arsenal répressif du Conseil de la concurrence, la transaction a été rénovée par l'ordonnance du 13 novembre 2008 82 ( * ) , prise en application de l'article 97 de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 et qui a notamment complété le régime de la nouvelle Autorité de la concurrence.

Le régime de la transaction est ainsi fixé par l'article L. 464-9 du code de commerce. Cette procédure est strictement encadrée puisqu'elle est réservée à des infractions relativement mineures (pratiques anti-concurrentielles sur un marché de dimension locale et essentiellement commises par des PME), ne peut être appliquée en cas d'entente ou d'abus de position dominante, et est proposée par le ministre chargé de l'économie. Le montant de la transaction est également plafonné à 75 000 euros ou 5 % du dernier chiffre d'affaires connu de l'entreprise en France si cette valeur est plus faible.

La procédure de transaction en matière de droit de la concurrence aux termes de l'article L. 464-9 du code de commerce

« Le ministre chargé de l'économie peut enjoindre aux entreprises de mettre un terme aux pratiques visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 dont elles sont les auteurs lorsque ces pratiques affectent un marché de dimension locale, ne concernent pas des faits relevant des articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne et sous réserve que le chiffre d'affaires que chacune d'entre elles a réalisé en France lors du dernier exercice clos ne dépasse pas 50 millions d'euros et que leurs chiffres d'affaires cumulés ne dépassent pas 100 millions d'euros.

« Le ministre chargé de l'économie peut également , dans les mêmes conditions, leur proposer de transiger . Le montant de la transaction ne peut excéder 75 000 € ou 5 % du dernier chiffre d'affaires connu en France si cette valeur est plus faible . Les modalités de la transaction sont fixées par décret en Conseil d'Etat. L'exécution dans les délais impartis des obligations résultant de l'injonction et de l'acceptation de la transaction éteint toute action devant l'Autorité de la concurrence pour les mêmes faits. Le ministre chargé de l'économie informe l'Autorité de la concurrence des transactions conclues.

« Il ne peut proposer de transaction ni imposer d'injonction lorsque les mêmes faits ont, au préalable, fait l'objet d'une saisine de l'Autorité de la concurrence par une entreprise ou un organisme visé au deuxième alinéa de l'article L. 462-1.

« En cas de refus de transiger, le ministre chargé de l'économie saisit l'Autorité de la concurrence . Il saisit également l'Autorité de la concurrence en cas d'inexécution des injonctions prévues au premier alinéa ou des obligations résultant de l'acceptation de la transaction.

« Les sommes issues de la transaction sont versées au Trésor public et recouvrées comme les créances étrangères à l'impôt et au domaine » .

B. LE RECOURS FRÉQUENT DE LA SEC À LA TRANSACTION

Il convient enfin de rappeler que la transaction est une procédure habituelle en droit boursier américain , mise en oeuvre par la Securities and Exchange Commission (SEC). Elle contribue à régler la grande majorité des contentieux, tel celui relatif à l'« affaire Abacus » au premier semestre de 2010, pour lequel la banque Goldman Sachs a acquitté une somme de 550 millions de dollars. Outre les avantages pratiques et juridiques pour les deux parties, la transaction permet à la SEC d'accroître son efficacité et son rendement dans le traitement des affaires.

La transaction (« settlement ») peut être conclue à tout moment , donc le cas échéant durant la procédure judiciaire ou administrative, mais intervient généralement au terme de l'enquête et avant soumission de l'affaire au Conseil de la SEC. Elle peut également être totale ou partielle et porter sur la nature des griefs (en particulier lorsqu'est invoqué celui de fraude), le montant et la nature de la sanction, et sur la formulation des griefs comme du communiqué de presse final. La décision de transiger appartient aux cinq commissaires de la SEC.

La transaction éteint les éventuelles poursuites en cours mais doit être homologuée par un juge fédéral lorsque les poursuites sont de nature civile. Ce dernier doit alors vérifier que la transaction satisfait l'intérêt public et qu'elle est équitable.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR VOTRE COMMISSION DES FINANCES

L'instauration d'un pouvoir de transaction, sous forme de « composition administrative », au sein de l'AMF se veut un outil de renforcement de l'efficacité du régulateur . Elle permettrait de sortir du champ de la procédure de sanction un certain nombre de dossiers qui la ralentissent indûment, surtout lorsque la nature des faits et la gravité des manquements ne sont pas de nature à justifier une procédure aussi lourde. Il apparaît ainsi préférable que l'AMF concentre ses moyens sur les affaires les plus importantes, les plus complexes et qui portent une atteinte sérieuse à l'ordre public financier, qui doivent être traitées aussi rapidement que possible compte tenu des enjeux de la place.

La transaction ne favorise pas l'impunité, mais procède du constat pragmatique que, dans un environnement où les règles abondent, certains manquements peuvent relever de l'erreur ou de l'omission ou ne pas porter une atteinte grave à l'intégrité des marchés et à la protection des investisseurs. Les trois abus de marché (opération d'initiés, diffusion de fausses informations et manipulation de cours) sont donc naturellement exclus du périmètre de la transaction . Cette procédure a ainsi vocation à s'appliquer aux manquements des intermédiaires financiers à leurs obligations professionnelles ne présentant pas un caractère de particulière gravité.

Le dispositif ici proposé, introduit dans une nouvelle sous-section 4 bis constituée d'un unique article L. 621-14-1 du code monétaire et financier, respecte pleinement l'organisation et la structure de l'AMF . Il prévoit que le collège de l'AMF puisse notifier des griefs à une personne mise en cause et parallèlement lui proposer d'entrer dans la voie d'une composition administrative. Cette proposition suspend alors le délai de prescription de trois ans prévu par le deuxième alinéa de l'article L. 621-15 du même code.

La personne mise en cause peut alors s'engager à verser une somme dont le montant maximum est équivalent à celui de la sanction pécuniaire encourue . Comme cela est en pratique le cas dans une procédure de sanction, la fixation du montant de la transaction pourrait tenir compte de la réparation totale ou partielle, par la personne mise en cause, des éventuels préjudices subis par les investisseurs. Cette somme est intégralement versée au Trésor public .

L'accord de transaction est soumis au collège , puis s'il est validé par celui-ci, à la commission des sanctions qui peut décider de l'homologuer . Cet accord homologué est en outre rendu public . L'homologation par la commission des sanctions, entité indépendante au sein de l'AMF, permet d'« officialiser » la transaction et de renforcer sa crédibilité. En revanche, elle n'est pas confiée au juge afin d'assurer la rapidité de la procédure et son caractère strictement administratif.

Il n'y a pas de reconnaissance préalable de culpabilité afin de préserver l'intérêt et la cohérence de la transaction. En revanche, le refus d'homologation ou le non-respect de l'accord homologué par la personne mise en cause conduit logiquement à ce que la notification originelle des griefs soit transmise à la commission des sanctions, dans le cadre d'une procédure normale de sanction.

Il est enfin prévu que les éléments recueillis dans la cadre d'une procédure de composition administrative ne puissent être invoqués dans le cadre d'une autre procédure (enquête ou sanction), et que les modalités d'application du nouveau dispositif soient fixées par un décret en Conseil d'Etat.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article additionnel.


* 80 Cf . rapport d'information « La loi de sécurité financière : un an après », n° 431 (2003-2004) du 27 juillet 2004.

* 81 Cf. colloque de l'Association européenne de droit bancaire et financier du 8 février 2005 sur le thème « Faut-il accorder à l'AMF le pouvoir de transiger ? ».

* 82 Ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence.

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